Faits d’hiver : Agrippine, Lalo et Monsaingeon

Semaine variée avec un concert, des disques et un livre à épingler.

La surprise Agrippine

Le portrait de Haendel visible à Bologne au Musée international et bibliothèque musicale

Je ne suis pas un grand spécialiste de Haendel, mais les années passant, je vais de surprise en découverte notamment dans son oeuvre lyrique qu’en dehors des ouvrages les plus connus (Giulio Cesare, Alcina, Ariodante..) je connais peu et mal.

Pour Bachtrack, j’assistais mardi soir à la Seine Musicale à une version de concert d’Agrippina, l’œuvre d’un jeune homme – Haendel a 24 ans ! – créée et jouée 27 fois de suite à Venise le 26 décembre 1709. J’ai beaucoup aimé, même si tel ou tel chanteur m’a moins convaincu. Lire ma critique ici : L’Agrippina impériale d’Ottavio Dantone.

Après une succession d’airs, parfois de duos, il faut attendre la toute fin pour entendre toute la troupe réunie ce soir-là autour de l’Accademia Bizantina, chanter quelque chose comme « Tout est bien qui finit bien » !

De gauche à droite, Marco Saccarin (Lesbo) Federico Fiorio (Nerone), Sophie Rennert (Agrippina), Luigi De Donato (Claudio), Lucia Cortese (Poppea), Filippo Mineccia (Ottone), Margherita Sala (Narcisse), Federico Benetti (Pallas), Ottavio Dantone assis au clavecin devant l’ensemble Accademia Bizantina

Lalo estonien

On croyait que Neeme Järvi avait enregistré à peu près tout le répertoire symphonique enregistrable ! Le chef estonien trouve encore le moyen, à 86 ans, de nous surprendre avec un disque qui me fait un plaisir immense. Mes lecteurs savent l’intérêt que je porte à Edouard Lalo, l’éternel second, dont tout le monde a oublié de célébrer le bicentenaire de la naissance le 27 janvier 1823 ! Lalo dont j’avais découvert la Symphonie en sol mineur grâce à la légendaire version de Thomas Beecham… et de l’Orchestre national !

En juillet 2019, j’accueillais à Montpellier, pour ouvrir l’édition 2019 du festival Radio France, Neeme Järvi et l’Orchestre National d’Estonie. Souvenir impérissable (lire Opening nights)

Etonnamment, le numéro de février de Diapason n’évoque pas cette sortie, alors que l’Indispensable du mois du magazine est consacré tout entier à Lalo, avec trois versions mythiques du concerto pour violoncelle (Pierre Fournier et Jean Martinon), de la Symphonie espagnole (Leonid Kogan et Kirill Kondrachine) et de la 1ere suite de Namouna (avec l’incomparable Paul Paray)

La mémoire du siècle

Qui ne connaît Bruno Monsaingeon dès lors qu’on s’intéresse un peu à la musique et à des interprètes comme Glenn Gould, Yehudi Menuhin, Sviatoslav Richter et tant d’autres ?

« Violoniste et réalisateur, Bruno Monsaingeon a bâti une œuvre de 100 opus mêlant portraits d’interprètes et de chefs d’orchestre, récitals et concerts symphoniques, masterclasses… Un parcours émaillé de coups de foudre musicaux et amicaux, ponctué de deux rencontres virtuoses : Yehudi Menuhin et Glenn Gould. 
Sous le regard critique de son cousin Guillaume Monsaingeon, ces entretiens au long cours tiennent à distance biographie, monographie et catalogue raisonné. On y retrouve la verve d’un conteur, mais c’est aux films qu’il donne la parole en réalité. Porteurs d’un langage visuel autonome, ils offrent à l’auditeur ce à quoi il n’a pas toujours accès : le détail des notes et des gestes ; des images qui recréent l’énergie musicale et l’émotion qu’elle suscite pour mieux nous en rapprocher. 
Écouter, peser, choisir, façonner : autant d’interprétations que Bruno Monsaingeon revisite dans ce dialogue et qui structurent son œuvre, source d’archives pour le futur
 » (Présentation de l’éditeur)

L’ouvrage édité par la Philharmonie de Paris est évidemment passionnant, d’abord sur la question de comment filmer la musique, ensuite par les souvenirs que livre le réalisateur octogénaire de ses rencontres connues ou moins connues avec les grands musiciens du XXe siècle.

Les anniversaires 2024 (II) : Smetana

Autre anniversaire fêté en 2024, celui de Bedrich Smetana né le 2 mars 1824 à Litomyšl et mort le 12 mai 1884 à Prague.

On espère que ce bicentenaire permettra de faire mieux connaître une oeuvre qui ne se résume pas à La Moldau et au cycle Ma Patrie dans lequel s’insère ce célèbre poème symphonique.

En guise d’apéritif, avant qu’on y revienne plus longuement dans quelques semaines, deux cadeaux.

La fiancée de Schwarzkopf

On n’imagine absolument pas Elisabeth Schwarzkopf (1915-2006) incarner Mařenka, l’héroïne de La Fiancée vendue, le plus célèbre opéra de Smetana, extrêmement populaire en pays germaniques, mais quasiment inconnu en France (il n’est entré qu’en 2008 au répertoire de l’opéra de Paris!). La soprano allemande a, comme toutes ses consoeurs, enregistré une série d’airs d’opéras, qu’elle n’a jamais interprétés sur scène ni en concert, comme cet air « endlich allein »

La patrie de Doráti

Je n’étais pas peu fier, comme je l’ai raconté ici le 31 décembre, de découvrir par hasard à Bologne quelques disques rares, comme cette intégrale du cycle de six poèmes symphoniques, Ma Patrie, que je suis sûr d’avoir eu déjà dans ma discothèque, mais que j’ai dû perdre au cours de mes déménagements. La seule gravure du cycle par Antal Doráti avec le Concertgebouw d’Amsterdam ! Peut-être pas très couleur locale, mais qu’est-ce que c’est beau !

La découverte de Bologne (IV) : l’éblouissement

Je vous avais promis hier une belle surprise pour le dernier jour de l’année. Nous y sommes. La surprise ce fut d’abord la mienne de découvrir, un peu par hasard, la fabuleuse collection d’instruments rassemblée par l’illustre claveciniste, organiste et pédagogue Luigi Fernando Tagliavini (1929-2017), né et mort à Bologne, où il a travaillé une partie de sa vie. Mais les musiciens, notamment mes amis suisses, le connaissent mieux comme professeur, puis directeur de l’institut de musicologie de Fribourg (de 1965 à 2000).

Tagliavini a collectionné, au cours des ans, de quoi constituer aujourd’hui l’un des plus beaux musées de la ville de Bologne, le complexe San Colombano. Des dizaines d’instruments, essentiellement à clavier, tous plus fascinants les uns que les autres, pour certains des pièces uniques, mis en valeur dans des lieux chargés d’histoire et richement décorés.

Clavecin Fabius de Bononia, 1685

Epinette rectangulaire de type napolitain / Anonyme 16e-17e s.

Piano Ignace Pleyel, 1843

Pianoforte Johann Schanz, Vienne 1820

En plus de ces clavecins, épinettes, pianos – dont je n’ai mis ici qu’une petite partie des photos – quelques instruments rares, parfois uniques, comme ce piano à cordes de verre. (Giuseppe Bisogno, Naples, 1860)

Cet autre, qui au centre de son buffet, comporte le fameux rouleau en papier cartonné, qui va recueillir le jeu de l’interprète – même principe qu’une boîte à musique -. C’est le fameux procédé Welte-Mignon, grâce auquel on peut aujourd’hui, plus d’un siècle après sa mort, apprécier le jeu de Camille Saint-Sans jouant sa Valse^Caprice :

(Camille Saint-Saëns jouant sa Valse Caprice en 1905 !)

Le jeu n’est pas d’une régularité parfaite, mais le procédé de « gravure » ne l’était pas non plus, loin de là !

Quant à cette boîte à musique, il s’agit d’une perroquette du XVIIIe siècle, un petit orgue à cylindre.

Je découvre, en écrivant cet article, qu’il existe un orgue à cylindre beaucoup plus imposant dans l’église d’Airvault (dans mon département natal des Deux-Sèvres) :

Autre instrument de la collection Tagliavini, un métallophone ou Glockenspiel Naumann à clavier.

Pour ceux qui comprennent l’italien, laissons le presque dernier mot au maître lui-même :

Les disques cachés de Riccardo Muti

Depuis que je suis à Bologne, j’ai cherché – en vain – un magasin de disques classiques. Ce n’était pas mon objectif premier certes, mais je m’étais résigné à repartir bredouille, quand, par le plus grand des hasards, sortant ce matin d’un bien décevant musée d’art moderne, je passai devant une librairie de type Gibert, du neuf et de l’occasion, qui disposait d’un petit bac de CD. Bien m’en a pris de m’y arrêter : j’y ai trouvé des enregistrements dont j’ignorais même l’existence, réalisés dans les années 90 pour une banque italienne et ensuite diffusés aux abonnés de La Reppublica. Riccardo Muti dirige les symphonies de Beethoven à la tête de l’orchestre de la Scala, rien de moins ! Il n’y avait que trois sur six des CD de l’intégrale. En cherchant celle-ci sur le Net, je l’ai dénichée sur un site de revente… à un prix dix fois supérieur à celui que j’ai payé pour mes trois CD…

La découverte de Bologne (III) : Rossini, Respighi, Pasolini et tutti quanti…

Pour prolonger la visite du Musée international et bibliothèque de la Musique de Bologne, et de quelques autres lieux chargés de musique de la capitale de l’Emilie-Romagne – avant une grande surprise demain pour le dernier jour de l’année – évoquons quelques célébrités locales ou assimilées.

La salle du Stabat Mater

Pour les fétichistes de Rossini, cette robe de chambre et ces objets pieusement conservés au musée de la musique valent le détour.

Ils pourront être plus surpris encore en visitant l’Archiginnasio, siège de l’Université de Bologne depuis le XVIe siècle, et la salle dite Stabat Mater parce qu’y fut donnée la création italienne de l’oeuvre éponyme de Rossini en 1842 sous la direction de Donizetti, un an après la première parisienne. Le succès est tel qu’on raconte que plus de 500 personnes envahirent les rues de Bologne pour raccompagner Rossini à son hôtel.

Je n’ai pas une passion dévorante pour l’oeuvre, mais je ne déteste pas la seule version que j’ai dans ma discothèque : Pavarotti ça ne se refuse pas !

Natifs de Bologne

Il paraît qu’on peut voir une plaque sur la maison natale de Pier-Paolo Pasolini – je ne l’ai pas cherchée – tandis que j’ai fait le détour pour voir celle d’Ottorino Respighi (lire L’axe Rome-Rio)

A quelques mètres, une autre plaque rappelant la mémoire d’un grand chef d’opéra italien, Francesco Molinari-Pradelli, né en 1911 et mort en 1996 à Bologne !

Je trouve sur YouTube cette absolue rareté qu’est l’opéra La Fiamma de Respighi, dirigée en 1955 par son voisin de rue !

Les souvenirs de Martucci

Dans la dernière – petite -salle du Musée de la musique, à côté de quelques photos de Respighi, un portrait moustachu intrigue :

Je connais bien le compositeur, mais je n’en avais jamais vu de portrait : Giuseppe Martucci (1856-1909) a été le professeur de Respighi, le directeur du Liceo Musicale de Bologne de 1886 à 1902, et présente la particularité rare pour un Italien de n’avoir jamais composé d’opéra alors qu’il en a souvent dirigé – c’est lui la création italienne de Tristan et Isolde en 1888 ! – mais il a écrit de la musique d’orchestre et de chambre d’un raffinement inouï. Des artistes comme Riccardo Muti ou Mirella Freni n’ont pas été les derniers à le promouvoir !

La découverte de Bologne (II) : Mozart adolescent

J’évoquais hier la figure du Padre Martini, personnalité centrale de la vie musicale à Bologne au XVIIIe siècle, prodigieux animateur de l’Accademia Filarmonica di Bologna, fondée en 1666 et toujours bien vivante aujourd’hui.

Parmi les élèves de l’Accademia et du Padre Martini, le plus célèbre est sans doute un certain Wolfgang Amadeus Mozart.

Portrait de Mozart au Musée international de la musique de Bologne

On n’entrera pas ici dans un débat historique ni musicologique sur le point de savoir si le jeune Wolfgang, – il a tout juste 14 ans lors de son premier voyage en Italie avec son père – a été marqué par son séjour plutôt bref, trois mois, à Bologne. Auprès du Padre Martini, il travaille l’harmonie et surtout le contrepoint. Pour être admis à l’Accademia, il devra rendre deux « exercices », deux manuscrits précieusement conservés dans la bibliothèque du musée.

En même temps, on se demande si Mozart avait encore beaucoup à apprendre, quand on entend son opéra Mitridate re di Ponto, créé à Milan le 26 décembre 1770 (lire Ceci n’est pas un opéra)




Quand Vienne vient à Bologne

Comme si je n’avais pas eu assez de l’excellente version de concert de La Chauve-Souris dirigée par Marc Minkowski au théâtre des Champs-Elysées (voir sur Bachtrack : Une Chauve-Souris authentiquement viennoise), j’ai repris une dose de Fledermaus, en italien cette fois – Il Pipistrello – dans l’affreux palais des congrès de Bologne où se tiennent les représentations du Teatro Comunale, qui fait l’objet d’une complète restructuration/rénovation.

Comme je ne m’attendais à rien de particulier, je ne pouvais être qu’agréablement surpris. D’abord par le tout jeune chef ukrainien Sasha Yankevych, 32 ans, qui sans être ni Carlos Kleiber, ni Marc Minkowski, fait mieux qu’infuser à ses très belles troupes bolognaises l’esprit viennois. J’ai moins aimé le casting réuni ici que celui de Paris. La star de la soirée, c’était Désirée Rancatore, en Rosalinde un peu fatiguée, bien à la peine dans les graves. Bonne soirée pour terminer l’année !

La découverte de Bologne (I) : autour du Padre Martini

J’ai longtemps évité l’Italie. A part quelques incursions professionnelles à Florence ou Milan dans mes jeunes années, j’ai attendu la maturité pour rattraper le temps perdu, et depuis une vingtaine d’années je découvre, voyage après voyage, les inépuisables réserves de beauté de ce pays où je pourrais avoir mes origines.

Lors de vacances dans le nord-est de l’Italie, à peine déconfinée de la première vague du Covid, en août 2020 (lire Donizetti, Abbado et Ferrare), j’avais largement parcouru l’Émilie Romagne, mais évité Bologne, dont je pensais – à juste titre – qu’elle méritait un arrêt prolongé, et plus qu’une visite rapide d’une journée.M’y voici enfin pour y finir l’année 2023.

La ville, son centre historique, sont somptueux, mais j’y reviendrai plus tard.

Le hasard a fait que, tout juste arrivé hier, je passe devant le Palazzo Sanguinetti, siège du Musée international et Bibliothèque de la musique de Bologne. J’avais une heure et demie devant moi avant sa fermeture, et c’est peu de dire que je ne m’attendais pas à une telle richesse historique et documentaire. J’avais oublié combien Bologne avait été un centre musical exceptionnel, singulièrement depuis l’époque de Giovanni Batista Martini, dit le Padre Martini.

Je propose donc un petit feuilleton sur Bologne et la musique tels que je le découvre ces jours-ci.

Giovanni Battista Martini, dit Padre Martini (1706-1784)

Martini que ses fonctions ecclésiastiques attachaient à sa ville natale et empêchaient de voyager, assouvit sa curiosité sans limite, en invitant à Bologne tous les talents de l’Europe du XVIIIe siècle, en correspondant avec eux, en rassemblant près de 17.000 ouvrages exceptionnels !

On est évidemment saisi d’émotion et d’admiration quand on peut contempler, dans ce musée, non seulement des portraits familiers de ses contemporains – Vivaldi par exemple – mais aussi et surtout des partitions, des éditions uniques ou rares.

Amusant de trouver sur YouTube ce bref reportage tourné avec Jakub Jozef Orlinski à Bologne au printemps 2022.

Dans la bibliothèque du Padre Martini, des portraits saisissants de Jean-Philippe Rameau

de Jean-Chrétien Bach (1735-1782) peint par Thomas Gainsborough s’il vous plaît !

ou encore de George Frederic Handel

La suite pour les prochains épisodes …

Black is a color

Une image me hante depuis le 25 mai, cette vidéo terrible, terrifiante, monstrueuse : l’assassinat de George Floyd à Minneapolis par un policier regardant droit dans les yeux la caméra qui le filme devant trois collègues complices…

Comme toujours, c’est la musique qui console de l’horreur. Cette chanson si belle de Nina Simone :

Black is the color of my true love’s hair
His face so soft and wondrous fair
The purest eyes
And the strongest hands
I love the ground on where he stands
I love the ground on where he stands
Black is the color of my true love’s hair
Of my true love’s hair
Of my true love’s hair
Oh I love my lover
And where he goes
Yes, I love the ground on where he goes
And still I hope
That the time will come
When he and I will be as one
When he and I will be as one
So black is the color of my true love’s hair
Black is the color of my true love’s hair
Black is the color of my true love’s hair

Black Notes

C’est précisément après l’assassinat de Martin Luther King que prend corps, dans l’Amérique de Nixon, un projet initié par le chef d’orchestre américain Paul Freeman  (1936-2015) de mise en valeur des compositeurs noirs, CBS réalise entre 1974 et 1978 une série d’enregistrements, qui a été opportunément, mais trop discrètement, éditée en CD il y a quelques mois.

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Lire ce que j’en écrivais ici en janvier 2019 : Black Notes.

Le 15 juillet prochain, le Festival Radio France Occitanie Montpellier avait prévu de faire jouer par Chouchane Siranossian et Les Siècles, dirigés par François-Xavier Roth, l’un des concertos pour violon de celui qu’on désigna comme le « Mozart parisien« , Joseph Bologne, chevalier de Saint-George,né près de Basse-Terre en Guadeloupe en 1745, mort à Paris couvert de gloire en 1799.

Obituaire

Après Gabriel Bacquierle monde lyrique est de nouveau en deuil : Mady Mesplé et Janine Reiss. 

La chanteuse toulousaine nous émeut encore avec ce concert d’adieu au Théâtre des Champs-Elysées il y a trente ans. Elle est pour toujours… la Dame de Monte-Carlo.

Black Notes

Passage chez mes disquaires habituels en début de semaine. Maigre moisson, mais de grande qualité. On reparlera bien vite de deux grandes dames du piano, honorées l’une et l’autre par de bien beaux coffrets, Yvonne Loriod et Anne Queffélec.

J’ai failli ne pas repérer une boîte (blanche) au titre intrigant :

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À une époque – la nôtre ! – qui se veut si « politiquement », donc lexicalement, correcte, proposer un titre aussi explicite que Compositeurs noirs relève de l’inconscience (!). On attend un coffret dédié aux compositeurs homosexuels, ou juifs, ou musulmans… (on l’a déjà fait pour des compositeurs francs-maçons).

Trève d’ironie facile, le projet lancé par CBS aux Etats-Unis, dans l’Amérique de Nixon, peu après l’assassinat de Martin Luther King, sous l’égide du chef d’orchestre noir Paul Freeman (1936-2015) était aussi utile que séduisant. Ce sont les neuf 33 tours de cette série d’enregistrements constituée de 1974 à 1978 qui sont réédités dans ce boîtier (complétés par un disque d’arrangements symphoniques de Spirituals) et qui illustrent les grands figures musicales noires du continent nord-américain. Plusieurs noms m’étaient déjà bien connus (le chevalier de Saint-George, William Grant Still, Samuel Coleridge-Taylor, George Walker…) mais je découvre les autres (Ulysses Simpson Kay, Roque Cordero, José Mauricio Nunes Garcia, José White, David Baker, Fela Sowande, Olly Woodrow Wilson, Thomas Jefferson Anderson, Talib Rasul Hakim, Hale Smith, Adolphus Hailstork…) Deux siècles de musique que cette entreprise remet en lumière. Merci à SONY d’avoir édité (pour la première fois en CD) ce précieux legs (disponible de surcroît à tout petit prix)

Diversité d’esthétiques, d’influences, d’inspirations, dans des interprétations de premier plan. On n’atteint pas toujours le chef-d’oeuvre, mais tout mérite écoute et intérêt.

Le plus familier, si l’on peut dire, à nos oreilles est Joseph Bologne, chevalier de Saint-Georgené près de Basse Terre en Guadeloupe en 1745, mort à Paris en 1799 (remarquable notice Wikipedia à lire ici)

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Faye Robinson chante, dans un français plutôt approximatif, cette scène tirée de l’opéra-comique Ernestine créé en juillet 1777 à la Comédie Italienne à Paris, qui fera un « bide » complet !

José White (!), de son nom complet José Silvestre White Lafittedevrait lui aussi être familier à nos oreilles françaises. Né à Cuba en 1836, il est mort le 15 mars 1918… à Paris

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Violoniste comme Saint-George, c’est au Conservatoire de Paris qu’il a étudié avec le soutien bienveillant de Rossini. Il dirigera le conservatoire impérial de Rio de Janeiro de 1877 à 1889 avant de revenir finir ses jours dans la capitale française. Le moins qu’on puisse dire est que la France l’a complètement oublié (le centenaire de sa mort il y a moins d’un an est passé sous les radars !) Et pourtant son unique concerto pour violon vaut d’être écouté, surtout sous l’archet vibrant du grand Aaron Rosand.

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Avec Ulysses Simpson Kayon change de siècle et on reste au pays. Né dans l’Arizona en 1917, le compositeur meurt en 1995 dans le New Jersey. Sa rencontre en 1941 avec Paul Hindemith, réfugié aux Etats-Unis, semble déterminer ses orientations stylistiques.

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William Grant Still (1895-1978) fait, quant à lui, figure de pionnier (il est le premier chef noir à diriger le Hollywood Bowl en 1936), d’emblème de cette musique de « sang mêlé ». Son Afro-american Symphonypuise son inspiration dans le blues…

Et quand je disais que Neeme Järvi avait exploré les plus larges répertoires au disque… en voici la preuve :

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