Pendant ce temps…

La vie politique française est, ce mercredi, assez justement résumée dans cette une du Canard enchaîné :

Je ne pensais pas tirer sur une ambulance en écrivant ma brève de blog dimanche soir (Rien compris).

Attendons la suite, les suites même..

Pendant ce temps, la (vraie) vie continue..

Antigone et Dusapin

Je l’avais noté de longue date sur mon agenda : c’était ce mardi soir la création du dernier opus de Pascal Dusapin, Antigone, que le compositeur lui-même définit comme un « oratoriopéra ».

J’avais couvert pour Bachtrack la reprise en mars dernier à l’Opéra de Paris de Il Viaggio, Dante, créé au festival d’Aix-en-Provence (L’épure de Dusapin face aux visions de Claus Guth) et, en novembre 2023, à l’Opéra Comique, un spectacle qui m’avait enthousiasmé, Macbeth Underworld, mis en scène par Thomas Jolly (Un opéra pour notre temps).

Une heure et quarante minutes d’une partition puissante, comme toujours d’une richesse orchestrale sidérante, un plateau vocal exceptionnel, et en maître d’oeuvre Klaus Mäkelä à la tête d’un Orchestre de Paris superlatif. J’attends avec impatience les comptes-rendus qu’en feront mes camarades de la presse, de Bachtrack en particulier !

Laurence B. la radio-active

Bien trouvé ce titre pour des mémoires qui ne disent pas leur nom.

Laurence Bloch n’est pas ce que j’appellerais une amie – le mot est tellement galvaudé dans le microcosme médiatique ! – mais ce fut une collègue que j’ai côtoyée à deux reprises, et pour qui j’ai de l’admiration et une réelle affection. Lorsque j’arrive, en 1993, à la direction de France Musique, Laurence est directrice-adjointe de France Culture depuis 1989. Elle restera à ce poste auprès des directeurs successifs de la chaîne, Jean-Marie Borzeix, Patrice Gélinet et Laure Adler. Je la retrouverai au printemps 2014, lorsque je reviendrai à Radio France, appelé par Mathieu Gallet à la Direction de la Musique. Dans la vague de nominations à laquelle procède le nouveau PDG, Laurence Bloch devient directrice de France Inter. Elle le restera jusqu’en 2022, mais ne quitte pas pour autant Radio France, puisque, durant deux ans, elle supervise les antennes auprès de la présidente Sibyle Veil. Et comme elle l’écrit dans les premières pages de ce bouquin attachant – parce que la langue de bois n’est pas vraiment sa spécialité ! – elle a repris du service à la demande de la ministre de la Culture, Rachida Dati, pour travailler au projet de fusion des entités radio et télévision du service public. Pas sûr qu’elle ait fait le bon choix pour cette dernière mission… impossible !

Le crépuscule

On peut difficilement contredire Alain Duhamel dans son jugement sur Emmanuel Macron. En juin 2024, j’écrivais un billet tristement prémonitoire : Le choc de juin.

A l’heure où j’écris ces lignes, on n’en sait toujours pas plus sur ce qui peut, ce qui va se passer dans les prochaines semaines.

Je conseille ce bouquin d’un jeune journaliste, dont les analyses et la plume me paraissent particulièrement affûtées :

« Les fins de règne des présidents ont toujours été douloureuses. Celle d’Emmanuel Macron l’est plus encore, car c’est lui qui a précipité son crépuscule par la dissolution de 2024. Avec cet acte incompréhensible, le chef de l’État a tué sa majorité, interrompu ses réformes, saccagé son propre camp. Et sa politique de la terre brûlée ne semble pas connaître de limites, alors que s’ouvre une guerre de succession entre des prétendants qu’il n’aime pas. Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Bruno Retailleau, François Bayrou, Michel Barnier, Bruno Le Maire… tous se sont confiés sur leurs rapports ambigus avec le président et leurs ambitions pour la suite. À travers des scènes inédites et une cinquantaine de témoignages, ce livre dévoile les coulisses d’un pouvoir à l’agonie et dessine les contours de l’après. Il révèle qu’en miroir de cette comédie politique se joue aussi une tragédie : celle d’un président qui, jusqu’au bout, veut rester seul en scène. » (Présentation de l’éditeur)

Je vais attendre quelques heures avant de publier de nouvelles brèves de blog !

Claude Samuel (1931-2020)

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Claude Samuel est mort ce matin, à quelques jours de ses 89 ans. Je le savais affaibli depuis plusieurs mois, mais jusqu’au bout alerte, s’informant de tout ce qui avait fait sa vie : la passion de la musique et des créateurs.

J’ai déjà raconté dans quelles circonstances j’ai été amené à travailler durant six ans avec lui et sous son autorité (L’aventure France Musique).

Le créateur de Présences

France Musique écrit ceci :

Diplômé de médecine en chirurgie-dentaire, Claude Samuel suit également des études musicales à la Schola Cantorum auprès de Daniel-Lesur. Très tôt, il rejoint le monde du journalisme et de la presse musicale mais aussi le monde de la radio, médium pour lequel il produira près de 1000 émissions au micro de France Culture et de France Musique.

Véritable titan du journalisme et de la radio musicale française, Claude Samuel est également une figure emblématique de l’histoire de Radio France en tant que producteur et Directeur de la Musique de Radio France (1989 à 1996).

Il était « l’homme de la musique contemporaine » selon Jean-Pierre Derrien, « l’oreille des musiciens » selon le Figaro, mais aussi un « bâtisseur d’institutions » selon le producteur Lionel Esparza. La carrière de Claude Samuel, qui occupe ces sept dernières décennies, est presque impossible à synthétiser. Journaliste de presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle, il prête également sa plume à la presse musicale, notamment aux publications Harmonie, Le Panorama de la Musique, Musiques, La Lettre du musicien, et Diapason. Il est aussi l’auteur du « blog-notes de Claude Samuel », un blog musical sur le site qobuz.com qu’il alimentera jusqu’en novembre 2018.

Passionné de musique contemporaine, Claude Samuel est à l’origine de nombreux concours et festivals qui lui permettront d’encourager et de promouvoir cette musique auprès d’un public toujours plus large. En 1967, dans le cadre du Festival international d’art contemporain de Royan (1965-1972), il lance le « concours Messiaen » pour le piano contemporain. Il poursuit son rôle de passeur avec le Festival des arts de Persépolis (1967-1970) et les Rencontres internationales d’art contemporain de La Rochelle (1973-1979), puis les Rencontres de musique contemporaine de Metz et le Festival des arts traditionnels de Rennes.

Il est également initiateur de plusieurs concours de la Ville de Paris, tels que le Concours de flûte Jean-Pierre Rampal, le Concours de trompette Maurice André, le Concours de piano-jazz Martial Solal et le Concours de lutherie et d’archèterie Étienne Vatelot.

D’abord nommé conseillé pour la programmation et la production à Radio France, Claude Samuel occupe le poste de Directeur de la Musique dès 1990. Il lance la même année la première édition du festival « Présences », un festival de musique contemporaine alors gratuit qui réussit à rassembler un public vaste et varié.

Homme de culture, il est également à l’origine du Prix des Muses, qui récompense des ouvrages consacrés à la musique classique, au jazz et aux musiques traditionnelles (études musicologiques, biographies, romans…) et publiés en français au cours de l’année qui précède, repris par France Musique en 2017 pour devenir le Prix France Musique des Muses.

Par ses efforts, Claude Samuel apporte tout au long de sa carrière une aide considérable à la musique contemporaine à une époque où ce genre ne profite pas d’un soutien majeur. Il recevra la Légion d’honneur (1985) avant d’être nommé Officier des Arts et des Lettres et Officier de l’ordre du Mérite (1993).

Six ans en commun

Comme toute collaboration d’une certaine durée, celle qui m’a liée à Claude Samuel de 1993 à 1999, a été contrastée, chahutée parfois, mais toujours fondée sur un très grand respect de ma part pour quelqu’un qu’aucun obstacle, aucune mesure technocratique, ne semblaient pouvoir arrêter (lire L’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette).

104091863_10218081421846330_5312588680199979226_o(Photo Michel Larigaudrie)

A cette époque, France Musique (et le programme musical de France Culture) faisaient partie de la direction de la musique de Radio France. J’ai longtemps pensé – et je le pense toujours – que c’était une chance pour les antennes comme pour les formations musicales de Radio France.

Claude Samuel aimait animer des réunions, parfois longues, partant dans tous les sens, mais elles permettaient d’échanger idées, projets, programmes, par exemple pour organiser les saisons musicales autour de thèmes et de fortes personnalités (Liszt, Szymanowski – quel souvenir que cette version de concert du Roi Roger, l’unique opéra de Szymanowski, au théâtre des Champs-Elysées en janvier 1996 !). J’eusse aimé que, parfois, il montrât plus d’autorité sur les chefs des orchestres « maison » – Charles Dutoit pour l’ONF, Marek Janowski pour l’OPRF -, mais j’avais vite compris – ce que je vérifierai lorsqu’à mon tour j’occuperai la fonction de directeur de la musique en 2014 ! – que ces messieurs ne voulaient en référer qu’au PDG de Radio France (et encore…).

Mais quand Claude Samuel croyait à une idée, il n’en démordait jamais, se heurtant souvent de front à la direction de la Maison ronde, y compris au PDG de l’époque qui l’avait nommé, Jean Maheu. Il s’est battu pour Présences, fort de l’expérience acquise à Royan, avec une opiniâtreté que je n’ai plus rencontrée chez personne d’autre.

Journaliste de l’écrit il avait été, il tenait comme à la prunelle de ses yeux au mensuel Mélomane qui donnait à voir l’impressionnante activité musicale de Radio France. Une revue qui disparut dès qu’il ne fut plus là pour la défendre…

Claude Samuel se mit à dos la moitié de Paris, en organisant des séries de récitals et de musique de chambre… gratuits, que, pour certains (le dimanche matin) il présentait lui-même. Concurrence déloyale avec les deniers publics, tonnaient ceux et surtout celles qui se reconnaîtront !

En revanche, il se méfiait des producteurs de France Musique (parce qu’il l’avait été lui-même ?), ce qui, paradoxalement, me laissa une grande latitude pour faire évoluer non seulement la grille de la chaîne, mais aussi les pratiques de certaines fortes têtes,

Départ et retour

Nos relations auraient pu tourner vinaigre, surtout lorsque la rumeur se mit à enfler, dans les derniers mois de 1995, d’un départ de Claude Samuel de la direction de la musique. Michel Boyon avait succédé à Jean Maheu à la présidence de Radio France, et la fin du mandat de Maheu avait été source de frictions de plus en plus fréquentes avec Claude Samuel (au point qu’il m’était arrivé, à quelques reprises, d’être convoqué par le PDG pour faire passer des messages, sur certains dossiers sensibles,… à mon directeur !).

De là à ce qu’on me prête l’intention de succéder à Claude Samuel et toutes les manigances et manoeuvres qui vont avec… Ce qui n’était pas le cas, mais on ne peut empêcher les bruits de couloir (surtout dans une maison ronde !) de se nourrir du moindre signe pour prospérer !

Mais notre collaboration allait prendre un tour assez inattendu. Claude Samuel avait fait valoir notamment auprès de Patrice Duhamel, alors directeur général de Radio France, une clause de son contrat qu’il entendait faire exécuter : au terme de son mandat de directeur de la musique, il était prévu que Radio France confie une ou des émissions à Claude Samuel ! Celui-ci insista pour se faire confier rien moins que la matinale de France Musique, et « on » me fit savoir que cette position n’était pas négociable. J’obtins seulement que C.S. n’ait pas un statut d’extra-territorialité, mais qu’il exerce son activité de producteur sous l’autorité… du directeur de la chaîne ! Situation inédite, que, malgré certains entourages, nous parvînmes, Claude Samuel et moi, à surmonter.

Je veux garder le souvenir d’un personnage incroyablement curieux, enthousiaste, volontaire, fourmillant d’idées, d’un fabuleux collectionneur de documents, d’articles, d’autographes – je sais qu’il travaillait ces derniers mois à permettre que cette somme lui survive et serve aux chercheurs et historiens de la radio et de la musique.

Parmi tant d’instants partagés, me revient en mémoire une visite que nous avions faite à Londres, pour rencontrer des responsables de la BBC, voir le compositeur George Benjamin répéter avec l’orchestre de la BBC. Entre deux rendez-vous, j’avais entraîné Claude chez Foyles, le Gibert londonien sur Charing Cross. Il ne connaissait pas cette fabuleuse librairie, et son très vaste rayon de partitions et d’ouvrages sur la musique. Quel ne fut pas son bonheur de découvrir, en bonne place, la version anglaise de « son » Prokofiev, la première biographie en français, parue en 1960, du compositeur russe disparu en 1953.

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Ma part de vérité

Je n’ai pu suivre que partiellement, et à la radio (merci France Musique) le concert-événement qui réunissait avant-hier soir à Orange les quatre formations musicales de Radio France, l’Orchestre National de France, l’Orchestre philharmonique de Radio France, le Choeur et la Maîtrise de Radio France sous la baguette de Jukka-Pekka Saraste pour la Huitième symphonie de Mahler (à réécouter ici).

Et j’ai entendu les propos du Ministre de la Culture, Franck Riester, sur France Musique : « C’est important de dire que nous avons une richesse musicale exceptionnelle à Radio France, une richesse que nous souhaitons pérenniser. (…) L’ambition musicale de l’audiovisuel public passe par deux orchestres, par une maîtrise et par un chœur (…) Il doit y avoir des économies, des transformations »

L’occasion me semble venue de livrer ma part de vérité à ce sujet.

Nommé par Mathieu Gallet à la direction de la musique de Radio France en mai 2014, j’en suis parti un an plus tard en mai 2015, après la longue grève qui avait affecté la Maison ronde. Nul n’a jamais donné d’explication à ce départ, ni l’ancien président de Radio France, ni moi. Quatre ans après, le temps est venu de la dire.

Car c’est bien à propos des formations musicales de Radio France, dont j’avais la responsabilité comme Directeur de la musique, que s’est creusée la divergence entre Mathieu Gallet et moi.

Un mot personnel d’abord

De tous les directeurs de la Musique qui se sont succédé à Radio France, je dois être l’un des seuls à avoir eu l’expérience de la direction, de la gestion de plusieurs orchestres (de 1986 à 1993, à la Radio Suisse romande, je participais à la gestion artistique et budgétaire d’une partie des activités de l’Orchestre de la Suisse Romande, et de 1999 à 2014 j’ai été le directeur général de l’Orchestre philharmonique royal de Liège). Ce qui, je peux le dire, m’a donné un avantage décisif dans la relation avec les syndicats et les « représentations permanentes » des formations musicales de Radio France.

Nous parlions le même langage, je connaissais de l’intérieur l’univers des musiciens, les règles et les usages, souvent hermétiques pour les non initiés. Cette connaissance intime des rouages avait un revers : on ne pouvait pas « me la faire » et faire passer certaines habitudes pas très orthodoxes pour des règles établies !

C’est cette connaissance intime, ajoutée au respect réciproque qui a toujours présidé à mes relations avec les musiciens et leurs représentants, qui m’ont, je crois, permis de faire avancer durablement, en dépit de la brièveté de mon mandat, la cause des quatre formations musicales de Radio France.

Fusion, confusion

Pendant la « campagne » qui a précédé l’élection par le CSA du PDG de Radio France, début 2014, on a vu refleurir dans la presse un « marronnier » qui a la vie dure : Faut-il deux orchestres à Radio France ? Lire Les orchestres de Radio France en crise

Débat encore ravivé par le dernier rapport de la Cour des Comptes : « En 2018, comme en 2014, les formations musicales de Radio France sont au nombre de 4. La décision du fusionner les orchestres n’a pas été prise, en dépit des recommandations de la Cour »:« Il n’est ni dans la vocation ni dans les moyens de Radio France de conserver en son sein deux orchestres symphoniques »

Si le général de Gaulle affirmait en 1966, à propos de la Bourse : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille », on renverrait bien la formule aux magistrats de la rue Cambon : « La politique culturelle de la France ne se fait pas à la Cour des Comptes« .

Lorsque Mathieu Gallet m’a sollicité pour la direction de la musique de Radio France, nous avons eu plusieurs longs échanges, destinés à fixer le cap de la politique musicale qui serait la sienne et que j’aurais, selon les statuts mêmes de Radio France, à mettre en oeuvre (car, contrairement à ce que l’on croit, et à une pratique dévoyée pendant trop d’années, ce ne sont pas les chefs, les directeurs musicaux des orchestres qui définissent la ligne artistique de Radio France et de leurs formations).

Dans une note très argumentée que je lui avais remise et qu’il avait acceptée comme base de notre collaboration, je disais deux choses très simples :

  • Le mot même de « fusion » n’a aucun sens, s’agissant de formations musicales. Dans certains cas, en Allemagne notamment, il y a eu des regroupements, des réorganisations (par exemple à Berlin, à la suite de la chute du Mur, ou dans certains Länder, comme le Bade-Wurtemberg), dans malheureusement beaucoup d’autres cas, notamment aux Etats-Unis, des suppressions pures et simples. La fusion est une notion économique, technocratique, en rien transposable à la situation des orchestres.
  • A la question : « Faut-il deux orchestres à Radio France ? » j’avais répondu très clairement : Si c’est pour jouer les mêmes répertoires, se faire une concurrence ridicule, refuser les missions normalement dévolues à des orchestres de radio, NON ! Si c’est pour revenir aux objectifs qui ont présidé à la fondation des deux orchestres, redéfinir deux projets artistiques originaux et complémentaires, dans le respect des missions de service public de Radio France, OUI !

Autrement dit, si on ne corrigeait pas une trajectoire qui, depuis trente ans, avait laissé se développer une rivalité féroce entre les deux orchestres de Radio France et leurs chefs respectifs, on offrait aux partisans de la « fusion » ou de l’élimination d’un des deux orchestres, tout comme aux comptables de Bercy ou de la Cour des Comptes, et à une grande partie de la classe politique, toutes les raisons de persévérer dans leurs idées funestes.

La vocation de chaque orchestre

C’est très exactement le discours que je tins, dès ma prise de fonction début juin 2014, à tous mes interlocuteurs, musiciens, équipes administratives, et un peu plus tard à Daniele Gatti, patron de l’Orchestre National, et Mikko Franck, directeur musical désigné de l’Orchestre philharmonique (Myung Whun Chung, le chef « sortant » de cet orchestre considérant, lui, qu’il n’avait de comptes à rendre à personne, et surtout pas à moi !).

Si nous n’étions pas capables, en interne, de nous réformer, de justifier artistiquement l’existence des deux orchestres, d’autres, à l’extérieur, ne manqueraient pas de s’en charger, et sans états d’âme.

À l’Orchestre National de France la défense et illustration de la musique française, du grand répertoire, servi de préférence par des chefs français – dont la presse rappelle régulièrement qu’ils sont quasiment tous en poste à l’étranger ! -, et une présence beaucoup plus forte dans les salles de concert de l’Hexagone. Les premiers résultats de cette orientation se concrétiseraient dès la saison 2015/2016 et de manière spectaculaire en 2016/2017 (lire Les Français enfin). Du jamais vu depuis plus de quarante ans : 8 chefs français invités, Emmanuel Krivine, Louis Langrée, Stéphane Denève, Alain Altinoglu, Jean-Claude Casadesus, Fabien Gabel, Jérémie Rhorer, Alexandre Bloch !

J’ajoute que, pour la deuxième édition du Concert de Paris – le 14 juillet sous la Tour Eiffel – il était indispensable de conforter la place de l’Orchestre National (du Choeur et de la Maîtrise), d’autres formations, comme l’Orchestre de Paris, pouvant légitimement prétendre à cet honneur. La discussion que j’eus, quelques heures avant le concert, sur la pelouse du Champ de Mars avec la Maire de Paris, dut assez la convaincre pour qu’elle conserve, au fil des ans, sa fidélité aux forces musicales de Radio France

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(Photo historique ! Sur les cinq personnes visibles ici, quatre ne sont plus en fonctions : de gauche à droite, Anne Hidalgo, Maire de Paris, Bruno Juilliard, ex-premier adjoint, François Hollande, JPR et Manuel Valls, le 14 juillet 2014)

À l’Orchestre philharmonique de Radio France, les missions dans lesquelles il excelle et qu’il peut assumer grâce à sa « géométrie variable » : la musique du XXème siècle, la création, les productions lyriques, la comédie musicale, les projets radiophoniques, pédagogiques, qui n’excluent pas le grand répertoire. Mikko Franck le Finlandais, né, grandi dans un pays tout entier voué à promouvoir sa musique, sa création, ses talents, comprit très vite la nécessité de « franciser » la programmation de l’orchestre dont il allait devenir le chef.

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La réforme, malgré tout

« Le National pourrait se recentrer sur la musique française, y compris les répertoires et compositeurs méconnus, tandis que le Philharmonique aurait un répertoire plus large, plus audacieux à certains égards « , suggère Jean-Paul Quennesson (Sud), lui-même corniste au National (France Musique1er avril 2015)

Au-delà de la réaffirmation de ces principes, et de leur (ré)activation, qui finalement recueillirent un assentiment quasi-général, une fois certains « réglages » opérés (cf. la déclaration ci-dessus) le véritable enjeu était notre capacité à réformer vraiment et durablement un système, une organisation devenus hors de contrôle. Parce que, en position de force face à des PDG ou des directeurs de la musique qui voulaient la paix, les syndicats, les représentants des musiciens, géraient de fait la planification, l’organisation des « services », les recrutements, et finalement l’administration des orchestres.

C’est peu dire que la réforme du système, pourtant clairement annoncée par le nouveau PDG de Radio France (choisi à l’unanimité par le CSA), ne fut pas une partie de plaisir, comme le rappelait Christian Merlin dans Le Figaro du 2 octobre 2014. Je fus taxé d’une excessive rapidité dans la mise en oeuvre de la réforme…

Et pourtant, malgré les vagues, les préavis de grève, les postures, le patient mais nécessaire travail de fond s’engagea, sous une double contrainte : une perspective budgétaire très « contrainte » pour Radio France, et la renégociation de la convention collective, notamment pour l’annexe qui concerne les musiciens. Avant que la longue grève du printemps 2015 ne vienne interrompre les processus en cours, je dois reconnaître – pour leur rendre hommage – que tous les syndicats présents autour de la table de négociations, y compris la CGT, finirent par accepter de discuter de toutes les dispositions que nous avions incluses dans le projet de nouvelle convention collective, comme celle qui consiste pour une formation à « prêter » certains de ses musiciens à l’autre, lorsque l’effectif requis exige le recours à des musiciens « supplémentaires ». Ce « nouvel accord collectif » sera finalement signé deux ans plus tard, en mars 2017 *!

La divergence

Pendant toute cette période, une grande part de mon temps et de mon énergie fut requise, comme membre du Comité exécutif de Radio France (j’avais insisté auprès de Mathieu Gallet pour que le directeur de la musique fasse partie de cette instance nouvelle de gouvernance), par d’innombrables réunions internes et externes visant à la « finalisation » du Contrat d’objectifs et de moyens (COM) qui devait fixer les moyens que l’Etat consentirait à Radio France pour les cinq années à venir. Le même Etat imposant un retour à l’équilibre budgétaire en deux ans, alors même que les travaux de réhabilitation de la Maison ronde pesaient lourdement sur les comptes et la trésorerie de la maison !

J’avais préparé plusieurs scénarios de « reconfiguration » – comme on dit pudiquement pour parler de restrictions ! – de la direction de la musique, et donc des quatre formations musicales, des plus pessimistes aux plus réalistes. Je n’avais jamais cessé de penser que, bien négociée, bien préparée, cette « reconfiguration » devait permettre le maintien des deux orchestres, du choeur et de la maîtrise. Il n’y avait aucune raison ni artistique, ni politique, ni budgétaire, ni philosophique même, d’envisager de se séparer de l’une de ces formations.

Pourtant Mathieu Gallet, influencé ou « conseillé » par quelques visiteurs du soir (qui ne devaient pas lui vouloir que du bien !) se mit en tête, dès la fin décembre 2014, d’éloigner l’Orchestre National, de le « céder » à la Caisse des Dépôts et Consignations propriétaire du Théâtre des Champs-Elysées, qui avait été le lieu de résidence du National, jusqu’à l’ouverture de l’Auditorium de la Maison de la radio le 14 novembre 2014. CQFD. Des contacts furent pris en secret par le jeune PDG, que nous ne cessions de mettre en garde contre les risques d’une opération aussi hasardeuse et « explosive » dans un contexte déjà très tendu. Une fuite (organisée ?) dans les pages éco du Figaro en février 2015 mit le feu aux poudres, contribuant à déclencher l’un des plus longs mouvements de grève à Radio France.

« La direction avait estimé la semaine dernière que « Radio France n’a pas les moyens de financer deux orchestres symphoniques, un choeur et une maîtrise pour un coût de 60 millions d’euros, ne générant que 2 millions de recettes de billetterie « . Le PDG Mathieu Gallet avait évoqué la piste de se séparer de l’Orchestre national de France et de le transférer au Théâtre des Champs Elysées, proposition rejetée par la Caisse des dépôts, propriétaire majoritaire de la salle parisienne. » (France Musique, 1er avril 2015)

Le conflit avec l’actionnaire prit une tournure publique, lorsque la ministre de la Culture de l’époque, Fleur Pellerin, exigea sur un mode comminatoire que Mathieu Gallet lui envoie son projet stratégique, que celui-ci réitéra, contre toute vraisemblance, son projet « d’externaliser » l’Orchestre National, et que la Ministre lui répondit sèchement, s’inspirant des positions défendues tant par les directions compétentes du ministère que de Radio France et connues de tous, que le futur de Radio France s’inscrirait avec deux orchestres et un choeur reconfigurés, confirmés dans leurs objectifs et leur vocation (Crise à Radio France : Mathieu Gallet le dos au mur)

Je ne pouvais pas soutenir M. Gallet dans son entêtement, il ne pouvait pas accepter que son directeur de la Musique soit sur une position qui lui semblait être celle de son « adversaire » du moment, le Ministère de la Culture. Le divorce était consommé, je devais partir… (Jean-Pierre Rousseau quitte la direction de la musique,21 mai 2015).

Divergence, divorce mais pas rupture puisque je conservais la direction du Festival Radio France et la confiance de son co-président… Mathieu Gallet – qui, jusqu’à son départ forcé de la présidence de Radio France en janvier 2018, n’a jamais ménagé son soutien au Festival !

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(En juillet 2015, de gauche à droite, René Koering, fondateur et directeur du Festival jusqu’en 2011, J.P.R., Jean-Noël Jeanneney, PDG de Radio France en 1985, René Alary, président de la Région Languedoc-Roussillon, Mathieu Gallet, Philippe Saurel, maire de Montpellier)

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(le 28 juillet 2017, à Marciac, avec Katia et Marielle Labèque)

Ironie de l’histoire, mon successeur, nommé au printemps 2016, sera Michel Orier, qui un an plus tôt était le tout puissant et actif Directeur général de la Création artistique du Ministère de la Culture ! Depuis lors, Michel Orier – qui a mis tout son poids dans la réalisation de l’idée de concert Mahler voulue par le nouveau directeur des Chorégies d’Orange, Jean-Louis Grinda, ami et complice d’aventures liégeoises – a non seulement mené à bien les réformes engagées dès 2014, mais il a conforté le rôle irremplaçable des quatre formations musicales de Radio France dans le paysage musical français et international. Et démontré que la Maison de la radio pouvait battre des records de fréquentation de son Studio 104 et de son Auditorium !

* Extraits du « Nouvel accord d’entreprise » de Radio France

Le Nouvel accord d’entreprise vise à mettre en adéquation les conditions de travail des Musicien-nes avec les nouveaux modes de création, de diffusion et d’exploitation de la musique pour faire de Radio France un acteur majeur du secteur de la musique.

Ainsi le Nouvel accord d’entreprise permettra de :

Développer le paritarisme artistique en associant davantage les Musicien-nes à l’élaboration des programmes par la redéfinition du rôle des représentations permanentes artistiques des orchestres et du choeur ;
Gagner en flexibilité dans la gestion des plannings en prévoyant plus en amont la programmation des saisons tout en permettant la tenue de projets exceptionnels afin d’améliorer le service aux antennes ;
Garantir la qualité artistique des formations musicales en optimisant la programmation des Musicien-nes de Radio France au sein des productions des orchestres et du choeur, notamment en cas de défaillance pour maladie ;
Développer la collaboration entre les formations musicales, notamment entre les orchestres en permettant aux Musicien-nes de porter des projets artistiques communs ou de travailler, avec leur accord, dans l’une ou l’autre des formations de Radio France pour répondre à des besoins de nomenclature ;
Renouveler les formats de concerts notamment en permettant la divisibilité de l’ensemble des formations musicales ;
Renouveler les publics en développant les tournées et les offres de concerts les samedis et dimanches pour les familles, l’enfance et la jeunesse ;
Simplifier le système des décomptes et des pauses afin de pouvoir mettre en oeuvre des programmes courts, de créer et d’enregistrer des musiques de film, des projets numériques etc.
Mettre à niveau et simplifier le système de rémunération des Musicien-nes.

(Source : Radio France Espace presse 31 mars 2017)

Retour et départ

C’est un retour, et c’est un nouveau départ.

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Retour dans une maison quittée il y a quinze ans, mais dans une fonction nouvelle. Et à dire vrai un sentiment étrange. D’abord les formalités. A l’entrée B de la Maison Ronde, les huissiers filtrent les auditeurs qui attendent d’accéder aux studios d’émissions, je serais passé inaperçu sans doute si je ne m’étais pas spontanément présenté à l’un d’eux. Mon nom n’est sur aucun registre, inconnu au bataillon, normal c’est mon premier jour.. On me laisse néanmoins accéder à l’étage de la Direction de la Musique, on m’explique qu’il faut me faire des badges, m’enregistrer dans le système. Retour au rez-de-chaussée dans les locaux de la Sécurité (qui n’ont pas changé depuis 15 ans !), certains agents semblent me reconnaître, mais on m’explique qu’il faut remplir un formulaire, l’envoyer à tel service, récupérer une photo, etc.. Autre question piège, l’usage du parking de la Maison ronde, c’est un autre service. Je passe le reste, la connexion au réseau, le téléphone, bref les outils de base…l’impression d’un retour en arrière !

Dans l’ascenseur, dans les couloirs, visages connus, qui m’abordent avec beaucoup de sympathie, d’autres moins connus que je soupçonne de s’être opportunément placés sur mon parcours, en demande d’un rendez-vous… le plus tôt possible évidemment.

Garder la tête froide, rester concentré sur les objectifs qu’on s’est fixés, dès ce premier jour avec les cadres de la Direction de la Musique écouter, rencontrer, tracer les perspectives. Répondre aux urgences bien sûr, mais pas dans la précipitation.

L’agenda se remplit à très grande vitesse, mais je ne veux pas en être prisonnier. Garder intactes ses réserves d’énergie et d’enthousiasme.

Même programme intense toute cette semaine, mais d’abord la musique, ce soir déjà au Festival de Saint-Denis, un concert très original de la Maîtrise de Radio-France et de sa cheffe Sofi Jeannin.

Et puis garder un oeil attentif – et affectueux – sur Liège, qui vient de lancer l’appel à candidature pour pourvoir à mon remplacement (avis aux amateurs !).