Hauts et bas

Indifférence

L’écrivain Christian Bobin est mort, et je ne sais qu’en penser. Si ses livres ont fait du bien, ils auront rempli leur office. Comme ceux de Paolo Coelho… Et puis j’ai lu sur Facebook ce portrait qu’en fait Augustin Trapenard, le ci-devant animateur de Boomerang sur France Inter, aujourd’hui aux manettes de La Grande Librairie sur France 5 : « Je me souviens de ses éclats de rire qui faisaient trembler le studio tellement ils étaient forts. Ce rire si contagieux, si communicatif, qui semblait surgir de nulle part et qui prenait tout le monde de court, jusqu’à ma réalisatrice de l’autre côté de la vitre du studio. Je me souviens que dans ce rire, il y avait de la bonté, de la générosité, mais aussi une bonne dose d’autodérision. Il s’amusait surtout de lui : d’une repartie, d’un bon mot ou de son incapacité à répondre dans le temps imparti. Ce rire était si sonore qu’il rendait plus intenses, étrangement, les moments d’émotion. Il y en avait eu à foison. Quand sa voix s’était brisée en parlant de ces tableaux qui nous regardent autant qu’on les observe. Quand elle s’était mise à trembler en évoquant la ville de son enfance qu’il n’a jamais vraiment quittée et qui a changée plus vite que lui. Quand elle avait carrément trébuché en commentant une variation de Bach interprétée par Glenn Gould. Je me souviens qu’il disait que notre mission sur terre était peut-être de devenir des anges. J’avais trouvé ça d’autant plus beau qu’on avait commencé et terminé en parlant de résistance.« 

Je vais peut-être réessayer Bobin.

Dérives

J’avais, il y a un an ou deux, écrit ici même un article, que j’ai finalement supprimé, parce qu’il avait été surabondamment relayé par des gens qui ne l’avaient pas lu, et que j’étais alors « en responsabilité ». J’y défendais plutôt deux frères savoyards, Renaud et Gautier Capuçon, que j’ai connus et invités l’un et l’autre à leurs débuts. Aujourd’hui, ils ne jouent plus ensemble, ils font carrière chacun de leur côté, mais en usant et abusant de toutes les armes du marketing, quitte à dévier de l’idéal artistique qu’ils ont toujours brandi comme étendard.

Gautier sort un nouveau CD – à grand renfort de passages télé et d’articles de complaisance (une page entière dans Le Monde : Violoncelliste populaire), enfonçant toujours les mêmes portes ouvertes : lui rend la musique accessible au plus grand nombre. Blabla habituel. On se demande si, avec les titres de ses « albums » – Emotions, Sensations, bientôt Vertiges ?, il ne se place pas dans la filiation d’un André Rieu plutôt que d’un Rostropovitch ?

Renaud, quant à lui, semble saisi du syndrome de Karajan, qu’on appelait dans les années 60 le Generalmusikdirektor de l’Europe, tant il cumulait de fonctions et d’honneurs (Vienne, Berlin, la Scala, Salzbourg). Musicien quasi-officiel – il est de toutes les cérémonies, hommages, réceptions à l’Elysée – créateur/animateur du festival de Pâques d’Aix-en-Provence, professeur à Lausanne et depuis peu chef de l’Orchestre de chambre de Lausanne, il s’occupe aussi du festival de Gstaad, et annonce maintenant s’occuper des Rencontres Musicales d’Evian. Le violoniste français, dans ce langage bienséant et formaté qui fait son charme, déclare à Sylvie Bonier, dans le journal Le Temps : «Plus j’en fais, moins je suis stressé, déclare le violoniste entrepreneur. C’est le grand paradoxe de ma vie. Je suis de plus en plus zen au fil des nouvelles aventures. La scène et l’organisation figurent dans mon ADN depuis toujours. Cela me donne un plaisir fou et je pense avoir acquis une certaine expérience, en plus de 25 ans de pratique. Pourquoi, alors, me priver d’élargir encore les partages avec les immenses musiciens qui jalonnent ma vie professionnelle et amicale, les jeunes qui vont faire la leur, dans ce métier exigeant, et le public qui les suit tous?»

Sauf que non, cher Renaud, on ne la fait pas à ceux qui ont connu les Rencontres d’Evian à leurs débuts, puis sous la houlette de Rostropovitch. Les découvertes, l’audace étaient de tous les programmes. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler ceux des concerts auxquels j’ai assisté dans les années 80 et 90. Quand je vois ce qui est proposé l’été prochain et qui est présenté comme une « mutation », j’hallucine : Mozart et Beethoven pour les soirées les plus audacieuses ! Le Philharmonique de Berlin annoncé avec ce pauvre Zubin Mehta, 87 ans, qui ne tient plus debout, certes avec le soutien d’une mécène d’autant plus généreuse qu’elle dépense l’héritage de son mari mort l’an dernier. Et toujours les mêmes invités… Les petits jeunes ont droit aux concerts de 11h du matin.

S’ił fallait en rajouter, que penser d’un artiste qui, depuis le début de sa carrière, a été soutenu, supporté – dans tous les sens du terme – par Warner et son patron Alain Lanceron, et qui, en pleine « promo » d’un nouveau CD des Quatre saisons de Vivaldi, passe avec armes et bagages chez Deutsche Grammophon, sans même un mot à son mentor ?

Il ne faut pas oublier de lire le papier très argumenté d’Alain Lompech dans le numéro de décembre de CLASSICA

L’avenir du côté d’Alexandre

On oublie vite ces combines pas très glorieuses, quand on écoute, comme ce fut le cas jeudi soir à la Philharmonie de Paris, des musiciens à qui la – récente – célébrité n’a pas encore fait perdre le sens des réalités : le pianiste Alexandre Kantorow, le violoncelliste Aurélien Pascal – entendu trois fois dans trois formations différentes lors du Festival Radio France 2021 – et la violoniste Liya Petrova. Aujourd’hui musicienne reconnue et confirmée, la jeune Bulgare avait participé à l’un des derniers projets discographiques que j’avais conduits à Liège ; l’intégrale des oeuvres concertantes pour violon et violoncelle de Saint-Saëns

C’était dans le triple concerto de Beethoven, avec l’Orchestre de Paris, dirigé par Stanislav Kochanovsky. Et c’était magnifique !

Quelque chose de Menuhin

Menuhin, comme Callas, Karajan, Rubinstein, c’est une marque universelle. Tout le monde – surtout les plus éloignés de la musique classique – connaît le nom et l’associe au violon. Vivant, c’était déjà une légende, une référence, un personnage éminent.

Son centenaire – Yehudi Menuhin est né le 22 avril 1916 à New York, mort le 12 mars 1999 à Berlin – est déjà célébré par son éditeur historique, qui avait déjà bien exploité le filon (https://fr.wikipedia.org/wiki/Yehudi_Menuhin).

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Je viens de passer quelques jours là où le grand violoniste fit un premier concert, en 1957, avec Benjamin Britten, Peter Pears et Maurice Gendron (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/03/20/vus-ou-pas-a-la-tele/). L’été prochain, ce sera la 60ème édition de ce qui est devenu un incontournable rendez-vous estival (http://www.gstaadmenuhinfestival.ch/site/fr/).

C’est dans la belle église de Saanen (chef-lieu de la commune dont Gstaad fait partie) que très longtemps les concerts du festival se sont déroulés.

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C’est dans le centre de Saanen qu’on trouve aussi cet étrange buste de Menuhin. Le sculpteur a manifesté travaillé sur une image inversée du violoniste…et le résultat n’est pas très flatteur.

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Des élus et associations locales ont voulu rendre hommage au grand homme, qui s’était fait une réputation et une image de sage, en proposant un parcours philosophique  sur les six kilomètres qui relient l’église de Saanen et la chapelle du centre de Gstaad.

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Initiative sympathique qui ne m’a pas convaincu de la profondeur de la pensée menuhinienne… Ou alors à considérer que tout étant dans tout et inversement, nous sommes tous des philosophes sans le savoir…

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De Menuhin, on a envie de retenir autre chose, notamment toutes ses initiatives pédagogiques. Ils sont nombreux aujourd’hui dans le monde musical à avoir grandi humainement et artistiquement grâce à Yehudi Menuhin.

Quant au violoniste, chef d’orchestre, on a des souvenirs mitigés, qui nous rendent parfois nostalgiques d’une époque où l’on pouvait reconnaître immédiatement le son, l’archet d’un violoniste. Menuhin, c’était l’irrégularité, une technique souvent défaillante (Michel Schwalbé, le légendaire Konzertmeister de Berlin sous Karajan, m’avait jadis expliqué les problèmes dont souffrait son confrère), et de cette faiblesse il tirait, parfois, des moments de grâce absolue.

Je me rappelle le festival de Lucerne en 1974, j’avais eu la chance d’y travailler – bénévolement – comme ouvreur et donc d’assister à tous les concerts (et même à certaines répétitions). Menuhin était programmé dans les concertos de Bach avec un orchestre de chambre (les Festival strings ?), ce fut un festival de dérapages incontrôlés, de crispations pénibles. Déception…d’autant plus vive que j’avais encore le souvenir lumineux d’une séance de sonates dans la grande salle des pas perdus du Palais de Justice de Poitiers deux ans auparavant, avec la partenaire de toujours, sa soeur Hephzibah. Le lendemain, au moment de prendre mon service, je lis une annonce sur les portes du Kunsthaus : Zvi Zeitlin qui devait jouer le concerto pour violon de Schoenberg n’ayant pas pu rejoindre Lucerne, il était remplacé par… Yehudi Menuhin et le concerto de Beethoven ! Ce soir-là, j’entendis l’immense, le légendaire violoniste, un mouvement lent d’une beauté intemporelle.

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Je ne revis Menuhin que bien des années plus tard, lorsqu’ayant remisé son archet, il entreprit de développer sa carrière de chef, avec des bonheurs inégaux. Mais il suppléait une technique de direction approximative par un tel rayonnement, une telle générosité, qu’il réussissait de petits miracles (avec le Sinfonia Varsovia notamment). Les auditeurs de France Musique et les spectateurs du Festival de Radio France et Montpellier de l’été 1996 s’en souviennent :

http://sites.ina.fr/festivalradiofrancemontpellier/tempo/!/media/CAB96042243

René Koering, pour les 80 ans du violoniste, l’avait invité à diriger les neuf symphonies de Beethoven à l’Opéra Berlioz…

Rêve d’hiver

Pour tout un tas de raisons qu’il n’y aurait aucun intérêt à détailler ici, je n’ai jamais passé de vacances à l’hôtel aux sports d’hiver jusqu’à ce week-end pascal. On découvre à tout âge, dit la sagesse populaire ! Et pourtant j’en ai souvent rêvé…

Je n’ai pourtant aucune raison de me plaindre. Au cours de l’hiver 1970, mes parents avaient loué une petite maison (une ancienne bergerie), que l’unique poêle à bois n’arrivait pas à chauffer, au bas de la station de La Mongie. Premiers pas peu concluants sur des skis. En 1977 rebelote à Megève, dans un appartement prêté par la famille de l’élue de mon coeur de l’époque, des essais de ski de fond. Et à partir de 1981, installation à Thonon-les-Bains, les bords du Léman en été, les pistes des Gêts, d’Avoriaz, de Morzine, ou plus modestes de Bernex, sous la Dent d’Oche, en hiver. Pas besoin de séjour organisé, mais du coup jamais l’ambiance si particulière de l’hôtel ou du chalet de montagne, sauf quand on avalait une raclette ou une tartiflette avec les amis avant de redescendre…

Et puis il y eut ce triste jour de février 1999. Mon ami Alain G. m’avait enjoint de quitter Paris et la morosité de l’entre-deux professionnel que je traversais alors, et de venir skier avec lui (c’était un champion comparé à la tortue que j’ai toujours été sur les pistes). J’emmène le cadet de mes fils, et nous passons avec toute une bande d’amis, une fabuleuse journée au soleil d’Avoriaz. Le soir nous devons nous retrouver pour un spectacle à la Maison des Arts de Thonon, je ne les vois ni sa femme ni lui, je ne suis pas inquiet, ils auront eu un empêchement de dernière minute. Le lendemain je suis réveillé par l’appel d’une amie commune : « Vous êtes au courant pour Alain ? » Comme le chante Barbara (Nantes) … J’ai rien dit, mais…j’ai compris qu’il était trop tard.

Je n’ai  jamais rechaussé des skis depuis lors. Et puis Liège était loin des Alpes.

Devant être présent à Genève durant ces semaines de mars, je me dis qu’il ne fallait pas laisser passer l’opportunité d’un séjour bienfaisant au coeur des Alpes suisses, que je n’ai jamais connues qu’en été grâce aux vacances familiales dans le pays maternel.Je n’avais pu assister aux semaines musicales de Gstaad désormais animées par Renaud Capuçon, je profiterais de la station  en cette fin de saison.

Et puis Gstaad dans mon esprit, plus qu’un repère de célébrités, ce sont deux noms : Menuhin et l’inspecteur Clouseau.

Une grande partie du Retour de la panthère rose (1975) de Blake Edwards avec l’inénarrable Peter Sellers se déroule à Gstaad (http://www.gstaad.ch/fr/gstaad/histoires-de-gstaad/gstaad-est-le-dernier-paradis-dans-un-monde-fou.html)

https://www.youtube.com/watch?v=70TfU9R09Qg

La scène d’entrée d’un autre film culte (OSS 117, Rio ne répond plus) est elle aussi située à Gstaad.

Mais c’est le souvenir de Yehudi Menuhin (1916-1999) qui flotte encore sur les lieux, et il y a fort à parier que le prochain festival d’été célébrera comme il convient le centenaire du violoniste humaniste et ses 60 ans d’existence  (http://www.letemps.ch/culture/2016/03/23/gstaad-menuhin-festival-celebre-60-ans)

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