La révélation Marie-Ange

La dictature du marketing

Il y a trois ans, je relatais une interview plutôt cash de celui qui allait quitter la direction du Conservatoire de Paris (le CNSMD !), Bruno Mantovani (Soft porn au Conservatoire), et je prenais comme exemple – qu’elle ne m’en veuille pas plus aujourd’hui qu’hier ! – une artiste magnifique qui se soucie bien peu de ressembler à des consoeurs qui bénéficient d’une exposition médiatique qui ne dépend pas uniquement de leur talent pianistique, euphémisme !

J’évoquais alors Marie-Ange Nguci, 24 ans aujourd’hui, que j’ai invitée en 2019 et en 2021 au Festival Radio France. La jeune pianiste née en Albanie m’avait raconté un souvenir très fort, que je m’autorise à reproduire ici. Ce 16 juillet 2019, pour son premier récital à Montpellier, elle paraissait très émue, bouleversée même, tandis qu’elle achevait de répéter sur la scène de la salle Pasteur du Corum. Elle finit par nous expliquer les raisons de son émotion : lorsque sa famille avait débarqué d’Albanie, elle s’était établie quelque part entre Nîmes et Montpellier, et le tout premier concert de la petite fille qui avait commencé l’étude du piano à 4 ans, fut un concert du Festival !

(Photo Caroline Dourthe)

La révélation

J’ai revu et entendu Marie-Ange jeudi dernier au Théâtre des Champs-Elysées, en soliste de l’Orchestre de chambre de Paris et dans le compte-rendu que j’ai fait pour Bachtrack (Deux solistes, une révélation), j’ai parlé à son propos de « révélation ». Révélation pour ceux qui comme moi ne l’avaient jamais entendue dans Mozart. Parce que, pour le grand répertoire romantique, et même plus contemporain – la jeune pianiste semble n’avoir aucune limite à sa curiosité – on savait déjà qu’elle joue dans la cour des grands.

On le sait d’autant plus qu’elle fut l’une des élèves emblématiques du très cher et regretté Nicholas Angelich. Elle fut de ceux et celles qui rendirent l’été dernier un bel hommage au pianiste disparu, dans le cadre du festival de La Roque d’Anthéron.

Mais, comme je l’écris dans mon papier pour Bachtrack, tous les vrais musiciens le savent, rien n’est plus difficile que Mozart. Même les plus grands s’y aventurent avec précaution.

En préparant ce billet, j’ai trouvé cette belle captation d’un autre concerto, le 20ème en ré mineur, réalisée à Lille, il y a quelques mois. Marie-Ange Nguci y démontre ses affinités avec Wolfgang.

On ne boudera pas son plaisir d’entendre ou réentendre la jeune pianiste dans Saint-Saëns ou Rachmaninov, tant elle y est éloquente, souveraine.

Un seul disque en forme de carte de visite pour le moment ! Les responsables de labels seraient bien inspirés de ne pas s’en tenir à ce premier opus…

Intéressant d’entendre ce qu’en disait Marie-Ange Nguci à l’époque, il y a quatre ans déjà !

La grande porte de Kiev (X) : du piano d’Ukraine

Plus d’un mois après ma dernière chronique – La grande porte de Kiev – consacrée à Sviatoslav Richter, en ce 9 mai qui devrait fêter l’Europe unie, libre et pacifique, à l’heure où j’écris ces lignes, des chaînes d’info en continu s’apprêtent à satisfaire la curiosité morbide et malsaine de certains en diffusant le défilé militaire de Moscou. L’Ukraine résiste toujours à l’invasion décrétée le 24 février par Poutine, les héros ne seront pas sur la Place rouge ce matin.

L’Ukraine à Bruxelles

Au hasard de mes souvenirs et de mes écoutes, deux pianistes originaires d’Ukraine me reviennent, qui sont liés à la Belgique et à son Concours Reine Elisabeth.

Vitaly Samoshko est ce grand garçon au sourire rayonnant qui a gagné le Premier prix du concours en 1999 et dont j’ai fait la connaissance quelques semaines après ma nomination à la direction générale de l’Orchestre philharmonique de Liège. Il est né en 1973 dans cette ville tristement placée dans l’actualité de ces dernières semaines, Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine. Il a été de plusieurs de mes aventures liégeoises (par exemple un triple concerto de Beethoven, le 14 septembre 2002, au festival de Besançon, sous la direction de Louis. Langrée)

Sergei Edelmann est, lui, né en 1960 à Lviv. Il a figuré au palmarès du concours Reine Elisabeth en 1983 (6ème prix) et a, dans la foulée, enregistré une série de disques pour RCA à New York, un coffret jadis acheté à Tokyo !

J’avoue ne pas avoir suivi les carrières de l’un et de l’autre, que je ne vois plus guère sur les affiches des concerts ou des festivals que je suis.

L’Ukraine à La Roque

Vadym Kholodenko est né à Kiev en 1986. Il remporte en 2013 le Grand Prix du concours Van Cliburn de Fort Worth (Texas) aux Etats-Unis. Trois ans plus tard il figure à la rubrique « faits divers » de la presse à sensation, victime d’un épouvantable drame familial.

À la différence de ses deux aînés, cités plus haut, Kholodenko poursuit une carrière active. C’est notamment un fidèle du festival de piano de La Roque d’Anthéron, où il jouera de nouveau cet été, le 24 juillet, à l’invitation de mon ami René Martin.

Marie-Aude Roux écrivait dans Le Monde du 26 juillet 2021 : Le jeu de Kholodenko est fluide et clair, profond, un toucher qui multiplie couleurs et dynamiques, de la percussion à cette ligne de legato perlé que couronne la délicatesse d’un trille. Si la ferveur et la tension de l’orchestre sont permanentes, l’absence d’efforts du pianiste est olympienne. L’Ukrainien, qui a donné son premier concert à 13 ans aux Etats-Unis, où il a remporté le prestigieux Concours international de piano Van Cliburn, en 2013, au Texas, fait sans conteste partie du superbe vivier de l’école russe, dont il a suivi l’enseignement au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou dans la classe de la réputée Vera Gornostaeva.