Opulence

Le concert de l’Orchestre national de France, jeudi dernier, avait une caractéristique : l’opulence orchestrale. Comme je l’ai écrit pour Bachtrack, le menu était sans doute trop copieux, pour qu’en quelques répétitions, des musiciens, même aussi aguerris que ceux du National, et leur chef, puissent en révéler toutes les subtilités.

L’orchestre de Pierné

Quelle belle idée de programmer Gabriel Pierné, né en 1863 à Metz et mort la même année que Ravel et Roussel en 1937 ! Un personnage capital de la vie musicale parisienne, un compositeur passionnant, auquel je n’ai encore jamais consacré une ligne sur ce blog, même lorsque Warner a publié un coffret tout à fait intéressant.

En revanche, j’avais repéré de longue date le superbe enregistrement réalisé par Jean Martinon à la tête du National du ballet Cydalise et le chèvre-pied

Je suis toujours surpris que nos formations nationales n’explorent pas plus ardemment un patrimoine orchestral qui, à voir les affiches de la très grande majorité des concerts, se résumerait à Berlioz, Debussy et Ravel. Le seul XXe siècle est d’une richesse impressionnante, et Pierné fait partie de ces injustement oubliés. Or pour les amateurs d’opulence orchestrale, avec lui on est servi. Il suffit d’écouter – elles ne sont pas légion – ses quelques pièces d’orchestre.

Fantaisies symphoniques

Sauf erreur de ma part, de tous les arrangements, fantaisies et autres suites symphoniques qui ont été tirés de ses opéras, Richard Strauss n’est l’auteur que de la seule « fantaisie symphonique » sur La femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten). C’est étonnant comme, à la fin de sa vie, le vieux compositeur s’offre une dernière luxuriance orchestrale, comme une récapitulation d’une science inouïe de l’orchestre, toujours dominé par le cor glorieux du paternel Franz Strauss.

Les autres arrangements d’opéras de Richard Strauss sont le lot de chefs d’orchestre qui ont tous connu le compositeur. Ainsi cette suite de Die Liebe der Danae, l’avant-dernier ouvrage lyrique de Strauss, créé par Clemens Krauss en 1952 à Salzbourg. C’est le même Clemens Krauss qui en tire cette suite orchestrale.

Intéressant aussi ce « pot pourri » qui tient lieu d’ouverture à un opéra bien oublié de 1935, Die schweigsame Frau (La femme silencieuse)

Un peu comme les suites tirées de Carmen, les quatre interludes symphoniques de l’opéra Intermezzo forment un beau tableau d’orchestre si typiquement straussien.

Ce panorama serait évidemment incomplet sans les multiples suites tirées du plus célèbre des opéras de Richard Strauss, Der Rosenkavalier (Le Chevalier à la rose). mais avant de les évoquer, je veux saluer un enregistrement exceptionnel, et jusqu’à preuve du contraire resté unique, celui de la musique du film Der Rosenkavalier (1925) pour lequel Strauss et son librettiste Hofmannsthal avaient été sollicités – ce serait pour eux des revenus supplémentaires et bienvenus ! – Marek Janowski en a réalisé un disque admirable

Il y a d’abord de vraies suites de concert, comme celle qu’a établie et enregistrée Antal Dorati

ou celle qu’en a tirée un autre grand chef d’orchestre Lorin Maazel

Et puis il y a les suites de valses, assez logiques, puisque la valse irrigue tout l’ouvrage. Beaucoup de chefs aiment les diriger, mais il en est peu d’aussi exemplaires que Karl Böhm, grand serviteur de Richard Strauss.

Tout Strauss

On ne se lasse jamais de l’orchestre straussien. On recommande le coffret le plus complet et le mieux doté.

Une édition vraiment complète qui aligne un grand nombre de références, pour l’orchestre l’intégrale insurpassée de Rudolf Kempe et de la Staatskapelle de Dresde avec de nombreuses pépites comme cette Burlesque idéale sous les doigts du formidable virtuose américain Malcolm Frager.

Et que dire des opéras et de versions signées Karajan, Böhm, Sinopoli, Keilberth !

Et toujours humeurs et bonheurs du moment dans mes brèves de blog

Bi…ou tricentenaire

L’autre Scarlatti

Je me rappellerai longtemps la folle aventure des 555 sonates de Scarlatti données au cours de l’été 2018 dans toute l’Occitanie dans le cadre du Festival Radio France.

Ce très précieux legs est disponible sur le site de France Musique en 185 épisodes !

Mais celui qu’on célèbre aujourd’hui n’est pas le fils, Domenico, mais le père Alessandro Scarlatti, mort il y a 300 ans, le 24 octobre 1725 à Naples. De nouveau on invite à se tourner vers France Musique pour découvrir et décrypter « l’énigmatique Alessandro Scarlatti » avec Clément Rochefort et Xavier Carrère.

Je veux saluer ici un coffret qu’on n’attendait pas vraiment, mais qui constitue une très belle introduction à l’oeuvre si profuse du père Scarlatti

Difficile de détailler ces 9 CD, mais on est en très bonne compagnie avec Gérard Lesne, Véronique Gens, il Seminario Musicale, Fabio Biondi, Nancy Argenta et bien d’autres du même acabit, nombre de cantates, de motets, les oratorios Il Sedecia re di Gerusalemme, La santissima Trinita, les concerts grossi, etc.

C’est sans doute l’enregistrement le plus ancien du coffret, mais je l’ai eu longtemps sur un CD en collection très économique, avec la merveilleuse Helen Donath et notre Maurice André national :

Chiche bicentenaire

On en reparlera abondamment le moment venu : le bicentenaire de la naissance de Johann Strauss, c’est dans quelques jours.

Vendredi et samedi dernier, l’Orchestre national de France annonçait un « Gala Johann Strauss ». Franchement chiche comme programme : une ouverture (du Baron Tzigane), une seule valse et quatre polkas, dont une de Josef le frère ! On peut réécouter ce concert sur France Musique et vérifier les éloges que j’ai faits du chef, Manfred Honeck et des musiciens du National, sur Bachtrack : L’hommage du National et Honeck à Strauss fils.

Je ne pense pas que Manfred Honeck le Viennois – il a été violoniste au Philharmonique de Vienne jusqu’en 1991 – ait beaucoup de concurrents pour diriger cette musique. Mais on préfère sans doute inviter le 1er janvier des chefs plus « people » pour le traditionnel concert du Nouvel an (Nézet-Séguin le 1er janvier 2026 fera-t-il mieux que le petit tour de Dudamel en 2017 ?) !

Comme je l’écris pour Bachtrack, Honeck fait plus d’une fois penser, dans sa gestique, à un grand aîné qu’il a eu tout loisir d’observer lorsqu’il jouait dans l’orchestre, Carlos Kleiber…

On recherchera les quelques disques de la famille Strauss qu’il a enregistrés avec Bamberg ou les Wiener Symphoniker

Dans mes prochaines brèves de blog je reviendrai sûrement sur l’épisode peu glorieux du « casse » du Louvre…

Sur le pont

Pour Alma

Vendredi dernier, j’étais au Théâtre des Champs-Elysées pour applaudir surtout Joyce DiDonato, comme je l’ai écrit pour Bachtrack (Joyce DiDonato rehausse le concert du National). J’avais tenté le titre : Joyce DiDonato sur le pont pour Alma Mahler, pour souligner le fait que la vraie réussite de ce concert était l’interprétation par la chanteuse américaine d’un bouquet de mélodies d’Alma Mahler, et accessoirement que le pont… de l’Alma est voisin de la salle de l’avenue Montaigne.

Dans mon article, je n’ai pas pu reproduire tous les extraits d’une lettre que cite Hélène Cao dans son texte de présentation. C’est le 19 décembre 1901, deux mois avant leur mariage, que Gustav Mahler envoie ceci à Alma : « Tu n’as désormais qu’une seule profession – me rendre heureux ! Je sais bien que tu dois être heureuse (grâce à moi !) pour me rendre heureux. Mais les rôles dans ce spectacle qui pourrait devenir une comédie aussi bien qu’une tragédie (ni l’un ni l’autre ne serait juste) doivent être bien distribués. Et celui du « compositeur », de celui qui « travaille », m’incombe. Le tien est celui du compagnon aimant, du camarade compréhensif » . Sacré macho le père Gustav ! On comprend mieux pourquoi le compositeur n’a pas fait grand chose pour soutenir et diffuser les oeuvres de sa jeune épouse. C’est en 2003 seulement que Jorma Panula orchestre les Lieder qu’on a entendus vendredi soir… et c’est du pur Mahler !

J’avais depuis longtemps un autre disque, que je n’avais écouté que distraitement… à tort !

Une musique à écouter assurément !

Hommage

Je viens d’apprendre le décès à 80 ans d’un personnage – André Piguet – que j’ai connu il y a une trentaine d’années comme un membre très actif des Amis de l’Orchestre de la Suisse romande, et retrouvé, toujours aussi pointu et amical, lorsque j’ai fait une brève mission auprès de l’OSR il y a neuf ans (lire Nouveaux publics).

Il était rugueux, détonnant dans le milieu genevois si policé, et passionné. Je découvre, à l’occasion de son décès, qu’il est l’auteur d’un ouvrage que je vais m’empresser d’acheter. La présentation qu’il en fait lui-même dit assez la force de son caractère. Hommage !

« Des milliers de concerts à son actif, un public fervent, une riche discographie, une large reconnaissance internationale, un partenariat organique avec le Grand Théâtre, des appuis convergents confirmés dans le temps : l’OSR peut paraître inébranlable. Pour beaucoup, il fait partie du paysage culturel, tout comme le Cervin est inscrit dans le ciel de Zermatt.Le mélomane ne saurait céder à l’endormissement, dans la confortable certitude de sa pérennité. La lucidité commande de le considérer comme un miracle permanent…« 

André Piguet et moi – et nous n’étions pas les seuls dans ce cas ! – partagions une passion jamais émoussée pour notre cher Armin Jordan

Dans mes prochaines brèves de blog humeurs et impressions après les récentes séquences politiques.

Les sorties de la rentrée

Jean-Marie Leclair enfin

J’aurais pu en faire un épisode de ma série La découverte de la musique. Ce fut l’un de mes premiers disques « baroques » :

Plus personne ne sait qui était Annie Jodry (1935-2016) ni son mari le chef d’orchestre Jean-Jacques Werner (1935-2017), plus personne ne sait qu’il y eut, en France, des pionniers qui firent tant pour la redécouverte et la diffusion d’un immense répertoire baroque et classique (Jean-François Paillard, Paul Kuentz…)

Stéphanie-Marie Degand signe une intégrale (la première française ?) des concertos pour violon de ce très grand compositeur – Jean-Marie Leclair -dont je ne comprends toujours pas qu’il soit resté si peu joué, enregistré, étudié.

Je connais la violoniste, de plus en plus souvent cheffe d’orchestre, depuis quelques lustres, depuis des séances mémorables à Liège où, de et avec son violon, elle enflamma autant l’Orchestre philharmonique royal de Liège que des publics de tous âges.

La flûte enchantée

J’ai manqué son concert à Paris mercredi dernier – mon camarade de Bachtrack est resté sous le charme ! – mais comme Radio France a eu la bonne idée d’en faire un artiste en résidence pendant cette saison, je saisirai d’autres occasions de le voir et l’écouter.

Je n’ose plus dire depuis quand je connais Emmanuel Pahud. En tout cas c’est un ami d’au moins trente ans !

En juillet 2017, Emmanuel Pahud était mon invité au festival Radio France.

Et ça m’a fait tout drôle que Warner lui consacre déjà une boîte de 14 CD comme on le fait d’ordinaire pour un artiste en fin de carrière ou décédé !

Eh oui ! Emmanuel a déjà 55 ans, mais il ferait aimer la flûte à la terre entière. Et il n’est pas près d’arrêter de jouer ni de tourner.

Emmanuel a ce quelque chose de rare qu’ont très peu d’artistes : quelle que soit l’oeuvre qu’il joue, où qu’il se produise, il capte instantanément l’attention du public, par son comportement, son rayonnement et bien sûr le son vraiment magique de sa flûte.

Un coffret passionnant à acquérir évidemment au plus vite : noter évidemment la variété du répertoire, et la place de la création contemporaine !

CD 1 Vivaldi Concertos (Tognetti/Australian Chamber Orchestra

CD 2 Telemann Concertos / Bach concerto brandebourgeois 5 (Kussmaul/Berliner Barocksolisten)

CD 3-4 Bach Suite n°2 / CPE Bach, Benda, Frédéric II, Quantz concertos (Pinnock, Potsdam Akademie)

CD 5 Devienne, Gianella, Glück, Pleyel, Hugot (Antonini, OC Bâle)

CD 6 Devienne, Danzi, Pleyel Symph.concertantes (Leleux, OC Paris)

CD 7 Mozart Concertos flûte, concerto flûte et harpe (M.P.Langlamet, Abbado, Berlin Phil.)

CD 8 Mozart Symph.concertante, M.Haydn, L.Hoffmann concertos (Schellenberger, Haydn Ensemble)

CD 9 Une nuit à l’opéra arrangements Verdi, Tchaikovski, Weber, Mozart, Bizet (Nezet-Seguin, Rotterdam)

CD 10 Hersant, Saint-Saëns, Chaminade, Poulenc, Fauré (Leleux, OC Paris)

CD 11 Nielsen (Rattle, Berlin Phil.), Khatchaturian, Ibert concertos (Zinman, Tonhalle)

CD 12 Penderecki, Reinecke, Busoni, Takemitsu (Repusic, radio Munich)

CD 13 Dalbavie, Jarrell, Pintscher concertos/créations (Eötvös, Rophé, Pintscher / OP Radio France)

CD 14 Gubaidulina Musique flûte (Rostropovitch, London Symphony), Desplat Pelléas et Mélisande (Desplat, Orchestre national de France)

La jeunesse de Mikhaïl P.

J’aurais pu le citer dans mon article Comment prononcer les noms de musiciens. Son nom s’écrit : Plet-nev, et se prononcer Plet-nioff. Mikhaïl Pletnev est d’abord un extraordinaire pianiste, avant d’être un personnage contesté, contestable. Et c’est ce que démontre ou rappelle ce coffret de 16 CD qui réunit pour la première fois les enregistrements de Mikhail Pletnev, réalisés dans les années 80 pour Virgin Classics, après sa victoire au Concours Tchaïkovski en 1978.

CD 1-2 Scarlatti Sonates

CD 3-4 Haydn sonates et concertos

CD 5-6 Mozart concertos 9,20,21,23,24 (Deutsche Kammerphilharmonie)

CD 7 Beethoven sonates 8,21,23

CD 8 Chopin sonate 2, scherzo 2, 4 nocturnes, barcarolle

CD 9 Brahms sonates clarinette (Michael Collins)

CD 10 Moussorgski Les tableaux d’une exposition, Tchaikovski/Pletnev La belle au bois dormant

CD 11-14 Tchaikovski oeuvres pour piano, Concertos 1-3, Symphonie 6

CD 15 Scriabine Préludes

CD 16 Rachmannov Concerto piano 1, Rhapsodie Paganini (Fedosseiev, Philharmonia)

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’aucune des interprétations de Pletnev ne peut laisser indifférent, dans Scarlatti, comme dans Mozart ou Moussorgski…

Humeurs et bonheurs du jour à suivre sur mes brèves de blog !

L’admirable John Nelson

Quand je dis Nelson je pense spontanément à mes amis pianistes, le très regretté Nelson Freire, et le toujours bien vivant Nelson Goerner. Mais ce soir je repense avec émotion au chef américain John Nelson (1941-2025) qui vient de disparaître après une terrible maladie qui l’avait défiguré et pourtant pas empêché de poursuivre sa tâche jusqu’au bout de ses forces

Je veux d’abord citer Alain Lanceron, le patron de Warner et Erato :

« Nous n’oublierons pas le véritable amour qu’il éprouvait pour la musique et les musiciens, et pour ses deux compositeurs fétiches, Haendel et Berlioz. Nous n’oublierons pas non plus son enthousiasme, sa bonté, son humanité. John Nelson est mort lundi, un mois seulement avant les séances d’enregistrement que nous avions prévues à Strasbourg pour achever son cycle Berlioz. J’ai la chance de pouvoir me rappeler les 20 projets sur lesquels nous avons travaillé ensemble sur une période de trois décennies. La plupart d’entre eux étaient avec l’Ensemble Orchestral de Paris dont il a été directeur musical pendant 11 ans (de 1998 à 2009), et avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg pour un cycle Berlioz qui constitue un jalon dans l’histoire de l’enregistrement, en particulier Les Troyens avec Joyce DIDonato, Michael Spyres, Marie-Nicole Lemieux et une superbe équipe de chanteurs français. Juste y penser me fait venir les larmes aux yeux« 

Série à laquelle il faut ajouter une de mes références de toujours des Nuits d’été de Berlioz

J’ai deux souvenirs personnels forts de John Nelson.

À Besançon en 1995, comme je l’ai raconté sur ce blog  » je reçois une nouvelle invitation à siéger au Concours de jeunes chefs d’orchestre (j’y avais déjà siégé en 1992) Entre-temps je suis devenu directeur de France Musique (depuis l’été 1993), une absence d’une semaine de Paris n’est pas très bien vue par mes patrons de Radio France, mais le prestige du concours, etc… Cette année-là le jury est présidé par John Nelson. Personne parmi les candidats ne se détache vraiment, certains ne sont pas prêts – c’est le cas du fils d’un chef d’orchestre français, qui depuis a pris un bel envol, mais à qui John Nelson et d’autres membres du jury avaient dû expliquer amicalement qu’il devrait mûrir et s’aguerrir ). Un premier prix est attribué à un jeune Japonais, dont je n’ai plus jamais entendu parler depuis…

C’est finalement le lot de tous les concours, qui ne sont jamais une garantie de carrière pour les lauréats, mais qui, parfois, révèlent d’authentiques talents. Et pour qui a, comme moi, eu la chance de siéger dans plusieurs jurys, c’est sans doute l’expérience la plus enrichissante sur le plan artistique et humain. On ne voit plus jamais les artistes de la même manière, on mesure le courage, l’énergie, l’abnégation qu’il faut à un jeune musicien, au-delà de ses qualités musicales, d’abord pour affronter ces compétitions inhumaines, ensuite pour se lancer dans une carrière complètement aléatoire.« 

L’attitude de John Nelson pendant toutes les épreuves du concours, sa bienveillance, même quand nous manifestions notre impatience ou notre mécontentement face à l’impréparation manifeste de. certains candidats, est restée pour moi une leçon d’humanité.

Le second souvenir c’est l’invitation que j’avais faite à John Nelson de venir diriger la 6e symphonie de Mahler à Liège en 2005 (lire la critique de ResMusica).

Et puis bien sûr d’autres concerts à Paris, avec l’Ensemble orchestral de Paris auquel il aura assuré une renommée internationale. Souhaitons que Warner/Erato réédite une belle collection d’enregistrements qui font honneur à ce grand chef.

Ravel #150 : Daphnis et Chloé

Nous y sommes : Maurice Ravel est né le 7 mars 1875, il y a très exactement 150 ans. Poursuivons la mini-série autour du compositeur basque et de ses oeuvres les plus connues.

Avec le Boléro et la Valse (on y reviendra), la 2e suite de Daphnis et Chloé est sans doute sa pièce symphonique la plus jouée en concert. Je préfère évoquer ici la partition intégrale de cette « symphonie chorégraphique pour orchestre et choeur sans paroles », comme est intitulée cette musique du ballet composé pour les Ballets russes et créé sur une chorégraphie de Michel Fokine, le 8 juin 1912, au théâtre du Châtelet sous la direction de Pierre Monteux. Pierre Monteux décidément abonné à toutes les créations importantes de l’époque (Petrouchka, Le Sacre du printemps…).

Les versions intégrales sont nettement moins nombreuses au disque que la seule 2e suite.

Je me rappelle encore une émission de « Disques en lice » – la défunte tribune de critiques de disques de la Radio Suisse romande – où, au terme d’une écoute à l’aveugle, la version qui dominait la confrontation était celle de… Pierre Monteux, magnifiquement enregistrée à Londres.

Charles Munch à Boston n’était pas loin…

Ernest Ansermet n’est pas à son meilleur dans cet ouvrage, mais ses héritiers – revendiqués ou non – les deux Suisses, Charles Dutoit et Armin Jordan, y sont admirables

Intéressant de confronter les versions de Jordan père (Armin) et fils (Philippe) :

La version la plus inattendue de la discographie, et peut-être la plus extraordinaire à mes oreilles, est celle du grand Kirill Kondrachine*, captée à Amsterdam en 1972, jadis rééditée dans une série devenue collector

*décédé le 7 mars 1981 à Amsterdam au lendemain d’un concert où il dirigeait la 1e symphonie de Mahler à la tête de l’orchestre de la radio de Hambourg (NDR)

Nelson et Martha

Ces deux-là étaient frère et soeur en musique, plus encore qu’amis et complices. L’un est mort, l’autre toujours vive et active à 83 ans passés. Ils font une part de l’actualité discographique : Nelson Freire (1944-2021) et Martha Argerich.

Du côté de la pianiste argentine, rien de vraiment neuf. Warner a regroupé des coffrets déjà parus (comme les « live » de Lugano) en y ajoutant quelques albums récents, et les quelques disques parus sous étiquette Teldec.

Ce coffret révèle à la fois la curiosité de la pianiste en matière de musique de chambre, et une certaine permanence – on n’a pas dit étroitesse ! – du répertoire solo et concertant : pas mal de doublons, mais comment s’en plaindre, quand on sait qu’en concert Martha Argerich n’est jamais exactement la même d’un soir à l’autre (souvenirs d’une tournée au Japon et en Californie en 1987).

Quelques erreurs d’étiquetage parfois amusantes : dans le seul trio de Haydn, capté à Lugano, on indique Nicholas Angelich au côté des frères Capuçon, alors qu’il s’agit bien de Martha Argerich. En revanche dans un disque Brahms à 2 pianos, le partenaire de Martha est mentionné comme Nicholas Argerich (sic).

Inutile de recenser les merveilles de ce coffret, elles se révèlent tout au long des 46 CD.

Quelques-unes prises au hasard :

Comme on le sait Martha Argerich donne désormais rendez-vous à ses amis à Hambourg. C’est là, en 2020, qu’elle a consenti à redonner aux micros et caméras – mais sans public – une version inoubliable de la 3e sonate de Chopin

L’héritage Nelson

Lorsqu’il est mort, il y a déjà plus de trois ans, j’ai tenté une discographie de Nelson Freire. Tâche difficile, puisque le pianiste brésilien, avant la période Decca – la dernière – a enregistré pour plusieurs labels, au gré des propositions et des engagements, et relativement peu. Heureusement que, depuis une dizaine d’années, les captations de concert ou les enregistrements de radio, ressortent un peu au compte-gouttes, traduisant, mieux que la discographie « officielle », les choix de répertoire de Nelson Freire.

Le coffret de 3 CD qu’édite le Südwestrundfunk (SWR) – la radio publique de l’Allemagne du sud qui regroupe les stations jadis indépendantes de Baden-Baden et Stuttgart – est à chérir à plus d’un titre : il ne comporte pratiquement que des inédits dans la discographie de Nelson Freire.

On se demande si et quand Decca publiera enfin le coffret de l’intégrale des enregistrements réalisés pour le label par Nelson Freire ! Ce ne serait que justice.

Autre suggestion : rassembler tous les témoignages laissés par le duo Martha Argerich-Nelson Freire. Insurpassable !

Et ce bis murmuré ensemble…

Leur Mozart

La mort d’Edith Mathis avant-hier nous a rappelé quelle merveilleuse mozartienne elle fut. Elle est de pratiquement tous les enregistrements d’opéra ou de messes de Mozart pour Deutsche Grammophon, sous la baguette de Böhm, Karajan, Marriner, Hager, etc.

Y a-t-il merveille plus émouvante que ce duo entre Gundula Janowitz et Edith Mathis dans Les Noces de Figaro ? Moment d’éternité…

Dans les disques achetés ou remarqués ces dernières semaines, là aussi des merveilles.

Julien Chauvin

J’avais adoré le Don Giovanni que dirigeait Julien Chauvin en novembre dernier, et je l’avais même écrit pour Bachtrack : L’implacable et génial Don Giovanni de Julien Chauvin. Je savais déjà quel mozartien est le violoniste/chef du Concert de la Loge. Mais je n’avais pas prêté attention à ce disque original associant le Requiem de Mozart à la Messe pour le sacre de Napoléon de Paisiello.

Pour les habitués aux versions traditionnelles, ce qui saute aux oreilles c’est la prononciation « à la française » du latin de la messe des morts. C’est devenu fréquent ces dernières années et j’ai trouvé dans ce texte une explication lumineuse : Pourquoi prononcer le latin à la française ?

Pierre Génisson

Autre interprète ami dont je sais depuis longtemps les affinités mozartiennes, le clarinettiste Pierre Génisson.

Quelle idée intelligente que d’assembler le fameux concerto pour clarinette, l’un des derniers chefs-d’oeuvre de Mozart, écrit quelques mois avant sa mort en décembre 1791, et de fameux airs d’opéra !

Pierre Génisson se substitue aux chanteuses pour les plus beaux airs des Noces, de Cosi fan tutte, ou de la Clémence de Titus, dans les arrangements si subtils du formidable Bruno Fontaine !

Reinhoud van Mechelen

J’ai tant aimé accueillir à Montpellier Reinhoud van Mechelen dans diverses formations, dont celle qu’il a créée et anime avec un bonheur contagieux, A nocte temporis. Reinhoud s’est lancé dans un disque qui me fait infiniment plaisir, d’abord parce qu’il met en valeur de purs chefs-d’oeuvre de Mozart, qui sont rarement en lumière, encore plus rarement programmés au concert, des airs pour ténor qui me bouleversent à chaque écoute.

La prise de son est plutôt étrange, la réverbération excessive, mais quelle beauté !

Indispensable dans toute discothèque !

Comme l’est ce pilier de ma discothèque, le disque par lequel j’ai découvert ce pan de l’oeuvre de Mozart, l’immense ténor hongrois József Réti né il y a tout juste 100 ans, disparu trop tôt en 1973.

Mon journal à lire sur brevesdeblog

Arrivages

Ce titre qu’emprunte souvent un ami critique m’a toujours amusé, s’agissant de musique classique. Il doit certes crouler sous les CD et les coffrets qu’on lui envoie en service de presse, ce qui n’est pas mon cas, puisque, en dehors de quelques disques dont on m’a fait cadeau, j’ai toujours acheté les. éléments qui constituent ma discothèque personnelle. Donc quand je vois arriver le facteur chargé de paquets, je ne suis pas surpris puisque je les ai commandés, et je connais le contenu de ces… arrivages !

Ces dernières années, les « majors » rééditent à tour de bras, en pavés plus ou moins importants, leurs artistes « maison » qu’elles ont cessé d’enregistrer. Intéressant pour celui qui a une discothèque encombrée, et qui ne dispose pas de kilomètres de rayonnages pour l’entreposer: on se sépare des CD individuels, sauf édition remarquable, et on récupère un gros boîtier avec tout dedans. J’ai évoqué récemment le cas de Roberto Alagna et Wolfgang Sawallisch (lire En scènes) ou l’intégrale Fauré

Dernières commandes, donc derniers « arrivages » :

Paavo Järvi / Erato

On ne sait si le fils parviendra à rattraper le père dans une course à l’enregistrement qui paraît inépuisable – on parle de Neeme Järvi – mais on se doute que Paavo en a l’ambition, même si le marché est saturé et les labels de moins en moins enclins à prendre en charge de nouveaux enregistrements.

Paavo Järvi, jeune sexagénaire, peut se flatter d’avoir déjà une impressionnante discographie. Celle qu’il a laissée à Cincinnati (lire Festivals d’orchestres) du temps où il en était le directeur musical de 2001 à 2011.

C’est maintenant Warner/Erato qui récapitule une vingtaine d’années de captations réalisées avec l’orchestre de Paris, la radio de Francfort ou les Estoniens pour l’essentiel, avec un peu de Birmingham, de Stockholm… et d’Orchestre philharmonique de Radio France. Rien que du déjà connu, et souvent loué. Avec un « bonus » pour les acquéreurs de ce coffret : une symphonie de Franck captée il y a quelques mois avec l’Orchestre de Paris.

Quelques belles réussites – la musique estonienne, les Grieg, les Sibelius, Dutilleux – de beaux accompagnements pour Truls Mørk, Leif Ove Andsnes et surtout Nicholas Angelich pour les deux concertos de Brahms, du moins indispensable avec la musique française (Bizet bien raide, Fauré évitable) et alors, glissé en catimini parmi les 31 CD du coffret un éprouvant (pour ne pas utiliser un autre adjectif) disque d’airs d’opéras véristes par une Barbara Hendricks (!) complètement hors sujet.

L’ami hollandais

C’est peu dire que j’ai bondi sur un coffret qui risque de passer inaperçu, alors qu’il comblera tous les vrais amoureux du violoncelle. Celui qui regroupe les enregistrements réalisés pour le label néerlandais Channel Classics par le violoncelliste Pieter Wispelwey. J’ai raconté (Frontières) mon étonnement d’apprendre que Pieter qui habitait à côté de la Belgique n’avait jamais joué dans ce pays jusqu’à ce que je l’invite à Liège. J’ai rarement rencontré un artiste aussi passionné, attachant, audacieux (je lui avais demandé, entre autres, de jouer le 2e concerto pour violoncelle de Schnittke, que j’avais vu et entendu créé par Rostropovitch à Evian devant le compositeur le 27 mai 1990). Pieter et son épouse ont traversé il y a deux ans la pire des épreuves que des parents puissent connaître : la mort subite de leur fils Dorian à 16 ans…

Ce coffret rassemble l’intégralité des enregistrements que le violoncelliste (disciple de Dicky Boeke et Anner Bylsma) a réalisé pour Channel Classics entre 1990 et 2009 : 35 enregistrements en 20 ans et une diversité de répertoires impressionnante. Les grands chefs-d’œuvre du répertoire solo, les Suites de Bach, enregistrées deux fois, celles de Britten, en passant par Reger, Kodály, Crumb, Hindemith ou Gubaidoulina, voisinent avec tous les grands concertos (Haydn, Dvorák, Schumann, Elgar, Schumann, Chostakovitch, Prokofiev, Lutoslawski) et aussi une magnifique anthologie de la musique de chambre, dont de somptueux ensembles Beethoven ou Brahms. Cette anthologie coffret permet plus largement de prendre la mesure du goût du violoncelliste néerlandais pour les instruments d’une part, et de redécouvrir d’autre part ses collaborations année après année avec quelques partenaires bien choisis, comme Paul Komen, Paolo Giacometti, Dejan Lazic, ou le chef Iván Fischer.

Il faut féliciter l’éditeur pour cette magnifique récollection. Il est devenu trop rare de trouver dans un coffret récapitulatif autant d’informations sur évidemment les détails des oeuvres, les dates et lieux d’enregistrement, avec un texte très documenté et remarquablement informé de Pierre-Yves Lascar (en français, anglais et allemand) Un INDISPENSABLE donc !

L’audace des Ysaye

Il n’y avait qu’eux pour tenter pareille aventure : l’intégrale par le Quatuor Ysaye (1994-2014) des quatuors de Beethoven, en 2008, en 1Z concerts à l’Auditorium du Musée d’Orsay. La Dolce Volta édite l’exploit en un coffret à petit prix mais de très grande valeur.

J’aime beaucoup comment l’altiste du quatuor, Miguel da Silva, présente à la fois cette aventure et finalement ce qui fait la tenue et la force d’un quatuor :

« Quatre hommes sans qualité »
Un titre en forme de clin d’oeil au roman de Robert Musil, mais aussi l’amorce d’une courte réflexion sur les facettes de la qualité du Quartettiste.
Au commencement était le 4.
Au commencement de notre vie de musicien en tout cas.
Avez-vous été amenés à réfléchir à la symbolique des nombres ?
J’avoue que pour ma part, je n’y étais guère porté.
Mais j’ai vécu pendant trente ans des circonstances si particulières, qu’il m’est arrivé de me pencher sur cette question et d’associer en esprit les diverses formes que peut prendre ce que je nommerai « la Quaternité » :
Les quatre éléments, les quatre points cardinaux, les quatre évangélistes, etc…
Mais au-dessus de tout cela, le suprême mystère :

 
« Le quatuor à cordes »

C’est au coeur de cette sibylline formation que j’ai vécu quotidiennement. Oui ! J’ai vécu mon quotidien à quatre et il me venait quelques fois l’idée plaisante que lorsque vous croyez voir un homme en entier, vous ne faites réellement face qu’au quart d’une voix.
Quatre voix donc, et en fin de compte un seul chant.
Des qualités et une qualité.
Pour y parvenir, combien de silences se sont glissés entre les notes, combien de tempi se sont effacés, combien d’accents ont été gommés !
Les rebelles ont appris à canaliser leur bouillonnement, les placides à presser le pas, les élégants à se dépouiller de leur parure.

Pour se fondre dans le tout, il a fallu s’imposer d’être un musicien sans qualité.

Miguel da Silva

Le vrai Fauré (suite)

Nous y voilà : Gabriel Fauré, né le 12 mai 1845 est mort il y a cent ans exactement, le 4 novembre 1924. En juin dernier j’avais déjà consacré un article au compositeur ariégeois (Le vrai Fauré) en citant quelques disques qui comptent pour moi. Entre-temps sont parues plusieurs nouveautés (au piano) et rééditions, qui ont suscité des critiques très partagées, par exemple sur les disques de Théo Fouchenneret et Aline Piboule

Je connais l’une et l’autre (Ils ont fait Montpellier : En blanc et noir), mais comme je n’ai pas écouté leurs disques, je me garderai bien d’en parler. Je peux seulement les féliciter d’apporter leur pierre à un édifice discographique qui n’a guère évolué depuis une trentaine d’années pour ce qui est du piano seul (relire Le vrai Fauré).

C’est vrai de l’ensemble de l’oeuvre de Fauré, comme en témoigne le coffret récapitulatif que publie Warner/Erato.

Le plus étonnant – à moins que ce ne soit un choix ? – est qu’il ne s’y trouve aucun des enregistrements d’une intégrale de la musique de chambre réalisée, un peu à la va-vite, pour le même éditeur il y a quatorze ans, intégrale aujourd’hui indisponible (à l’exception du Quatuor Ebène)

Une adresse à l’éditeur : en dehors d’un index des oeuvres en anglais, le livret ne donne aucune indication sur le contenu des 26 CD ni sur les interprètes !

Seul apport à une discographie déjà multi-rééditée, la tragédie lyrique Prométhée dénichée dans les archives de l’INA, un « live » réalisé le 19 mai 1961 à l’Orangerie du parc de Sceaux par Louis de Froment dirigeant l’Orchestre national et le choeur de la RTF avec une distribution grand format : Berthe Monmart, Jeannine Collard, Janine Micheau, Emile Belcourt, André Vessières et Jean Mollien. Plus une palanquée d’archives. Et des versions connues et reconnues qui n’ont rien perdu de leur superbe !

Mon Fauré

En plus des versions que j’ai déjà signalées (Le vrai Fauré) j’aimerais signaler quelques-uns des disques auxquels je reviens régulièrement

Ai-je besoin de rappeler l’admiration que j’éprouve pour ces deux amis de longue date, Tedi Papavrami et Nelson Goerner ?

Mention aussi de Giulio Biddau, un jeune pianiste sarde, dont j’avais découvert le disque il y a quelques années :

On ne sera pas surpris de trouver ici le nom de Felicity Lott, dont il faut thésauriser les disques, très épars, de mélodie française

Même admiration pour ma très chère Sophie Karthäuser et son merveilleux partenaire Cédric Tiberghien.

Dommage que le coffret Erato/Warner ne reprénne aucun des enregistrements d’Armin Jordan, comme un merveilleux Requiem

Version 1.0.0