La plus célèbre valse du monde a 158 ans aujourd’hui. Son auteur est né il y a 200 ans : Johann Strauss(1825-1899).
An der schönen blauen Donau (Le beau Danube bleu) est né d’une commande de Johann von Herbeck, directeur de la plus célèbre chorale – exclusivement masculine – de Vienne, le Wiener Männergesang-Verein, qui souhaite une nouvelle « valse chorale vivante et joyeuse » pour leur festival d’été Sommer-Liedertafel. Les paroles de Josef Weyl, un ami d’enfance du compositeur, paroles sur le thème satirique qui traitent par la satire et la dérision la défaite militaire historique de la maison d’Autriche à la guerre austro-prussienne de 1866 vont susciter de vives critiques et l’indignation du public, malgré succès de la première de cette valse le 15 février 1867 à l’établissement thermal Dianabad du canal du Danube de Vienne.
Je ne connais qu’un seul enregistrement de la version originale avec choeur par Willy Boskovsky (lire Wiener Blut) avec le choeur de l’Opéra de Vienne et l’orchestre philharmonique de Vienne.
Lorsque Johann Strauss dirige, quelques mois plus tard, son Beau Danube à Paris pour l’exposition universelle de 1867, c’est la grande version symphonique qui nous est restée depuis lors, et qui est restée l’incontournable de tous les concerts de Nouvel an à Vienne
Ici quelques versions moins connues (ou moins souvent citées), à commencer par celle de Claudio Abbado en 1988 (arrivée première d’une écoute critique anonyme d’un Disques en lice)
L’année précédente, le vieux Karajan, épuisé par la maladie, jetait sa dernière énergie dans l’unique concert de Nouvel an qu’il ait jamais dirigé. Et c’est toujours bouleversant.
Carlos Kleiber, en 1989 et 1992, atteint de tels sommets qu’il épuise pour longtemps la question
Mais je me demande si la version qu’on pourrait dire « de référence » n’est pas celle de Karl Böhm, enregistrée en 1972. Partition en main, et oreilles grandes ouvertes, on ne sait qu’admirer le plus : la pulsation inépuisable (qui prend toujours appui sur le premier temps), les transitions fabuleuses entre les différents épisodes – là où tant de chefs ralentissent, s’alanguissent sans raison – et puis cet élan irrésistible, ajoutés à la beauté de la prise de son réalisée au Sofiensaal.
Ici au Japon en tournée en 1975 !
Cela vaut le coup de jeter une oreille à ce très beau disque qu’on doit à l’un des plus grands chefs américains du XXe siècle, Arthur Fiedler (1894-1979), qui n’a pas été que le légendaire chef des Boston Pops. Je lui consacrerai bientôt un billet, notamment sur son héritage classique
Tout aussi inattendue, la version de Felix Slatkin (1915-1963) avec le Hollywood Bowl Orchestra (l’autre nom du Los Angeles Philharmonic en été !): une vraie valse qui tourne, s’envole et ne s’alanguit pas
La valse de Strauss a subi arrangements et transformations – notamment pour le piano – mais aussi dans son format orchestral. Ainsi le chef Roger Désormière avait réalisé une sorte de poème symphonique Le beau Danube qui reprend les principaux thèmes de la valse de Strauss
Elle n’a pas non plus échappé au strass hollywoodien
Mon ami Lionel Bringuier ne cachait pas sa joie de revenir diriger, il y a une quinzaine de jours, dans ce lieu mythique qu’est le Hollywood Bowl à Los Angeles.
En 2023, c’est Louis Langrée qui, remplaçant un jeune chef empêché, conquit le public et la critique de ce festival permanent d’été
Pour mon premier grand voyage dans l’Ouest américain, en juillet 1999, j’avais réussi à obtenir des billets (à des prix prétendument populaires, mais déjà élevés !) pour un concert sobrement intitulé Vive la France !. Avec un chef que je connaissais un peu par le disque, John Mauceri, et un invité surprenant qui y faisait ses débuts, le mime Marcel Marceau (1923-2007). A vrai dire, je venais moins pour la musique, même si écouter l’orchestre de Los Angeles (qui joue un soir sur deux sous son nom, l’autre soir comme « Hollywood Bowl Orchestra », question de contrats !) est un plaisir qui se goûte, que pour l’ambiance de ce gigantesque pique-nique en plein air ! Je n’avais pas gardé un souvenir impérissable de la prestation du chef ni même du mime. Je n’étais pas le seul si j’en crois cet article du Los Angeles Times que je viens de retrouver : Movies, Marceau Give French Accent to Bowl.
Felix Slatkin ou la grande époque
Pour les discophiles comme moi, le Hollywood Bowl Orchestra est à jamais associé à un chef disparu pourtant dans la fleur de l’âge à 47 ans, Felix Slatkin (1915-1963), père d’un autre grand chef américain Leonard Slatkin qui fête dans quelques jours son 80e anniversaire. Il y a quatre ans, j’avais évoqué un magnifique et très précieux coffret de 13 CD qui regroupe le legs discographique de Felix Slatkin avec « son » Hollywood Bowl.
Quand on consulte le détail des enregistrements (voir ci-dessous) on reste songeur et surtout admiratif de l’art fait d’autant de rigueur que de charme de Felix Slatkin, dans des répertoires qui ne se limitent pas au seul continent américain
Le coffret Scribendum est en promotion actuellement sur prestomusic !
Albéniz: Triana from « Iberia »
J. S. Bach: Air from BWV1068
J. S. Bach: Prelude & Fugue No.8, BWV 853
Bizet: Farandole from « L’Arlésienne »
Britten: Young Person’s Guide to the Orchestra, Op. 34
Caplet: Conte Fantastique (The Masque of Red Death)
Carlos Chávez: Toccata for Percussion
Debussy: Petite Suite (orch. by H. Büsser)
Delibes: Pizzicato Polka from « Sylvia »
Delius: On Hearing the First Cuckoo in Spring
Delius: Summer Night on the River
Delius: Intermezzo from ‘Hassan’
Delius: Serenade from ‘Hassan’
Delius: Caprice for Cello and Orchestra
Delius: Elegy for Cello and Orchestra
Delius: Prelude to ‘Irmelin’
Ernst von Dohnányi: Variations on a Nursery Theme, Op.25
Gershwin: Porgy and Bess, A Symphonic Picture
Gershwin: Rhapsody in Blue
Gershwin: An American in Paris
Glière: Russian Sailors’ Dance from « The Red Poppy »
Morton Gould: Latin-American Symphonette
Grieg: Norwegian Dance No.2
Grieg: Peer Gynt Suites I & II
Grofé: Grand Canyon Suite
Grofé: Mississippi Suite
Ibert: Divertissement
Ippolitov-Ivanov: Caucasian Sketches, Op.10
Kabalevsky: Galop from « The Comedians »
Khachaturian: Sabre Dance from « Gayaneh »
Mendelssohn: Piano Concerto in D flat
Mendelssohn: A Midsummer Night’s Dream
Massenet: Navarraise from « Le Cid »
Massenet: Méditation from « Thaïs »
McDonald: From Childhood Suite for Harp and Orchestra
Milhaud: Concerto for Percussion and Small Orchestra
Offenbach: Gaîté Parisienne (arr. Manuel Rosenthal)
Ravel: Boléro
Ravel: 1812 Overture
Ravel: Pavane for a dead princess
Rimsky-Korsakov: Capriccio Espagnol
Rimsky-Korsakov: Flight of the Bumble Bee
Rossini: William Tell Overture
Saint-Saëns: Carnival of the Animals
Saint-Saëns: Bacchanale from « Samson et Delilah »
Saint-Saëns: Introduction and Rondo Capriccioso
Sarasate: Zigeunerweisen
Johann Strauss II: Artist’s Life
Johann Strauss II: Vienna Life
Johann Strauss II: Waltz from « Tales from the Vienna Wood »
Johann Strauss II: You and You from « Die Fledermaus »
Johann Strauss II: On the Beautiful Blue Danube
Johann Strauss II: Emperor Waltz
Johann Strauss II: Voices of Spring
Richard Strauss: Waltzes from « Der Rosenkavalier »
Suppé: Light Cavalry Overture
Tchaikovsky: The Nutcracker Suite
Tchaikovsky: Andante Cantabile
Tchaikovsky: Serenade for Strings
Tchaikovsky: Waltz from « The Sleeping Beauty »
Villa-Lobos: Bachianas Brasileiras No. 1, W.246
Waldteufel: Skaters’ Waltz
Waldteufel: España
Weinberger: Polka from « Schwanda the Bagpiper »
Arrangements by A.R. Marino:
Arkansas traveler (Traditional)
Orange blossoms special (Traditional)
Listen to the mockingbird (Traditional)
Faded love (B. Wills)
Fisher’s horn pipe (Traditional)
Chicken reel (J.M. Daly)
Devil’s dream (Traditional)
Turkey in the straw (Traditional)
Back up and push (Traditional)
Maiden’s prayer (Traditional)
Golden slippers (Traditional)
Fire on the mountain (Traditional)
Felix Slatkin (1915-1963) – Amerigo R. Marino (1925-1988)
Brass Pizzicato from « Symphony No.4 » by Tchaikovsky
Hi-Fi Hero from « Symphony No.4 » by Beethoven
For Elise from « Für Elise » by Beethoven
Pensive Prelude from « Prelude in C sharp minor by Rachmaninoff
Carmen’s Hoedown from « Carmen » by Bizet
Wistful Haven from « Symphony of the New World » by Dvořák
Run Strings Run from « Rondo in D » by Mozart
Winter’s Sadness from « Violin Concerto » by Tchaikovsky
The Merry Cobbler from « Zapeteado » by Sarasate
Havana Mist from « Havanaise » by Saint-Saëns
Three Plus Two from Symphony No.6 by Tchaikovsky
Twist the Can-Can from « Orpheus in the Underworld » by Offenbach
Reveille (Traditional)
U.S. Field Artillery march (Sousa)
Anchors Aweigh (Zimmerman)
U.S. Marines on Parade (Mancini)
U.S. Air Force song (Crawford)
Semper Paratus (van Boskerck)
Stars and Stripes Forever (Sousa)
Semper Fidelis (Sousa)
National Emblem (Bagley)
El Capitan (Sousa)
The Washington Post (Sousa)
The Thunderer (Sousa)
Under the Double Eagle (J.F. Wagner)
American Patrol (Meacham)
The Star-Spangled Banner (Smith)
Taps (Traditional)
Charge! (Arnaud)
Drummer Boys (Arnaud)
Buglers Dream (Arnaud)
Fifes and Drums (Arnaud)
Bagpipes and Drums (Arnaud)
When Johnny Comes Marching Home (Arnaud)
Bonanza (Livingston; Evans)
Golden Earrings (Livingston; Evans; Young)
Spellbound (David; Rózsa)
Terry’s Theme from Limelight (Chaplin)
Theme from A Summer Place (Steiner)
Peter Gunn (Mancini)
Love Is A Many Splendored Thing (Webster; Fain)
Three Coins in The Fountain (Styne; Cahn)
Mr. Lucky (Mancini)
Gigi (Lerner; Vian; Loewe)
Green Leaves of Summer (Tiomkin; Webster)
Around the World (Adamson; Young)
Unchained Melody (A. North; H. Zaret)
The Magnificent 7 (E. Bernstein)
My Own True Love “Tara’s Theme” (M. David; M. Steiner)
Last Date (F. Cramer)
Song from Moulin Rouge “Where Is Your Heart” (Auric; Engvick)
Premier épisode d’une série d’été qui se déroulera selon mes humeurs, souvenirs, coups de coeur.
Quand Cleveland s’amuse
Pour les mélomanes, Cleveland est associé à l’austère figure de George Szell (1897-1970) qui fut le chef incontesté et incontestable de l’un des Big Five – comme on qualifiait le gratin des orchestres américains – de 1946 à sa mort. Mais on a oublié, ou tout simplement ignoré, que comme Boston avec ses Boston Pops et son légendaire Arthur Fiedler, Los Angeles avec le Hollywood Bowl Orchestra ou Cincinnati avec les Cincinnati Pops et Erich Kunzel, l’orchestre de Cleveland avait aussi sa formation « légère », parfois appelée Cleveland Pops, qui fut confiée au chef américain Louis Lane (1923-2016). Louis Lane fut d’abord dès 1947, à 24 ans, l’assistant de Szell, puis de 1955 à 1970 chef associé.
Sony publie un coffret, à petit prix il faut le noter, de 14 CD dont la plupart m’étaient inconnus, parce que n’ayant jamais bénéficié d’une diffusion hors USA. Pur régal, à consommer sans aucune modération. D’abord parce que c’est Cleveland, l’un des plus beaux orchestres du monde, et que, dans la partie plus classique du coffret, la patte Szell est immédiatement reconnaissable. Et même dans les pièces plus « light » tout ça reste digne et tenu (cf.la Jamaican rumba ci-après)… on ne se laisse pas aller dans l’Ohio !
Wayenberg et Schumann
Dépêchez-vous d’acheter le numéro de juillet-août de CLASSICA, si vous voulez entendre un inédit magnifique, les sonates pour piano 1 et 2 de Schumann, enregistrées en 1962 pour Thomson-Ducretet par l’immense Daniel Wayenberg, disparu en 2019 dans l’indifférence générale (lire Journal 22/09/19). Aurons-nous un jour la chance de disposer des trésors entreposés dans le fonds EMI/Warner ?
Merci en tout cas à l’ami Thomas Deschamps qui, chaque mois pour Classica déniche des incunables, nous offre ce CD
Schumann: sonate n°2 4e mvt (Daniel Wayenberg)
Dialogue au sommet : Geza Anda – Karl Böhm
Autre merveille commandée et écoutée en boucle sitôt reçue, ce généreux CD écho de deux soirées exceptionnelles, l’une à Lucerne en 1963, l’autre à Salzbourg en 1974, où deux géants se retrouvaient pour faire simplement et magnifiquement de la musique : Geza Anda (1921-1976) et Karl Böhm.
Le monde musical, les programmateurs, les éditeurs phonographiques, semblent ne plus pouvoir se passer des anniversaires. La mode n’est pas récente. Je profite de cette première semaine de l’année 2024 pour signaler certains de ces anniversaires sous leur aspect peut-être le moins connu.
Ainsi Arnold Schoenberg, né il y a 150 ans, le 13 septembre 1874 à Vienne et mort le 13 juillet 1951 à Los Angeles, dont la joie de vivre rayonne sur la plupart des photos qu’on a conservées de lui (!!)
est-il l’auteur d’oeuvres plutôt inattendues, au début comme à la fin de sa vie.
Schoenberg est sous les drapeaux durant la Première Guerre mondiale, et pour « fêter » sa première année de service militaire, il compose cette pochade, cette marche, qui reprend un peu tous les trucs et les tics de la musique de salon – on pourra y repérer quelques citations. Les musiciens de l’Orchestre national de France y excellent.
C’est par ce disque que j’avais découvert l’oeuvre : il reste inégalé !
Fanfare pour Hollywood
A l’autre extrémité de sa vie, Schoenberg réfugié à Los Angeles – comme beaucoup de musiciens européens qui ont fui le nazisme – compose certes plusieurs grandes oeuvres (ses concertos pour piano, pour violon), mais tire le diable par la queue. Il peut certes compter sur le soutien de précieux amis, comme le chef Leopold Stokowski, qui en 1945 lui passe commande d’une Fanfare pour ouvrir les célèbres concerts d’été du Hollywood Bowl. Schoenberg y reprend deux thèmes de ses Gurre-Lieder.
J’avais découvert cette brève oeuvre avec étonnement, les noms de Schoenberg et Hollywood ne s’associant pas spontanément dans mon esprit !
J’en profite pour signaler la réédition – à prix toujours trop élevé ! – d’une belle collection de disques réalisés par John Mauceri avec le Hollywood Bowl Orchestra (qui n’est que l’autre nom du Los Angeles Philharmonic !)
En ce matin du 6 novembre 2020, les Etats-Unis ne savent toujours pas qui sera leur 46ème président (lire La Nuit américaine) même si tout semble indiquer que Donald Trump ne peut plus rattraper l’écart de voix de grands électeurs qui le sépare de Joe Biden.
J’évoquais avant-hier un aspect de la vie musicale américaine qui peut surprendre les Européens que nous sommes : le patriotisme, l’exaltation de la nation, du drapeau américains en toutes circonstances. Les fanfares, les défilés, les majorettes, dans la rue, mais aussi les célébrations dans les grandes salles de concert. Il faut avoir vécu, comme je l’ai fait, certaines de ces manifestations dans de petites villes perdues comme dans les grandes métropoles, pour mesurer que, dans un pays plus divisé que jamais, la musique – ces formes de musique en tous cas – transcende les particularismes et exprime l’attachement à une identité américaine.
Revue non exhaustive de ces musiques « patriotiques » et surtout de leurs interprètes (en complément de celles déjà citées dans La Nuit américaine).
Même le vénérable chef britannique Adrian Boult (lire Plans B) ne dédaignait pas d’enregistrer, à 80 ans passés, Sousa ou Gershwin :
Mais c’est évidemment aux Etats-Unis qu’on trouve les meilleurs et les plus fervents interprètes.
Sur la côte Ouest, le légendaire Hollywood Bowl Orchestra et des chefs longtemps oubliés que de récentes rééditions nous font redécouvrir, comme Carmen Dragon (lire Carmen était un homme)
Dans le MidWest, on se tourne évidemment vers les Cincinnati Pops, émanation du Cincinnati Symphony, animés, de leur fondation en 1977 à sa mort en 2009, par Erich Kunzel, surnommé « The King of Pops« .
Kunzel et les Cincinnati Pops ont beaucoup enregistré (pas loin d’une cinquantaine de CD !) pour deux labels américains aujourd’hui disparus Vox et Telarc, disques qu’on trouve encore par correspondance ou chez les vendeurs de seconde main (en Europe… puisque les disquaires ont quasiment tous disparu aux USA !)
Preuve que John Philip Sousa (1854-1932) n’a pas écrit que des marches, ce tango qui ne sonne quand même pas très argentin…
Mais les rois incontestés de ces musiques de fête, de célébration, américaines, sont, à mes oreilles en tout cas, les Boston Pops, leur chef légendaire Arthur Fiedler (1894-1979) de 1930 à 1979 et le compositeur Leroy Anderson étroitement associé à leur aventure.
Discographie innombrable, sous les baguettes successives d’Arthur Fiedler, de John Williams – excusez du peu ! – de 1980 à 1993, et, depuis 1995, de Keith Lockhart, dont, par euphémisme, on peut dire qu’il n’a ni la notoriété ni le charisme de ses prédécesseurs, même s’il a longtemps surfé sur son look de bad boy !
Il y a trois mois, on parlait déjà coronavirus, mais pas encore confinement, et je venais de recevoir un improbable coffret, édité par Scribendum (un label londonien lancé par Giorgio Cuppini), consacré à Carmen Dragon(lire Carmen était un homme).
On s’était déjà demandé ce qui avait motivé ce choix, et voici qu’arrive un nouveau coffret qui met en scène un autre grand musicien, contemporain de Carmen Dragon, le violoniste et chef Felix Slatkin, né en 1915 à St Louis (Missouri), mort prématurément en 1963 à 47 ans.
Felix Slatkin, comme son patronyme l’indique, est issu d’une famille qui a ses origines en Ukraine (les Zlotkin). C’est le père du chef d’orchestre Leonard Slatkin,
S’établissant en 1935 à Los Angeles, il est très recherché comme violoniste par les studios de Hollywood, il fonde en 1939 le légendaire Hollywood String Quartet, ainsi qu’un orchestre qui se partage entre le studio et les concerts, le Concert Arts Orchestra. Mais c’est avec le Hollywood Bowl Orchestra – une émanation du Los Angeles Philharmonic -qu’il va enregistrer l’essentiel du legs discographique contenu dans ce coffret.
Dans le répertoire classique, comme les valses de Strauss, on est – agréablement – surpris par la tenue, la rigueur même, de la battue de Slatkin. On comprend tout quand on sait qu’il a eu pour maître ès-direction d’orchestre… Fritz Reiner !
Un coffret à conseiller sans aucune réserve ! L’essence de l’art d’un grand musicien. Rien n’est plus difficile que de bien jouer la musique dite « légère », et Slatkin, comme Dragon, ne tombe jamais dans le travers que l’adjectif hollywoodien définit.
L’autre très bonne surprise de ce printemps, c’est la parution chez Decca de l’intégrale des enregistrements réalisés par Zubin Mehtaavec l’orchestre philharmonique de Los Angeles, dont il fut le directeur musical de 1962 à 1978.
Le chef d’origine indienne, 84 ans aujourd’hui, mais affaibli par la maladie, a dirigé son dernier concert en octobre dernier à la tête de l’orchestre philharmonique d’Israël dont il était le chef à vie depuis…1968 !
Sony avait déjà publié un gros coffret il y a quelques mois, couvrant essentiellement la période New York Philharmonic, quelques concerts de Nouvel an à Vienne, et aussi un peu d’Israel Philharmonic.
Remy Louis avait parfaitement analysé, dans Diapason, ce pavé, où tout n’est pas d’un égal intérêt, d’abord à cause du chef lui-même, qui, au fil des décennies, a souvent perdu de cette énergie, de cette classe stylistique acquise pendant ses études à Vienne, notamment auprès de Hans Swarowsky : « Il reste que, de Bach à Gershwin, le très vaste répertoire réuni ici est passé au prisme d’une alliance étonnante de pertinence stylistique et de sensibilité décontractée. Suspecterait-on parfois, devant la pléthore d’enregistrements, un déficit de profondeur chez cet artiste pour qui tout a toujours semblé si facile, tant sa technique était brillante…Quoi qu’il en soit, ses études viennoises ont laissé sur lui une empreinte indélébile » (Diapason, février 2020).
Le nouveau coffret Decca restitue la meilleure part de la carrière de Zubin Mehta, ces années Los Angeles, où les équipes de Decca sous la houlette de John Culshaw avaient décidé, pour la première fois de l’histoire du label londonien, de poser leurs micros au Royce Hall de l’Université de Californie (UCLA). Ce qui, plus tard, paraîtra assoupi ou alangui, sonne ici dans toute la verdeur d’une jeunesse triomphante. Une intégrale des symphonies de Tchaikovski en témoigne, entre autres enregistrements qui font dresser l’oreille.
Ils ne sont pas nombreux, les pianistes nés aux Etats-Unis, à avoir acquis célébrité et notoriété de ce côté-ci de l’Atlantique. Si on interrogeait à brûle-pourpoint le mélomane français, il serait bien en peine de citer plus de cinq noms, et encore…
Van Cliburn est le nom qui est resté dans la mémoire collective, plus sans doute en raison de sa victoire inattendue au Concours Tchaïkovski de Moscou, en pleine guerre froide, que pour la carrière finalement très modeste qu’il a faite en Europe.
C’est l’un de ses contemporains, Leonard Pennario, qui bénéficie aujourd’hui d’une belle réédition de ses enregistrements pour RCA.
Qui est ce pianiste ? Je crois que le premier disque que j’ai eu de lui me le montrait sous un jour très hollywoodien, et pour cause : Concerto under the stars, avec le Hollywood Bowl Orchestra (l’appellation estivale du Los Angeles Philharmonic)
Erreur d’optique, ou plutôt vision très réductrice d’un talent remarquable.
Leonard Pennario (1924-2008) c’est presque l’archétype du pianiste américain, techniquement très sûr, d’une virtuosité qui ne vise jamais l’épate, une élégance, une classe, qu’un esprit européen pourrait parfois trouver trop neutres.`
Mais quel chic, quelle allure dans ces « encores » …
Le coffret RCA nous restitue l’art de ce pianiste, que la maladie de Parkinson a éloigné de la scène dès les années 80. Interprète d’élection de Rachmaninov, c’est le premier à graver l’intégrale de ses concertos après la mort de ce dernier.