Une semaine pas très ordinaire

Je me dis régulièrement que je devrais revenir à la raison première de ce blog : un journal. Comme je le faisais naguère, y relatant mes impressions, les grands et surtout les petits événements du jour.

J’avais commencé au début de la semaine un article sobrement intitulé Un dimanche à Paris. Et nous voici vendredi ! Je suis bon pour une récapitulation hebdomadaire…

Une création décevante

Comme j’ai tout raconté sur Bachtrack, je ne vais pas détailler ici ma soirée de vendredi passé à la Philharmonie. L’amitié, voire l’admiration qu’on éprouve pour un interprète ou un créateur, doivent-elles prendre le pas sur le devoir du critique ? J’ai déjà répondu ici : L’art de la critique.

Au théâtre ce soir

Je me suis laissé entraîner, samedi soir, au théâtre Edouard VII, où je n’avais pas remis les pieds depuis un bon bout de temps. Je n’avais pas repéré cette pièce – L’amour chez les autres – ni ses interprètes, encore moins son auteur Alyn Ayckbourn.

Quel bonheur de pouvoir rire presque continûment grâce à la mécanique implacable du texte et au burlesque débridé du jeu des acteurs et de la mise en scène de Ladislas Chollat. Mention particulière pour le couple de folie formé par Jonathan Lambert et l’impayable Virginie Hocq, naguère découverte à Liège.

Un tour chez le libraire

Lorsque je passais mes dimanches à Paris, ce qui m’arrive de plus en plus rarement, l’étape obligée après le petit déjeuner au Café Charlot, c’était, juste en face, le libraire de la rue de Bretagne. Je n’y vais plus que pour voir les nouveautés, mais je n’y achète plus rien depuis qu’on a signifié aux clients fidèles qu’on n’avait plus besoin de leur fidélité… Mais j’ai repéré deux ouvrages que j’ai finalement téléchargés, non sans avoir eu d’abord de sérieux doutes quant à leur intérêt.

L’agent suédois

Je pense que c’est bien la première fois, en tout cas dans cette collection Actes Sud, qu’un ouvrage est consacré non à un compositeur ou un interprète illustre, mais à un agent, organisateur de festival. Je ne dirai rien des sentiments que j’ai éprouvés jadis, lorsque je travaillais sur le même territoire que lui, la Suisse romande, ou plus récemment lors d’une mission à l’OSR, envers Martin Engström. Le fait même que ce livre existe décrit assez l’importance que le personnage a de lui-même ! Mais c’est aussi, à ma connaissance – et c’est pour cela que ce livre m’a intéressé – la première fois qu’un responsable important de la vie musicale classique raconte le dessous des cartes, les coulisses du métier. Avec cette sorte de décontraction, de désinvolture même, qui lui fait nommer et donner des détails parfois intimes sur des personnes encore vivantes et actives. Je ne suis pas sûr que les artistes, les sponsors, les élus qui ont soutenu l’aventure du Verbier Festival soient très heureux de ces révélations….

Encore Mitterrand ?

Encore un bouquin sur Mitterrand, presque trente ans après sa mort ? Au moins celle qui fut la secrétaire générale adjointe de l’Elysée à la fin du second septennat du président socialiste ne s’est pas précipitée, comme tant d’autres, pour raconter ses souvenirs. Et finalement on se laisse prendre par un récit qui ne fait aucune révélation à proprement parler, mais qui complète la vision, la compréhension qu’on avait d’un personnage complexe. On est obligé de croire – ou pas – l’auteure sur parole, puisque de la plupart des confidences que fait Anne Lauvergeon, nul ne peut plus attester la véracité.

C’est évidemment tout à fait secondaire, et sans aucun intérêt pour l’histoire contemporaine, mais j’ignorais jusqu’où était allé le premier amour de Mitterrand, pour la dénommée Marie-Louise Terrasse, plus connue sous son nom de télévision. Catherine Langeais et son mari Pierre Sabbagh avaient élu domicile dans la commune voisine de la mienne, Valmondois. Elle est morte deux ans après son premier fiancé. Et sa tombe au cimetière de Valmondois est bien mal entretenue…

Encore le concerto de Schumann ?

Lundi le temps de faire un aller-retour entre Paris et le Val d’Oise pour tenir ma permanence de conciliateur de justice, j’étais de retour à la Philharmonie, toujours pour le compte de Bachtrack : Martha Argerich dans le concerto de Schumann, l’orchestre symphonique de Londres et son nouveau directeur musical le chef bien anglais Antonio Pappano et la Deuxième symphonie de Rachmaninov. Le cocasse dans l’histoire, c’est que l’organisateur de ce concert, l’infatigable André Furno, créateur de la série Piano ****, avait voulu rendre hommage par ce programme à Claudio Abbado, disparu il y a dix ans, en même temps qu’à Maurizio Pollini. Les liens Abbado/Argerich, Abbado/LSO sont évidents, mais la 2e de Rachmaninov est l’une des seules symphonies qu’Abbado n’a jamais dirigées…

De ce concert, j’ai tout dit sur Bachtrack : Martha Argerich réinvente le concerto de Schumann.

Et dans mon précédent billet je rappelais quelques-uns de mes souvenirs de la pianiste argentine : Martha Argerich à Tokyo.

Cincinnati – Paris

J’ai été un peu surpris par l’annonce de la nomination de Cristian Măcelaru comme successeur de Louis Langrée à la tête de l’orchestre symphonique de Cincinnati.

Je savais qu’il faisait partie des « possibles », mais compte-tenu de ses engagements en Europe (la WDR à Cologne, et l’Orchestre national de France à Paris), je doutais qu’il soit retenu pour une fonction exigeante et chronophage. On sait qu’il quittera Cologne à la fin de la saison prochaine. Pas d’information pour l’heure du côté du National…

On était justement jeudi soir à l’auditorium de Radio France pour un programme tout français dirigé par Măcelaru. Un compte-rendu bientôt sur Bachtrack.

En attendant on va prendre le temps ce week-end d’écouter une nouveauté discographique d’importance : les trois symphonies et les deux rhapsodies roumaines d’Enesco. On est encore impressionné par le souvenir de la 3e symphonie donnée à Bucarest l’automne dernier (lire Pourquoi pas Enesco ?)

Une mort anonyme

Samedi après-midi. Les gros titres des journaux de la mi-journée, des histoires tragiques : les victimes de l’incendie de la tour Grenfell de Londres, la visite de réconfort de la reine d’Angleterre et de son petit-fils le prince William, les rebondissements dans l’affaire du petit Grégory (interviews nauséabondes de la famille).

Et juste en face de chez moi, une voiture de gendarmerie stationnée depuis le début de la matinée. Devant le garage d’une belle maison aux volets rouges.

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Une terrasse/jardin en surplomb de la rue, de belles roses anciennes. L’apparence d’une demeure entretenue.

Depuis quelque temps, la maison semblait endormie. Non qu’elle fût jamais animée. Mais  depuis que je m’étais installé dans la mienne en face, j’avais pris l’habitude d’apercevoir une silhouette féminine sans âge, cheveux gris filasse, à la fenêtre du premier étage, toujours ouverte en toute saison. Parfois, dans une robe de chambre défraîchie, vieux rouge comme les volets de la maison, toujours la même, je la voyais parcourir la terrasse et la surprenais à m’épier. Mais dès que je me manifestais, par un salut même à distance, elle tournait la tête et les talons.

Elle paraissait vieille, très vieille, comme fatiguée de la vie, recluse, repliée dans sa solitude. Je me faisais tout un cinéma de cette mystérieuse voisine. Ne dit-on pas que, dans mon village, de vieilles actrices finissent leurs jours dans l’oubli ? À cinquante mètres de la maison natale d’Yvonne Printempsà quelques encablures du petit cimetière de Valmondois où reposent d’anciennes gloires du music hall et de la télévision comme Pierre Sabbagh et Catherine Langeais, c’était plausible.

Mû par un étrange pressentiment, je  me décidai tôt ce matin à appeler la gendarmerie. S’il était arrivé quelque chose à ma voisine ? à moins qu’elle ne soit partie en voyage ? ou qu’elle ait été hospitalisée ? Mais je ne pouvais pas rester plus longtemps spectateur de cette maison close, inanimée.

La gendarmerie prit mon message très au sérieux, puisque quelques minutes après mon appel, deux jeunes pandores et une gendarmette sonnaient chez moi, enquêtant immédiatement dans le voisinage et les commerces locaux. Personne ne connaissait l’habitante de la maison. La boîte aux lettres débordait. Le téléphone fixe ne répondait pas. Pas de téléphone portable. Les pompiers furent appelés à la rescousse, pour accéder à la terrasse et procéder à l’ouverture des portes et fenêtres de la maison.

Le temps soudain parut s’étirer. Comme dans un film d’Hitchcock. De là où j’étais, je ne pouvais qu’apercevoir des ombres, parfois un casque de pompier, des mains gantées aussi. Je ne voulais pas non plus jouer les voyeurs « comme à la télé », mais je parvenais mal à me concentrer sur mes travaux de jardinage.

Midi sonnait lorsque les pompiers redescendirent, repliant leurs échelles, remisant leurs casques, et prirent congé de leurs collègues gendarmes. Un peu d’effervescence autour, quelques rares voisins étonnés par la présence de la maréchaussée (« Il y a eu des cambriolages dans le coin ? »).

De nouveau la gendarmette du groupe sonna à mon portail. Pour relever mon identité, mes coordonnées, puisqu’on aurait certainement besoin de m’entendre. Il était bien arrivé quelque chose à ma voisine inconnue, elle avait été trouvée morte au pied de son lit. Une jeune femme médecin-légiste arrivée en début d’après-midi devait déterminer les circonstances et la date du décès, mais, même exprimés avec pudeur, les mots des jeunes gendarmes disaient éloquemment le choc éprouvé devant le spectacle macabre qui s’était offert à leur vue lorsqu’ils avaient pénétré quelques heures plus tôt derrière les volets rouges.

Un café serré pour les réconforter, et leur permettre de tenir le coup pour les heures à venir : la découverte d’un cadavre, toutes les formalités qui s’ensuivent, l’enquête etc.

Et voilà comment une femme, moins vieille que je ne croyais, 75 ans, veuve depuis dix ans, sans enfants, sans amis, brouillée semble-t-il avec un frère vivant loin d’ici, meurt dans l’anonymat, la solitude, le silence, à quelques mètres de voisins qu’elle ne fréquentait pas et qui respectaient (?) ou n’osaient franchir cette distance. Une mort comme des milliers d’autres. La mort de ma voisine inconnue…

 

Pauvre Bescherelle

Je ne connais pas l’initiateur du groupe actif sur Facebook et Twitter Bescherelle ta mère qui s’amuse, avec beaucoup d’humour, à repérer toutes les perles du mauvais usage du français.

En me promenant hier dans les environs d’Auvers-sur-Oise, sur le territoire de la commune de Valmondois, je suis passé devant la belle maison familiale de l’illustre grammairien Louis-Nicolas Bescherelle (https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Nicolas_Bescherelle), puis sur sa tombe dans le petit cimetière qui surplombe le village.

L’état de l’une et de l’autre serait-il une métaphore de la situation actuelle de la langue française, décrépitude et abandon ?

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À la différence d’un ancien président de la République, je ne suis pas un visiteur assidu des cimetières, sauf par triste obligation ou lorsqu’ils témoignent de destins singuliers.

Comme celui d’Auvers-sur-Oise avec la double sépulture des frères Van Gogh, aménagée par le docteur Gachet. Vincent est mort en 1895, son frère Theo un an plus tard aux Pays-Bas, la veuve de ce dernier a fait le choix de réunir les deux frères si proches dans la vie, le transfert de la dépouille de Theo vers Auvers s’est fait juste avant le début de la Première Guerre mondiale.

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Dans une semaine le cimetière de Valmondois sera couvert de chrysanthèmes, hier il était représentatif du peu de considération, de l’oubli même dans lesquels on tient nos gloires passées. Plus personne ne vient entretenir ni fleurir les tombes.

Sauf quand ce joli cimetière est utilisé par le cinéma comme dans Pieds nus sur les limaces, le film de Fabienne Berthaud (2009).

On a peine à reconnaître la pierre tombale de Georges Duhamel, écrivain jadis lu et respecté, membre éminent de l’Académie française, mort en 1966. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Duhamel)

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Son fils, le compositeur Antoine Duhamel (que j’avais connu à France-Musique, puis invité à Liège), disparu il y a un an seulement, n’est pas mieux loti (https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Duhamel)IMG_1261

Non loin, un couple star de la télévision française, elle première fiancée d’un fringant jeune homme promis à un brillant avenir, François Mitterrand, née Marie-Louise Terrasse devenue speakerine sous le nom de Catherine Langeais , lui père fondateur de la télévision française d’après-guerre, Pierre Sabbagh (http://www.valmondois.fr/article/catherine-langeais-pierre-sabbagh).

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Morts, enterrés, oubliés…

D’autres anciennes gloires artistiques ont bénéficié de monuments funéraires qui leur évitent l’oubli définitif, comme le sculpteur Adolphe-Victor Geoffroy-Dechaume (un lien avec un grand musicien, claveciniste, pionnier de l’historiquement informé, Antoine Geoffroy-Dechaume, qui officiait au Conservatoire de Poitiers quand j’y étudiais ?), le peintre et graveur Henri Laurent-Desrousseaux.IMG_1259

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Reste heureusement, dans le cas d’Antoine Duhamel, une oeuvre à écouter et redécouvrir, comme cet extrait de la bande originale de Pierrot le Fou de Godard

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