Indémodables

J’avais un peu de temps mercredi dernier avant – non pas la demi-finale ! – la Lakmé proposée en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées (compte-rendu à lire sur Bachtrack : Sabine Devieilhe à son acmé) et je me suis rappelé que l’ancien siège de la maison Saint Laurent devenu musée Yves Saint Laurent était situé tout près, au 5 avenue Marceau.

Saint Laurent en or

Emotion certaine quand on pénètre dans l’hôtel particulier, somme toute de taille plutôt modeste, où le couturier s’installa dès 1974.

L’exposition Gold – à voir jusqu’au 14 mai 2023 – explore « les touches d’or qui ont traversé la création du couturier ».

Musée Yves Saint Laurent Paris / Exposition « Gold »

Outre les nombreux modèles exposés, les photos, documents, lettres, dessins, on a la chance de pénétrer dans ce qui fut le mythique « studio » du couturier, reconstitué en l’état.


On n’apprend rien de neuf sur Yves Saint Laurent et Pierre Bergé avec le livre que vient de publier Christophe Girard, longtemps adjoint à la Culture à la Mairie de Paris, auprès de Bertrand Delanoé puis dAnne Hidalgo.

L’intérêt de l’ouvrage réside dans le témoignage de celui qui fut d’abord le secrétaire général puis le directeur général adjoint de la maison Saint-Laurent et les nombreux documents – photos, écrits, lettres – qui donnent une idée plus précise du génie créatif du couturier, du rôle de Pierre Bergé… et des relations chaotiques du « couple ». Pas indispensable mais recommandable !

Belle époque ?

La nostalgie est toujours ce qu’elle était : c’était il y a un siècle et on l’appelle la « belle époque ». Sans doute a-t-on idéalisé l’entre-deux-guerres et son foisonnement créatif.

Deux bons guides – et deux idées de cadeaux ! – pour mieux connaître cette période :

 » Ma passion pour le début du XXe siècle s’est éveillée très jeune en écoutant Debussy et Duke Ellington, en regardant Claude Monet et Raoul Dufy, en lisant Alphonse Allais et Maurice Leblanc, puis Apollinaire et les surréalistes… 
C’est donc tout naturellement que je me suis plongé dans ce dictionnaire où j’ai voulu souligner la continuité entre Belle Époque et Années folles, telles deux  » mi-temps  » séparées par le gouffre terrible de la grande guerre. Malgré tout ce qui les oppose, les années 1920 seront, par maints aspects, l’accomplissement de cet esprit moderne qui germait en 1900. On y retrouve souvent les mêmes protagonistes à deux âges de leur vie, tels Guitry, Colette, Ravel, Stravinski, Picasso… 
Face à un sujet immense, j’ai privilégié la France comme théâtre emblématique de ce temps où Paris fut le cœur battant du monde artistique. Sans négliger pour autant les riches échanges qui se développèrent avec New York, Vienne, Londres, où se produisaient des évolutions comparables, j’ai tenu à remettre à l’honneur une certaine légèreté française. Enfin, même si la civilisation toute entière est présente avec ses hommes politiques, ses scientifiques, ses expositions universelles ou ses villégiatures, ce sont d’abord les arts qui figurent au cœur de ce panorama : poésie, théâtre, peinture, une place privilégiée revenant par goût personnel à la musique. 
Portraits, bons mots, petite et grande histoire se mêlent dans ces pages consacrées à des personnages, mais aussi à des lieux comme le Moulin Rouge et le Chat Noir, à des genres oubliés comme le café-concert, sans oublier les décors des brasseries, gares et jardins publics… Tout ce qui fait que la Belle Époque et les Années Folles sont toujours parmi nous et continuent à faire rêver aux quatre coins du mond
e. » (Benoit Duteurtre)

Félicitons Benjamin Levy et sa belle équipe de jeunes – ou moins jeunes – chanteurs de réhabiliter un répertoire qui n’était plus guère fréquenté

Des chefs sur le Rocher

Forumopera signale aujourd’hui le passionnant numéro de l’Avant-Scène Opéra consacré à l’Opéra de Monte-Carlo (lire L’opéra de Monte-Carlo en majesté)

Dans cet ouvrage si richement documenté et illustré – qui ne s’adresse pas, loin s’en faut, aux seuls spécialistes et lyricomanes avertis – j’ai repéré le formidable article de l’ami Christian Merlin – celui qui nous plonge chaque dimanche sur France Musique Au coeur de l’orchestre – : Entre fosse et orchestre, l’Orchestre philharmonique de Monte Carlo et ses chefs.

Premier constat : difficile d’identifier l’orchestre à un chef en particulier (comme Karajan à Berlin, Ansermet à Genève, Bernstein à New York ou Ormandy à Philadelphie). La phalange monégasque n’a jamais gardé très longtemps ses chefs, malgré un niveau de rémunération souvent très avantageux. Pas assez d’enjeux artistiques ? Une activité symphonique longtemps considérée comme accessoire par rapport à la saison lyrique ? Christian Merlin ne tranche pas, même s’il éclaire parfaitement des situations qui ont, heureusement, bien évolué ces dernières années.

Précisons que la dénomination de l’orchestre a changé deux fois au XXème siècle : en 1953 Rainier le rebaptise « Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo », puis, en 1980, par un nouveau décret, lui donne sa dénomination actuelle « Orchestre philharmonique de Monte-Carlo ». Comme l’écrit Christian Merlin « il s’agit désormais d’un orchestre symphonique jouant de l’opéra, plus que d’un orchestre d’opéra jouant du symphonique ».

Paul Paray deux fois

De 1928 à 1933, c’est à un fougueux quadragénaire, Paul Paray, que la principauté fait appel pour redonner lustre et tonus à une formation encore chétive. Le chef revient sur le Rocher pendant la guerre (1941-44) pour éviter de se soumettre à l’occupant. L’inoubliable patron de l’orchestre de Detroit (Eloquence a réédité tous ses miraculeux enregistrements réalisés pour Mercury)

y reviendra s’installer à la fin de sa vie, laissant quelques enregistrements qui ne peuvent laisser supposer l’âge avancé du chef.

Le compositeur Henri Tomasi fait à peine une saison après-guerre, et l’orchestre reste jusqu’en 1956 sans chef permanent.

Frémaux sans frisson, un Belge furtif et le prince Igor

Un autre chef français prend la relève, de 1956 à 1965, « plus élégant et raffiné que charismatique » selon Christian Merlin ! Lire à ce sujet l’article que je lui ai consacré, à sa mort en mars 2017 : Louis Frémaux (1921-2017)

Le Belge Edouard van Remoortel y fait un petit tour, Un peu plus long, mais compliqué, sera le quinquennat d’Igor Markevitch (1967-1972). Markevitch est déjà atteint d’une forme de surdité, qui lui fera réclamer aux orchestres qui l’invitent toujours au nom de son prestige passé, de jouer toujours plus fort.

Le chef d’origine russe enregistre à Monte-Carlo une série de disques consacrés aux Ballets russes, la plupart repris aujourd’hui dans les compilations Warner ou Deutsche Grammophon. Il faut bien reconnaître que l’orchestre est alors en piètre forme, on a les oreilles plus d’une fois heurtées par la justesse très approximative notamment des vents.

Une décennie pour rien, des intérims

Vont suivre des années et des chefs qui n’ont guère laissé de traces, même si l’Américain Lawrence Foster détient le record de longévité à ce poste, une décennie de 1980 à 1990. Quelques disques oubliables, à l’exception de la seule intégrale de l’opéra de Georges Enesco Oedipe (avec le formidable José Van Dam dans le rôle-titre).

Succèdent à Lawrence Foster, Gianluigi Gelmetti (de 1990 à 1992, qui reviendra de 2012 à 2016 !), James DePriest (1994-1998) et l’ombrageux Marek Janowski qui, après un règne de seize ans à la direction de l’Orchestre philharmonique de Radio France, ne fera qu’un court quinquennat à Monaco (2000-2005).

Le météore Kreizberg, l’aventure Yamada

Après trois années d’incertitude, Monaco est persuadé d’avoir enfin trouvé la perle rare, le demi-frère de Semyon Bychkov, le chef américain d’origine russe, Yakov Kreizberg. Sa nomination, puis ses premiers concerts lui valent l’unanimité de la critique et du public. L’orchestre reprend le chemin des studios.

L’embellie sera de courte durée : 18 mois après avoir pris ses fonctions de directeur musical de l’OPMC en septembre 2009, Yakov Kreizberg meurt le 15 mars 2011, à 51 ans, des suites d’un cancer qui ne lui aura laissé aucun répit.

A la suite de ce choc, il faudra encore se remettre en quête d’un chef capable d’entraîner l’orchestre vers les sommets auxquels Kreizberg l’avait habitué. Gelmetti revient faire un intérim, il entretient la flamme.

Depuis 2016, c’est le chef japonais Kazuki Yamada qui officie sur le Rocher. De lui, et de ce que j’ai entendu de lui, je pourrais dire, reprenant la formule de Christian Merlin à propos de Louis Frémaux : élégant, raffiné, à défaut de mieux.