La musique pour rire (X) : quand ils se détestent

Je suis friand de mémoires de musiciens, de compositeurs, de leurs témoignages, de leurs lettres : Mozart, Berlioz, Debussy, Honegger, liste non limitative

Dans le numéro de juillet de Diapason, Ivan Alexandre et François Laurent se sont amusés à sélectionner quelques-uns de ces écrits dont la première caractéristique n’est pas vraiment la bienveillance. Quand les compositeurs ne s’aimaient pas, ils ne l’envoyaient pas dire, et quand ils avaient un talent de plume, ça donne des formules parfois assassines, toujours réjouissantes.Et révèle souvent les aspects cachés de certaines personnalités.

Le gentil Mendelssohn

De qui l’élégant et aimable Felix Mendelssohn peut-il parler dans une lettre du 28 mars 1831 :

« Il est d’une vanité incommensurable et traite avec un superbe dédain Mozart et Haydn, de sorte que tout son enthousiasme m’est suspect/…./ Cet enthousiasme purement extérieur, ces airs désespérés qu’on prend auprès des dames, ces génies qui s’affichent en grosses lettres, tout cela m’est parfaitement insupportable » ?

Réponse ci-dessous *1

Il faut croire que l’orchestre dont Felix Mendelssohn fut le premier directeur musical, celui du Gewandhaus de Leipzig, n’a plus à l’égard de ce compositeur d’une « vanité incommensurable » les préventions de son chef, comme en témoigne cette étonnante captation de la Symphonie fantastique, réalisée en 2018, où pour une noble cause des musiciens de Dresde et de Leipzig avaient été réunis sous la houlette d’Herbert Blomstedt.

Le haineux Wagner

Sans aucune référence à un récent épisode politique, comment ne pas trouver complètement injuste et déplacé ce commentaire :

« Dans la musique instrumentale de Haydn, nous croyons voir le démon enchaîné de la musique jouer devant nous avec la puérilité sénile d’un vieillard de naissance » (1870)

C’est peu dire qu’on ne partage absolument pas ce jugement qui n’honore pas son auteur… Richard Wagner !

Rappelons tout le bien qu’on a dit de la réédition du legs discographique du quatuor Pražák :

Pauvre Boris

De qui cette réflexion ? : « J’ai étudié à fond Boris Godounov… Je méprise sincèrement la musique de Moussorgski : c’est la parodie la plus méchante et la plus vulgaire de l’art musical »

L’auteur de ce jugement a-t-il été dérouté par la modernité de Boris ? Qu’aurait-il pensé de cette mise en scène (qui date de 2018) filmée à Saint-Pétersbourg et qui résonne étrangement avec l’actualité russe de ces dernières semaines ?

Réponse *2

Bruckner le détraqué

« La musique de Bruckner n’a ni queue ni tête et cela ne souffre aucune discussion, pas plus que sa personne. C’est un pauvre détraqué que les moines de Saint-Florian ont sur la conscience » (12 janvier 1885)

Ce n’était manifestement pas l’avis de Karajan qui s’est rendu plusieurs fois à l’abbaye bénédictine de St.Florian. Ici une captation réalisée en 1979 de la Huitième symphonie – la plus longue – de Bruckner

Réponse *3

Encore une dernière, la plus célèbre sans doute de ces « vacheries » que la petite histoire de la musique a retenues :

« Monsieur Ravel refuse la Légion d’honneur, mais toute sa musique l’accepte »

Pierre Boulez est lui-même cité à plusieurs reprises dans l’article de Diapason. Il est très présent dans ce remarquable et dejà ancien ouvrage de l’ami Alain Surrans, l’actuel directeur de l’opéra de Nantes et Angers.

Réponse *1 : Mendelssohn parle de… Berlioz qui lui-même n’a jamais été avare d’une vacherie à l’égard de ses contemporains

Réponse *2 : Celui qui parle de vulgarité à propos de Moussorgski n’est autre que son contemporain Tchaikovski

Réponse *3 : On savait que Bruckner avait subi plus de quolibets que d’encouragements de la part du monde musical, on ignorait que Brahms eût la dent aussi dure contre lui !

Quand Liège n’était pas belge ou de César à Hulda

J’ai dû récemment corriger la fiche Wikipedia consacrée au compositeur César Franck. Il y était écrit, en effet, qu’il était né belge le 10 décembre 1822 – et qu’il avait été naturalisé français en 1870. Sauf que Liège, sa ville natale, n’était pas belge en 1822, puisque le royaume de Belgique n’a été fondé qu’en 1831. La famille quitte Liège en 1835 et s’installe à Paris, où le jeune et très doué César, entré au Conservatoire de Paris en 1837, aura tôt fait d’empocher toute une série de premiers prix. En 1845 il se libère du joug pesant de son père qui lui voyait une destinée à la Wolfgang Amadeus. La suite à lire dans les bons ouvrages comme la somme de Joël-Marie Fauquet (Fayard)

Hulda

On l’aura compris, Liège n’a pas fini de célébrer le bicentenaire de l’enfant du pays. C’est ainsi que, mercredi soir, au Théâtre des Champs-Élysées, l’Orchestre philharmonique royal de Liège, le choeur de chambre (?) de Namur et une belle brochette de solistes, donnaient à entendre la résurrection de l’opéra Hulda, dûment cornaqués par le Palazzetto Bru Zane qui assure avoir créé ici la première intégrale complète sans coupures de l’oeuvre.

Mais Fabrice Bollon qui a donné Hulda le 16 février 2019 à l’opéra de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) dit la même chose ! Y aurait-il donc des intégrales plus intégrales que d’autres ?

Quoi qu’il en soit la version des Liégeois – bientôt attendue en disque – a déjà une supériorité évidente sur la version allemande : tous les chanteurs sont de parfaits francophones, en particulier le rôle-titre tenu par l’Américaine Jennifer Holloway qui a été, pour moi, la révélation de la soirée de mercredi.

Pour le reste, autant je peux être convaincu de l’utilité de restituer et d’enregistrer dans leur intégralité des oeuvres oubliées – et Hulda le mérite à l’évidence – autant je reste dubitatif sur la nécessité d’infliger au public ce qui s’apparente à un pensum souvent indigeste. Je partage assez l’avis de François Laurent qui écrivait hier dans Diapason : Hulda de Franck peine à pleinement convaincre.

Si je reconnaissais avec plaisir les sonorités rondes et chaudes d’un Orchestre philharmonique royal de Liège (dont j’ai quitté la direction il y a déjà 8 ans (Merci), la clarinette suprême de Jean-Luc Votano, je me disais, mercredi soir, qu’il manquait une baguette plus expérimentée dans l’art de conduire ces vastes fresques – je n’ai pas cessé de penser à un Patrick Davin ou à un Louis Langrée -. Un opéra en version de concert, c’est souvent compliqué, surtout s’il est long – on en sait quelque chose au Festival Radio France, puisque c’est notre spécialité depuis bientôt quarante ans ! -. Raison de plus pour avoir un maître d’oeuvre qui entraîne, emporte, convainque, surmonte les faiblesses de la partition.

Souvenir d’une belle co-production dirigée par Patrick Davin.

Dans le beau disque – Diapason d’Or – enregistré en 2011 par Christian Arming avec l’OPRL, il y avait déjà les musiques de ballet de Hulda

Bicentenaire

On attend pas mal de nouveautés et/ou rééditions à l’automne comme cette César Franck Edition annoncée par Warner

Les Belges de Fuga Libera ont publié deux coffrets (pas très bon marché d’ailleurs), qui comportent certes des rééditions mais aussi pas mal de premières au disque.

Dans la musique de chambre, en dehors de la sonate pour violon et piano (avec les excellents Lorenzo Gatto et Julien Libeer) et du quintette avec piano (Jonathan Fournel, Augustin Dumay, Shuichi Okada, Miguel Da Silva et Gary Hoffman !), ce sont beaucoup de découvertes qui attendent l’amateur

Pour la musique symphonique, des rééditions bienvenues (mais pourquoi ne pas avoir retenu les versions de Pierre Bartholomée et Louis Langrée de la Symphonie ? la comparaison entre les trois versions enregistrées par l’Orchestre philharmonique royal de Liège eût été passionnante !) et des premières concertantes (sous les doigts virtuoses de Florian Noack).

On a confié à l’actuel directeur musical de l’OPRL l’enregistrement du splendide Psyché – un vaste poème symphonique avec choeur en trois parties composé en 1887).

Louable intention mais la comparaison avec le disque légendaire (devenu introuvable) de Paul Strauss (EMI, 1975) n’est pas à l’avantage de la nouveauté.

Avec un peu de chance, on retrouvera ce Psyché dans le coffret Warner ?.

Pour le plaisir, comment ne pas rappeler l’exceptionnel « franciste » qu’est Louis Langrée, et cette fois une vidéo captée avec l’Orchestre de Paris :