Wolfgang S. : les retards d’un centenaire

J’ai vérifié, le copyright des deux coffrets est bien daté 2024 ! Ce n’est donc pas une publication retardée. Pourquoi, comment a-t-on pu rater d’un an chez les deux grands éditeurs concernés, le centenaire… en 2023 du grand chef allemand Wolfgang Sawallisch (1923-2013) ?

Comme pour se rattraper de ce retard, Warner et Decca nous proposent deux forts pavés – avec un troisième annoncé – qui nous restituent un legs discographique longtemps resté en retrait ou sous-estimé.

En réalité, c’est le chef lui-même qui est resté en retrait, un peu comme un autre grand chef allemand, Karl Böhm (à propos de qui j’avais écrit un billet qui m’avait valu quelques indignations : Faut-il être sexy pour être un grand chef ?). Du temps des Karajan, Bernstein, Abbado, Kleiber, Muti qui brillaient sur les podiums, l’allure austère, le maintien sérieux de Wolfgang Sawallisch ne manquaient pas d’influer, consciemment ou non, sur la considération que lui portaient la critique et le grand public : un honnête Kapellmeister, disait-on avec cette condescendance qui n’appartient qu’aux ignorants.

Si l’on fait abstraction de cette « impression », et que l’on se fie à ses seules oreilles – ce que j’ai toujours fait pour lui comme pour d’autres – on (re)découvre un chef qui sans être ni un révolutionnaire ni un visionnaire est, stylistiquement, un modèle dans le répertoire classique et qui, dans les grandes fresques chorales et/ou lyriques, fait mieux que nous révéler l’essence du romantisme allemand. La seule réserve en effet qu’on peut faire sur ce legs discographique, c’est qu’il ne sort quasiment jamais de la sphère germanique. Mais, que ce soit avec les formations dont il a été le directeur musical (Wiener Symphoniker, Philadelphie, Opéra de Bavière) ou qu’il a régulièrement dirigées (Dresde, Londres, Amsterdam) Wolfgang Sawallisch est, au sens premier du terme, magistral. Et il se niche dans ces deux coffrets, de bien belles surprises.

Sawallisch chez Philips

Cyrus Meher-Homji, le responsable de la collection Eloquence, a repris tous les enregistrements réalisés pour Philips et DG, y compris les disques où Sawallisch se fait compagnon au piano de Fischer-Dieskau, Prey, Schreier. Avec quelques inédits et surtout une remasterisation qui redonne un air bienvenu à des intégrales symphoniques de Schubert (à Dresde) et Brahms (à Vienne) qui souffraient jadis de prises de son qui sentaient le renfermé.

Avec le Concertgebouw, auquel il reviendra dans les années 80 pour une intégrale Beethoven, il grave une Pastorale et une 7e de toute beauté :

Et plus surprenant, puisqu’il n’y reviendra plus – en dehors des ballets – Tchaikovski et une Cinquième symphonie exemplaire qui bénéficie de ce son si spécifique au Concertgebouw (la salle comme l’orchestre)

A une époque où elles étaient plutôt rares, les cinq symphonies de Mendelssohn ont trouvé en Sawallisch un interprète magnifique, auquel on doit joindre la version de référence de l’oratorio Elias :

Et puis, outre les récitals de Lieder, l’ajout considérable de ce coffret (par rapport à un précédent qu’on avait trouvé et acheté au Japon), ce sont les opéras de Wagner captés à Bayreuth dans un son somptueux et avec des équipes glorieuses : Le Vaisseau fantôme, Lohengrin, Tannhäuser.

Peu d’inédits en dehors de quelques extraits en mono de Lortzing et Mascagni, et surtout un second disque de polkas et valses de Strauss que j’ignorais. En écrivant ces mots; je trouve sur YouTube ce document étonnant, où Sawallisch explique l’esprit de la valse viennoise au piano puis à la tête de l’orchestre de la RAI :

Sawallisch Warner vol. 1

EMI et Wolfgang Sawallisch, c’est une histoire qui a commencé à la fin des années 50, le chef était tout jeune, à l’instigation du grand patron du label anglais Walter Legge. Il y en a quelques traces dans ce coffret Warner présenté comme un 1er volume (orchestre, oeuvres chorales) qui devrait être suivi d’un coffret comportant tout le legs lyrique, en particulier les opéras de Richard Strauss.

Comme un formidable disque d’ouvertures de Weber :

Autant que dans le coffret Decca, il y a dans cette boîte Warner de magnifiques documents, notamment tout ce que le chef allemand a gravé avec le somptueux orchestre de Philadelphie, dont il a assumé la direction musicale de 1993 à 2003, à la suite de Riccardo Muti. Les Hindemith et Richard Strauss sont splendides, tout comme l’étonnant disque de transcriptions de Stokowski.

Dans les sommets de cette discographie, il y a la version jamais dépassée des Symphonies de Schumann, avec une Staatskapelle de Dresde en état de grâce.

Les symphonies de Beethoven – rebelote avec le Concertgebouw – sont à remettre très haut dans la liste des références, alors qu’elles avaient été peu remarquées à leur sortie.

De même les symphonies de Brahms, enregistrées cette fois à Londres, avec deux extraordinaires concertos pour piano avec Stephen Kovacevich en soliste

On devrait consacrer tout un article à Sawallisch pianiste, accompagnateur recherché par les plus grands chanteurs de son temps. Je le ferai certainement.

Souvenirs (III) : Le Grand Echiquier de Karajan

C’est sans doute de tous les documents que j’ai enregistrés sur cassettes vidéo (Souvenirs), ceux que je suis le plus fier d’avoir retrouvés et fait numériser : le Grand Echiquier, légendaire émission de Jacques Chancel (lire La culture joyeuse) qui avait accueilli durant plus de trois heures en direct l’Orchestre philharmonique de Berlin et Herbert von Karajan ! C’était le 24 juin 1978. Jamais je n’oublierai la joie, l’enthousiasme qui furent les miens. Malheureusement, pour des raisons de droits (Jacques Chancel n’étant pas le seul « auteur » légal de cette émission), ce numéro du Grand Echiquier, pas plus que les autres, n’a jamais été rediffusé, ni a fortiori édité.

Je laisse chacun découvrir d’abord le grand chef s’exprimant dans un français parfait, dans une tenue décontractée qui a dû surprendre ceux qui ne voient les chefs qu’en queue-de-pie, et surtout bien sûr les solistes qui participent à cette émission…

Le choix d’un chef

On a eu la semaine dernière la confirmation d’une nouvelle que je tenais depuis plusieurs mois du directeur général de l’époque de l’Orchestre philharmonique royal de Liège : la nomination de Lionel Bringuier comme directeur musical de l’orchestre à la rentrée 2025. J’ai craint un moment que ce que m’avait annoncé, en secret, Daniel Weissmann, ne soit finalement pas accompli. Parce qu’entre les projets même les mieux conçus de recrutement d’un directeur musical et la réalité des nominations, il y a souvent un écart.

Le bon choix pour Liège

Je vais raconter comment se passent les nominations de chefs d’orchestre, au moins celles que j’ai eu à connaître. Mais d’emblée je veux dire ici combien le choix de Lionel Bringuier pour Liège vient à point nommé, pour l’orchestre et pour lui. L’ère qui s’ouvre sera féconde et extrêmement bénéfique pour l’orchestre, dont j’ai quitté la direction générale il y a bientôt 10 ans ! Voir RTC

Pour l’OPRL c’est le retour à un étiage qu’il n’aurait jamais dû quitter. Je n’ai jamais compris l’enthousiasme – très relatif – qu’a pu susciter l’actuel directeur musical :Gergely Madaras sait, à coup sûr, manier la baguette, diriger des partitions complexes, et sans doute s’attirer les sympathies du public.

Mais la seule question qui vaille, s’agissant d’un directeur musical, et non pas juste d’un chef de passage, c’est : qu’a-t-il apporté à l’orchestre? quelle est sa valeur ajoutée ? quelle personnalité incarne-t-il face à une phalange qui s’est souvent hissée dans le passé au rang des meilleures ? Les seules fois où je l’ai vu diriger, j’ai trouvé sa direction bien peu singulière, souvent banale, et pas dans n’importe quel répertoire : un Sacre du printemps sans relief (il faut le faire !), une Quatrième symphonie de Mahler gentillette. On m’a reproché de ne pas avoir été tendre avec lui dans ses interprétations en concert ou au disque des oeuvres de César Franck (Hulda, Psyché), mais j’ai des oreilles pour entendre… et comparer.

Langrée, Rophé, Arming

Sur les trois chefs que j’ai eu à nommer durant mes fonctions à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (1999-2014), je me suis souvent exprimé, mais sans toujours révéler le dessous des cartes. Les conditions de l’arrivée de Louis Langrée à Liège sont connues : (re)lire Portrait d’ami.

Lorsque Louis Langrée m’avait annoncé qu’il ne prolongerait pas son deuxième mandat (2004-2006) – il s’est alors longuement expliqué sur ses raisons – nous étions convenus qu’il poursuivrait des projets et des tournées auxquels lui comme moi tenions beaucoup, et ce fut le cas. Pour succéder à un musicien qui avait apporté un tel enthousiasme et conduit un tel renouveau à un orchestre en crise, mais qui avait dû affronter aussi un ensemble qui n’était pas habitué, ni même prêt, aux exigences interprétatives du chef français, je pensais qu’un excellent technicien, certes trop réduit à l’étiquette « musique contemporaine », mais dont l’orchestre avait pu apprécier la précision, la capacité d’aborder des partitions complexes, serait un bon relais.Au cours d’un dîner à Paris, je proposai le poste à Pascal Rophé, qui en fut le premier surpris ! Et il y eut de grands moments, de très belles réussites – grâce à Pascal Rophé, l’OPRL fut invité à plusieurs reprises au festival Musica de Strasbourg, enregistra de très grands disques (Mantovani, Dusapin), mais lorsqu’il me fallut envisager de prolonger ou non le premier mandat de Rophé (2006-2009), je partageai mes doutes, mes hésitations, avec des musiciens de et hors l’orchestre dont je connaissais la sûreté de jugement. A peu près tous rejoignaient mon point de vue, il manquait au chef une vision du coeur de répertoire d’un orchestre symphonique, ses prestations dans Mozart, Beethoven, Brahms et même Mahler n’ayant guère convaincu,.. Je laisse le lecteur imaginer la teneur du dîner au cours duquel je dus dire en tête à tête à P.R. la décision prise à son égard.

Des conversations que j’avais eues pour sa succession, un nom ressortait fréquemment. Un jeune chef qui avait fait des étincelles à Liège en 2007, un chef très présent sur les réseaux sociaux (Facebook en l’occurrence).Voyant qu’il était à Paris… et moi aussi, je lui proposai un déjeuner qu’il accepta immédiatement. Je lui dis le bien que les musiciens de l’orchestre et moi pensions de lui, et lui demandai, en toute confidentialité bien sûr, s’il accepterait la direction de Liège. Il ne mit pas 24 h à me donner son accord, et nous nous retrouvâmes quelques semaines plus tard, avec le délégué artistique de l’orchestre, à son domicile en région parisienne. François-Xavier Roth débordait d’idées, d’enthousiasme, de projets. Un contrat fut signé avec son agente parisienne. Quelques semaines avant sa prise de fonction, FX m’indiqua qu’il passait désormais chez un agent basé à Londres, qui lui ouvrait des perspectives internationales. C’est alors que tout se déglingua : ledit agent me somma de revoir le contrat de FXR. Je lui répondis que je ne négociais pas à distance, et qu’un contact direct entre nous me paraissait un préalable. Je rencontrai ce personnage le jour même du premier concert de FXR et de l’orchestre à Bruxelles, en septembre 2009. Ce fut une descente en règle non seulement des termes du contrat du chef mais aussi et surtout de la politique de l’orchestre, qu’il fallait revoir de fond en comble. Bien entendu, toutes les décisions devaient revenir au seul chef d’orchestre, le directeur général ne servant qu’à porter les valises et à faire les comptes. Je mis quelques semaines à comprendre que cette attaque frontale ne servait qu’à préparer la rupture qui aurait lieu au printemps suivant. Entre temps ledit agent s’était « vendu » à une grande agence de concerts à Londres, et mes interlocuteurs allaient changer, sans pour autant que le conflit se règle. Disons que les contacts devinrent plus urbains. Pendant ce temps, je refusais de prêter du crédit aux rumeurs, informations, qui me parvenaient sur une prochaine nomination de FXR dans un grand orchestre allemand. C’est pourtant ce qui fut annoncé, un mois à peine après le communiqué que nous publiâmes en mars 2010 indiquant la rupture anticipée du mandat de directeur musical du chef.

Le traumatisme ne fut pas mince, pour les musiciens de l’orchestre, sonnés par un tel abandon, dont évidemment quelques esprits bien intentionnés ne manquèrent pas de m’attribuer la responsabilité (pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot !), pour mon équipe et pour moi aussi. Le président de l’agence londonienne eut le grand tort d’écrire une lettre au président de l’orchestre, dans laquelle il manifestait un tel mépris non seulement pour le directeur général mais aussi pour le conseil d’administration qui l’avait nommé – nous étions incapables de comprendre à quel musicien d’élite nous avions à faire en la personne d’un chef que le monde entier s’arrachait !! – qu’il provoqua de la part de tous les Liégeois, élus, musiciens, responsables, une réaction indignée et une manifestation de totale solidarité envers les dirigeants de l’orchestre. Le sentiment d’un gâchis, surtout à la veille de la saison anniversaire des 50 ans de l’orchestre (2010-2011) au cours de laquelle nous avions prévu un grand nombre de manifestations exceptionnelles, dont des concerts à Varsovie et Vienne ! Nous pûmes heureusement compter sur le concours de plusieurs chefs, dont Louis Langrée et Pascal Rophé, pour assurer le succès de cette saison, et en particulier le concert des 50 ans de l’OPRL, le 7 décembre 2010 qui réunit les trois anciens directeurs musicaux Pierre Bartholomée et ses deux successeurs.

Pour trouver le successeur de Roth, je décidai de changer complètement le processus de sélection et de recrutement, en impliquant directement l’orchestre. Je proposai aux musiciens de désigner en leur sein une commission de six à huit membres, qui travaillerait avec moi dans la plus totale confidentialité, et donc une totale liberté entre nous, pour d’abord dégager le profil du directeur musical qui conviendrait à un orchestre qui avait beaucoup évolué et progressé depuis dix ans, ensuite faire une « short list » de possibles prétendants. La règle était que rien ne devait sortir de nos discussions, que s’il y avait des fuites, cela ruinerait irrémédiablement le processus. J’eus dès le départ la certitude que le prochain directeur musical figurait parmi les chefs que nous avions déjà invités, et j’avais mes préférences. Cela reste une de mes fiertés que d’avoir pu conduire ce processus, dans un esprit d’ouverture, de dialogue, sans conflit, et dans la plus absolue discrétion. À un point tel que lorsque nous annonçâmes en mai 2011 la nomination du chef autrichien Christian Arming, ce fut une surprise totale pour tout le monde, et les musiciens l’approuvèrent d’autant plus chaleureusement qu’ils savaient qu’elle résultait des travaux du petit groupe qu’ils avaient désigné. Ce qui comptait le plus pour moi, c’est qu’aucune pression extérieure – et il y en eut évidemment, et de nombreuses, notamment de la part de chefs et/ou d’agents qui voulaient se placer – aucun argument autre qu’artistique, n’aient été pris en considération.

S’en suivit une période féconde pour l’orchestre, huit années de stabilité, puisque le premier contrat de Christian Arming (2011-2014) fut renouvelé le jour où j’annonçai mon départ de l’orchestre, et ma nomination à Radio France le 14 mai 2014. Je ne fus pas peu fier d’emmener « mon » orchestre pour la troisième fois en moins de dix ans, le 22 mai 2014, dans la grande salle dorée du Musikverein de Vienne !

(Christian Arming devant la statue de Johann Strauss à Vienne, mai 2014)
(Christian Arming dirigeant la Chevauchée des Walkyries / OPRL / JBR Productions)

PS. Je veux préciser ici que j’ai gardé avec chacun des chefs que j’avais choisis et nommés à Liège des relations cordiales, souvent amicales, quels qu’aient pu être nos différends. J’ai pour chacun d’eux une profonde admiration musicale et personnelle.

Chicago à l’heure de la sieste

Impossible de manquer le seul concert parisien de l’orchestre symphonique de Chicago et de son actuel chef Riccardo Muti dans le cadre d’une tournée européenne considérable (pas moins de 23 concerts !).

C’était hier soir dans une Philharmonie de Paris comble.

Le programme lui-même comme une signature du chef : pas de soliste, la création française de la dernière pièce d’orchestre de Philip Glass, la symphonie « italienne » de Mendelssohn, et un poème symphonique de jeunesse de Richard Strauss, que j’avais découvert grâce au disque… de Riccardo Muti dirigeant le philharmonique de Berlin, Aus Italien.

Je ne vais pas tourner autour du pot: j’ai été déçu mais pas surpris.

Dans un article écrit pour Forumopera (Le requiem bavarois de Muti), je relevais déjà le contraste saisissant entre le fringant quadragénaire qui livrait en 1981 une fabuleuse version du Requiem de Verdi et le chef devenu octogénaire qui plombait la Missa Solemnis de Beethoven qu’il avait dirigée durant l’été 2021 à Salzbourg.

Sur mon blog (La quarantaine rugissante et Ces vieux qui rajeunissent et inversement), je notais, à propos du concert de Nouvel an 2021 à Vienne (toutes les craintes sont permises quand on sait que Riccardo Muti dirigera à nouveau celui du 1er janvier 2025, année du bicentenaire de Johann Strauss !) : « En regardant le concert de Nouvel an hier, en direct de la salle dorée du Musikverein de Vienne, vide de tout public, j’avais la confirmation d’un phénomène si souvent observé : le fringant Riccardo Muti qui dirigeait son premier concert de l’An en 1993 a laissé la place à un bientôt octogénaire (le 28 juillet prochain) qui empèse, alentit, la moindre polka, wagnérise les ouvertures de Suppé, et surcharge d’intentions, de rubato, les grandes valses dJohann Strauss. » (2 janvier 2021)

Alors bien entendu, hier soir, on admirait d’abord l’une des plus belles phalanges du monde, le Chicago Symphony Orchestra (l’autre CSO américain !), que je n’avais entendu qu’une fois en concert à domicile. C’était à l’automne 2006 comme je l’ai raconté dans mon hommage au légendaire cor solo de l’orchestre, Dale Clevenger disparu il y deux ans (Le cor merveilleux de Dale C.).

On admirait aussi l’élégance, la prestance et la précision du chef napolitain, qui, à 83 ans, semble épargné par les douleurs du grand âge.

Mais après une bien fade création française de la dernière oeuvre symphonique de Philip Glass, qui permettait au moins d’entendre la perfection et la chaleur des cordes de Chicago, on eut droit à une Symphonie « italienne » de Mendelssohn, magnifiquement confectionnée – un travail de haute précision dans chaque pupitre – mais privée de tout élan romantique, de cette « italianita » jadis si réjouissante sous la houlette impérieuse du chef. Comme dans cette captation réalisée à Salzbourg, Muti avait alors 36 ans !

Quant à la suite symphonique en quatre tableaux, Aus Italien, on n’a guère de comparaison possible qu’avec le propre disque de Muti avec Berlin en 1988.

Il semblerait que Richard Strauss, croyant citer des chansons populaires napolitaines dans le dernier volet, ait eu maille à partir avec le véritable auteur de la chanson Funiculi, Funicula, composée en 1880 par Luigi Denza, qui ne manqua pas de réclamer des droits d’auteur à son illustre confrère !

De nouveau, dans cette oeuvre, souvent à court d’inspiration et d’originalité, mais formidablement écrite pour le grand orchestre, les pupitres du Chicago Symphony furent, hier soir, en tous points conformes à leur légende. Mais l’Italie décrite par Strauss, semblait faire la sieste, bien loin des atmosphères festives et populaires qu’Aus Italien est censée évoquer.

Muti et ses musiciens de Chicago offrirent un « bis » de rêve avec l’intermezzo de Manon Lescaut de Puccini. C’était ce qui s’appelle jouer sur du velours.

Bref extrait de Aus Italien :

La découverte de Bologne (II) : Mozart adolescent

J’évoquais hier la figure du Padre Martini, personnalité centrale de la vie musicale à Bologne au XVIIIe siècle, prodigieux animateur de l’Accademia Filarmonica di Bologna, fondée en 1666 et toujours bien vivante aujourd’hui.

Parmi les élèves de l’Accademia et du Padre Martini, le plus célèbre est sans doute un certain Wolfgang Amadeus Mozart.

Portrait de Mozart au Musée international de la musique de Bologne

On n’entrera pas ici dans un débat historique ni musicologique sur le point de savoir si le jeune Wolfgang, – il a tout juste 14 ans lors de son premier voyage en Italie avec son père – a été marqué par son séjour plutôt bref, trois mois, à Bologne. Auprès du Padre Martini, il travaille l’harmonie et surtout le contrepoint. Pour être admis à l’Accademia, il devra rendre deux « exercices », deux manuscrits précieusement conservés dans la bibliothèque du musée.

En même temps, on se demande si Mozart avait encore beaucoup à apprendre, quand on entend son opéra Mitridate re di Ponto, créé à Milan le 26 décembre 1770 (lire Ceci n’est pas un opéra)




Quand Vienne vient à Bologne

Comme si je n’avais pas eu assez de l’excellente version de concert de La Chauve-Souris dirigée par Marc Minkowski au théâtre des Champs-Elysées (voir sur Bachtrack : Une Chauve-Souris authentiquement viennoise), j’ai repris une dose de Fledermaus, en italien cette fois – Il Pipistrello – dans l’affreux palais des congrès de Bologne où se tiennent les représentations du Teatro Comunale, qui fait l’objet d’une complète restructuration/rénovation.

Comme je ne m’attendais à rien de particulier, je ne pouvais être qu’agréablement surpris. D’abord par le tout jeune chef ukrainien Sasha Yankevych, 32 ans, qui sans être ni Carlos Kleiber, ni Marc Minkowski, fait mieux qu’infuser à ses très belles troupes bolognaises l’esprit viennois. J’ai moins aimé le casting réuni ici que celui de Paris. La star de la soirée, c’était Désirée Rancatore, en Rosalinde un peu fatiguée, bien à la peine dans les graves. Bonne soirée pour terminer l’année !

Musiques d’époque

De la même manière qu’il y a des marronniers dans les médias, il y a des marronniers dans le spectacle.

Casse Noisette

Ainsi l’ultime ballet de Tchaikovski – Casse-Noisette -créé à Saint-Pétersbourg quelques mois avant la mort du compositeur est-il programmé partout en cette période de Noël (la liste publiée par Bachtrack est éloquente !). En France et à Paris, on n’y échappe pas.

Je me réjouissais d’assister jeudi au concert de l’Orchestre national de France, qui annonçait l’intégrale de la musique du ballet (alors que l’Orchestre de Paris et son chef Klaus Mäkelä n’avaient programmé que le 1er acte, à la grande satisfaction certes d’Alain Lompech sur Bachtrack). J’attendais aussi le jeune chef tchèque Petr Popelka, pour des raisons qu’on n’a pas pris la peine de nous expliquer il a été remplacé par Fabien Gabel (une ressemblance capillaire ?)

Mais je m’attendais surtout – puisqu’on était à la Maison de la radio et de la musique – à la présence des voix de la Maîtrise de Radio France dans la merveilleuse valse des flocons de neige qui clôt le deuxième tableau du 1er acte. C’était l’occasion ou jamais de présenter une intégrale… vraiment intégrale. La présence au premier rang de la présidente de Radio France et de sa famille n’aura pas suffi. Dommage !

Sachant la redoutable difficulté d’une partition qu’on connaît par coeur, je veux rester indulgent à l’égard d’un chef et d’un orchestre qui d’évidence auraient eu besoin de plus de répétitions ne serait-ce que pour mieux caractériser chaque scène, chaque épisode, où Tchaikovski fait preuve d’une invention mélodique, d’un traitement de la matière orchestrale, absolument extraordinaires (c’est dans Casse Noisette qu’on entend pour la première fois le célesta comme instrument soliste dans la fameuse Danse de la fée Dragée). Jeudi j’avais encore le souvenir très vif d’une soirée inoubliable du festival d’Aix-en-Provence 2009, où Simon Rattle et l’orchestre philharmonique de Berlin avaient donné (comme Mäkelä et l’Orchestre de Paris !), l’ouverture et le 1er acte de Casse-Noisette avant Le Sacre du printemps de Stravinsky. C’est avec émotion que je retrouve la critique qu’en avait faite dans Télérama le regretté Gilles Macassar, disparu en 2015 (lire son beau portrait de Fabienne Pascaud).

La Valse des flocons de neige… avec les voix d’enfants !

La Chauve-Souris

Autre « marronnier » des fins d’année, Die Fledermaus / La Chauve-Souris, l’opérette la plus populaire de Johann Strauss, qu’on programme à cette époque parce qu’elle s’inspire d’une pièce française de Meilhac et Halévy… le Réveillon ! (lire Revue de Chauves-Souris)

Mercredi soir, et malheureusement pour une seule soirée, le Théâtre des Champs-Elysées recevait la meilleure équipe qui se puisse rêver pour ce chef-d’oeuvre. Comme on l’a écrit pour Bachtrack : Une Chauve-Souris authentiquement viennoise au théâtre des Champs-Elysées.

Je n’avais pas vu la vidéo de présentation de ce concert, je partage non seulement tout ce que Marc Minkowski dit de l’oeuvre et de cette musique, mais je constate avec plaisir que le chef français a très exactement fait ce qu’il a dit. J’espère que cette production est ou sera enregistrée dans le cadre de sa tournée européenne.

Quant à mes versions favorites au disque ou en DVD, j’invite à relire Revue de Chauves-Souris.

Les perles du 1er janvier

Je verrai et j’entendrai – peut-être – le concert du Nouvel an avec un différé de quelques jours.

En attendant, sorties de ma discothèque, quelques perles parfois rares.

Les frères Krips

Les mélomanes connaissent bien Josef Krips (lire Krips le Viennois), né à Vienne en 1902 et mort à Genève en 1974. En revanche, son petit frère, né Heinrich Josef dix ans plus tard, en 1912 toujours à Vienne, En 1938 Heinrich émigre en Australie, anglicise son prénom – Henry – et développe son activité de chef d’orchestre dans l’hémisphère sud

Les deux frères laissent des interprétations d’anthologie des valses de Strauss, l’aîné Josef mélange de rigueur et de douceur, le cadet Henry osant parfois sortit du cadre avec un talent fou.

Comparer leurs deux versions de la Kaiser-Walzer, mal traduite en Valse de l’Empereur

La libellule de Carlos K.

Une fois qu’on aura répété que nul n’a jamais égalé Carlos Kleiber à la tête des concerts de Nouvel an en 1989 et 1992, se laisser à nouveau éblouir par cette pure merveille : la polka Mazur de Johann Strauss, Die Libelle (La libellule).

L’or et l’argent de Sir John

Jusqu’à ce que je découvre cette version dans le gros coffret Warner consacré au chef britannique le plus emblématique du XXème siècle, je pensais que Rudolf Kempe avait signé la version définitive de la valse L’Or et l’Argent de Lehar. John Barbirolli rejoint le chef saxon sur les sommets.

Le Prêtre viennois

Les Wiener Philharmonie avaient fait le cadeau au vieux chef français Georges Prêtre – qui fut de 1986 à 1991 le chef de l’autre phalange viennoise, les Wiener Symphoniker – de l’inviter à diriger les concerts de l’An en 2008 et 2010. Par-delà quelques cabotinages, Prêtre se fait plus Viennois que nature.

Même si on peut le trouver trop pressé dans cette Napoleon Marsch (allusion à Napoléon III et non à Bonaparte !)

Sur la lagune

J’ai salué comme il fallait la publication d’un formidable coffret consacré à Willi Boskovsky, l’incontournable maître des 1er janvier viennois mais aussi violon solo des Wiener Philharmoniker. Parmi tous ces trésors, j’ai une tendresse particulière pour une valse, la Lagunen-Walzer, qui reprend des thèmes de l’opérette Une nuit à Venise. Parce que ce fut l’un de mes premiers coffrets en 33 tours, et qu’immédiatement j’ai entendu l’élégance, la sensualité, des mélodies de Strauss et de la baguette de Boskovsky.

Une première pour Dudamel

Il m’est arrivé d’être prisonnier de quelques clichés, comme celui qui consiste à enfermer un artiste dans un répertoire ou à penser que tel chef n’est pas fait pour telle musique. Lorsque j’ai appris que Gustavo Dudamel allait diriger le concert du Nouvel an 2017, j’ai douté… et j’ai eu tort. Le chef vénézuélien a administré la preuve que la musique des Strauss n’était pas enfermée dans les traditions de la capitale autrichienne.

Rappelons que Sony qui avait déjà sorti une édition prétendument complète des concerts de Nouvel an, a publié l’an dernier une « extended edition » qui comprend des extraits des tout derniers concerts (Dudamel, Thielemann, Muti)

Cendrillon à la Bastille

C’est l’une des nouvelles productions de la saison de l’Opéra de Paris : Cendrillon, l’opéra de Massenet.

On est allé voir cette Cendrillon vendredi dernier, avec quelques réticences : les premières critiques n’étaient pas très flatteuses (Cendrillon rate le coche), on craignait d’être déçu par rapport au souvenir qu’on avait d’un spectacle très réussi il y a une dizaine d’années, à l’Opéra Comique, mis en scène par Laurent Pelly.

Crainte injustifiée : la mise en scène de Mariame Clément est astucieuse et poétique, les impressionnants décors de Julia Hansen composent un spectacle très plaisant (Forumopera : La machine féerique). Certes, la diction française des principaux rôles est encore perfectible, mais Tara Erraught en Lucette/Cendrillon, Anna Stephany (qu’on avait applaudie l’été dernier au Festival Radio France) en prince charmant, Daniella Barcelona en marâtre, tout comme la fée de Kathleen Kim, incarnent parfaitement leurs personnages, et tous leurs comparses sont dignes d’éloge. On se demande, en revanche, ce qui a motivé le choix de Carlo Rizzi, d’ordinaire abonné à l’opéra italien, pour diriger un Massenet méconnu.

D’autres Cendrillon

Il faut lire l’article remarquablement documenté de Wikipedia sur Cendrillon. J’avoue que je ne connaissais guère que les « versions » de Charles Perrault et des frères Grimm de ce conte très très ancien !

En musique, on connaît bien l’opéra-bouffe de Rossini, la Cenerentola, dont le livret repose sur le conte de Perrault.

Eblouissante Agnes Baltsa sous la direction d’un chef inattendu dans ce répertoire et qui a signé plusieurs réussites rossiniennes, Neville Marriner

Il faut évidemment connaître l’une des rares versions au disque de la Cendrillon de Massenet, malgré la diction marshmallow de Federica von Stade

On doit aussi citer le grand ballet de Prokofiev, que le théâtre Marinski de Saint-Pétersbourg presse d’écrire, après le succès de Roméo et Juliette. Prokofiev entreprend sa Cendrillon en 1941, mais ne l’achève qu’en 1944. La première a lieu le 21 novembre 1945 au Bolchoi à Moscou.

Une autre Cendrillon est, elle, beaucoup moins connue, et tout à fait contemporaine de celle de Massenet. Il s’agit d’un ballet dû au roi de la valse, compositeur de La Chauve-Souris, Johann Strauss fils, connu sous son titre allemand Aschenbrödel, la dernière oeuvre du maître, qui meurt en 1899.

Sous les pavés la musique (IX) : Karl Böhm et Deutsche Grammophon

J’étais tellement persuadé d’en avoir parlé… que j’ai oublié de le faire.

Après le coffret des enregistrements Philips et Decca (lire Karl Böhm : l’héritage Philips et Decca), c’est au tour de Deutsche Grammophon d’honorer Karl Böhm, quarante ans après sa mort.

Remy Louis ne m’en voudra pas de citer in extenso le papier qu’il consacre aujourd’hui sur Diapason au grand chef disparu en 1981. Il n’y a pas meilleur « böhmologue » sur la planète musique :

« Le quarantième anniversaire de la mort de Karl Böhm (1894-1981) a enfin décidé DG à redonner sa place légitime à l’une de ses grandes signatures, en réunissant dans un son glorieux toutes ses gravures orchestrales de studio (et quelques live), concertos inclus (Guilels et Pollini). Un parcours ouvert (Symphonie no 5, 1953) et refermé (9e, 1980) avec Beethoven. Tous les témoignages parlés (en allemand) sont là aussi. De 1953 à 1980, au Böhm mature succède celui du grand âge, de Berlin à Vienne, avec des retours à Dresde (Schubert, Strauss bien sûr), et l’arrivée tardive du Lon-don Symphony. De la mono à la stéréo digitale, on retrouve ce qui était éparpillé dans les coffrets « Great Recordings 1953-1972 », « The Symphonies » (cycles Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms) et « Late Recordings ». Ajout majeur : l’« intégrale » Mozart (1959-1968) bénéficie d’une édition Blu-ray audio à la présence aérée qui la fait revivre comme jamais.

Berlin et Vienne

Berlin a été l’orchestre principal de Böhm chez DG jusqu’au début des années 1970 car Vienne était d’abord sous contrat Decca. Mais le désir du chef d’enregistrer avec « son » Philharmonique était tel qu’un accord fut trouvé : Haydn (Symphonies nos 88 à 92, Symphonie concertante), les concertos pour vents de Mozart, les intégrales Beethoven et Brahms, les géniales 7e et 8e de Bruckner – assurément deux sommets – incarnent profondément une culture que Böhm – styrien, pas viennois – a entretenue et façonnée à son tour avec exigence ; l’évocation parlée de sa relation avec les Wiener (près de douze minutes, inédites en CD) en est le précieux écho.

On s’en souvient comme si c’était hier : rayonnant du cœur même de la sonorité, cette fluidité et ces mille reflets d’or entendus dans la trilogie mozartienne au Théâtre des Champs-Elysées en 1979. S’en rapprochent les concertos pour cor de Mozart, les Haydn (vraiment uniques, sans prédécesseur ni successeur), la « Pastorale » ou l’ultime 9e de 1980 (étrangement pré-mahlérienne dans ses timbres, ses espaces sonores), le Largo inouï de la « Nouveau Monde », les Wagner sublimés. Cette quintessence imprègne aussi les Tchaïkovski tardifs et extraordinairement épurés du LSO (4e, 5e, et « Pathétique »), ni allemands, ni russes, mais d’ailleurs : un monde en soi, sans descendance.

Comparaisons

Pour avoir joué avec les trois, un musicien de Chicago disait que Solti était d’abord un chef rythmique, Barenboim harmonique, Muti mélodique. Böhm fusionne ces éléments dans un point d’équilibre qui n’est pas ce juste milieu que raillait Schönberg, mais ce seuil où l’œuvre semble réalisée sans effort dans toutes ses potentialités, en écartant tout extrémisme extérieur. Et dans une conscience aiguë du style, doublée de l’accueil libéral des couleurs et de la sonorité de chaque formation.

Rapprocher les prises effectuées avec Berlin, puis Vienne (divers Mozart dont la Symphonie concertante pour vents, 3e et 7e de Beethoven, 5e et 8e de Schubert, 1re et 2e de Brahms… ) est révélateur ; la différence est marquée chez Brahms, impérieux et emporté par de sombres élans à Berlin, plus relaxé à Vienne. Elle vaut aussi pour les deux formidables Vie de héros de Strauss de Dresde et Vienne : on croit d’abord entendre un autre chef, mais…

Sur la question des tempos, nos goûts ont évolué pour le répertoire classique, les premiers Schubert ; mais les siens ne sont-ils pas salvateurs dans un monde hystérisé ? Böhm est à la fois précis, articulé, savamment contrasté et toujours narratif. Sombre avec Berlin, il est lumineux avec Vienne… mais partout clair, intérieurement intense.

Le charme et la joie

Un été indien réchauffe les Mozart de Vienne (les 38e et 39e !), préservant cet élan qui faisait écrire au compositeur André Boucourechliev, chroniquant les Concertos nos 19 et 23 avec Pollini, que le vrai soliste de ce disque était Böhm lui-même. Walter Legge admirait « sa manière si naturelle de faire de la musique, l’aisance suprême avec laquelle il passait d’un tempo à un autre, la chaleur humaine, l’humour, le pathos contenu ». Ajoutons : le charme – les Haydn, les valses de Strauss, les cordes si viennoises de Pierre et le loup !

Pourtant, une dimension plus faustienne sous-tend ses Mozart berlinois, d’une unité surprenante si on songe qu’il n’a jamais dirigé nombre d’entre eux en concert. Il déclarait dans une interview télévisée ne pas croire totalement à la joie chez Mozart – aveu remarquable. Ses lectures sont exemptes de sentimentalisme mais non de tourments, strictes de forme mais nuancées dans le détail, et d’un naturel agogique et d’une plénitude sonore exaltants – ainsi des fabuleuses Sérénades « Haffner » et « Posthorn ». Que d’aucuns, aujourd’hui, n’adhèrent pas à ce son, à cette vision, se comprend, et ne tient pas seulement aux bouleversements stylistiques intervenus depuis sa disparition : du vivant de Böhm, le Mozart de Szell, par exemple, traçait une tout autre voie.

Voilà bien une somme, dont l’écoute ne dissipe jamais, en dépit de son évidence musicale, le mystère que recelait l’homme. Visuels (pas toujours les tout premiers) originaux, brève notice de Richard Osborne (sans traduction française). Regrettons que DG n’ait pas repris l’hommage pénétrant, signé Erik Werba, qui ouvrait l’édition vinyle originale de l’intégrale Mozart. Le pianiste savait ce que Böhm représentait. » (Remy Louis, DiapasonMag).

Mes préférences à moi

Je n’ai rien découvert dans ce coffret, qui a toutefois l’immense avantage de regrouper des parutions jusqu’alors disparates, et d’être richement documenté.

Remy Louis souligne, à juste titre, qu’on peut être décontenancé par la « paisibilité » des Mozart et des Schubert de Böhm, surtout si on a dans l’oreille les Harnoncourt, Gardiner et autres tenants de l’interprétation « historiquement informée ».

Tout admiratif que je sois du chef autrichien, je n’arrive vraiment pas à me faire à ces Mozart sans vie ni ressort (le finale de cette 25ème symphonie !!)

La comparaison avec son aîné d’une dizaine d’années, pourtant réputé pour ses lenteurs, Otto Klemperer, est… édifiante !

En revanche, Haydn réussit plutôt au natif de Styrie, et le bouquet de symphonies (88-92 et 105) qu’il grava avec les timbres fruités de Vienne, figure depuis longtemps dans les favoris de ma discothèque

« La » Première de Brahms

Ce coffret contient, pour moi, « la » version définitive de la Première symphonie de Brahms. Je ne connais pas de finale plus rageur, plus tourmenté, plus contrasté aussi, que celui de Böhm à Berlin en 1959.

Mais toutes les symphonies de Brahms – l’intégrale viennoise – sont de la même eau sous la baguette à la fois si impérieuse et souple de Böhm.

Prokofiev et Saint-Saëns

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer deux raretés de la discographie de Böhm : un fantastique Carnaval des animaux de Saint-Saëns, et ce qu’on pourrait considérer comme la version de référence, pas moins, de Pierre et le Loup de Prokofiev. Avec juste un bémol : le coffret comprend les versions en anglais et en allemand (c’est le propre fils de Karl Böhm, l’acteur Karlheinz, qui en est le récitant) mais omet la version française parue jadis avec Jean Richard !

Johann et Richard Strauss

On sait les affinités électives entre Richard Strauss et Karl Böhm (pour les opéras voir le coffret paru en 2018 : Böhm les opéras Deutsche Grammophon) C’est évident dans les poèmes symphoniques.

De l’autre Strauss, Böhm, outre une Fledermaus d’anthologie avec Gundula Janowitz, n’a gravé qu’un seul disque de valses et polkas. Des modèles, comme ces Roses du Sud de haute école.

Je suis plus circonspect que Remy Louis sur les Tchaikovski gravés à Londres, une Neuvième de Dvorak bien sérieuse.

Mais rien n’est médiocre ni négligeable dans ce beau coffret !

Régime de fête (VI) : aimer, boire et chanter

Un bouquet de voeux ? le titre français de la valse de StraussWein, Weib und Gesang (1869) me va mieux que l’original allemand, il n’impose ni le choix de l’être aimé, ni celui de la boisson !

Cette valse est un marqueur de l’interprétation de ce répertoire, d’abord parce qu’elle comporte une très longue introduction – près de la moitié de la durée de l’oeuvre ! – dont beaucoup de chefs ne savent pas quoi faire, et qu’ils raccourcissent ou suppriment carrément, le plus souvent, ensuite parce que la tendance de nombre de baguettes est à wagnériser, noyer le flot orchestral.

Le seul qui évite tous les pièges de la partition et qui en donne un modèle interprétatif est Willi Boskovsky. Ecoutez comme il avance, accélère même insensiblement, et fait tournoyer les valseurs, à partir de 5′

Le parfait contre-exemple est cet enregistrement de Karajan, tout le début tronqué, et des valses engluées, sans ressort ni rebond. La comparaison est cruelle…

Barenboim 2022

J’ai regardé hier le concert de Nouvel an de Vienne, j’étais plutôt réticent, après l’expérience plutôt désastreuse de l’an passé, et surtout le souvenir très mitigé des précédentes éditions dirigées par le même Daniel Barenboim

J’ai trouvé le chef, pas encore octogénaire, dans une forme physique fragile et – conséquence de cela ? – moins impérieux, moins dans le contrôle permanent. Autre élément surprenant pour les habitués du. chef : la présence des partitions au pupitre, alors qu’il les connaît et dirige toujours par coeur. Comme s’il faisait confiance à ses musiciens, leur lâchait la bride. Et ce fut finalement un concert de Nouvel an beaucoup plus intéressant, vivant, « viennois » que ce que à quoi Barenboim nous avait habitués.

Le contraste est saisissant avec le concert de 2014 – et cette ouverture de Waldmeister maniérée, empesée.

Le concert idéal

J’ai une marotte, je crois l’avoir maintes fois décrite ici (Capitale de la nostalgie), je collectionne les Concerts de Nouvel an, j’ai parfois du mérite ! Aucun, même Carlos Kleiber en 1989 et 1992, n’est parfait de bout en bout.

Je me suis donc amusé, en guise d’étrennes et de voeux de bonne année, à dresser une sorte de concert idéal de Nouvel an, en reprenant le programme d’hier

Journaux du matin (Morgenblätter)

Zubin Mehta en 1995 donne de l’allure et de l’allant à cette valse, où, en 2001 Harnoncourt et plus encore Georges Prêtre en 2010, minaudent, « rubatisent », à en être insupportables.

La Chauve-souris (Die Fledermaus) ouverture

L’ouverture de La Chauve-souris, aussi populaire soit-elle, n’est pas à la portée de toutes les baguettes, et les ratages, même de la part de très grands, sont plus nombreux que les réussites. J’ai été plutôt séduit par ce qu’en a fait Daniel Barenboim hier. Mais de tous les titulaires du podium du Nouvel an viennois, c’est définitivement Carlos Kleiber qui, en 1989, tient la référence.

Ziehrer : Les noctambules / Nachtschwärmer

Pour beaucoup, cette valse chantée… et sifflée de Carl-Michael Ziehrer aura été une découverte. J’ai éprouvé en voyant et en entendant les Wiener Philharmoniker, et surtout en regardant Barenboim comme lointain, hagard, parfois absent, un intense sentiment de nostalgie.

Peu de versions au disque, mais celle-ci qui me permet de signaler ce formidable coffret de l’un des plus grands maîtres de la musique viennoise, Robert Stolz (1880-1975).

Mille et une nuits

Une valse assez souvent programmée le 1er janvier. Evidemment Carlos Kleiber reste le maître, Gustavo Duhamel, en 2017, a encore un peu de chemin à faire pour épouser les sortilèges de cette valse. Mais dans ma discothèque, je reviens finalement assez souvent à un chef, Eugene Ormandy (1899-1985), né Blau-Ormándy Jenő à Budapest.

Musique des sphères

Benoît Duteurtre l’a redit hier, je l’ai souvent écrit ici, Johann Strauss considérait son cadet Josef né en 1827 et mort à 42 ans en 1870, comme « le plus doué » de la famille. La production de Josef Strauß est, par la force des choses, moins abondante que celle de son frère aîné, mais plus riche d’authentiques chefs-d’oeuvre notamment ses valses.

La Musique des sphères, entendue hier, en est un, et particulièrement difficile pour un chef qui voudrait tout contrôler (le meilleur contre-exemple est Christian Thielemann en 2019 !).

Ici, c’est un Karajan malade, au même âge que Barenboim hier (79 ans), qui, un peu à l’instar de son cadet, avait décidé, lors de l’unique concert de Nouvel an qu’il dirigea le 1er janvier 1987, de se laisser porter, d’aimer tout simplement des musiciens qu’il dirigeait depuis si longtemps, et cela donne, comme hier avec Barenboim, la quintessence de la valse viennoise.

Le Danube d’Abbado

Faire un choix dans les centaines de versions du Beau Danube bleu relève de l’impossible. On s’en tiendra donc à une version maintes fois célébrée hier, puisque sortie largement en tête d’un Disques en lice (la défunte tribune de critique de disques de la Radio suisse romande). Sans doute la plus attendue : Claudio Abbado lors du concert du Nouvel an 1988, l’un des deux qu’il dirigea dans les années 80. On ne s’en lasse pas !

Quant à la marche de Radetzky, qu’on finit par ne plus supporter… certains ont critiqué la lenteur du tempo de Barenboim. En l’occurrence, c’est lui qui a raison. Ce n’est pas « cavalerie légère », c’est une marche militaire qu’il faut imaginer à cheval (lire La marche de Radetzky). Harnoncourt en 2001 proposait une « version originale » et marquait les auditeurs justement par la modération de son tempo :