Les perles du 1er janvier

Je verrai et j’entendrai – peut-être – le concert du Nouvel an avec un différé de quelques jours.

En attendant, sorties de ma discothèque, quelques perles parfois rares.

Les frères Krips

Les mélomanes connaissent bien Josef Krips (lire Krips le Viennois), né à Vienne en 1902 et mort à Genève en 1974. En revanche, son petit frère, né Heinrich Josef dix ans plus tard, en 1912 toujours à Vienne, En 1938 Heinrich émigre en Australie, anglicise son prénom – Henry – et développe son activité de chef d’orchestre dans l’hémisphère sud

Les deux frères laissent des interprétations d’anthologie des valses de Strauss, l’aîné Josef mélange de rigueur et de douceur, le cadet Henry osant parfois sortit du cadre avec un talent fou.

Comparer leurs deux versions de la Kaiser-Walzer, mal traduite en Valse de l’Empereur

La libellule de Carlos K.

Une fois qu’on aura répété que nul n’a jamais égalé Carlos Kleiber à la tête des concerts de Nouvel an en 1989 et 1992, se laisser à nouveau éblouir par cette pure merveille : la polka Mazur de Johann Strauss, Die Libelle (La libellule).

L’or et l’argent de Sir John

Jusqu’à ce que je découvre cette version dans le gros coffret Warner consacré au chef britannique le plus emblématique du XXème siècle, je pensais que Rudolf Kempe avait signé la version définitive de la valse L’Or et l’Argent de Lehar. John Barbirolli rejoint le chef saxon sur les sommets.

Le Prêtre viennois

Les Wiener Philharmonie avaient fait le cadeau au vieux chef français Georges Prêtre – qui fut de 1986 à 1991 le chef de l’autre phalange viennoise, les Wiener Symphoniker – de l’inviter à diriger les concerts de l’An en 2008 et 2010. Par-delà quelques cabotinages, Prêtre se fait plus Viennois que nature.

Même si on peut le trouver trop pressé dans cette Napoleon Marsch (allusion à Napoléon III et non à Bonaparte !)

Sur la lagune

J’ai salué comme il fallait la publication d’un formidable coffret consacré à Willi Boskovsky, l’incontournable maître des 1er janvier viennois mais aussi violon solo des Wiener Philharmoniker. Parmi tous ces trésors, j’ai une tendresse particulière pour une valse, la Lagunen-Walzer, qui reprend des thèmes de l’opérette Une nuit à Venise. Parce que ce fut l’un de mes premiers coffrets en 33 tours, et qu’immédiatement j’ai entendu l’élégance, la sensualité, des mélodies de Strauss et de la baguette de Boskovsky.

Une première pour Dudamel

Il m’est arrivé d’être prisonnier de quelques clichés, comme celui qui consiste à enfermer un artiste dans un répertoire ou à penser que tel chef n’est pas fait pour telle musique. Lorsque j’ai appris que Gustavo Dudamel allait diriger le concert du Nouvel an 2017, j’ai douté… et j’ai eu tort. Le chef vénézuélien a administré la preuve que la musique des Strauss n’était pas enfermée dans les traditions de la capitale autrichienne.

Rappelons que Sony qui avait déjà sorti une édition prétendument complète des concerts de Nouvel an, a publié l’an dernier une « extended edition » qui comprend des extraits des tout derniers concerts (Dudamel, Thielemann, Muti)

Légèreté

Il y a des expressions consacrées, dont les inventeurs n’ont pas mesuré l’ineptie : ainsi « spectacle vivant » (il y aurait donc des spectacles « morts » ?), ou « musique légère » (il y aurait donc de la musique « lourde » ?). Evidemment, on a fini par comprendre ce qu’elles recouvrent, il n’empêche, elles sont source de confusion.

Qui dit musique légère, pense musique facile, futile, un peu désuète, l’opérette de nos grands-parents, les viennoiseries qu’on nous sert chaque 1er Janvier.

Demandez plutôt aux interprètes, aux musiciens, aux chanteurs ce qu’ils en pensent, ils vous répondront tous que c’est souvent la plus difficile, la plus exigeante des musiques.

Pour reprendre les fameux concerts télévisés de Nouvel an, on pourrait s’amuser à dresser le palmarès des plus mauvaises prestations : de grands chefs qui n’ont pas trouvé la clé, le style, la manière des insubmersibles valses, polkas et autres marches de la dynastie Strauss & Co. (Ozawa, Jansons, Welser-Moest, Barenboim par exemple). Pourquoi revient-on toujours à Carlos Kleiber – deux concerts seulement, mais quels concerts ! en 1989 et en 1992 – ? Parce que, plus que tout autre, d’abord il aimait cette musique, et exigeait de multiples répétitions avec un orchestre pourtant aguerri. Il n’est que d’écouter (et voir) l’ouverture du Baron Tzigane (et ses tournures all’ungarese) ou la délicate polka lente Die Libelle (La libellule), pour mesurer tout le travail du chef qui donne à ces oeuvres non pas plus de poids ou de sérieux, mais au contraire leur véritable légèreté, et leur inépuisable parfum de nostalgie…

https://www.youtube.com/watch?v=AIv2Ltf2cD4

https://www.youtube.com/watch?v=dunn_2wAs0o

On commémorera en décembre prochain le centenaire de la naissance d’Elisabeth Schwarzkopf – je raconterai alors dans quelles circonstances nous avions organisé à France Musique une journée spéciale pour son 80ème anniversaire – Son éditeur historique EMI, même maquillé en Warner, prévoit un coffret-hommage :

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Pourquoi évoquer cette personnalité contestée, contestable, à propos de musique légère ? D’abord parce qu’elle-même, interrogée par Jean-Michel Damian lors de cette journée spéciale de décembre 1995, avait répondu que son enregistrement préféré, avant les Mozart, Richard Strauss où elle avait triomphé sur scène et au disque, était Wiener Blut (Sang viennois), et singulièrement le duo qu’elle forme avec Nicolai Gedda. On se rappelle une dame qui ne cherchait pas à cacher son âge, émue aux larmes de se réentendre dans cet enregistrement de 1953. En effet, il y a une manière de perfection dans ce que font les deux chanteurs et surtout le merveilleux chef suisse Otto Ackermann. Ensuite, parce que, dans les opérettes qu’elle a enregistrées (La Chauve-souris, Sang viennois, Le Baron tzigane, Une nuit à Venise de Johann Strauss et les Lehar – La Veuve joyeuse, le Pays du sourire), elle est tout simplement idéale, parce qu’elle met à chanter ces rôles le même soin, la même sophistication – qu’on lui a souvent reprochée, mais en quoi est-ce un défaut ? – que dans Mozart ou Richard Strauss. Et puis il y a un petit bijou, un disque d’extraits d’opérettes moins connues (Millöcker, Zeller, Suppé, Heuberger..) qui me quitte rarement. Comme un baume, une bouffée d’ailleurs, un bienfait.

https://www.youtube.com/watch?v=XQysNWRjdeE