La jeunesse expose : La Roche Guyon, L’Isle Adam

J’ai profité de ce week-end de Pentecôte pour visiter un lieu remarquable et deux très intéressantes expositions.

Monuments Men à La Roche Guyon

La Roche Guyon est la commune la plus à l’ouest du département du Val d’Oise. On la traverse, longeant la Seine, pour atteindre Giverny, qui se trouve être la commune la plus orientale de l’Eure. Je m’y trouvais le 1er mai (lire Jeux de vagues à Giverny) pour une étape gastronomique et l’exposition L’Impressionnisme et la Mer, que je continue de recommander chaudement.

Mais en soi La Roche Guyon mérite qu’on prenne le temps de s’y promener et de visiter l’impressionnant château qui a été édifié au fil des siècles au pied de la forteresse première qui domine les méandres de la Seine. D’autant que s’y déroule une exposition qui vaut le détour : Monuments Men au château de La Roche Guyon.

Dans l’une des salles du château où sont accrochées trois superbes tapisseries des Gobelins, nous avons été abordés par un tout jeune homme qui s’est présenté comme le commissaire de l’exposition – Mattéo Grouard, 23 ans ! – et surtout comme le collectionneur, depuis son plus jeune âge, de la quasi-totalité des objets exposés. Sa passion pour la Seconde Guerre mondiale n’est donc pas récente.

George Clooney avait réalisé un film en 2014 pour relater l’aventure assez exceptionnelle de ces Monuments Men, ces militaires américains qui entreprirent de sauver le maximum d’oeuvres d’art (lire La véritable histoire des Monuments Men)

Le film m’avait échappé à sa sortie. Pas sûr qu’avec l’accueil critique désastreux qu’il avait reçu, j’aie très envie de le voir.

Quant aux lecteurs amateurs de Blake et Mortimer – dont je suis ! – ils savent que le sixième album Le Piège diabolique prend place dans l’enceinte du château de La Roche Guyon.

Il faut évidemment visiter les caves, les casemates où Rommel a installé son quartier général début 1944, et gravir le donjon en partie troglodytique.

Cappiello à L’Isle Adam

L’exposition présentée actuellement au musée Louis-Senlecq de L’Isle Adam a fait l’objet d’un long et beau papier dans Le Monde du 2 mai dernier : Leonetto Cappiello, caricaturiste mondain de la Belle Epoque, exposé à L’Isle-Adam. On ne se bousculait pas ce dimanche après-midi dans ce bel immeuble du centre de la cité valdoisienne – on ne s’y bouscule jamais d’ailleurs, en dépit de l’intérêt des expositions qui y sont présentées !

Pourtant le trait de crayon, l’art du portrait, dont fait preuve l’à peine trentenaire originaire de Livourne, sont reconnaissables entre tous.

En 1898, Puccini est au sommet de sa gloire après la première parisienne de La Bohème, le 13 juin, à l’Opéra-Comique. Quelques jours après leur rencontre fortuite sur les Grands Boulevards, Leonetto Cappiello lui propose de faire son portrait. Le jeune artiste choisit de le représenter au piano dans une pose plutôt amusante. Cappiello réalise au même moment une caricature du comédien italien Ermete Novelli et propose ses deux dessins au journal satirique Le Rire qui les publie dans son numéro du 2 juillet 1898. Le succès est immédiat: très vite, le nom de ce caricaturiste encore inconnu du grand public est sur toutes les lèvres.

Bref aperçu d’un spectacle que j’avais beaucoup aimé : Une Bohème de rêve.

La grande comédienne Cécile Sorel au théâtre de l’Odéon en 1899

La cantatrice Lucienne Bréval qui incarne Brünnhilde, Eva, Venus, entre autres grands rôles de soprano dramatique à l’Opéra de Paris.

Paul Fugère et Lucien Noël dans Les Saltimbanques de Louis Ganne (1899)

La grande Yvette Guilbert ne pouvait évidemment pas être absente de cette galerie de portraits…

Le compositeur Gustave Charpentier est, lui aussi, en bonne place.

Je ne résiste évidemment pas au plaisir de réécouter la merveilleuse Anna Moffo dans l’air le plus érotique de l’opéra français Depuis le jour :

Jeux de vagues à Giverny

Je n’avais pas prévu que ce billet viendrait compléter, ou plutôt illustrer, mon dernier article autour de La Mer et les chefs. Je n’avais pas non plus prévu d’aller à Giverny un 1er Mai, mais la possibilité de dîner enfin au Jardin des Plumes chez David Gallienne, l’étoilé qui affiche systématiquement complet tous les week-ends, était une raison suffisante pour affronter la foule qui se presse pour visiter les jardins et la maison de Claude Monet. En fin d’après-midi, avec la menace de Météo France de violents orages sur la région, cette foule était nettement moins nombreuse que redouté.

Le Musée des Impressionnismes de Giverny présente une exposition qui ne pouvait que me séduire : L’Impressionnisme et la Mer :

Pierre-Auguste Renoir : Petit Port (1919)

Camille Pissarro : L’Anse des pilotes, Le Havre, matin, soleil, marée montante (1903)

Johan Barthold Jongkind : Le port d’Anvers (1855)

Eugène Boudin : Port de Camaret (1872)

Eugène Boudin : Le bassin de l’Eure au Havre (1888)

Jacques-Emile Blanche : La plage de Dieppe

Gustave Courbet : Les bords de mer à Palavas (1854)

Charles-François Daubigny : Coucher de soleil près de Villerville (1878)

Claude Monet : Falaises à Pourville (1882)

Claude Monet : La pointe du Petit Ailly (1897)

Jean-Francis Auburtin : Les pêcheries, Falaises de Pourville

Eugène Boudin: Coucher de soleil à marée basse (1884)

Claude Monet : Les rochers à Pourville, marée basse (1882)

Claude Monet : Marée basse aux Petites Dalles (1884)

Gustave Courbet : La Vague (1870)

Gustave Courbet : La Vague (1873)

Armand Guillaumin : Rocher à la pointe de la Baumette (1893)

Maxime Maufra : La plage du Pouldu, rivage breton à marée basse (1891)

Paul Gauguin : Sur la plage de Bretagne (1889)

La série des « Vagues » de Courbet résonne directement avec le 2e mouvement de La Mer de Debussy « Jeux de vagues ».

Qui dit Giverny pense évidemment Monet, et l’on est heureux de voir quelques-unes de ses toiles à quelques mètres de sa maison (ce qui n’est pas le cas de Van Gogh à Auvers-sur-Oise !). On peut aussi voir à côté de la petite église du village la tombe du peintre et d’une partie de sa famille.

Mais, comme je l’ai écrit plus haut, j’avais aussi un objectif gastronomique en venant à Giverny. un dîner au Jardin des Plumes.

En un mot bravo à David Galienne pour tout : l’accueil, le service et bien sûr et surtout l’assiette d’une copieuse originalité.

Ces artichauts délicatement braisés : une merveille !

Les couleurs de Kupka

Le Grand Palais à Paris annonce une « rétrospective exceptionnelle », elle l’est véritablement.

L’exposition consacrée au plus français des Tchèques, František Kupka (1871-1957) est à voir absolument. Aux toiles que les visiteurs du Centre Pompidou connaissent déjà, s’ajoutent nombre de tableaux du Musée national de Prague, et d’autres musées ou collections privées, qui retracent généreusement le parcours d’un artiste qui, dès son arrivée à Paris en 1896, trace un chemin singulier, où la richesse des couleurs domine, même quand il recourt à l’abstraction.

Détails et photos de l’exposition à voir iciKupka à Paris

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La rencontre

On n’est pas tous les jours confronté à une légende. Même si je me laisse difficilement impressionner, j’étais, je dois bien l’avouer, assez excité à l’idée d’accueillir et de rencontrer Valery Gergiev, que j’avais souvent vu diriger, mais jamais approché jusqu’à hier midi.

Le grand chef russe arrivait d’Amsterdam avec toute la troupe multicolore du National Youth Orchestra USA, plus de 120 musiciens américains âgés de 16 à 19 ans, qui sous l’égide d’une fondation du Carnegie Hall de New York, donnent quatre concerts en Europe, Amsterdam, Montpellier, Copenhague et Prague.

La première surprise, contredisant la légende de l’homme pressé, vivant entre deux jets privés, c’était déjà qu’il prenne le même charter – tout comme le soliste Denis Matsuev – que l’orchestre, et que, comme tous les musiciens, il attende tranquillement ses bagages en me rappelant, avec une précision qui n’allait pas manquer de me surprendre plus tard, sa dernière venue à Montpellier et au Corum. Une grande amabilité, quelques appels téléphoniques, mais rien du multi-manager hyperstressé qu’on nous décrit volontiers.

Dans la voiture qui nous emmène vers le centre de Montpellier, il me montre une photo d’une ancienne église protestante devenue salle de concert, dans la ville où il a grandi, Vladikavkaz, la capitale de l’Ossétie du Nord dans le Caucase, m’explique que c’est là qu’il a entendu son premier concert, dirigé pour la première fois, et qu’il apporte sa contribution à la restauration de cette salle, avec l’aide d’un grand architecte et d’un acousticien. Plus tard il me parlera de l’opéra de Vladivostok, auquel le Marinski et lui-même vont prêter main forte.. Quand on sait ce que Gergiev a fait du et pour le Marinski à Saint-Pétersbourg (la rénovation complète du théâtre historique, la construction d’une deuxième salle d’opéra ultra-moderne à l’acoustique idéale, ainsi que d’une salle de concert !), on imagine aisément l’énergie qu’il met à soutenir de nouveaux projets et à entraîner pouvoirs publics et privés à sa suite.

L’avion s’est posé avec une bonne heure et demie de retard, le chef et le soliste n’ont pas déjeuné, et me demandent s’ils peuvent – il est presque 14h30 – encore apprécier la gastronomie montpelliéraine. On finit par trouver une adresse, proche du Corum, qui accepte encore de nous servir, mais c’est presque comme si on demandait l’impossible. Je lisais dans un papier que Montpellier a encore des efforts à faire pour accueillir le touriste, je confirme !13767133_10153805925657602_8416049632345373550_oDenis Matsuev se souvient parfaitement du récital qu’il avait donné à Liège quelques mois avant ses débuts au Carnegie Hall en 2007, et quand je lui demande où il a sa résidence principale, il me répond d’un grand éclat de rire : « L’avion » ! Il ne semble pas se plaindre du rythme effréné de ses concerts (240 par an !!).

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Quant à Valery Gergiev, ce n’est que musique, projets, festivals. Il dévore le programme du Festival de Radio France, me demande des nouvelles de certains solistes, des informations sur de plus jeunes, qu’il ne connaît pas encore, me montre l’incroyable programme de son Festival pétersbourgeois White Nights, qui peut en remontrer aux plus prestigieux festivals occidentaux par la qualité, la richesse et la densité de sa programmation ! Tout l’intéresse, il paraît doté d’une mémoire sans limite. Matsuev me glisse : « Il connaît tout et tout le monde »! Je ne suis pas loin de le croire…

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Le temps passe, la conversation roule, comme si rien n’était planifié sur l’agenda des deux artistes (une répétition et un concert !). Comme nous sommes juste devant le Musée Fabre, que les sets de table évoquent la très belle exposition Bazille qui s’y déroule, Valery Gergiev me demande s’il pourrait y jeter un oeil. Je préviens le directeur du Musée de l’arrivée de ces hôtes illustres, la foule de visiteurs est dense, plusieurs reconnaissent le chef russe, l’applaudissent, le saluent ou lui demandent un autographe.

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Denis Matsuev et Valery Gergiev sont fascinés par Bazille, et s’attardent dans chacune des  salles. C’est à regret que je dois leur rappeler qu’ils ont quelques obligations musicales…

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La répétition commencera effectivement avec quelques minutes de retard, mais quel privilège pour moi d’entendre et de voir Gergiev modeler en quelques simples gestes et précisions les phrasés sensuels du Prélude à l’après-midi d’un faune, d’une bienveillance qui n’exclut pas l’exigence à l’égard de ses tout jeunes formidables musiciens. Tout aussi passionnant le travail sur l’accompagnement du 3ème concerto de Rachmaninov. Je n’ai pas le temps d’entendre la partie consacrée à la rare 4ème symphonie de Prokofiev. Je n’en serai que plus bouleversé au concert.

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Le concert lui-même atteint des sommets. Cet orchestre juvénile sonne comme on aimerait tant que sonnent bien des phalanges aînées. Valery Gergiev est comme régénéré par ce travail avec les jeunes musiciens, il nous offre l’un des plus beaux concerts que j’aie jamais entendus sous sa conduite (je n’écris pas baguette, puisqu’il dirige sans !).

A la fin il me demande de le suivre dans sa loge, il appelle son assistante, lui dit – en russe, mais je comprends tout !- qu’il veut revenir à Montpellier l’année prochaine, qu’on doit absolument organiser cela…Il me le répète quelques minutes plus tard avant de monter dans la voiture qui le ramène. Il a aimé la salle, le public, le programme du Festival. Tiendra-t-il sa promesse ? Je veux le croire. Il arrive que les hommes vaillent mieux que leur légende.

La jeunesse interrompue

Passionnante discussion vendredi soir au dîner offert à l’occasion du vernissage de la grande exposition de l’été à Montpellier Frédéric Bazille, la jeunesse de l’Impressionnisme13501970_10153740623067602_129978165241598949_n(Le Musée Fabre à Montpellier).

Le dîner avait été organisé dans la demeure familiale du peintre, le domaine de Méric, vendu dans les années 1990 à la Ville de Montpellier à l’instigation du maire d’alors, Georges Frêche. J’avais la chance d’avoir à ma table l’une des descendantes de la famille Bazille, une vieille dame aussi charmante que cultivée, ainsi que l’un des commissaires de l’exposition, un jeune conservateur du Musée d’Orsay, Paul Perrin.

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Entre les souvenirs de ma voisine qui me racontait ses années d’enfance et d’adolescence dans cette maison et ce domaine situés sur les hauteurs de Montpellier et les bords du Lez, et les spécialistes qui évoquaient les rapports de Bazille avec ses  contemporains, c’était une fête de l’intelligence ! Nous avons cependant tous buté sur la question de savoir pourquoi un jeune homme qui commençait à être comblé, reconnu, en tout cas aimé de sa famille, décida brusquement de partir pour la guerre et le front de l’Est, où la mort l’attendra à Beaune-la-Rolande le 28 novembre 1870, à quelques jours de son 29ème anniversaire. Le mystère demeure.

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(Réunion de famille, l’un des grands tableaux de Frédéric Bazille, peint précisément sur les terrasses du domaine de Méric, et visible dans le cadre de l’exposition du Musée Fabre).

La jeunesse interrompue c’est évidemment le sujet qui met la Grande-Bretagne en colère après le vote de jeudi dernier. On comprend, on partage la révolte de la très grande majorité des jeunes électeurs anglais qui a aujourd’hui le sentiment que leurs aînés leur ont confisqué leur avenir européen. L’onde de choc du Brexit (Refonder l’Europe) n’a pas encore produit tous ses effets, mais il est désormais certain qu’il n’entraîne pas simplement un divorce entre l’Angleterre et l’Europe, mais de sévères divisions au sein du Royaume-Uni et de ses populations.

La jeunesse abrégée, comme celle de Bazille, c’est aussi plusieurs destins de compositeurs, Mendelssohn, Mozart disparus avant leurs 40 ans,  Schubert à 31 ans, Arriaga à 20, Lekeu à 24, ou Pergolese à 26 ans. C’est son chef-d’oeuvre, son Stabat Mater qu’on se réjouit d’entendre demain soir au Théâtre des Champs-Elysées avec les deux belles voix de Sonya Yoncheva et Karine DeshayesOn en reparlera !