Les raretés de l’été (XI) : Arthur Fiedler le chef américain

Dans toutes les revues « sérieuses » de musique classique, françaises ou anglophones, il y a un nom qu’on ne cite jamais lorsqu’il s’agit d’évoquer les grands chefs d’orchestre américains du XXe siècle, qu’ils soient natifs ou venus d’Europe. Et pourtant… à en juger par son legs discographique et l’étendue des répertoires qu’il a dirigés, je me demande si ce n’est pas lui le plus grand chef américain : Arthur Fiedler (1894-1979).

J’ai souvent évoqué cette figure dans mon blog (lire America is beautiful) mais je n’ai jamais pris le temps de creuser la personnalité, la carrière, l’envergure du personnage. Une personnalité tellement associée à la formation – les Boston Pops – qu’il a dirigée près de cinquante ans, de 1930 à 1979, qu’on ne s’est pas donné la peine d’y voir autre chose qu’un brillant showman.

Comme j’ai, au fil des ans et des voyages, collectionné tout ce que j’ai pu trouver des enregistrements d’Arthur Fiedler, je vais tenter de démontrer pourquoi ce chef est si singulier et exceptionnel dans tous les styles de musique. Le rôle des Boston Pops, émanation directe de l’orchestre symphonique de Boston (comme le Hollywood Bowl Orchestra est l’autre nom du Los Angeles Philharmonic durant les mois d’été lorsqu’il se produit… au Hollywood Bowl !), était de reprendre, en grande formation symphonique, tous les airs à la mode, les chansons traditionnelles ou non. Pour cela, on faisait appel à plusieurs arrangeurs attitrés.

Ce qui est fabuleux – oui j’ose le terme – avec Arthur Fiedler, c’est que tout ce qu’il dirige est fait avec une classe folle, une allure, une vitalité, un goût sûr, qu’on ne retrouve chez aucun de ses contemporains (sauf peut-être Felix Slatkin avec le Hollywood Bowl), ni chez ses successeurs – John Williams pourtant, actuellement Keith Lockhart. Et quel orchestre superlatif, superbement enregistré !

Fiedler l’Américain

Ouvrons le bal de cette mini-série avec ces « orchestral spectacular«  qui sont juste prodigieux. Jamais rien de vulgaire ou de banal, une jubilation irrésistible, un swing admirable…

Je doute qu’un jour on réédite en coffret(s) cette incroyable discographie. A moins que Cyrus Meher-Homji qui l’a déjà fait pour un chef beaucoup moins intéressant (John Mauceri) ne l’entreprenne dans sa collection Eloquence ?

Fiedler et Leroy Anderson

Leroy Anderson (1908-1975) est le pape incontesté de cette musique « légère » américaine. Et Arthur Fiedler et ses Boston Pops, pour qui Anderson a beaucoup écrit et/ou arrangé, sont imbattables dans ce répertoire. Le brave Leonard Slatkin (le fils de Felix !) a réalisé une intégrale de la musique d’orchestre d’Anderson, que j’ai bien sûr dans ma discothèque. Mais la comparaison entre Fiedler et Slatkin est terrible pour ce dernier, qui a complètement oublié la vocation première de cette musique. Un exemple :

Là où Fiedler nous emporte dans une course folle, sollicitant l’extrême virtuosité de ses cuivres, Slatkin nous joue cela bien gentiment, bien propre.

Voilà une vidéo réjouissante où compositeur et chef se retrouvent sur le podium du Boston Symphony Hall pour la pièce The Typewriter rendue célèbre par Jerry Lewis dans le film Who’s minding the store ? (1963)

Pour faire une transition vers le prochain article consacré à Arthur Fiedler, le grand chef « classique », ce Musical Jukebox de Leroy Anderson me semble tout trouvé !

Et pour les humeurs, les visites du jour, toujours mes brèves de blog

America is beautiful

En ce matin du 6 novembre 2020, les Etats-Unis ne savent toujours pas qui sera leur 46ème président (lire La Nuit américaine) même si tout semble indiquer que Donald Trump ne peut plus rattraper l’écart de voix de grands électeurs qui le sépare de Joe Biden.

J’évoquais avant-hier un aspect de la vie musicale américaine qui peut surprendre les Européens que nous sommes : le patriotisme, l’exaltation de la nation, du drapeau américains en toutes circonstances. Les fanfares, les défilés, les majorettes, dans la rue, mais aussi les célébrations dans les grandes salles de concert. Il faut avoir vécu, comme je l’ai fait, certaines de ces manifestations dans de petites villes perdues comme dans les grandes métropoles, pour mesurer que, dans un pays plus divisé que jamais, la musique – ces formes de musique en tous cas – transcende les particularismes et exprime l’attachement à une identité américaine.

Revue non exhaustive de ces musiques « patriotiques » et surtout de leurs interprètes (en complément de celles déjà citées dans La Nuit américaine).

Même le vénérable chef britannique Adrian Boult (lire Plans B) ne dédaignait pas d’enregistrer, à 80 ans passés, Sousa ou Gershwin :

Mais c’est évidemment aux Etats-Unis qu’on trouve les meilleurs et les plus fervents interprètes.

Sur la côte Ouest, le légendaire Hollywood Bowl Orchestra et des chefs longtemps oubliés que de récentes rééditions nous font redécouvrir, comme Carmen Dragon (lire Carmen était un homme)

ou Felix Slatkin, violoniste fondateur du légendaire Hollywood String Quartet, père du chef Leonard Slatkin.

Dans le MidWest, on se tourne évidemment vers les Cincinnati Pops, émanation du Cincinnati Symphony, animés, de leur fondation en 1977 à sa mort en 2009, par Erich Kunzel, surnommé « The King of Pops« .

Kunzel et les Cincinnati Pops ont beaucoup enregistré (pas loin d’une cinquantaine de CD !) pour deux labels américains aujourd’hui disparus Vox et Telarc, disques qu’on trouve encore par correspondance ou chez les vendeurs de seconde main (en Europe… puisque les disquaires ont quasiment tous disparu aux USA !)

Preuve que John Philip Sousa (1854-1932) n’a pas écrit que des marches, ce tango qui ne sonne quand même pas très argentin…

Mais les rois incontestés de ces musiques de fête, de célébration, américaines, sont, à mes oreilles en tout cas, les Boston Pops, leur chef légendaire Arthur Fiedler (1894-1979) de 1930 à 1979 et le compositeur Leroy Anderson étroitement associé à leur aventure.

Discographie innombrable, sous les baguettes successives d’Arthur Fiedler, de John Williams – excusez du peu ! – de 1980 à 1993, et, depuis 1995, de Keith Lockhart, dont, par euphémisme, on peut dire qu’il n’a ni la notoriété ni le charisme de ses prédécesseurs, même s’il a longtemps surfé sur son look de bad boy !