Retour de Colombie

La violence et la peur

Apparemment, la Colombie est devenue une destination à la mode pour les touristes français. Pourtant le pays a longtemps fait peur à cause de la situation politique, des cartels de la drogue, etc…et l’actualité toute récente ne rassure pas vraiment. Au moment où je prenais l’avion du retour (voir breves de blog : retour) on apprenait cette série d’attentats : 18 morts près de Medellin et Cali (source Radio France).

Pour être honnête, nulle part et jamais pendant un voyage qui nous a mené de Bogota à Medellin, de Barichara à Carthagène des Indes, du parc Tayrona au bord de la mer caraïbe jusqu’à la région du café à Quimbaya, je n’ai ressenti une quelconque violence visible ou diffuse. Même la présence policière dans les villes est réelle mais discrète.

Pour autant la politique locale s’est invitée à plusieurs reprises durant notre parcours. En visitant le coeur historique de Bogota, en face du ministère des affaires étrangères, à l’entrée de l’hôtel Opera, on aperçoit des hommes en noir, qui ont tout l’air de ce qu’ils sont, des bodyguards, et pas mal de jeunes hommes en costume cravate (des avocats semble-t-il). Notre guide signale qu’ils sont ici pour négocier les suites du coup de tonnerre judiciaire survenu le 29 juillet : la condamnation de l’ancien président Alvaro Uribe à 12 ans d’assignation à résidence

L’ancien siège de la présidence, actuel ministère des affaires étrangères

Condamnation qui sera finalement suspendue provisoirement par la Cour suprême le 19 août

au terme aussi de nombreuses manifestations de soutien à l’ancien président.

Il faut préciser ici qu’une autre actualité vient de nous rattraper : la mort de Miguel Uribe, même patronyme, mais aucun lien familial avec l’ancien président. On se rappelle que le jeune sénateur avait été visé à bout portant lors d’un meeting en juin dernier (lire Le père du candidat assassiné en lice pour la prochaine présidentielle).

Mais on sent la jeune génération vraiment désireuse de tourner l’une des pages les plus tragiques de l’histoire de la Colombie. Pour nous Européens, la Colombie des années de plomb c’était trois noms, les FARC, Ingrid Betancourt et Pablo Escobar, les milices armées, les barons de la drogue. En réalité, au-delà des FARC, ce furent des groupes para-militaires au service des politiques en place, de droite et de gauche, le narcotrafic corrompant toute la société – Pablo Escobar était reconnu et même admiré comme un bienfaiteur de la société !

J’ai visité à Medellin un Musée de la Mémoire qui relate les milliers de morts des quarante dernières années, chaque famille, pauvre ou riche, de Colombie, ayant connu au moins un mort, une agression meurtrière, souvent pour rien, juste parce qu’on se trouvait pris entre deux feux.

On ne ressort pas indemne d’une telle visite, et les nombreux jeunes, Colombiens ou étrangers, qui s’y trouvaient en même temps que moi, étaient plongés dans une sidération silencieuse.

Il faudra encore une ou deux générations pour que les horreurs de ce passé récent disparaissent des esprits.

Mais je peux confirmer que le touriste n’a aucune crainte à avoir de visiter Bogota (photos ici) ou Medellin,(photos ici) a fortiori les plus petites villes de Colombie. Il y a au contraire une grande gentillesse de la part de tous ceux que l’on croise, commerçants, restaurateurs, agents publics, etc…qui vous sont au contraire reconnaissants d’avoir franchi la barrière de la peur et de la mauvaise réputation. Il y a certes des régions à éviter (on recommande de s’inscrire sur le site du Quai d’Orsay : Fil d’Ariane)

Un patchwork écologique

Ce qui frappe immédiatement en Colombie, c’est la variété des visages, des paysages, des origines. Je ne vais pas refaire ici le voyage que je viens de faire : pour cela lire mes brèves de blog du 7 au 22 août.

Mais quelques constats… réjouissants.

La première chose que je remarque quand je traverse un pays, c’est l’état du domaine public. Et pendant très longtemps, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud, on remarquait malheureusement la saleté, l’absence d’entretien, le plastique répandu partout. Il y a, en Colombie comme ailleurs, encore pas mal de décharges sauvages, mais dans l’ensemble le souci d’éco-responsabilité est manifeste dans le ramassage et le traitement des déchets, l’utilisation de l’eau – qui est une ressource encore très abondante, mais dont le citoyen colombien a conscience qu’elle doit être préservée – A Medellin comme à Bogota, on peut visiter ce qu’ils n’appellent pas là-bas « favelas » comme au Brésil, mais du terme étrange d’ invasiones. Il y a une fierté évidente à montrer au touriste étranger ce qui a été fait pour réhabiliter ces « comunas« , ces quartiers précaires jadis gangrénés par le trafic et la violence. C’est particulièrement spectaculaire à Medellin :

La Comuna 13, naguère la plus mal famée de Medellin, est aujourd’hui un quartier complètement réhabilité, où les artistes ont travaillé à la demande et avec l’accord des habitants, le plus notable étant que les aménagements ont été pensés pour les handicapés, les personnes âgées, les enfants – ce qui n’était pas gagné d’avance vu la configuration des lieux !

Il en a été de même dans la Comuna 3 au sud de la ville.

La préoccupation écologique est tout aussi manifeste dans les villes de bord de mer, comme Carthagène qui n’est pas encore submergée par le tourisme de masse, parce qu’elles privilégient l »hôtellerie à taille humaine, même si les nouveaux quartiers voient les gratte-ciel pousser comme des champignons.

L’habitat colonial dans le quartier ancien de Getsemani à Carthagène.

Album complet sur Carthagène des Indes à voir ici.

Au nord de la Colombie, sur la côte caraïbe, le parc national de Tayrona préserve à la fois une richesse naturelle prodigieuse et surtout les lieux de vie des Indiens Tayrona et Kogis.

Le pays du café

La Colombie est le troisième producteur mondial de café, après le Brésil et le Vietnam. Au centre du pays, au milieu de villages archétypiques – Filandia, Salento, Quimbaya, on cultive le café, et maintenant un peu de cacao, sans engrais chimiques, selon des méthodes traditionnelles. Les Colombiens se plaignent – gentiment – de ne boire que du café de qualité moyenne, puisque le meilleur de leur production – exclusivement de l’arabica – est destiné à l’exportation. Cela dit, pour avoir chaque matin bu du café « local », je l’ai trouvé très convenable et souvent excellent.

Même si l’Equateur est indétrônable dans la région pour la production de cacao, la Colombie s’est mise depuis quelques années à cultiver le cacao. Comme on a pu le constater près de Quimbaya

On doit ajouter à cela la qualité de la gastronomie locale, de la plus simple – à base de manioc, de banane plantain, de toutes sortes de légumes et de fruits – à la plus sophistiquée (on a très bien dîné à Bogota, Medellin ou Carthagène, à des prix des plus raisonnables).

On ne saurait prétendre bien connaître un pays deux fois grand comme la France, qu’on n’a fait qu’entrevoir, mais on en revient heureux d’avoir rencontré des gens, de tous âges, confiants dans l’avenir, dans un pays prospère économiquement, où l’on ne se résigne ni à la misère ni au déclassement. On va, en tout cas, suivre de près les évolutions politiques en cours…

Même les vautours noirs, leur vrai nom est « urubu », viennent se désaltérer à la piscine. Tandis que les singes hurleurs roux se font un malin plaisir de surprendre le touriste au réveil.

Retour de Bombay (III) : la vie devant soi

Il y avait tout de même une raison personnelle à ce voyage à Bombay, il y a tout juste une semaine. Ma mère qui fête aujourd’hui ses 88 printemps est la dernière d’une fratrie de huit, et parmi mes oncles, sans doute le frère préféré, un jésuite qui voua toute sa vie à enseigner et à construire puits, école, maisons dans un village du Maharashtra (l’Etat dont Bombay est la capitale). Je l’ai vu deux fois seulement, à l’occasion de voyages qu’il faisait dans sa Suisse natale pour récolter des fonds et parler de sa « mission », j’ai manqué son dernier voyage, dernier à tous égards : opéré à Bombay d’une tumeur au cerveau, détectée par hasard, et trop tard, il était venu se soigner parmi les siens en Suisse, et sachant l’issue inéluctable, avait demandé à être ramené parmi ses frères en pauvreté et en amour pour être inhumé dans cette terre indienne qu’il avait tant labourée.

La visite il y a une semaine exactement du plus grand « slum » de Bombay (et d’Asie), Dharavi – 1,2 millions d’habitants – a pris valeur d’une sorte d’hommage à cet oncle, et je n’ai pas regardé ceux que j’ai vus, tous ces visages d’hommes, de femmes, d’enfants, sans penser à chaque instant à Dominique.

Oui, on peut maintenant « visiter »un bidonville. J’avoue que je répugnais à cette perspective, mais quand j’ai su que notre guide avait lui-même grandi dans ce « quartier » de Bombay et y vivait toujours, et proposait ces visites avec d’autres de ses camarades pour financer ses études à l’Université, alors toutes mes réticences ont été levées.

J’ai pris le moins de photos possible, je n’étais pas là en touriste ni en voyeur de la misère humaine, j’avais envie de croiser des regards, des sourires, de m’attarder sur ces ruelles, ces échoppes, ces ateliers, ces minuscules demeures, grouillants de vie.

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L’impression d’une gigantesque usine de récupération… et de transformation. Une fonderie d’aluminium au milieu d’une ruelle. Des billes de plastique après transformation.

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Plusieurs centaines de temples, mosquées, églises, des commerces, des dispensaires, tout ce qui fait vivre la ville, des camions de livraison qui ne reculent devant aucun obstacle !

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Et c’est vrai, des familles entassées dans de minuscules réduits, à 7 ou 8, les enfants dormant à même le sol, des normes d’hygiène et de pollution, qui feraient frémir le plus obscur fonctionnaire européen, et en même temps l’impression d’un système parfaitement organisé, d’une économie autonome, et d’une population industrieuse, pauvre, très pauvre, mais pas miséreuse.

Surtout ne pas avoir la prétention de comprendre et d’analyser quand on n’a passé qu’une matinée au milieu de cette ville dans la ville. Garder espoir en une jeunesse qui ne se résigne pas, et qui semble vouloir participer au formidable développement de la plus grande ville indienne.

Contraste absolu quand on revient au sud de la mégapole, dans les quartiers jadis britanniques…

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