Fin de saison plutôt agréable et légère. Où l’on s’aperçoit, une fois de plus, que le temps passe vite, trop vite, malgré une interruption involontaire (Une expérience singulière), et qu’on se retrouve fin juin comme si de rien n’était…
C’est toujours un bonheur de retrouver Julien Chauvin et son Concert de la Loge qui n’a toujours pas le droit de s’appeler olympique. C’était vendredi dernier dans l’église Notre-Dame d’Auvers-sur-Oise (à jamais immortalisée par Van Gogh quelques jours avant sa mort en juillet 1890) dans le cadre du Festival d’Auvers.
Un programme comme toujours savamment concocté qu’on aurait pu éviter de titrer pompeusement en anglais « Opera Gala Vienna Masters » ! Haydn, Gluck, Mozart (avec sa symphonie Jupiter comme fil rouge).(De gauche à droite: assis de dos Julien Chauvin, Patricia Petibon, Gaëlle Arquez, Stanislas de Barbeyrac)
Trois solistes, Patricia Petibon, Gaelle Arquez, Stanislas de Barbeyrac. Des airs, des duos, des trios, des découvertes aussi.
Une pure splendeur à épingler : l’air de Don Ottavio – Il mio tesoro – dans Don Giovanni de Mozart. Stanislas de Barbeyrac impérial à Auvers, comme ici au Metropolitan Opera
Mélodies du bonheur
Avant-hier c’était au Théâtre des Champs-Elysées que s’achevaient en même temps la saison du théâtre et le festival annuel du Palazzetto Bru Zane, avec un programme qui ne pouvait que nous enchanter.
L’Orchestre de chambre de Paris dirigé par Hervé Niquet, Véronique Gens, Hélène Guilmette, Julien Dran, Tassis Christoyannis, le harpiste Emmanuel Ceysson, le violoncelliste Xavier Philips, le pianiste Cédric Tiberghien, pour servir la muse poétique, légère et capricieuse de Chausson, Fauré, Saint-Saëns et surtout Massenet, il y avait peu de risque qu’on soit déçu. Et on ne l’a pas été ! Peu de chefs-d’oeuvre dans cette enfilade d’airs, de duos, de quatuors, quelques jolis solos, mais de la musique sacrément bien troussée et réjouissante. En résumé, que du bonheur !
A l’occasion d’un autre anniversaire, le centenaire de la mort du compositeur néerlandais Alphons Diepenbrock – le 5 avril dernier – Le Hollandais oublié -, j’ai évoqué incidemment Baudelaire qui a inspiré à Diepenbrock plusieurs très belles mélodies, comme cette Invitation au voyage magnifiquement chantée par Aafje Heynis.
L’un de nos plus grands poètes, Charles Baudelaire, est donc né le 9 avril 1821, il y a deux cents ans.
J’emprunte à Jean-Yves Masson, écrivain, éditeur, professeur, une partie du magnifique texte qu’il publie sur sa page Facebook. A défaut d’avoir sa connaissance encyclopédique de Baudelaire, je partage son admiration, son amour de l’auteur des Fleurs du Mal et de tant d’autres chefs-d’oeuvre
« J’ai aimé Baudelaire d’instinct, dès que j’ai commencé à le lire sérieusement, c’est-à-dire je pense au tout début de mes études. Je l’ai aimé comme un frère puisqu’il m’appelait son semblable, son frère, et que j’ai compris que c’était vrai. Rimbaud l’avait déclaré « le premier voyant, roi des poètes, un vrai dieu « /…./ mais qu’il était évidemment Baudelaire est probablement le plus grand poète chrétien (je ne dis pas catholique) de toute la langue française, en tout cas le plus grand depuis les poètes baroques qu’il aimait tant.
Je me suis nourri de Baudelaire, j’ai vécu avec Baudelaire, je l’ai emporté partout en voyage, il est l’intelligence suprême faite poésie, jusque dans sa critique d’art….
. « Baudelaire est une origine », a dit Pierre-Jean Jouve, ce que le romantisme français n’a pas su être (ailleurs en Europe, oui, mais pas en France). Jouve a raison: ce qu’on appelle la poésie a révélé avec un lui un visage nouveau dans notre langue et personne ne peut l’ignorer…
Hugo serait bien surpris s’il revenait et découvrait que l’œuvre de Baudelaire pèse aussi lourd sur la balance de l’Esprit que les dizaines de milliers de vers de la sienne, et sans doute même plus lourd. Je sais ce que vaut quelqu’un au jugement qu’il porte sur Baudelaire et à la manière dont il en parle. S’il n’y avait pas Montaigne et Rimbaud, il est clair que, sur une île déserte, j’emporterais Baudelaire. Il est vrai que comme je le connais presque par cœur, autant que Rimbaud, le dilemme serait vite résolu. » Bon anniversaire, souverain maître ! (Jean-Yves Masson, 9 avril 2021)
L’invitation au voyage
C’est incontestablement L’invitation au voyage dans le recueil des Fleurs du Mal (1857) qui a eu le plus de succès chez les compositeurs : près d’une dizaine se sont essayés, avec des fortunes diverses, à parer ces vers de mélodies.
Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. — Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Léo Ferré
Benjamin Godard
Emmanuel Chabrier
Mais c’est pour moi définitivement Henri Duparc qui donne sa perfection musicale à cette sublime Invitation
J’avoue aimer autant la version orchestrale que la version avec piano, surtout avec des interprètes de la qualité de Françoise Pollet et de José Van Dam !
Impossible d’être exhaustif quant aux multiples « mises en musique » de Baudelaire (on renvoie à une page Wikipedia très bien faite)
Encore quelques exemples, parfois inattendus.
Fauré : Chant d’automne
Chausson : L’Albatros
Harmonie du soir mise en musique par Debussy, donne aussi Harmonie des Abends sous la plume de Zemlinsky
Plus étonnant encore, le premier des trois Lieder que compose un Karlheinz Stockhausen de 22 ans, en 1950, Der Rebell / Le rebelle
Le Vin selon Berg
Alban Berg compose, en 1929, Der Wein, pour soprano et orchestre. Il choisit trois des poèmes des Fleurs du Mal parmi les cinq que contient la section intitulée Le Vin, dans la traduction du poète allemand Stefan George : L’âme du fin/ Die Seele des Weines, Le vin des amants / Der Wein der Liebenden, Le vin du solitaire / Der Wein des Einsames
Tout un monde lointain
L’oeuvre la plus célèbre d’Henri Dutilleux, dédiée à et créée par Mstislav Rostropovitch en 1970, Tout un monde lointain, emprunte son titre à un vers du poème La Chevelure : Tout un monde lointain, absent, presque défunt.
Dutilleux cite Baudelaire en exergue de chacun des cinq mouvements enchaînés de son concerto pour violoncelle :
1 Énigme (Très libre et flexible)…Et dans cette nature étrange et symbolique… , Poème XXVII
2 Regard (Extrêmement calme)…le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… , Le Poison
3 Houles (Large et ample) …Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts… , La Chevelure
4 Miroirs (Lent et extatique) Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux Qui réfléchiront leurs doubles lumières Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux. », La Mort des amants
5 Hymne (Allegro) …Garde tes songes: Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous!, La Voix
Ici dans une version enregistrée en 2013 à Helsinki par le tout jeune Aurélien Pascal, 19 ans à l’époque, Aurélien Pascal qui sera l’un des invités de marque, en duo avec Alexandre Kantorow le 24 juillet prochain à Montpellier (voir lefestival.eu
Ceux qui me connaissent ne seront pas étonnés que je recommande ces deux disques, de la plus francophile et francophone des chanteuses britanniques, la chère Felicity Lott