Des morts vivants

Michel Magne, Claudio Abbado, Ewa Podles à mon sommaire du jour…

Du côté de chez moi

J’ai brièvement évoqué par allusion (Bonnes tables) un lieu mythique, situé à moins de dix kilomètres de mon refuge valdoisien. Il s’agit du château d’Hérouville-en-Vexin.

(Hérouville sous la neige et le clocher de son église, sur le même modèle que celui d’Auvers-sur-Oise/ 20 janvier 2024)

Plusieurs raisons d’évoquer ce lieu devenu mythique :

  • la réédition en format poche d’un livre passionnant de Laurent Jaoui : Hérouville, le château hanté du rock

Laurent Jaoui retrace l’histoire emblématique du château d’Hérouville, un studio d’enregistrement où se sont notamment croisés David Bowie, Iggy Pop, Marvin Gaye, Jacques Higelin, les Bee Gees, Chet Baker, Pink Floyd, Fleetwood Mac ou Elton John.

En 1960, le compositeur Michel Magne (1930-1984) achète le château pour y installer son studio d’enregistrement. Très vite, le château devient un lieu de fêtes et d’excès en tout genre. 
En 1974, endetté il confie la gérance à Laurent Thibault :  » Les dettes, tu les effaces en signant les artistes. Après avoir réaménagé et modernisé les lieux, il fait revenir les plus grands artistes internationaux. L’aventure se poursuivra jusqu’au suicide de Michel Magne le 19 décembre 1984.

Depuis 2015 le studio mythique, complètement rénové, a rouvert dans le cadre de ce même château d’Hérouville

  • le formidable documentaire de Christophe Conte « Le Château d’Hérouville, une folie rock«  diffusé hier soir sur France 5, et disponible en replay, avec des images fabuleuses des stars qui y ont enregistré (trois albums pour Elton John !), plusieurs témoignages des derniers hôtes du château (comme Bernard Lavilliers) et surtout de la veuve de Michel Magne, Marie-Claude.

Dan Jacobson, Légende Pop au château d’Hérouville (2010), coll. personnelle de l’artiste

Sur la personnalité de Michel Magne, cette séquence de Pierre Lescure dans « C à vous » est éloquente :

comme tout comme ce bref document du Monsieur Cinéma de France Musique, Thierry Jousse :

Dix ans déjà

J’ai consacré nombre de billets sur ce blog au chef italien Claudio Abbado disparu le 20 janvier 2014 (L’héritage Abbado).

J’en profite pour signaler à ceux qui avaient hésité à acquérir le gros coffret DGG lorsqu’il est sorti il y a un an, à cause de son prix – près de 700 € à l’époque !- qu’il est aujourd’hui disponible sur Amazon.fr à 514 € (pour 257 CD et 8 DVD !)

Je veux aujourd’hui me souvenir du Claudio Abbado qui, jusqu’au bout, revint à la source : Mozart, et puis Bach, dans cette région d’Emilie-Romagne où il avait fondé et dirigé, dès sa création en 2004, l’orchestre Mozart.

Le chant des profondeurs

Elle avait quelques amies inconditionnelles à Genève, et c’est là que je l’ai entendue pour la première fois, et à plusieurs reprises: Ewa Podles est morte hier, à l’âge de 71 ans, sans peut-être avoir fait la carrière qu’elle aurait rêvée. Mais c’était une voix, comme il s’en fait peu dans un siècle, d’authentique contralto, qui faisait vibrer en chacun de nous des profondeurs insoupçonnées.

Dans la fabuleuse version d’Ariodante de Haendel gravée par Marc Minkowski, elle est un Polinesso d’anthologie :

Il faut écouter, saisir tous les témoignages de l’art de cette magnifique chanteuse. Comme cet extrait d’une émission dominicale de Jacques Martin – c’était sur Antenne 2 ! – où l’on ne craignait pas d’accueillir les plus grands et de proposer de la musique classique !

Tables d’harmonie : Goebel, Zimmermann

Le CD est mort ? Vive le CD. En gros coffrets de préférence.

On est gâté en cette rentrée. Deux belles boîtes pour deux violonistes d’exception.

Le violon de la main gauche

Reinhard Goebel, rappelez-vous, le violoniste allemand, septuagénaire depuis juillet, est celui qui, à la fin des années 70, a surgi, avec son ensemble Musica antiqua Köln, comme un révolutionnaire dans un univers de la musique baroque déjà défriché par Leonhardt ou Harnoncourt. Ils cassent la baraque avec les concertos brandebourgeois, puis les Suites pour orchestre, de Bach, qui paraissent chez Archiv Produktion. La critique manque de s’étrangler…

Vous avez dit contraste ?

Depuis lors, Reinhard Goebel a construit une somme discographique principalement dédiée à la musique allemande. En 1990 lorsque sa main gauche se paralyse, il change de côté et maniera désormais l’archet du bras gauche, jusqu’à ce que, de nouveau, se manifeste la dystonie de la main gauche et le contraigne à abandonner son instrument en 2006 ainsi que la direction de l’ensemble qu’il avait fondé en 1973.

Cette somme est aujourd’hui rassemblée dans un magnifique coffret, où l’on retrouve des références jamais dépassées, notamment dans Bach et Telemann. Mais Biber (fabuleuses Sonates du rosaire), Hasse, Leclair, Heinichen, tout est admirable !

Frank Peter le Grand

Il est allemand lui aussi, n’a pas encore 60 ans, mais Warner lui offre un coffret absolument justifié. Frank Peter Zimmermann est né en février 1965 à Duisbourg. J’ai eu la chance de l’entendre et de l’inviter plusieurs fois à Liège et avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège : la veille de mon passage devant le grand jury qui allait me choisir comme directeur général de l’orchestre, le 24 septembre 1999, il jouait le concerto de Beethoven sous la direction du très regretté Patrick Davin (Liège à l’unanimité). Quelque temps après, il serait le soliste d’une partie de tournée de l’OPRL en Europe centrale sous la baguette de Louis Langrée (superbe 3ème concerto de Mozart).

Quand nous décidons avec Louis Langrée de consacrer toute une semaine de festival à Mozart, en janvier 2006, pour les 250 ans de la mort du Salzbourgeois, le nom de Frank Peter Zimmermann s’impose naturellement pour la symphonie concertante pour violon et alto. FPZ nous donne le nom d’un altiste dont il a entendu beaucoup de bien mais avec qui il n’a encore jamais joué : Antoine Tamestit.

La rencontre fait des étincelles, Louis Langrée se fera de l’un et l’autre des complices artistiques à vie. Et FPZ formera dès 2007 avec Antoine Tamestit et Christian Poltera un trio à cordes qui nous laissera de pures merveilles :

Warner a donc réuni tout ce que ce magnifique musicien avait enregistré pour EMI.

Puisse cette somme donner envie au public et aux mélomanes français de mieux connaître un musicien trop peu célébré dans l’Hexagone. Je voudrais signaler en particulier le duo formidable que formait FPZ avec le pianiste Alexander Lonquich, lui aussi trop peu connu chez nous.