La musique « contemporaine » (suite)

Je ne les avais pas réentendus depuis trois ans et une mémorable tournée en Chine et en Inde (lire Nouveaux publics). Les musiciens de l’Orchestre de la Suisse romande étaient hier soir à la Seine musicale – le nouveau vaisseau musical parisien, inauguré il y a deux ans, amarré sur l’île Seguin

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J’avais deux raisons supplémentaires d’assister à ce concert : la présence de l’ami Emmanuel Pahud

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et la première française du concerto pour flûte Memento vivere– créé la veille à Genève – d’Éric Montalbetti

Eric Montalbetti qu’on a bien connu comme directeur artistique de l’Orchestre philharmonique de Radio France, de 1996 à 2014, s’adonne depuis cinq ans à une passion restée secrète mais qui l’a toujours nourri, la composition (Journal intime)Et avec un succès manifeste.

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On entendra d’ailleurs Tedi Papavrami jouer sa sonate pour violon seul le 16 juillet prochain dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellier.

Hier soir, on attendait de voir et d’entendre comment ce nouveau concerto allait sonner dans l’acoustique généreuse de la Seine musicale, sous la direction d’un expert, le chef Jonathan Nott, actuel directeur musical de l’OSR, et bien connu à Paris pour avoir dirigé l’Ensemble Intercontemporain de 1995 à 2000.

Comme je l’ai déjà raconté ici (La musique « contemporaine ») toute création est une aventure, pour les interprètes comme pour le public. Une évidence : Montalbetti sait orchestrer « à la française », jouer des transparences du grand orchestre comme Ravel ou Debussy. La flûte, qui se maintient dans les registres grave ou médian, est superbement soutenue, jamais écrasée, par un orchestre scintillant, qui ne cherche ni l’effet gratuit ni le conflit avec le soliste. Emmanuel Pahud y est évidemment à son affaire, on ne sait plus quel superlatif utiliser à son endroit ! Le public, malheureusement trop peu nombreux, a fait une ovation méritée à l’oeuvre, au compositeur et à ses interprètes.

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Me revient un souvenir, qui montre qu’une création n’est pas toujours réussie du premier coup et peut évoluer. Je suis à Genève, le 13 octobre 2005, lorsque le même Orchestre de la Suisse romande, crée, sous la baguette de Pascal Rophéune oeuvre concertante du compositeur suisse  Michael Jarrell avec pour solistes un trio de choc, Emmanuel Pahud déjà, le clarinettiste Paul Meyer et le hautboïste François Leleux. À l’issue du concert, les trois solistes me demandent ce que j’ai pensé de l’oeuvre et de leur prestation. Je leur réponds sans détour : Je ne vous ai pas entendus ! Lorsque je me trouve face à Michael Jarrell, je lui dis à peu près la même chose : Dommage d’avoir un tel trio et de ne pas l’avoir mieux mis en valeur. Il est toujours délicat de dire ces choses à un compositeur, mais ce n’est pas rendre service à un créateur que de ne pas dire ce qu’on pense !

Ces critiques n’ont sans doute pas été inutiles, puisque, lorsque l’oeuvre a été redonnée, cette fois, à Liège et à Bruxelles (dans le cadre d’Ars Musica), en avril 2008, avec les mêmes solistes, le même chef… et l’Orchestre philharmonique royal de Liège dont Pascal Rophé était entre temps devenu le directeur musical, l’impression fut tout autre. Jarrell avait retouché l’orchestration, les tessitures de ses solistes, bref avait redonné de l’air à son prestigieux trio, sans dénaturer évidemment le sens de ses Sillages…

On signale ce coffret « anniversaire » publié à l’occasion du centenaire de l’OSR (lire Suisse et centenaire, un peu chiche (5 CD), c’est un euphémisme, pour célébrer une aussi riche histoire, mais quelques « live » qui ne sont pas sans intérêt.

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L’île en Seine

Il y a un an jour pour jour, je participais à l’inauguration d’un vaisseau musical d’un type nouveau, la Seine Musicale sur l’emplacement des anciennes usines Renault sur l’île Seguin à Boulogne-Billancourt : Mon choix

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Une année marquée par les inévitables interrogations sur les capacités d’un tel nouveau lieu à attirer et fidéliser le public, sur son modèle économique – le départ du grand ordonnateur de la Seine musicale, ex-patron du Châtelet, Jean-Luc Choplinen janvier dernier, avait semé le trouble.

Mais si l’on veut bien se rappeler tout ce qui a été dit et écrit sur la Philharmonie de Paris, inaugurée une semaine après les attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher en janvier 2015, force est de reconnaître que les oiseaux de mauvais augure se sont abondamment trompés. Qui oserait nier qu’en deux saisons à peine, la Philharmonie a non seulement trouvé son public, mais l’a en très grande part créé ?

Le Parisien a récemment dressé un bilan d’une première année de la Seine Musicale : lire Une bougie et 450.000 spectateurs

Des progrès évidents à faire quant à l’accès et à l’environnement, l’article le souligne. Mais on ne doute pas du succès à terme de cette nouvelle aventure.

Callas intime

Je ne me suis jamais rangé dans la catégorie des admirateurs absolus de celle qu’on appelle « la » Callas  J’ai même souvent été agacé par la surexploitation médiatique, discographique, d’une légende qui a fini par occulter la vraie personnalité et l’art singulier de la chanteuse.

Je dois reconnaître que Warner, qui avait tant et tant réédité pour exploiter le filon, a, cette fois, bien fait les choses. La publication, à un prix raisonnable, après un remastering souvent exceptionnel, des enregistrements de studio d’une part, des captations « live » d’autre part, est un très bel hommage à la cantatrice disparue il y a quarante ans, le 16 septembre 1977.

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Je n’ai pas encore eu le temps d’aller voir l’exposition proposée par la Seine Musicale : Maria by CallasMais elle vaut certainement d’être visitée.

En revanche, j’ai acheté le très bel ouvrage que le commissaire de cette exposition, Tom Volfle très jeune homme qui est littéralement « tombé en amour », comme disent nos amis canadiens, de celle dont il ne savait rien il y a encore cinq ans.

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C’est vraiment un ouvrage exceptionnel, je n’en connais pas d’équivalent sur un musicien ou même un interprète. On trouverait presque la présentation de l’éditeur trop modeste :

A l’occasion des 40 ans de la disparition de la cantatrice, cet ouvrage nous invite à marcher dans les pas de la Callas, femme fragile et artiste acharnée de travail, en parcourant ses archives personnelles : photos inédites issus de ses albums privés, extraits de sa correspondance et de ses carnets, entretiens redécouverts où elle se livre sans fard sur sa vie, son art, les scandales qui ont jalonné son parcours. Une expérience bouleversante, au plus près de la femme que fut Maria Callas.

On doit être reconnaissant à Tom Volf d’avoir réuni dans ce livre beau et lourd autant de témoignages, de documents – les quelques entretiens, peu nombreux, donnés à la presse par la cantatrice – de photos intimes, inédites, en évitant le piège du voyeurisme ou de l’idolâtrie. Comme un chant d’amour à une femme qui en a tant manqué derrière le masque de la légende.

La fête de l’orchestre

Semaine faste pour les amoureux de l’orchestre à Paris. Et dans les trois salles de concert de la capitale.

Samedi dernier l’orchestre philharmonique de Berlin et Simon Rattle à la Philharmonie de Paris (lire Berlin à Paris)

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Jeudi soir, à l’auditorium de la Maison de la radio, concert doublement inaugural : le premier de la saison 17/18 de Radio France, et surtout le premier d’Emmanuel Krivine comme directeur musical de l’Orchestre National de France. Le public du Festival Radio France avait déjà eu comme un avant-goût de la relation très forte qui s’est nouée entre le chef français et le « National » (Salut les artistes)

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Programme emblématique de la ligne artistique qu’entend promouvoir le premier chef français de l’ONF depuis Jean Martinon. Webern (Passacaille), Richard Strauss (Vier letzte Liederet la Symphonie de Franck.

Un long mariage après la lune de miel décrite par Diapason ? On l’espère, on le souhaite.

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DJJst26WAAAVTbS(Emmanuel Krivine salué par Françoise Nyssen, ministre de la Culture, et Mathieu Gallet, PDG de Radio France à l’issue du concert du 7 septembre)

La fête de l’orchestre se poursuivait hier soir, dans le nouvel auditorium de la Seine Musicalele vaste paquebot arrimé à l’île Seguin à Boulogne, inauguré en avril dernier (voir La Seine Musicale inaugurée)Une salle qui confirme ses qualités acoustiques, précision, chaleur, malgré l’effectif orchestral imposant du programme choisi par Louis Langrée et le Cincinnati Symphony Orchestra pour l’avant-dernier concert de leur triomphale tournée européenne : On the Waterfront de Bernstein, le Lincoln Portrait de Copland (une oeuvre créée par l’orchestre de Cincinnati et donnée ici dans sa version française avec Lambert Wilson comme récitant) et la Cinquième symphonie de Tchaikovski.

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Bonheur évidemment de retrouver Louis Langrée avec « ses » musiciens américains, curiosité aussi. Comment cette phalange si typiquement chaleureuse, dense et ronde, moins brillante – d’autres diraient moins clinquante – que certaines de ses concurrentes, allait sonner sous la houlette d’un chef qu’on a tant fréquenté et entendu avec des formations européennes (Liège, Paris, Berlin, Vienne, Londres, etc.) ? Comme toujours avec Louis Langrée, la partition même la plus connue (Tchaikovski) semble (re)naître, des traits, des lignes mélodiques, des détails rythmiques nous sont révélés, mais insérés dans une grande arche, un mouvement inépuisable, irrésistible.

IMG_2035(Paul Meyer, Pascal Dusapin et Florence Darel impatients de découvrir l’acoustique de l’auditorium de la Seine Musicale et d’entendre le Cincinnati Symphony et Louis Langrée)

Le concert avait commencé par Bernstein, les musiciens américains et leur chef l’ont terminé par Bernstein, et son ouverture de Candide

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Mon choix

Mon choix était fait depuis plusieurs semaines. Je n’aurais pas voulu m’abstenir de participer à l’inauguration de la nouvelle Seine Musicale de l’île Seguin.

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C’était hier soir, et ce fut très réussi (je partage le compte-rendu qu’en a fait Diapason : La Seine musicale inaugurée).

Je me rappelais adolescent avoir visité les usines Renault et avoir éprouvé le choc du bruit assourdissant, des cadences infernales de certains ateliers. Il faut d’ailleurs visiter le petit pavillon qui rappelle dans une excellente pédagogie l’histoire de cette île de la Seine et la présence de Renault de 1929 à 1992.

Bravo au Département des Hauts-de-Seine, à la ville de Boulogne, et au consortium d’entreprises (Sodexho, Bouygues, TF1) qui ont mené à bien ce projet risqué. IMG_8559IMG_8557IMG_8561

Le complexe est aussi beau à l’extérieur qu’à l’intérieur. Mais c’est évidemment l’acoustique de l’auditorium d’une part, l’aspect de la Grande Seine d’autre part qui attisaient toutes les curiosités.

Pour moi, la troisième inauguration en trois ans ! Quelle capitale au monde peut s’enorgueillir d’avoir ouvert coup sur coup trois salles de concert ? D’abord l’auditorium de la Maison de la Radio en novembre 2014, puis la Philharmonie en janvier 2015.

Première impression : on se sent très bien dans l’auditorium de la Seine musicale. Dessin classique pour une salle confortable, toute de bois revêtue. Dès les premiers accords d’Insula orchestra, la formation de Laurence Equilbey, on est séduit par une acoustique quasi idéale, excellent compromis entre la netteté des plans sonores, la chaleur du son, une réverbération ajustée pour éviter saturations et dispersion. Les voix solistes s’entendent bien d’où qu’elles chantent. Bravo à Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey, Anaïk Morel et Sandrine Piau qui ouvraient le bal avec de larges extraits de Die Gärtnerin aus Liebe (la version allemande de La finta giardiniera) de Mozart

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Suivaient des extraits de la version française de Berlioz du Freischütz de Weber (inimitable Sandrine Piau dans la romance d’Agathe).

Et ce premier concert s’achevait avec cet autre hymne à la fraternité universelle, préfiguration de l’Ode à la joie de la 9ème symphonie, qu’est la Fantaisie chorale de Beethoven, Bertand Chamayou jouant un magnifique Pleyel.

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Le « milieu » musical était nombreux, à l’issue du concert commentaires favorables et félicitations unanimes. Reste à savoir comment va vivre et évoluer ce vaste vaisseau : son capitaine artistique, Jean-Luc Choplin, est optimiste, même si tout reste à prouver…

Dans la grande salle, The Avener et The Shoes rassemblaient des milliers de fans…

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Le gala d’ouverture est à (re)voir et (ré)écouter ici : France Musique, concert d’ouverture Ile Seguin