Les années Ormandy

Peu de publications auraient pu me faire plus plaisir. J’ai reçu hier un coffret que j’avais commandé en Italie, un quart moins cher que le prix français – 88 CD regroupant les enregistrement stéréo de 1958 à 1963 d’Eugene Ormandy (1899-1985), le chef mythique du non moins mythique orchestre de Philadelphie de 1938 à 1982. Un « règne » de 44 ans !

Plaisir très particulier, parce que pour quelqu’un comme moi qui a fait son éducation musicale grâce au disque (non pas le 78 tours, mais le vinyle 33 tours, qui revient en force aujourd’hui !), le nom d’Ormandy est un compagnon incontournable.

Je pense, sous réserve de preuve contraire, qu’aucun orchestre, aucun chef n’ont plus enregistré de disques aux Etats-Unis. Plus que New York avec Bernstein (et pourtant !), Szell avec Cleveland, pour ce qui était le label Columbia (en abrégé CBS). Ce qui a peut-être contribué à un paradoxe très injuste. La critique, française mais pas qu’elle, a souvent eu tendance à considérer le chef d’origine hongroise comme un bon artisan. Remarquez que, dans l’exercice des discographies comparées, Ormandy n’est jamais quasiment cité pour quelque répertoire que ce soit, et Dieu sait si celui-ci fut abondant.

Ce nouveau coffret fait suite à un premier comprenant les enregistrements mono, deux autres devraient suivre, pour compléter la période stéréo, pour CBS puis RCA.

La première chose qui saute aux oreilles, pour quelqu’un qui connaît bien les rééditions précédentes en CD, c’est la remasterisation spectaculaire, la netteté de l’image sonore, l’espace apporté à des prises parfois un peu opaques. C’est surtout la redécouverte de ce fameux Philadelphia Sound, ces cordes uniques au monde, ces vents si doux et éloquents.

Ce qui frappe aussi dans ce coffret c’est la diversité du répertoire abordé. Je croyais à peu près tout connaître de la discographie d’Ormandy, je découvre ici nombre de disques, sans doute pas essentiels, dédiés à des compositeurs américains, dont je n’avais, pour certains, jamais entendu parler… Sans doute résultat de commandes passées par l’orchestre.

Bien sûr on sait que c’est à Eugene Ormandy et au Philadelphia Orchestra que Rachmaninov dédie sa dernières oeuvre, ses Danses symphoniques. « Quand j’étais jeune, Chaliapine était ma grande idole. Chaliapine n’est plus. Depuis lors, chaque fois que j’écris, c’est avec le son de Philadelphie dans mes oreilles. Aussi, qu’il me soit permis de dédier ma dernière composition au meilleur orchestre au monde, et à son chef, Eugène Ormandy« 

On trouvera peut-être rédhibitoires pour les oreilles habituées aux lectures « historiquement informées »‘ les versions du Messie de Haendel ou de la Messe en si de Bach, jouées à plein orchestre.

On avoue y trouver des beautés quelque peu surannées.

J’avais découvert cette photo et quelques autres en visitant la maison de Sibelius en Finlande, Ainola, en 2006.

On ne peut évidemment faire l’impasse sur une partie très importante de l’activité de l’orchestre et donc ce coffret, les enregistrements avec de grands solistes, Rudolf Serkin, Robert Casadesus, Isaac Stern, David Oistrakh et même le tout premier enregistrement du concerto pour violoncelle n°1 de Chostakovitch avec Rostropovitch, tous déjà connus et réédités. Mais ici avec une « plus value sonore » indubitable.

Je suis déjà impatient des prochains coffrets. En attendant, profitons de cet hommage à l’un des plus grands chefs du XXe siècle et à l’un des plus beaux orchestres du monde.

Doráti l’Américain

Coup de gueule

Le coup de gueule est à la hauteur de l’attente… déçue. On était très heureux de voir que Decca avait rassemblé dans un coffret tout ce que le chef américain d’origine hongroise, Antal Doráti (1906-1988), avait enregistré du temps où il était le directeur musical de l’orchestre symphonique de Detroit, de 1977 à 1981. (*)

L’objet en impose, un gros boîtier pour seulement 18 CD – vendu au prix très fort de 75 à 98 € selon les fournisseurs !. La mauvaise surprise, c’est qu’à peu près tout avait déjà été réédité souvent dans des collections économiques, et qu’on nous ressert les pochettes d’origine (qui cela intéresse-t-il encore ?) et surtout les minutages d’origine ! Autrement dit 1 CD pour Le Sacre du printemps (36 minutes !), idem pour les autres ballets de Stravinsky… En bon français, ça s’appelle du foutage de gueule.

S’il s’agissait de republier les enregistrements de la dernière époque de Doráti, pourquoi ne pas y avoir inclus la petite dizaine de disques réalisés à Washington, quand il était à la tête du National Symphony Orchestra, voire ceux qu’il a faits avec le Royal Philharmonic de Londres pour Decca ?

On eût aimé retrouver les Nocturnes de Debussy (l’un des très rares disques de Dorati consacrés à ce compositeur) captés à Washington

En l’état ce coffret n’a aucun sens.

Une discographie pléthorique

Cela dit, Antal Doráti est un cas. C’est probablement le détenteur du record de disques enregistrés. Personne, à ma connaissance, ne s’est risqué à dresser une discographie exhaustive du chef hongrois, à l’exception du site Discogs qui a relevé 745 occurrences (ce qui ne veut pas dire autant de disques !).

Notons d’abord, qu’à la différence de nombre de ses contemporains – pour ne prendre que des Hongrois d’origine comme lui, Ormandy, Solti – Doráti n’a jamais occupé longtemps de fonctions de directeur musical. Après guerre, 4 ans à Dallas, 11 ans à Minneapolis, 4 ans à la BBC, 8 ans à Stockholm, 6 ans à Washington, 3 ans au Royal Philharmonic, 4 ans à Detroit, puis une dizaine d’années sans poste fixe. Cette relative « instabilité » peut signifier que chef et musiciens se lassaient vite les uns des autres, ou que le tempérament de Dorati, sa boulimie d’enregistrements, ne favorisaient pas l’établissement de relations de longue durée.

Ce n’est d’ailleurs avec aucun de « ses » orchestres qu’il a réalisé ses enregistrements les plus fameux, on pense bien sûr à ce qui, sans même tout le reste, aurait assuré sa postérité : les Symphonies de Haydn (avec le Philharmonia Hungarica) et les opéras de Haydn (avec l’Orchestre de chambre de Lausanne).

Bien sûr, il y a l’immense collection réalisée pour Mercury Living Presence, là encore quelques-uns, les premiers, avec Minneapolis, mais l’essentiel avec le London Symphony, ou le Concertgebouw d’Amsterdam (peut-être le plus beau Casse Noisette de toute la discographie)

Quant au répertoire, seul un Neeme Järvi dépasse Dorati en curiosité tous azimuts. Tous les grands symphonistes, à l’exception notable de Rachmaninov (sauf pour accompagner – et comment ! – le légendaire Byron Janis dans les concertos n° 2 et 3)

Difficile pour moi de faire un choix dans ma propre discothèque, où je pense avoir à peu près tous les enregistrements Mercury et Decca d’Antal Dorati.

Si l’on cherche un modèle de prise de son « réaliste », les rhapsodies hongroises captées à Londres sont spectaculaires :

J’ai longtemps eu une seule version du ballet La boutique fantasque de Respighi :

(*) Contenu du coffret Doráti/Detroit

CD 1 (41′)

Tchaikovski : Ouverture 1812, Capriccio italien, Marche slave

CD 2 (50’07)

Liszt : Rhapsodie hongroise n°2, Dvořák: Rhapsodie slave n°3, Enesco: Rhapsodie roumaine n°1, Ravel: Rapsodie espagnole

CD 3 (53’04)

Bartók: Suite n°1, Deux portraits

CD 4-5 Richard Strauss: Die aegyptische Helena

Gwyneth Jones, Martti Kartu, Dinah Bryant, Barbara Hendricks, Willard White, Betty Lane, Birgit Finnilä

CD 6 (54’14)

Richard Strauss: Don Juan, Till Eulenspiegel, Tod und Verklärung

CD 7 (37’07)

Stravinsky ; Petrouchka

CD 8 (52’48)

Szymanowski : Symphonies n°2 et 3

CD 9 (47’36)

Dvořák: Suite tchèque, Valses de Prague, Polonaise, Polka des étudiants, Nocturne

CD 10 (50’56)

Copland : El salon Mexico, Dance Symphony, Fanfare for a common man, Rodeo

CD 11 (33’31)

Stravinsky : Le Sacre du printemps

CD 12 (53’31)

Richard Strauss : Also sprach Zarathustra, Macbeth

CD 13 (43’34)

Stravinsky : L’Oiseau de feu

CD 14 (55’42)

Gershwin : Porgy and Bess, suite symphonique, Grofé: Grand Canyon suite

CD 15 (45’35)

Richard Strauss : Der Rosenkavalier suite, Die Frau ohne Schatten fantaisie symphonique

CD 16 (60’19)

Bartók: Le Mandarin merveilleux, Musique pour cordes percussion et célesta

CD 17 (55’37)

Stravinsky : Symphonie en mi b M, Scherzo fantastique

CD 18 (53’14)

Copland: Appalachian Spring, Stravinsky: Apollon musagète