Le piano oublié

C’est la triste loi des carrières fulgurantes et des jeunesses trop vite enfuies. On les adule, on les encense et on les oublie. Tout surpris de découvrir que ces artistes sont toujours vivants et en activité, même si les studios se sont depuis longtemps détournés d’eux.

Les années Béroff

J’ai d’abord été surpris de voir annoncé ce coffret, encore plus pour célébrer les 75 ans de Michel Béroff. Je l’ai commandé, reçu, et décortiqué avec un plaisir teinté de nostalgie.

Il y a donc si longtemps que j’ai passé mon diplôme de piano de mon petit Conservatoire (aujourd’hui « de région ») à Poitiers… 1973 je crois ? Le jury était présidé par… Michel Béroff (23 ans à l’époque !), avec comme acolytes Jean-Bernard Pommier et André Gorog. Au programme, il y avait, entre autres, la fantaisie en do mineur K. 475 de Mozart. J’attendais, comme les autres, le résultat des délibérations de ce prestigieux jury, lorsque le directeur du Conservatoire vint me chercher, parce que le jury voulait me voir…. Qu’avais-je donc fait ? Les trois pianistes me demandèrent de me remettre au piano, et de leur rejouer le début de la fantaisie de Mozart, parce que, me disaient-ils, ils voulaient savoir comment je faisais le début en liant les notes sans mettre de pédale. Or j’avais joué cela intuitivement, sans me poser de questions…Etrange inversion des rôles.

Je n’ai plus jamais revu Michel Béroff, même pas en concert, et ces dernières années quelquefois dans la foule d’un concert.

Mais Michel Béroff est depuis longtemps présent dans ma discothèque, pour ses concertos de Prokofiev et de Liszt avec Kurt Masur

Ce coffret (ici le détail des 42 CD) est une aubaine pour redécouvrir un talent singulier (il faut lire le portrait touchant que Jean-Charles Hoffelé dresse du pianiste français (Les années heureuses). Même si les prises de son réalisées à la salle Wagram dans les années 70 par EMI France sont loin d’être idéales.

Je ne connaissais pas plusieurs des enregistrements présents dans ce coffret, notamment un formidable disque Moussorgski qui outre Les Tableaux d’une exposition comporte nombre de pièces pour piano qui méritent d’être connues et écoutées

Le grand De Groote

J’ai profité d’une offre spéciale sur le site anglais Prestomusic.com pour acquérir un coffret de 10 CD :

Un pianiste belge, 85 ans, dont je dois avouer que je connaissais juste le nom, mais que je n’ai jamais entendu en concert ni a fortiori invité lorsque j’étais en poste à Liège. J’invite à lire le remarquable portrait qu’en faisait Jean Lacroix, dans le magazine Crescendo, à l’occasion de ses 80 ans et de la parution de deux coffrets dont celui que j’ai acheté.

Il n’est jamais trop tard pour découvrir un grand musicien. Surtout dans des répertoires où il a peu de concurrence, comme dans l’oeuvre de ses compatriotes Frédéric Van Rossum, disparu le 24 février dernier, ou Frédéric Devreese (1929-2020)

Il y a plus d’un trésor dans ce coffret. A découvrir absolument !

Et toujours le petit frère de ce blog : brevesdeblog

Des ténèbres aux lumières du Nord

Jeudi soir le cadre toujours impressionnant de la Fondation Singer Polignacavenue Georges Mandel à Paris, juste en face de l’appartement où Maria Callas a vécu et fini ses jours.

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Public choisi, dont la moyenne d’âge doit se situer entre 80 et 90 ans. Réuni pour un concert qui paraissait prévu pour la triste circonstance du décès récent du président de la Fondation, l’ophtalmologue et académicien Yves Pouliquen.

Vincent Dumestre proposait une sorte de mix d’un genre très en vogue en France au XVIIème siècle : les Leçons de ténèbres

À l’époque baroque, pendant le Carême, théâtres et salles de concerts étaient fermés en signe de pénitence. Les compositeurs s’exprimaient alors exclusivement dans la musique liturgique, livrant des œuvres d’une grande sobriété en même tant que d’une extraordinaire puissance expressive. Les Leçons de ténèbres sont des partitions composées pour les offices des trois derniers jours de la semaine sainte, qui conclut le Carême avant la fête de Pâques. Les textes utilisés, tirés des Lamentations de Jérémie, se rapportent à la solitude de Jésus avant sa crucifixion. Les musiques bouleversantes composées par Couperin sur ce thème étaient jouées selon le rituel de l’office, qui se tenait à la nuit tombée. Au terme de chaque pièce, un des cierges qui éclairaient l’église était éteint, symbolisant l’abandon progressif du Christ par ses disciples. C’est une fois l’église plongée dans l’obscurité totale que retentissait le terrible Miserereimplorant le pardon divin.

Spécialiste de ce répertoire singulier, Le Poème Harmonique, qui a déjà reconstitué ce cérémonial spectaculaire pour des musiques de Charpentier, Lalande et Cavalieri, s’y replonge avec celles de Couperin, dans un concert à l’atmosphère unique.

GUILLAUME-GABRIEL NIVERS (1632-1714)

  • Antienne Zelus domus tuae (plain-chant)
  • Psaume Salvum me fac Deus (plain-chant)
  • Versicule Dum convenirent

FRANÇOIS COUPERIN (1668-1733)

  • Leçons de ténèbres pour le Mercredy Saint
    • Première leçon à une voix
  • Messe solennelle
    • Gloria « Tierce en taille »
  • Leçons de ténèbres pour le Mercredy Saint
    • Deuxième leçon à une voix
  • Messe solennelle
    • Sanctus « Cromorne en taille »
  • Leçons de ténèbres pour le Mercredy Saint
    • Troisième leçon à deux voix

GUILLAUME-GABRIEL NIVERS

  • Antienne Justificieris Domine

LOUIS-NICOLAS CLÉRAMBAULT (1676-1749)

  • Miserere à trois voix

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Magnifique prélude à une série de sept concerts qui seront donnés en juillet prochain dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellier.

Changement de lieu, mais cadre tout aussi somptueux, le lendemain : la Salle Philharmonique de Liège.

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Je lui avais promis l’été dernier, quand il avait joué à Montpellier le concerto pour. clarinette de Magnus Lindberg devant le compositeur, avec l’orchestre philharmonique de Tampere et son chef Santtu-Matias Rouvali.

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Je voulais réentendre Jean-Luc Votano là où je lui avais demandé de créer ce concerto en Belgique, en 2008, avec un. chef – Christian Arming – qui n’était pas encore le directeur musical de l’Orchestre philharmonique royal de Liège

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D’autant que, depuis Montpellier, l’enregistrement du concerto était sorti, chez Fuga Libera, récoltant toutes les récompenses – Diapason d’or de l’année, Classica, Crescendo, prix Caecilia de la presse musicale belge, etc.

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Je ne peux que confirmer ce qu’écrivait Christian Merlin dans Le Figaro :

« Ce ne sont pas seulement les interprètes contemporains qui sont à l’honneur en cette rentrée discographique, c’est aussi la musique de notre temps. À commencer par un prolongement de nos émotions festivalières, puisque l’un de nos grands souvenirs de l’été a été l’exécution éblouissante du Concerto pour clarinette de Magnus Lindberg par Jean-Luc Votano à Montpellier. Le musicien belge en sort maintenant un enregistrement (Fuga Libera) qui permet de mesurer toute la palette expressive de cette oeuvre qui exige énormément du soliste en termes de virtuosité, de théâtralité, d’endurance (une demi-heure de musique !). Dans un couplage original avec le trop rare Karl Amadeus Hartmann, Jean-Luc Votano se confirme comme un clarinettiste inspiré, avec lequel il faut compter dans le paysage international de son instrument. L’occasion est aussi de rappeler l’excellence de la formation à laquelle il appartient, l’Orchestre philharmonique royal de Liège, dirigé ici une dernière fois par celui qui en fut le remarquable directeur musical ces dernières années, Christian Arming. Un disque où les planètes sont alignées » (Christian Merlin, Le Figaro, 17 septembre 2019)

Avec chez Jean-Luc vendredi un sentiment de liberté, d’aisance souveraine dans une partition si difficile. Douze ans après la première belge avec le même équipage, le public de la Salle Philharmonique a fait à ce dernier le triomphe qu’il méritait.

Je reviendrai demain sur la seconde partie du programme, les Danses symphoniques de Rachmaninov.