Il y a cinquante ans…

… il ne pleuvait pas sur Poitiers (*) ce mercredi 6 décembre 1972. Il faisait déjà nuit lorsque je quittai en mobylette le Conservatoire où j’avais passé l’après-midi, je ne me rendis pas tout de suite compte que, dans la 4 CV qui me précédait dans la montée de la rue de la Cueille, il y avait ma petite soeur Catherine, qui, elle, devait revenir de son cours de danse. Mais pourquoi dans la voiture des voisins ?

Arrivé à la maison, boulevard des Rocs, je fus encore plus surpris de voir ta voiture devant le garage ! J’eus à peine le temps de descendre de ma mob que la voisine, Madame Barasc, vint me dire que tu avais fait un malaise et qu’on t’avait emmené à l’hôpital, mais « rien de grave » disait-elle. La porte d’entrée était ouverte, il y avait une agitation inhabituelle. Une autre voisine et sa fille me disent : « Ta maman est là-haut, elle se repose, Tes soeurs sont dans leur chambre ». La seule qui est dans le salon au rez-de-chaussée est grand-mère, que tu es allé chercher à L’Ile d’Elle (en Vendée). Elle dit et répète que tu as dû mal digérer le déjeuner qu’elle t’avait préparé, du poulet. Je ne saurai rien de plus de ton « malaise », même si je n’en mène pas large. Je me doute bien qu’on ne t’a pas emmené à l’hôpital pour une petite indisposition. Malgré le froid, je me place sous le porche d’entrée, la fille des Bordage reste auprès de moi, me fait la conversation, en attendant le retour de l’ambulance des pompiers et du voisin kinésithérapeute qui t’a accompagné à l’hôpital.

J’ai compris qu’il était trop tard

Les minutes sont bien longues, jusqu’à ce que le fourgon rouge apparaisse, tous feux éteints, dans l’impasse au fond de laquelle se trouve notre maison. Les pompiers te ramènent ? En une seconde, je comprends que non : le kiné descend de l’ambulance, met ses bras en croix, je devine instantanément que ce n’est pas le signe d’une bonne nouvelle. J’ai compris qu’il était trop tard*, que tu ne rentrerais pas à la maison.

Le voisin kiné vient expliquer que tu étais probablement déjà mort quand les pompiers sont venus te chercher, en tout cas que tu l’étais à l’arrivée aux urgences. Et que, de ce fait, on devrait pratiquer une autopsie, et te garder sur place. Finalement, un coup de fil passé au directeur de l’hôpital (il doit être déjà neuf heures du soir !), que tu connais et qui nous connaît, et nous pouvons, conduits par le kiné (maman n’est pas en état de conduire, et moi je n’ai pas encore l’âge du permis, même si je saurais conduire la 304), aller jusqu’à l’hôpital et à la pièce où tu as été déposé. Je ne me rappelle pas m’être effondré, je vois ton visage apaisé, mais blême, gris-vert. Nous aurons bientôt l’assurance qu’on ne va pas t’autopsier, les circonstances étant évidentes : infarctus foudroyant.

Et nous prendrons la bonne décision : tu resteras à la morgue de l’hôpital jusqu’à samedi, le jour des obsèques. Nous ne te veillerons pas à la maison, comme je me rappelle l’avoir fait avec ton père, mon grand père, en avril 1967, mort de la même façon chez lui. J’avais onze ans, j’accueillais les personnes du village venues honorer le défunt, sans me douter que cette épreuve initiatique me préparerait à affronter d’autres morts brutales, soudaines.

Le reste de cette soirée du 6 décembre 1972 s’est perdu dans le brouillard de ma mémoire.

Tu étais ce professeur adoré de ses élèves. Tu étais mon père.

J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon
(Aragon)


De gauche à droite mon père Jean-Paul Rousseau (1927-1972), mon grand père Pierre Rousseau (1903-1967), mon arrière-grand-père André Rousseau (1875-1959) et moi !
Huit ans après la mort de mon père, le 7 décembre 1980, naissait le premier de mes fils, et en 2013 le premier de mes petits-enfants. La vie continue…

* Références à la chanson Nantes de Barbara, qui me hante et me bouleverse à chaque écoute, même si les situations – celle qu’elle décrit et la mienne en 1972 – ne sont pas comparables et ont pourtant en commun la mort du père.

Régime de fête (VII) : la marche des Rois

Mon unique petit-fils porte le nom de l’un des rois mages, il n’est donc pas surpris, chaque 6 janvier, qu’on lui demande où sont les deux autres. J’ai bien ri à cette photo, sachant que la grand-mère du petit-fils en question s’appelle Fanny…

Blague à part, je n’ai ni l’envie, ni le temps de faire un long article sur la mythologie des rois mages et de l’Epiphanie. On peut toujours compter sur Jean-Marc Onkelinx pour puiser à bonne source (lire Epiphanie).

La marche des rois

Depuis qu’enfant je la chantais, je ne me suis jamais vraiment soucié de l’origine de la chanson La marche des rois mages.

De bon matin, j’ai rencontré le train
De trois grands Rois qui allaient en voyage,
De bon matin, j’ai rencontré le train
De trois grands Rois dessus le grand chemin.

Venaient d’abord des gardes du corps,
Des gens armés avec trente petits pages,
Venaient d’abord des gardes du corps,
Des gens armés dessus leurs justaucorps.

Puis sur un char doré de toutes parts,
On voit trois Rois modestes comme des anges,
Puis sur un char doré de toutes parts,
Trois Rois debout parmi les étendards.

L’étoile luit et les Rois conduit
Par longs chemins devant une pauvre étable,
L’étoile luit et les Rois conduit
Par longs chemins devant l’humble réduit.

Au fils de Dieu qui naquit en ce lieu
Ils viennent tous présenter leurs hommages,
Au fils de Dieu qui naquit en ce lieu
Ils viennent tous présenter leurs doux vœux.

De beaux présents, or, myrrhe et encens,
Ils vont offrir au maître tant aimable,
De beaux présents, or, myrrhe et encens,
Ils vont offrir au bienheureux enfant
.

Une chanson populaire attribuée à Joseph-François Domergue (1691-1728), curé d’Aramon dans le Gard, mais qui a connu de nombreux avatars, et des versions en provençal et en français.

Je me rappelle une question qui revenait toujours en classe à propos du « train » du premier vers : personne ne comprenait comment on pouvait « rencontrer un train ». Question restée sans réponse durant mon enfance, sans doute pas la faute de nos instituteurs, qui ne menaient – déjà à l’époque ! – pas « grand train ».

Ne pas compter non plus sur les très jolies voix du choeur d’enfants du Bolchoi pour comprendre un traitre mot de la chanson :

C’est évidemment Bizet qui a définitivement popularisé cette Marche des Rois en l’intégrant à sa célèbre musique de scène L’Arlésienne, composée pour le drame éponyme d’Alphonse Daudet :

On sait le tube du répertoire symphonique que c’est devenu, malgré l’échec de la musique de scène. Ce qui ne veut pas dire qu’elle réussit à tous les chefs.

J’aime beaucoup, pour ma part, cette très belle, vigoureuse et poétique version dénichée sur YouTube. J’en profite pour adresser des voeux chaleureux et saluer affectueusement mon amie Nathalie Stutzmann qui, en plus d’être la grande contralto qu’on aime depuis longtemps, est aujourd’hui la meilleure cheffe française en exercice, et l’une des meilleures dans le monde.

Aussi étrange que cela semble, il est plutôt difficile de trouver de bonnes versions notamment de ce Prélude de l’Arlésienne. Souvent trop lent, trop pesant, même sous d’illustres baguettes que, par charité, on ne citera pas.

Comme souvent, pour le répertoire français, on trouve à Montréal avec Charles Dutoit l’esprit festif et transparent de Bizet.

Epiphanie

On ne peut évidemment faire l’impasse sur la seule oeuvre qui porte le nom d’Epiphanie, la « fresque musicale pour violoncelle et orchestre » écrite en 1923 par André Caplet. J’ai au moins deux bonnes raisons de l’évoquer ici. D’abord parce que l’un des plus beaux enregistrements de l’oeuvre a été réalisé par Marc Coppey avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège et Pascal Rophé, et ce qu’on ne sait pas forcément, c’est que c’est la suggestion d’Henri Dutilleux lui-même que ce couplage d’Ephiphanie de Caplet avec son chef-d’oeuvre Tout un monde lointain.

Deuxième raison, tout aussi réjouissante, la perspective, maintenant très prochaine, de la réédition d’une des premières grandes versions au disque de l’oeuvre de Caplet, où l’on retrouve (comme par hasard !) Charles Dutoit et surtout l’ami Frédéric Lodéon, du temps où il était le violoncelliste français le plus inspiré, le plus fougueux, le plus flamboyant en effet.