Je ne mesure plus bien si et à quel degré c’est encore une fête populaire, comme je me rappelle l’avoir connue à Thonon il y a une quarantaine d’années avec deux harmonies concurrentes (la Chablaisienne et la municipale !)
Au cinéma
Le succès récent du film En fanfare (lire Tout un cinéma) comme il y a une vingtaine d’années du film du Britannique Marc Herman Les Virtuoses atteste pour le moins d’une nostalgie sinon d’un attachement à cette tradition populaire de la Sainte-Cécile
Dans la musique classique, les hommages à Sainte-Cécile sont nombreux, comme je le rappelais dans mon article d’il y a dix ans.
Né un 22 novembre (1913), Benjamin Britten pouvait difficilement échapper à sa contribution à cette célébration :
Haendel a écrit une Ode for St.Cecilia’s Day – créée le 22 novembre 1739 – que j’ai découverte par cet enregistrement qui n’est sans doute pas « historiquement informé », mais que la voix de Teresa Stich-Randall rend irrésistible
Quant à la Messe solennelle en l’honneur de Sainte-Cécile de Gounod, je la croyais définitivement classée au rang des vieilleries – je ne l’ai jamais entendue en concert – jusqu’à ce que je découvre cette captation récente et très réussie de l’ami Altinoglu à Francfort.
Enfin rappelons que c’est sous l’égide de la sainte patronne des musiciens que fut créée l’une des plus anciennes institutions musicales d’Europe, l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia de Rome, dont est issu, en 1908, l’orchestre que l’on connaît et admire aujourd’hui.
Et toujours humeurs et réactions dans mes brèves de blog
Question pour un champion : je suis né le 17 novembre 1925 dans l’état de New York aux Etats-Unis, je suis mort un 14 juillet (2010) à Londres, je suis Australien, j’ai étudié à Prague, je suis Commandeur de l’Ordre de l’empire britannique ? Je suis le chef d’orchestre Charles Mackerras, dont on célèbre aujourd’hui le centenaire de la naissance.
Warner a eu la très bonne idée de regrouper tous les enregistrements parus sous les différents labels de la galaxie Warner ex-EMI (Classics for Pleasure, EMInence, Virgin Classics…) de ce chef au long parcours emblématique d’une certaine tradition britannique.
J’ai déjà relevé ici la qualité exceptionnelle de son intégrale Beethoven captée à Liverpool.
En 1969, il grave un Messie de Haendel qui se démarque nettement de la pompe victorienne de ses prédécesseurs Beecham, Boult ou Sargent, mais n’atteint pas à la même réussite que son collègue ColinDavis qui trois ans plus tôt a vraiment révolutionné l’interprétation de ce chef-d’oeuvre.
Toujours chez Haendel, Mackerras a été l’un des premiers à graver la version « plein air » des Royal fireworks et de Water Music avec une grande formation de vents, cuivres et percussions. Et ces versions n’ont rien à envier aux « baroqueux » qui viendront ensuite…
Il y a plein d’autres pépites, musiques de ballet, arrangements à la sauce Mackerras, et en fait très peu de ce qui a fait la réputation du chef dans sa maturité : Haydn, Mozart et Janáček. Il faut aller chercher chez Decca, Telarc ou Supraphon, des témoignages inestimables de l’art de ce grand chef
On a appris le 7 septembre dernier la mort du grand chef allemand Christoph von Dohnányi. Decca avait publié – il était temps ! – à la veille de son 95e anniversaire, un coffret reprenant ses enregistrements à Cleveland, et avait annoncé une suite avec les disques enregistrés à Vienne.
La plupart des enregistrements ont été réalisés avec le Philharmonique de Vienne, quelques-uns, marginalement, avec le Symphonique de Vienne (deux concertos de Mozart avec Ingrid Haebler, des ouvertures de Beethoven) et on y a glissé les concertos de Grieg et Schumann avec Claudio Arrau captés.. au Concertgebouw d’Amsterdam ! Peu d’inédits, comme cette Burleske de Richard Strauss avec Rudolf Buchbinder.
Coïncidence : au moment de signaler la parution du coffret Dohnányi/Vienne, je reçois un beau. coffret hommage au chef finlandais regroupant ses enregistrements parus chez Ondine.
Le coffret est d’autant plus précieux qu’il dépasse l’oeuvre de Sibelius : 4 CD sont consacrés à d’autres compositeurs finnois.
Je consacre une partie de ce week-end à une sorte de retour aux sources de mon enfance et de mon adolescence, et à revoir ou même découvrir des lieux de mon Poitou natal.
L’ombre de Richter
Il m’est même arrivé de me trouver pour la première fois devant un lieu mythique : eh oui, je n’ai jamais assisté à un concert à la Grange de Meslay et j’ai évidemment trouvé porte close lorsque je suis passé devant l’autre jour en voiture.
C’est ici, ou près d’ici, que le pianiste russe enregistra en 1979 les quelques suites de Haendel jadis éditées par EMI
L’orgue de la cathédrale
J’ai raconté ici (La découverte de la musique : l’orgue) l’un des bonheurs de ma jeunesse, lorsque je découvris tout à la fois l’orgue comme instrument, et singulièrement le somptueux orgue Clicquot de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Souvenir de récitals exceptionnels dans une nef souvent glaciale. Mais plus jamais entendu sonner l’instrument depuis plus de cinquante ans, et ce matin, à l’occasion d’un office, de nouveau. On peut imaginer l’émotion qui m’envahit
Au sud de Poitiers, il y a deux superbes abbayes, celle de Nouaillé-Maupertuis, où j’assistai jadis à quelques concerts.
Presque cachée, cette pieta de 1652, oeuvre du frère convers Faron Croulière, est exposée dans la nef.
Quant à l’abbaye de Ligugé, elle est notable à plus d’un titre : c’est le premier couvent formé en Europe sous l’égide de Martin de Tours. Des moines y perpétuent encore aujourd’hui l’esprit du fondateur, comme la tradition du chant grégorien.
Les années 70 n’étaient pas loin d’être un désert musical dans ma bonne ville de Poitiers, comme je l’ai raconté ici : La découverte de la musique.
Mais le souvenir reste très vif de deux ou trois concerts dans l’immense salle des Pas Perdus de l’ancien Palais de justice, autrefois Palais des ducs d’Aquitaine, que j’ai pu traverser de nouveau vendredi soir
L’actualité nous régale de quantité de petitesses et, heureusement, de quelques grandeurs.
Pas d’amalgame
J’ai suivi la belle et sobre cérémonie d’entrée au Panthéon de Robert Badinter. Plusieurs amis ont souligné l’intérêt que l’ancien ministre de la Justice portait à la musique classique. Il paraît même que c’était un client régulier de feu Melomania. Je ne l’y ai jamais vu. En revanche, du temps de la grandeur passée du festival d’Evian – alors piloté par Antoine Riboud et Rostropovitch – il n’était pas rare de le voir, lui et son épouse Elisabeth, parmi les invités « connus ».
La cérémonie elle-même a été rythmée par de belles séquences musicales. On passera sur la pénible prestation de Julien Clerc, mais cette chanson illustrait une prise de position importante un an avant l’abolition de la peine de mort. Juste un peu agaçant de lire en bandeau « The Goldberg Variations » lorsqu’on entend Glenn Gould jouer la célèbre aria initiale.
Parenthèse, les Variations Goldberg étaient au programme de La Tribune des critiques de disques de France Musique dimanche dernier. Si j’y avais participé, je pense que j’aurais souscrit au résultat des débats de mes camarades. En 2016, au Festival Radio France à Montpellier, j’avais invité Beatrice Rana à donner pour la première fois en public ces Variations qu’elle devait enregistrer quelques semaines plus tard, et en 2021 j’avais convié Gabriel Stern, dans des conditions climatiques et acoustiques difficiles pour lui. Je suis heureux que cet artiste trop discret soit mis en lumière par ce beau disque
A propos de Robert Badinter, j’avais rappelé un épisode (lire La voix des justes), plusieurs fois cité au cours de la cérémonie, et notamment par le président de la République, un épisode auquel j’ai été associé, par une tribune que j’avais adressée au Monde, en septembre 1983, et que mon fils avocat a retrouvée dans les archives du journal.
Le Monde titrait, le 6 septembre 1983 : Le Juge et la victime
« »Le projet de loi relatif à l’exécution des peines présenté début août par le garde des sceaux au conseil des ministres, puis l’article de Robert Badinter (le Monde du 18 août 1983), après la tuerie d’Avignon, ont suscité de nombreuses réactions.Daniel Lecrubier met en lumière les avantages de la future législation, mais aussi ses limites. Bernard Prévost, de son côté, accumule les réserves.On trouvera aussi, dans cette page, un témoignage de Roger Knobelspiess et une importante prise de position de Jean-Pierre Rousseau, membre du conseil politique du C.D.S. «
Il faut rappeler qu’à l’époque le CDS était dans l’opposition. C’est sans doute pourquoi Le Monde avait publié mon texte.
Extraits :
Je n’ai évidemment pas une ligne à retrancher ou réécrire dans ce texte d’il y a plus de trente ans. Sauf que j’ai cessé d’adhérer au CDS, comme à toute autre formation politique, depuis 1995 !
La paix enfin ?
Peut-on voir un signe du destin dans le fait qu’au moment où la France faisait entrer au Panthéon l’un de ses grands hommes qui, plus et mieux que tous les médiocres commentateurs au petit pied qui sévissent sur les réseaux sociaux et certains plateaux de télévision, a su ce qu’il en coûtait d’être juif dans la France de 1940, Israel et le Hamas signaient, en Egypte, un accord de paix, où pour une fois la manière forte et décomplexée de Trump a fait effet. L’espoir est enfin de retour !
Lecornu bis
Au moment précis où je sortais hier soir du théâtre des Champs-Elysées, une alerte du Monde s’affichait sur mon portable : Lecornu reconduit. Le Canard enchaîné de mercredi était prémonitoire (voir Pendant ce temps).
Il est de ces jeunes chefs que les grandes phalanges symphoniques s’arrachent, mais il est loin d’être (encore) aussi médiatisé que ses trois collègues finlandais Klaus Mäkelä, Santtu-Matias Rouvali ou Tarmo Peltokoski. Il est russe, originaire de la région de Nijni-Novgorod, au confluent de la Volga et de l’Oka, et il est temps que je lui consacre tout un billet, après l’avoir ici et là mentionné et salué sur ce blog : Maxim Emelyanychev.
Maxim Emelyanychev je le connais d’abord par la rumeur – qui se répand vite dans le milieu professionnel quand on a le sentiment d’être tombé sur l’oiseau rare. Je crois bien que c’est à Toulouse que j’en ai entendu parler pour la première fois.
J’ai d’abord acheté ses premiers disques.
Ce qui m’a immédiatement frappé, en écoutant ses disques, en le regardant diriger, c’est l’absence totale de dogmatisme dans la manière d’aborder les oeuvres et les répertoires, c’est aussi et surtout l’humilité, la modestie de l’approche – il ne bombe pas le torse, ne cherche pas à épater la galerie, à prendre la pose – à la différence de tant de ses jeunes confrères. J’ai eu la chance, plus tard, de mieux le connaitre, de dîner avec lui. Comme avec un autre chef que j’adore – Santtu-Matias Rouvali – on a l’impression qu’il est en permanence branché sur le courant alternatif, non pas qu’il soit agité, mais traversé par une énergie irrésistible.
Ce qui frappe tout autant, c’est ce qu’on a remarqué jeudi soir avec l’Orchestre national de France, c’est l’éventail de ses curiosités, de ses répertoires, et cette capacité, assez unique dans le paysage musical, d’être aussi convaincant dans le baroque – c’est un formidable claveciniste et pianofortiste ! – que dans le grand répertoire romantique. Parce qu’il semble redécouvrir les oeuvres, sans posture ni excès.
À l’automne 2019, je m’étais rendu en Ecosse notamment pour rencontrer les responsables du Scottish Chamber Orchestra en prévision d’une édition 2021 du Festival Radio France que je souhaitais vouer à la musique anglaise. Finalement pour cause de pandémie, l’édition sera retardée à 2022, mais le Scottish Chamber et Maxim Emelyanychev sont bien venus à Montpellier clore une fabuleuse édition avec deux concerts, avec un soliste exceptionnel, Benjamin Grosvenor, qui avait joué deux concertos de Beethoven ! Je râle encore de l’absence des micros de France Musique…
La même joie contagieuse se retrouve dans son clavecin :
Emelyanychev a entrepris une intégrale des symphonies de Mozart. A en juger par les deux premiers volumes, on pourrait tenir là la grande version moderne de ce corpus.
J’ai souvent évoqué ici la figure et la personne de Pierre Boulez, dont on va célébrer le centenaire de la naissance ce 26 mars..
Je raconterai encore quelques souvenirs personnels, mais je me garderai de participer à la critique et à l’exégèse de son oeuvre et de son action : le colloque Pierre Boulez, l’orchestre et la politique culturelle , auquel j’assisterai mercredi et jeudi prochains à la Philharmonie de Paris devrait susciter d’utiles débats.
Parce que, comme le relevait Bruno Mantovani lors d’une récente soirée du Printemps desArts de Monte-Carlo, l’admiration qu’on peut éprouver pour Boulez n’empêche pas, au contraire, de reconnaître ses erreurs, voire ses ratages.
La critique a souvent relevé que le chef d’orchestre Pierre Boulez excellait dans la musique du XXe siècle, et qu’à la différence de ses contemporains, son répertoire au disque était plutôt réduit, commençant à Mahler pour finir par lui-même et une liste parcimonieuse des autres grands noms de la composition (Ligeti, Birtwhistle, Carter, un peu de Messiaen).
L’une des plus belles versions de la Valse de Ravel est assurément celle de Pierre Boulez à Berlin.
La sensualité, la conduite des ralentis comme des emballements, la capture de la décadence de cette valse morbide, sont d’un maître absolu de l’orchestre.
Pourquoi donc le même chef était-il si peu à l’aise – c’est un euphémisme – avec le répertoire plus classique où ses quelques incursions au disque sont assez spectaculairement ratées.
Les ratages
Dans le coffret Sony qui récapitule ses années américaines et londoniennes, il y a quelques perles rares qui sont autant d’anti-modèles : Haendel et Beethoven par exemple.
Je découvre sur YouTube un enregistrement que j’ignorais, et qui n’est guère plus convaincant de Water Music, réalisé à La Haye
J’ai aussi acheté des « live » chez Yves St.Laurent (78experience.com), ce courageux amateur canadien qui a déjà restauré un impressionnant catalogue d’enregistrements de concert.
Il fallait bien que comme directeur musical à Cleveland comme à New York, Pierre Boulez dirige aussi le grand répertoire. Les témoignages qu’on en a ne sont pas ce que le chef nous a laissé de meilleur…
Schubert avec des pieds de plomb…
Schumann n’est pas mieux servi !
Mais en 1962 à Baden Baden, le Beethoven de la 3e symphonie « Héroïque » lui convient manifestement mieux :
Les « one shot »
Il y a aussi des oeuvres que Boulez n’a enregistrées qu’une seule fois et sans doute rarement abordées au concert. Sans doute pas sa tasse de thé, mais à plus d’un titre intéressant.
C’est par Pierre Boulez dirigeant l’Orchestre de Paris pour un concert de gala à la fin des années 70 que j’ai découvert le ballet de Paul Dukas, La Péri. Depuis j’ai appris à préférer la transparence et la sensualité d’un Martinon ou d’un Jordan.
Dans la 3e symphonie de Roussel, il manque tout de même la saveur, le pétillement qu’y mettait un Bernstein
Richard Strauss n’était pas non plus dans le coeur de répertoire du chef Boulez. Il a certes enregistré pour DG un Also sprach Zarathustra de belle facture mais pas primordial dans une discothèque. Et le Till Eulenspiegel que j’ai sur un double CD édité par la boutique du Chicago Symphony est loin d’être inoubliable.
Enfin il se niche dans un coffret hommage à Yvonne Loriod un authentique rareté : les quatre premiers concertos pour piano de Mozart, peut-être l’un des tout premiers disques de Pierre Boulez.
J’invite ceux qui voudraient explorer plus avant l’héritage discographique de Pierre Boulez à lire Les chefs de l’été..
J’invite surtout à réécouter tous ces enregistrements qui nous ont nourri, enchanté, souvent fait découvrir des oeuvres, comme les Sieben frühe Lieder de Berg, chantés ici par la grande Heather Harper
et plus encore dans cette version de concert au Japon, en 1995, avec l’insurpassée Jessye Norman
Et toujours le petit frère de ce blog : brevesdeblog
Oublier l’encombrant, le navrant, l’accessoire, ne garder que l’exceptionnel, le singulier, l’essentiel. C’est ainsi que je fais mon bilan d’une année musicale dont je ne veux retenir que les moments de grâce.
Ces souvenirs de concert, j’ai la chance de les avoir consignés pour Bachtrack.
Le bonheur d’avoir entendu le jeune chef portugais Dinis Sousa – découvert à l’été 2023 au Portugal – diriger une quasi intégrale des symphonies de Beethoven
Pas de toccata de Widor pour la réouverture de Notre Dame, mais je la livre ici dans la version jubilatoire du légendaire Pierre Cochereau, pour conclure cette année en beauté.
Tout ou presque à Samarcande parle de lui, Timour, plus connu sous le nom de Tamerlan (du persan تيمور لنگ, Timur(-i) Lang, qui signifie littéralement « Timour le Boiteux »); voir Samarcande la magnifique.
Le livre de Jean-Paul Roux me semble constituer une bonne approche d’un personnage devenu mythique, comme Alexandre ou Gengis Khan, guerrier, bâtisseur d’un immense empire, et d’une dynastie qui a essaimé dans toute l’Asie.
« Tamerlan a laissé dans l’histoire un souvenir qui rivalise presque avec celui de Gengis Khan et qui est plus précis parce que moins lointain. Ce Mongol turquisé régna trente-cinq ans, de 1370 à 1404, à Samarkand, et mena inlassablement des campagnes militaires, toutes victorieuses, qui le conduisent de Delhi à la mer Egée, de Damas au Turkestan chinois. Entreprises au nom de la guerre sainte musulmane, par un étrange paradoxe, elles eurent pour résultat essentiel la ruine ou l’affaiblissement des plus grandes puissances de l’Islam.
Il y a un mystère Tamerlan et même un véritable mythe, né sans doute de ses retentissants succès et aussi de la complexité du personnage. Imprégné des traditions païennes de l’Asie centrale, il se posait en musulman fervent. Boiteux, infirme du bras et de la main, il avait une énergie et une résistance physiques sans égales. Ne pouvant supporter qu’on évoquât devant lui les horreurs de la guerre, il laissait publier, souvent avec une exagération manifeste, le récit de ses innombrables meurtres, et faisait édifier, partout où il allait, des minarets de crânes. Destructeur de villes millénaires, il construisait en même temps dans sa capitale les plus somptueux édifices et jetait les fondements de la Renaissance timouride, l’un des plus beaux fleurons de la civilisation musulmane.
Son époque fut, comme lui-même, au confluent de deux cultures _ celle de l’Asie centrale, chamaniste et nomade, et celle de l’Iran, musulmane et sédentaire. Avec ses incroyables raids équestres s’achève le temps où les cavaliers armés d’arcs et de flèches imposaient leur loi dans toute l’Eurasie » (Présentation de l’éditeur)
On visitait hier l’ensemble le plus monumental de Samarcande : Bibi Khanun, du nom d’une femme de Tamerlan. Les deux façades dépassent les 40 m de hauteur, la taille des mosquées est impressionnante. Mais comme beaucoup d’édifices de la période timouride, ils ont failli disparaître, en particulier pendant la période soviétique.
Partout dans la ville des travaux considérables de restauration, de reconstruction ont été entrepris dès le début des années 1990. Le classement de Samarcande en 2001 par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité a accéléré le processus, certainement encouragé par le tout-puissant président de l’époque, Islam Karimov, natif de Samarcande.
Ce n’était pas prévu au programme, mais la visite s’imposait : la ville natale de Tamerlan, Chakhrisabz, est à une centaine de kilomètres au sud de Samarcande, sur la route de l’Afghanistan. On franchit un col à 1650 m d’altitude au milieu d’un paysage de montagnes nettement plus sec que ceux qu’on a pu traverser au Kirghizistan.
On ne peut bien sûr pas comparer la magnificence de Samarcande avec Chakhrisabz, mais les vestiges de la puissance de Tamerlan dans sa cité natale, notamment les restes du Palais blanc, dont la façade dépassait les 70 m de hauteur, témoignent de la gloire passée.
Spontanément, pensant à la figure de Tamerlan dans la musique classique, me viennent à l’esprit les noms de Vivaldi et Haendel.
Mais en cherchant un peu je vois que le personnage avait déjà inspiré Alessandro Scarlatti (Il gran Tamerlano) en 1706, Francesco Gasparini (Tamerlano) en 1710
Il suit l’ouvrage de Haendel (1724) qui a eu plus de chance avec la postérité que celui de Vivaldi. J’ai depuis toujours une préférence pour la version de John Eliot Gardiner
Je trouve cette rareté sur YouTube… Placido Domingo dans le rôle de Bajazet sur la scène du Teatro Real de Madrid
Il est né le 15 avril 1924, il y a cent ans, il est mort le 1er octobre 2016, à l’âge respectable de 92 ans : Neville Marriner est sans doute le chef anglais qui détient le record des disques enregistrés. J’avais déjà presque tout dit dans cet article : Sir Neville.
A l’occasion de ce centenaire, ses éditeurs – il en fallut plusieurs et pas des moindres pour étancher la soif enregistreuse du chef – ont plutôt bien fait les choses, même si une intégrale semble hors de portée et pas forcément indispensable.
On avait déjà brièvement évoqué le coffret Warner de 80 CD :
La critique a souvent traité Marriner avec une certaine condescendance, notamment dans le répertoire baroque et classique, où il ne devait pas être assez radical, audacieux, au goût de certains. Les messes de Haydn, les symphonies de Mozart de ce coffret sont, au contraire, des leçons de style, de goût, d’élégance, vertus dont le chef a fait preuve jusqu’au bout, comme l’illustre cette vidéo captée pour son 90e anniversaire :
Comme souvent dans ce genre de sommes, ce sont les raretés qui sont intéressantes : les ouvertures de Cherubini, les musiques légères de Wolf-Ferrari
quelques pépites un peu oubliées comme ces Illuminations de Britten avec la merveilleuse Heather Harper (1930-2019)
Decca publie, dans la collection Eloquence – à des prix beaucoup trop élevés pour des rééditions ! – des. coffrets thématiques qui ne contiennent rien d’inédit.
J’ai grandi, étudié, travaillé même à Poitiers, chef-lieu du département de la Vienne. En gros mes vingt premières années. J’ai retrouvé tout récemment mon premier certificat de travail. La période « sans travail » doit correspondre à la mort de mon père. Le Conservatoire m’avait confié des cours de solfège – j’avais 16 ans – à des adultes et retraités dans une annexe de la Mairie, située dans la ZUP, comme on disait alors, des Couronneries.
Mon père, brutalement mort d’un infarctus foudroyant le 6 décembre 1972, est inhumé au cimetière de la Cueille.
Depuis que ma mère a vendu la maison familiale en 1982 (voir Les maisons de mon enfance), je suis finalement revenu très peu dans cette ville où j’ai tant de souvenirs heureux.
J’ai profité (à moins que j’en aie pris le prétexte !) d’un concert ce mardi au théâtre auditorium de Poitiers
(lire ma critique sur Bachtrack : Thibaut Garcia sauve le concert de l’OCNA) pour passer quelques heures à refaire les chemins que j’empruntais sur ma Mob pour aller au lycée, à la fac à l’autre bout de la ville ou voir mes copains. Aucune nostalgie, ni regret, plutôt une émotion joyeuse de retrouver, presque inchangées, les maisons, les rues, souvent sans grâce, où j’avais mes habitudes amicales, voire amoureuses. J’avais déjà fait une sorte de « retour à Poitiers » en 2018 (voir Revoir Poitiers).
Tout change, rien ne change
Le plus frappant dans cette petite ville de province, c’est, à l’exception de quelques constructions emblématiques comme le TAP, et quelques aménagements de circulation, le fait que rien ne semble avoir changé. Le quartier des Rocs où j’ai vécu, notre maison qui dominait la vallée du Clain, le petit affluent de la Vienne qui traverse la ville et inonde les gares SNCF et routière dès qu’il pleut un peu fort. L’église Sainte-Thérèse, où j’ai enterré mon père et mon oncle, où j’aimais venir écouter un prêtre formidable, Pierre Roy, que j’ai désertée dès qu’il fut parti.
Rien n’a changé non plus dans l’école primaire privée où mes parents m’avaient inscrit – l’école Saint-Hilaire – ni dans le lycée public, aujourd’hui collège Henri IV, en plein centre ville, où j’ai fait mes classes de la 6e à la terminale.
Je me suis promené dans le centre ville, dans la rue Gambetta, la principale rue commerçante, là où, il y a encore quarante ans, on trouvait une grande Maison de la presse / librairie, la Libraire de l’Université, la Librairie des Etudiants, où se tenait un homme sans âge, lunettes et blouse blanche, à la tête d’un rayon de disques classiques où j’ai puisé, au prix le moins cher possible, les premiers éléments sérieux de ma discothèque classique. Plus rien aujourd’hui…Triste.
Au milieu de la rue, une église romane qui a fait l’objet d’une réhabilitation bienvenue, Saint-Porchaire, qui s’ouvre sur une double nef gothique.
Au croisement de la rue Gambetta et de la rue des Cordeliers, la seule enseigne qui n’ait pas changé depuis trente ans est le fameux pâtissier Rannou-Métivier, spécialiste d’un type de macarons qu’on ne trouve qu’ici.
En suivant la rue des Cordeliers, où la moitié des boutiques sont vides, on passe à l’arrière de l’ancien Palais de justice, où Jeanne d’Arc fut interrogée le 11 mars 1429 par les docteurs en théologie. De grands travaux de fouilles archéologiques sont en cours au droit de la Tour Maubergeon
On poursuit, par la rue du Marché Notre Dame, pour atteindre le parvis de la façade romane la plus célèbre de France, qui suscitait toujours l’étonnement des visiteurs, lorsque je faisais le guide, par sa taille modeste, alors qu’on la dénomme Notre-Dame-la-Grande.
Je n’ai pas eu le temps de descendre vers la sublime Cathédrale Saint-Pierre ni sa voisine Sainte-Radegonde, que j’avais longuement revues en 2018 (Revoir Poitiers). Je suis reparti vers ce qu’étudiants nous appelions toujours la Place d’Armes, en réalité place du Maréchal-Leclerc, où nous avions nos habitudes dans les grands cafés qui bordaient la place, aujourd’hui remplacés par des agences bancaires ! L’Hôtel de Ville domine la place. Il est dans l’actualité, puisque nul ne peut ignorer que la maire élue en 2020, Léonore Moncond’huy, s’absente à partir de ce 15 mars pour son congé maternité, sans que rien ne soit actuellement prévu dans la loi pour cet « intérim » à la tête de la municipalité ni pour l’indemnisation de la maire devenue mère.
Lui faisant face au bout de la rue Victor Hugo qui les relie, se dresse la Préfecture de Région, dont l’ancienne première ministre Élisabeth Borne a été la titulaire le temps d’une brève année entre 2013 et 2014.
Mes chemins de musique
J’ai été tôt inscrit au Conservatoire aujourd’hui « à rayonnement régional » toujours situé rue Franklin.
Solfège, piano (diplômes dans les deux disciplines) et même du violon, sans beaucoup de succès. Mais une petite notoriété avec l’enregistrement sur place et la diffusion, en 1973, de deux numéros d’une émission mythique de France Musique Les jeunes Français sont musiciens.
Ma toute première professeure de piano, une vieille demoiselle, Magdeleine Servant, m’invitait parfois dans son petit appartement, à l’arrière de l’Hôtel de Ville. J’adorais m’y rendre, sans doute pour les effluves d’un parfum capiteux mêlé aux cigarettes Kool qu’elle n’osait pas fumer au Conservatoire.
Le grand souvenir que j’ai de ces études musicales, c’est la prof qui m’a suivi jusqu’à mon diplôme final, Colette Meunier-Sicard, qui se présentait comme on le faisait à l’époque comme « Soliste de l’ORTF », une ancienne élève d’Aline van Barentzen. J’aimais son exigence intelligente : elle se désespérait toujours que je déchiffre facilement une partition et que j’en donne apparemment aussi facilement une interprétation musicale, mais au détriment de la finition technique. Je me rappelle encore très précisément l’examen de fin d’études, et le jury qui avait été réuni : Jean-Bernard Pommier, André Gorog, Michel Béroff ! Alors que j’attendais patiemment les résultats de leurs délibérations, on vint me chercher en me disant que le jury voulait m’entendre…Les trois me demandèrent de me remettre au piano, j’étais tétanisé – quelle erreur avais-je commise ? – pour que je leur rejoue la Fantaisie en do mineur de Mozart. Ils regardaient mes mains… et mes pieds. Je jouais ces premières pages sans pédale, simplement en gardant les mains au fond du clavier… et ils trouvaient ça étonnant… et passionnant, parce qu’eux-mêmes sans doute et leurs élèves utilisaient la pédale pour prolonger le son.
Mais ce n’est pas tant grâce au Conservatoire que par l’activité alors intense des Jeunesses musicales de France que j’ai fait mon éducation musicale, ouvert mes horizons. Quand, dans un amphithéâtre moderne, annexe de l’Hôtel Fumé, qui abrite toujours la faculté de Sciences humaines de l’Université de Poitiers, on pouvait entendre/découvrir la musique ancienne – merci à la magnifique personnalité qu’était Antoine Geoffroy-Dechaume (1905-2000), parcourir les Archipels d’André Boucourechliev (1925-1997)
Puis ce furent les premières saisons de concert des Rencontres musicales de Poitiers (lire : Ladécouverte de la musique) et des artistes qui allaient me marquer à jamais : Christian Ferras, Georges Cziffra, Alexis Weissenberg. Ça c’était au théâtre de Poitiers, qui a failli disparaître il y a quelques années, qui a été réhabilité sans beaucoup d’égards pour ses proportions initiales (avec cette surélévation particulièrement laide)
Dans l’immense salle des Pas Perdus de l’ancien Palais de Justice, je me rappelle d’abord Yehudi Menuhin et sa soeur Hephzibah
Devant ces immenses cheminées, je me rappelle un autre violoniste, Henryk Szeryng, connu pour son caractère parfois odieux. Il dirigeait l’Orchestre de chambre de Poitiers, l’ancêtre de l’actuel Orchestre de chambre Nouvelle Aquitaine dans les Quatre saisons de Vivaldi dont il était le soliste. L’orchestre avait à peine commencé qu’il l’arrêta d’un geste impérieux, se retourna vers le public qu’il prit à témoin du fait que, selon lui, l’orchestre « jouait faux », qu’il fallait recommencer depuis le début… J’aurais été à la place des musiciens, je me serais levé et aurais quitté la scène et le concert !
Il y avait aussi parfois de beaux concerts dans la grande chapelle de « mon » lycée Henri IV, je me souviens de Raymond Leppard et de l’English Chamber Orchestra…