Le choc de juin

Après Les joies de juin, mon précédent billet, le choc de juin. Celui d’hier, le résultat des élections européennes.

Géométrie variable ?

La démocratie n’est pas à géométrie variable. On ne peut pas l’aimer quand elle va dans le sens qu’on souhaite et la réfuter quand le résultat d’une élection nous déplaît.

La démocratie c’est la loi de la majorité, pas l’addition de minorités. Tout cela et bien d’autres évidences ont déjà été rappelées, pas plus tard qu’il y a deux ans, au moment de la présidentielle et des législatives (lire Gagnants et perdants).

Je me suis engagé jadis en politique, j’ai été candidat à des élections, je n’ai jamais varié dans mes convictions en suivant la ligne de crête qui sépare les extrêmes. Mais on ne peut pas se contenter d’être horrifié par le score de l’extrême droite ou de déplorer les minables calculs électoralistes de l’extrême gauche. On ne peut pas non plus assister tranquillement à la déliquescence de la politique qui résulte d’une aventure solitaire, celle d’Emmanuel Macron. Ce que j’ai vu de la soirée électorale laisse malheureusement mal augurer de la suite: les mêmes figures discréditées, à droite comme à gauche, ne trouvent rien de mieux que de répéter les vieilles lunes.

Le courage

Voici quelques semaines que j’ai commencé la lecture d’un essai, dont le seul titre est une proclamation, que je fais mienne, plus encore dans la période électorale qui s’ouvre : Le Courage de la nuance

Que dit Jean Birnbaum, que j’aimais naguère rencontrer à Montpellier ou à Paris, lorsque le Monde des Livres était associé aux Rencontres de Pétrarque organisées dans le cadre du Festival Radio France ?

« Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison », disait Albert Camus, et nous sommes nombreux à ressentir la même chose aujourd’hui, tant l’air devient proprement irrespirable. Les réseaux sociaux sont un théâtre d’ombres où le débat est souvent remplacé par l’invective : chacun, craignant d’y rencontrer un contradicteur, préfère traquer cent ennemis. Au-delà même de Twitter ou de Facebook, le champ intellectuel et politique se confond avec un champ de bataille où tous les coups sont permis. Partout de féroces prêcheurs préfèrent attiser les haines plutôt qu’éclairer les esprits.« 

Jean Birnbaum ne se résigne pas à la «brutalisation» du débat public, il relit les textes d’ Albert Camus, George Orwell, Hannah Arendt, Raymond Aron, Georges Bernanos, Germaine Tillion ou encore Roland Barthes, qui permettent de tenir bon. « Dans le brouhaha des évidences, il n’y a pas plus radical que la nuance ».

Dussé-je me retrouver bien seul, je ne changerai pas de conviction.

Remaniement (bis)

Je me suis amusé à relire ce que j’avais écrit ici à la suite de précédents remaniements gouvernementaux sous la présidence Macron.

16 octobre 2018 : »Trop souvent dans le passé, remaniement a rimé avec reniement. Oubliées les promesses de campagne, perdus de vue les enthousiasmes des débuts, reniées les alliances politiques.

Celui qui vient d’intervenir, après une attente qui a paru insupportable au microcosme médiatique, a au moins le mérite d’échapper à cette sinistre litanie. On ferait presque le reproche au président de la République de conforter sa majorité, de mieux s’appuyer sur ses alliés, de faire plus largement confiance à des élus de terrain, au détriment de ces fameux représentants de la « société civile » qui ont toujours, cette fois comme par le passé, démontré leurs limites dans l’exercice d’une fonction ministérielle (qui se rappelle Pierre Arpaillange à la Justice, Francis Mer à l’Economie, Luc Ferry à l’Education ?).

Souvenons-nous, ce n’est pas si loin que ça, de la nomination surprise par Nicolas Sarkozy de Frédéric Mitterrand au ministère de la Culture en 2009. » (Remaniement, 16 octobre 2018)

23 mai 2022 : « Plus les années passent, moins je ressens la nécessité de m’indigner, de m’insurger, de critiquer. Non pas que les motifs de le faire aient disparu, on serait plutôt sur une tendance exponentielle inverse. 

Tenez, prenez le nouveau gouvernement ! J’ironisais gentiment vendredi sur l’attente insupportable que nous faisaient subir le président de la République et la nouvelle Première ministre (En attendant Borne I). Depuis qu’il a été annoncé, c’est le déferlement. Pas un seul, journaliste, observateur, commentateur, pour dire que, peut-être, avant de leur tomber dessus, on pourrait juste attendre de voir ce que vont faire les nouveaux nommés ! Pas beaucoup plus pour creuser un peu plus les portraits de celles et ceux qui font figures de proue de ce gouvernement, à commencer par la Première ministre – une « techno » on vous dit !

Que c’est fatigant ces caricatures ! Dans un sens ou dans l’autre… Ainsi, à écouter la longue, très longue, litanie d’autojustification de la ministre de la Culture sortante, la si médiatique Roselyne Bachelot, on pouvait avoir le sentiment d’y perdre au change avec l’arrivée d’une conseillère de l’ombre, inconnue du grand public, dotée d’un patronyme qui signale la « diversité », Rima Abdul Malak. Ceux qui ont eu affaire au ministère de la Culture ces dernières années n’ont pas du tout la même perception du bilan de la rue de Valois pendant la pandémie…En revanche, la nouvelle ministre c’est moins de paillettes mais plus de sérieux. Le milieu culturel ne l’a pas encore dézinguée. De bon augure ? » (Bienveillance, 23 mai 2022)

Quelques observations sur ce premier gouvernement Attal.

Enfin le retour de la politique

On a tellement dit, et souvent à raison, que le deuxième mandat du président de la République était encalminé, sans perspective, que la Première ministre sortante n’imprimait pas, que la plupart des ministres était inexistants dans l’opinion…qu’on doit d’abord relever qu’Emmanuel Macron fait ou refait enfin de la politique. Il semble presque rejouer sa propre aventure de 2016.

Il déjoue les analyses, les pronostics des commentateurs – et ça me réjouit ! – et fait turbuler le système, comme il l’avait fait en 2017. Il a parfaitement compris que la menace Le Pen (ou Bardella ?) ne pouvait pas être contrée par les invocations et les lamentations d’une classe politique démonétisée à gauche comme à droite. Le choix des mots de ses voeux du 31 décembre, et de ses récentes interviews, ne doit absolument rien au hasard. Comme Sarkozy l’avait fait, et plutôt réussi, en 2007, Macron veut assécher les raisons de voter pour le RN.

Tout le monde a relevé que les quelques gestes accomplis par Gabriel Attal à l’Education s’inscrivent dans cette stratégie. Le choix de ce ministre – devenu en quelques mois le plus populaire de la classe politique active – comme chef du gouvernement est le meilleur, sinon le seul que pouvait faire le président de la République pour reprendre la main sur son quinquennat.

Et maintenant ?

Ce qui est extraordinaire dans ce type d’épisodes de la vie politique, c’est, à de très rares exceptions près, l’absence de réflexion, de culture politique, d’indépendance d‘esprit, dont font preuve la presque totalité des journalistes qui bavardent à longueur de plateaux télé. Ils ont tous colporté les rumeurs, soigneusement distillées comme des leurres par la présidence de la République, et personne n’a émis l’idée qu’un Denormandie ou un Lecornu à Matignon n’avait aucune espèce de chance de provoquer un quelconque sursaut. Lorsque le nom de Gabriel Attal est arrivé, tout le monde a feint la surprise, et comme pour expliquer qu’ils ne l’avaient pas vu venir, on s’est évertué à expliquer que Macron redoutait la concurrence de ce jeunot (!), que celui-ci ne pourrait pas s’imposer aux poids lourds demeurés à leurs postes…

Heureusement que quelques chevronnés, comme l’ancien Premier ministre Raffarin, ou l’éternel Alain Duhamel, ont remis tout cela en perspective. Eh oui, il se pourrait bien que Macron ait mis en selle non seulement celui qui pourra combattre Bardella aux prochaines élections européennes de juin, mais aussi celui qui, en 2027, pourrait donner un sacré coup de jeune à la politique et ringardiser les Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon tentés par une quatrième candidature à la présidentielle. Qui vivra verra…

Dati à la Culture

Je n’ai aucun lien, ni sympathie ni antipathie, avec la nouvelle ministre de la Culture. Je regrette certes que Rima Abdul-Malak qui a été, de loin, l’une des meilleures titulaires du poste, soit, comme tant de ses prédécesseurs, privée du temps long nécessaire à l’action de fond. Mais j’admets que le coup joué par Emmanuel Macron en appelant Rachida Dati est triplement bien joué.

D’abord parce que, pour la première fois depuis Jack Lang, le poste de ministre de la Culture échoit à une pure politique, connue de tous, reconnue comme une boxeuse de première catégorie, qui ne se laisse pas faire ni impressionner. Aura-t-elle le temps, le courage, et le soutien de l’Elysée et de Matignon, pour faire enfin bouger, revivre, un ministère complètement pétrifié ?

Ensuite parce que, tirant les conclusions de la calamiteuse élection municipale de 2020 à Paris, Macron a joué la seule carte qui permettra en 2026 de battre une maire sortante complètement démonétisée : soutenir la seule personnalité qui se soit imposée contre Anne Hidalgo, et éviter une nouvelle débâcle pour des troupes macronistes inconsistantes.

Enfin parce que, de toute évidence, Rachida Dati constitue la plus belle prise de guerre pour faire éclater ce qui reste d’un parti – Les Républicains – en état de décomposition avancée depuis la présidentielle de 2022 et le score ridicule de sa candidate d’alors.

PS Je précise, avant que certains de mes lecteurs ne m’en fassent le reproche (ou le compliment) que je ne fais ici qu’apporter une analyse, nourrie de ma propre expérience, rien de plus, rien de moins.