Je n’avais pas prévu que ce billet viendrait compléter, ou plutôt illustrer, mon dernier article autour de La Mer et les chefs. Je n’avais pas non plus prévu d’aller à Giverny un 1er Mai, mais la possibilité de dîner enfin au Jardin des Plumes chez David Gallienne, l’étoilé qui affiche systématiquement complet tous les week-ends, était une raison suffisante pour affronter la foule qui se presse pour visiter les jardins et la maison de Claude Monet. En fin d’après-midi, avec la menace de Météo France de violents orages sur la région, cette foule était nettement moins nombreuse que redouté.
Le Musée des Impressionnismes de Giverny présente une exposition qui ne pouvait que me séduire : L’Impressionnisme et la Mer :
Pierre-Auguste Renoir : Petit Port (1919)Camille Pissarro : L’Anse des pilotes, Le Havre, matin, soleil, marée montante (1903)Johan Barthold Jongkind : Le port d’Anvers (1855)Eugène Boudin : Port de Camaret (1872)Eugène Boudin : Le bassin de l’Eure au Havre (1888)Jacques-Emile Blanche : La plage de DieppeGustave Courbet : Les bords de mer à Palavas (1854)Charles-François Daubigny : Coucher de soleil près de Villerville (1878)Claude Monet : Falaises à Pourville (1882)Claude Monet : La pointe du Petit Ailly (1897)Jean-Francis Auburtin : Les pêcheries, Falaises de PourvilleEugène Boudin: Coucher de soleil à marée basse (1884)Claude Monet : Les rochers à Pourville, marée basse (1882)Claude Monet : Marée basse aux Petites Dalles (1884)Gustave Courbet : La Vague (1870)Gustave Courbet : La Vague (1873)Armand Guillaumin : Rocher à la pointe de la Baumette (1893)Maxime Maufra : La plage du Pouldu, rivage breton à marée basse (1891)Paul Gauguin : Sur la plage de Bretagne (1889)
La série des « Vagues » de Courbet résonne directement avec le 2e mouvement de La Mer de Debussy « Jeux de vagues ».
Qui dit Giverny pense évidemment Monet, et l’on est heureux de voir quelques-unes de ses toiles à quelques mètres de sa maison (ce qui n’est pas le cas de Van Gogh à Auvers-sur-Oise !). On peut aussi voir à côté de la petite église du village la tombe du peintre et d’une partie de sa famille.
Mais, comme je l’ai écrit plus haut, j’avais aussi un objectif gastronomique en venant à Giverny. un dîner au Jardin des Plumes.
En un mot bravo à David Galienne pour tout : l’accueil, le service et bien sûr et surtout l’assiette d’une copieuse originalité.
Ces artichauts délicatement braisés : une merveille !
Je profite de cet entre-deux-fêtes, sans activité « rééducative » post infarctus, pour jouer les touristes à Paris. Content d’ailleurs qu’à la différence de la ridicule valse-hésitation du gouvernement belge (lire Ils n’ont donc rien compris), le gouvernement français n’ait pas décidé la fermeture ou une réduction de jauge intenable des lieux de spectacle et de culture.
Cole Porter
Mardi soir, j’étais donc au théâtre du Châtelet, où je n’étais pas retourné – mon blog en témoigne – depuis cinq ans et le spectacle de clôture de l’ère Choplin (L’anti-déprime). L’affiche promettait : Cole Porter in Paris
On a pu en profiter pour visiter un peu le grand théâtre parisien rénové. Couleurs claires et lumières crues. De la terrasse du 5ème étage (qu’on ne connaissait pas) belle vue sur le centre de Paris.
D’où vient un sentiment de pas totalement réussi, et même d’occasion manquée, dans le spectacle qu’on a vu ? Pourtant on a souvent aimé les musiciens de ce Cole Porter, Les Frivolités parisiennes (Les Bains macabres de Guillaume Connesson, Sainte Nitouche, Le Testament de tante Caroline, etc.). Ils sont toujours remarquables en format jazz band.
C’est sans doute, comme l’écrit Ariane Batelier dans Le Figaro, que : « Cole Porter a vécu à Paris de 1919 à 1939. En figure des Années folles. Il était à la fois le mari de Linda Lee Thomas, milliardaire plus âgée que lui, et l’amant de Boris Kochno, le dernier secrétaire de Serge de Diaghilev, génial créateur des Ballets russes…. On aimerait retrouver cette ambiance dans le show du Châtelet. Voir resplendir la vie de cet homme extravagant qui vivait dans un hôtel particulier au 13, rue Monsieur, se levait à l’aube pour dire ses prières, partait monter à cheval, reprenait ses esprits avec un champagne au bar du Ritz, composait sur un piano blanc et rejoignait à Venise la Café Society d’Elsa Maxwell. Cole Porter in Paris n’en garde malheureusement que la nostalgie« .
Le parti de Christophe Mirambeau, créateur de ce spectacle, de faire un récit musical – Cole Porter est incarné et (mal) chanté par trois interprètes qui se complètent et parfois se superposent – dans une suite de tableaux aux décors minimalistes (on est quand même dans un ancien temple de l’opérette !) ne fonctionne pas. « Pour Cole Porter, auteur de Kiss Me Kate, Can Can ou Anything Goes, il faudrait un show à tout casser, on a un « récit musical », avec textes platement didactiques en français sur la vie du musicien américain, qui enchaînent sur des chansons en anglais. Cole Porter flotte dans des habits trop grands. Cependant, passé la déception, le spectacle, s’il ne comble pas les regards, s’écoute du moins avec un certain plaisir. (Le Figaro)
Je dois aussi ajouter qu’il manque à ce « show » notamment et même surtout chez les chanteurs et chanteuses ces caractérisations vocales qui restent en mémoire une fois éteints les feux de la rampe.
Mais soyons heureux que, malgré une brève interruption pour cause de « cas contact », ce spectacle puisse avoir lieu.
Les frères Morozov
Les Karamazov de Dostoievski étaient trois, les Morozov dont la collection est actuellement présentée à la Fondation Vuitton étaient deux :Ivan né en 1871, mort il y a cent ans le 21 juillet 1821.
Ivan Morozov peint par Edouard Serov devant une toile de Matisse que les frères avaient achetée.
Le frère aîné, Mikhaïl, né en 1870, est mort jeune, à 33 ans.
Avant de dire un mot de ce qu’on a vu ce mercredi, cette remarque sur les conditions d’accueil et de non-respect du public d’un établissement voulu et conçu par Bernard Arnault comme devant être exemplaire.
Comme dans tous les musées, et singulièrement depuis la crise sanitaire, il faut réserver à l’avance une date et une heure.
Ce qu’on avait fait pour 11h30 aujourd’hui. Moyennant quoi, à 11h25, une file immense piétinait sous la pluie (et sans parapluie Vuitton offert par le musée !) tandis que finissaient seulement d’entrer les gens qui avaient réservé pour 11 h!
Le résultat c’est qu’une fois parvenus à l’intérieur, dans un hall d’accueil d’ailleurs exigu où il faut demander son chemin pour trouver les toilettes, ou les vestiaires complètement débordés (la fondation Vuitton doit être le seul musée au monde où on voit des visiteurs se promener dans les salles d’exposition avec des parapluies dégoulinants !), l’affluence est telle qu’il faut prendre la foule à revers et passer au plus près des toiles pour apercevoir ce qu’on nous y présente.
Le respect des distances ? l’aération dans des lieux où les gens s’agglutinent ? Il est vrai qu’à entendre pas mal de réflexions, on se demande ce que certains font ici – ce doit être le « must » à faire à Paris pendant les fêtes !
Quant à l’exposition elle-même, elle mérite la visite, même si on est loin du choc ressenti lors de l’exposition Chtchoukine (L’imprononçable collection) il y a cinq ans.
Une collection certes impressionnante par la quantité d’oeuvres rassemblées, mais peu de chefs-d’oeuvre inconnus ou exceptionnels.
Ici un portrait de Fiodor Chaliapine par Constantin Korovine.
Un Cézanne bien connu
Un Edvard Munch plus rare.
On est en revanche saisi par les grands décors peints qu’Ivan Morozov avait commandés en 1907 à Maurice Denis pour la salle de musique de son hôtel moscovite.
Isabelle Georges (voir Isabelle au Bal) y reprenait le spectacle créé avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège le 31 juillet 2014 au Concertgebouw d’Amsterdam et repris à Liège à la veille de Noël 2014. Avec les mêmes partenaires Frederik Steenbrink (chant), Guillaume Naud (piano), Gilles Barikosky (saxophone), Jérome Sarfati (contrebasse), David Grebil (batterie), et à la baguette Fayçal Karoui qui, ce jeudi soir, dirigeait l’Orchestre de chambre de Paris. Un triomphe, une fois de plus !
Juste avant le spectacle, j’avais fait un saut à l’exposition Gauguin au Grand Palais
Avec l’impression de me retrouver dans les salles du Metropolitan Museum of Art de New York (voir Les trésors du Met) où Gauguin et tous ses illustres camarades occupent presque tout un étage…
(Gauguin, Autoportrait au chapeau, 1893, Musée d’Orsay)
Déjeuner ce vendredi dans une excellente table du centre de Paris, pour évoquer le festival Radio France 2018 avec une complice de toujours. Assis par le hasard des réservations à côté d’un pianiste jadis célèbre, qui a toujours soigneusement cultivé son accent russe.
Et dans la soirée, alors que la concurrence était forte (Noël à Broadwayà Radio France), j’avais choisi l’anti-« spectacle de fête » par excellence : Patrick Timsit, à l’exact opposé de son personnage d’amuseur public, dans un beau monologue d’extraits du Livre de ma mèred’Albert Cohen, mis en scène par Dominique Pitoiset. Au théâtre de l’Atelier.
Les premières vingt minutes sont parfois laborieuses, comme si le comédien avait besoin de s’imprégner de la gravité du texte face à un public qui n’attend qu’une occasion de rire. Puis Timsit trouve son rythme, le ton juste, et c’est alors l’émotion qui gagne tous les spectateurs. Je n’ai personnellement jamais été un lecteur de Cohen, il faudrait peut-être que je m’y mette après ce spectacle, à conseiller à ceux qui veulent échapper à la fête obligatoire.
En russe, il faut cinq lettres pour le nommer : Щукин, en français il en faut onze : Chtchoukine. Depuis l’inauguration de l’exposition-événement qui lui est consacrée à la Fondation Louis Vuitton, je n’ai entendu personne prononcer correctement le nom du collectionneur russe, même les journalistes spécialisés. Il est vrai que l’alphabet russe compte plusieurs lettres… qui n’ont pas d’équivalent dans notre alphabet latin, notamment les chuintantes (ч = tch, ш = ch et Щ que faute de mieux on transcrit par chtch, alors qu’il suffit de redoubler d’intensité dans la prononciation de ch, comme on le ferait naturellement en incitant fortement quelqu’un à se taire : chchchut !).
Je craignais l’affluence. En choisissant la fin d’après-midi (avant un concert) je l’ai évitée et j’ai pu tranquillement admirer une collection en effet incroyable, magnifiquement disposée dans le bâtiment de Frank Gehry que je découvrais par la même occasion.
Le personnage et sa collection sont extraordinaires, à tous points de vue. On connaît la plupart des chefs-d’oeuvre que Chtchoukine a rassemblés, on les avait vus pour beaucoup dans les musées Pouchkine de Moscou et de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Mais l’émotion vous submerge de les voir icisuperbement exposés, dans des salles (11) hautes et vastes, thématiques (Matisse, Gauguin, Monet, Picasso, les Russes…), où l’on surprend de jeunes guides parler en termes clairs et gourmands des peintres et de leurs toiles.
(Xan KROHN, Portrait de Sergei Chtchoukine, 1915)
Dans la deuxième salle, on est convié à un film-performance absolument remarquable de Peter Greenaway et Saskia Boddeke sur l’amitié qui lia Chtchoukine et Matisse.
(Van Gogh, Portrait du docteur Rey, 1889)(Cézanne, Le fumeur à la pipe, 1902)
Exceptionnelle cette exposition l’est non seulement par la quantité et la qualité des chefs-d’oeuvre de peintres connus et reconnus, mais aussi par quelques pièces d’artistes russes qui doivent leur formation, leur initiation à la modernité à la fréquentation du collectionneur et de son palais-musée de Moscou.
Une exposition à voir absolument ! Réservation en ligne conseillée, tarifs très abordables (de 5 à 10€ l’entrée), seul point négatif, difficile de se restaurer sur place – surtout lorsque, comme hier soir, le minuscule coin-restaurant est privatisé ! -.
Comme un bonheur arrive rarement seul, le récital donné par Lukas Geniušasà l’auditorium de la Fondation a achevé de rendre la soirée inoubliable. Les deux cahiers d’Etudes de Chopinet quelques bis, pas moins. Une sacrée personnalité ! Un nouveau rendez-vous prévu à Montpellier l’été prochain…