Nous y voilà : Gabriel Fauré, né le 12 mai 1845 est mort il y a cent ans exactement, le 4 novembre 1924. En juin dernier j’avais déjà consacré un article au compositeur ariégeois (Le vrai Fauré) en citant quelques disques qui comptent pour moi. Entre-temps sont parues plusieurs nouveautés (au piano) et rééditions, qui ont suscité des critiques très partagées, par exemple sur les disques de Théo Fouchenneret et Aline Piboule
Je connais l’une et l’autre (Ils ont fait Montpellier : En blanc et noir), mais comme je n’ai pas écouté leurs disques, je me garderai bien d’en parler. Je peux seulement les féliciter d’apporter leur pierre à un édifice discographique qui n’a guère évolué depuis une trentaine d’années pour ce qui est du piano seul (relire Le vrai Fauré).
C’est vrai de l’ensemble de l’oeuvre de Fauré, comme en témoigne le coffret récapitulatif que publie Warner/Erato.
Le plus étonnant – à moins que ce ne soit un choix ? – est qu’il ne s’y trouve aucun des enregistrements d’une intégrale de la musique de chambre réalisée, un peu à la va-vite, pour le même éditeur il y a quatorze ans, intégrale aujourd’hui indisponible (à l’exception du Quatuor Ebène)
Une adresse à l’éditeur : en dehors d’un index des oeuvres en anglais, le livret ne donne aucune indication sur le contenu des 26 CD ni sur les interprètes !
Seul apport à une discographie déjà multi-rééditée, la tragédie lyrique Prométhée dénichée dans les archives de l’INA, un « live » réalisé le 19 mai 1961 à l’Orangerie du parc de Sceaux par Louis de Froment dirigeant l’Orchestre national et le choeur de la RTF avec une distribution grand format : Berthe Monmart, Jeannine Collard, Janine Micheau, Emile Belcourt, André Vessières et Jean Mollien. Plus une palanquée d’archives. Et des versions connues et reconnues qui n’ont rien perdu de leur superbe !
Mon Fauré
En plus des versions que j’ai déjà signalées (Le vrai Fauré) j’aimerais signaler quelques-uns des disques auxquels je reviens régulièrement
Ai-je besoin de rappeler l’admiration que j’éprouve pour ces deux amis de longue date, Tedi Papavrami et Nelson Goerner ?
Mention aussi de Giulio Biddau, un jeune pianiste sarde, dont j’avais découvert le disque il y a quelques années :
On ne sera pas surpris de trouver ici le nom de Felicity Lott, dont il faut thésauriser les disques, très épars, de mélodie française
Même admiration pour ma très chère Sophie Karthäuser et son merveilleux partenaire Cédric Tiberghien.
Dommage que le coffret Erato/Warner ne reprénne aucun des enregistrements d’Armin Jordan, comme un merveilleux Requiem
Evoquer le bicentenaire de la naissance de Baudelaire, c’est immédiatement songer à tous ces musiciens d’hier et d’aujourd’hui que le poète des Fleurs du Mal a inspirés et continue d’inspirer – Lire : Baudelaire en musique – Je diffusais hier L’invitation au voyage version Diepenbrock. Aujourd’hui la sublime version de Duparc, dans l’interprétation bouleversante du très grand José Van Dam
Une version un peu négligée de la Flûte enchantée de Mozart, la première qui ait figuré dans ma discothèque (Sawallisch 1973), et l’une des plus formidables Reine de la Nuit de toute la discographie de l’oeuvre, Edda Moser
12 avril : Offenbach et Scherchen
Un peu de légèreté ne nuit pas en ces temps pesants. Le grand Hermann Scherchen (1891-1966) ne dédaignait pas ces musiques qu’on dit « légères ». Son ouverture de La Grande Duchesse de Gérolstein d’Offenbach fait frétiller les musiciens de l’Opéra de Vienne (et nous avec !)
13 avril : la création du Messie
L’oratorio le plus célèbre de Haendel, Le Messie, a été créé le 13 avril 1742 lors d’un gala de charité au Temple Bar de Dublin.
« Why do the nations so furiously rage together? » c’est une question toujours actuelle et c’est l’un des airs les plus virtuoses du Messie. Ici c’est le baryton-basse britannique John Shirley-Quirk (1931-2014) qui l’a gravé à quatre reprises qui l’interprète sous la direction de Raymond Leppard (1927-2019)
14 avril : la grande dame n’est pas celle qu’on croit
L’ex-candidate (il y a 14 ans !) à l’élection présidentielle ne se résout pas à prendre, à 68 ans, une retraite qu’elle prône pour tous les travailleurs à 60 ans. Voici Ségolène Royal candidate à devenir sénatrice des Français de l’étranger !! et elle parle de crédibilité de la classe politique ? (Je me sens très proche des Français de l’étranger)
Une vraie grande dame, elle, c’est Maria Tipo :
J’ai eu la chance de connaître (un peu) la grande pianiste italienne Maria Tipo (90 ans cette année !), de siéger avec elle dans le jury du Concours de Genève il y a plus de trente ans. Elle a gravé plusieurs concertos de Mozart avec Armin Jordan et l’Ensemble Orchestral de Paris pour EMI. Disques devenus introuvables. Warner Classics & Erato devrait les rééditer.
15 avril : Notre Dame deux ans après
Deux ans après l’incendie de Notre Dame (lire Les héros de Notre Dame) qui mieux que Bach, qui mieux que Wilhelm Kempff pour consoler et redonner l’espérance ? L’évidence.
J.S.Bach : Choral BWV 639 « Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ »
16 avril : Dudamel à Paris
C’était un secret de polichinelle depuis des semaines: la nomination de Gustavo Dudamel à la direction musicale de l’Opéra de Paris a été officiellement annoncée ce vendredi.
Ma mère (un an de moins que la reine d’Angleterre !) samedi au téléphone : « Tu vas regarder les obsèques du prince Philip ? C’est un peu ton pays, puisque tu as été conçu à Londres, et qu’à trois mois près tu aurais pu y naître « .
J’ai suivi en partie son conseil, et comme beaucoup de téléspectateurs, j’ai été frappé par la simplicité d’une cérémonie certes contrainte par la crise sanitaire, la pure beauté des musiques choisies pour ces funérailles et de leurs interprètes.
18 avril : Peter Maag
Je signalais le 16 avril – vingt ans après sa mort – l’hommage rendu au chef suisse Peter Maag (1919-2001) : lirePeter le Suisse/
En dehors de ce coffret, la discographie de ce chef qui n’aimait rien tant que sa liberté est éparpillée en de multiples labels, et rarement disponible, sauf sur certains sites de téléchargement.
Ainsi ce 23ème concerto de Mozart – dont le sublime adagio parcourt tout le film L’Incompris de Luigi Comencini (1967) – joué ici par le bien oublié pianiste autrichien Walter Klien (1928-1991).
A l’occasion d’un autre anniversaire, le centenaire de la mort du compositeur néerlandais Alphons Diepenbrock – le 5 avril dernier – Le Hollandais oublié -, j’ai évoqué incidemment Baudelaire qui a inspiré à Diepenbrock plusieurs très belles mélodies, comme cette Invitation au voyage magnifiquement chantée par Aafje Heynis.
L’un de nos plus grands poètes, Charles Baudelaire, est donc né le 9 avril 1821, il y a deux cents ans.
J’emprunte à Jean-Yves Masson, écrivain, éditeur, professeur, une partie du magnifique texte qu’il publie sur sa page Facebook. A défaut d’avoir sa connaissance encyclopédique de Baudelaire, je partage son admiration, son amour de l’auteur des Fleurs du Mal et de tant d’autres chefs-d’oeuvre
« J’ai aimé Baudelaire d’instinct, dès que j’ai commencé à le lire sérieusement, c’est-à-dire je pense au tout début de mes études. Je l’ai aimé comme un frère puisqu’il m’appelait son semblable, son frère, et que j’ai compris que c’était vrai. Rimbaud l’avait déclaré « le premier voyant, roi des poètes, un vrai dieu « /…./ mais qu’il était évidemment Baudelaire est probablement le plus grand poète chrétien (je ne dis pas catholique) de toute la langue française, en tout cas le plus grand depuis les poètes baroques qu’il aimait tant.
Je me suis nourri de Baudelaire, j’ai vécu avec Baudelaire, je l’ai emporté partout en voyage, il est l’intelligence suprême faite poésie, jusque dans sa critique d’art….
. « Baudelaire est une origine », a dit Pierre-Jean Jouve, ce que le romantisme français n’a pas su être (ailleurs en Europe, oui, mais pas en France). Jouve a raison: ce qu’on appelle la poésie a révélé avec un lui un visage nouveau dans notre langue et personne ne peut l’ignorer…
Hugo serait bien surpris s’il revenait et découvrait que l’œuvre de Baudelaire pèse aussi lourd sur la balance de l’Esprit que les dizaines de milliers de vers de la sienne, et sans doute même plus lourd. Je sais ce que vaut quelqu’un au jugement qu’il porte sur Baudelaire et à la manière dont il en parle. S’il n’y avait pas Montaigne et Rimbaud, il est clair que, sur une île déserte, j’emporterais Baudelaire. Il est vrai que comme je le connais presque par cœur, autant que Rimbaud, le dilemme serait vite résolu. » Bon anniversaire, souverain maître ! (Jean-Yves Masson, 9 avril 2021)
L’invitation au voyage
C’est incontestablement L’invitation au voyage dans le recueil des Fleurs du Mal (1857) qui a eu le plus de succès chez les compositeurs : près d’une dizaine se sont essayés, avec des fortunes diverses, à parer ces vers de mélodies.
Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. — Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Léo Ferré
Benjamin Godard
Emmanuel Chabrier
Mais c’est pour moi définitivement Henri Duparc qui donne sa perfection musicale à cette sublime Invitation
J’avoue aimer autant la version orchestrale que la version avec piano, surtout avec des interprètes de la qualité de Françoise Pollet et de José Van Dam !
Impossible d’être exhaustif quant aux multiples « mises en musique » de Baudelaire (on renvoie à une page Wikipedia très bien faite)
Encore quelques exemples, parfois inattendus.
Fauré : Chant d’automne
Chausson : L’Albatros
Harmonie du soir mise en musique par Debussy, donne aussi Harmonie des Abends sous la plume de Zemlinsky
Plus étonnant encore, le premier des trois Lieder que compose un Karlheinz Stockhausen de 22 ans, en 1950, Der Rebell / Le rebelle
Le Vin selon Berg
Alban Berg compose, en 1929, Der Wein, pour soprano et orchestre. Il choisit trois des poèmes des Fleurs du Mal parmi les cinq que contient la section intitulée Le Vin, dans la traduction du poète allemand Stefan George : L’âme du fin/ Die Seele des Weines, Le vin des amants / Der Wein der Liebenden, Le vin du solitaire / Der Wein des Einsames
Tout un monde lointain
L’oeuvre la plus célèbre d’Henri Dutilleux, dédiée à et créée par Mstislav Rostropovitch en 1970, Tout un monde lointain, emprunte son titre à un vers du poème La Chevelure : Tout un monde lointain, absent, presque défunt.
Dutilleux cite Baudelaire en exergue de chacun des cinq mouvements enchaînés de son concerto pour violoncelle :
1 Énigme (Très libre et flexible)…Et dans cette nature étrange et symbolique… , Poème XXVII
2 Regard (Extrêmement calme)…le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… , Le Poison
3 Houles (Large et ample) …Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts… , La Chevelure
4 Miroirs (Lent et extatique) Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux Qui réfléchiront leurs doubles lumières Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux. », La Mort des amants
5 Hymne (Allegro) …Garde tes songes: Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous!, La Voix
Ici dans une version enregistrée en 2013 à Helsinki par le tout jeune Aurélien Pascal, 19 ans à l’époque, Aurélien Pascal qui sera l’un des invités de marque, en duo avec Alexandre Kantorow le 24 juillet prochain à Montpellier (voir lefestival.eu
Ceux qui me connaissent ne seront pas étonnés que je recommande ces deux disques, de la plus francophile et francophone des chanteuses britanniques, la chère Felicity Lott
Il est né le 2 septembre 1862 à Amsterdam, et mort dans la même ville il y a cent ans très exactement, le 5 avril 1921.
Il n’est pas le seul dont on va, cette année, commémorer le centenaire de la mort (Saint-Saëns, Humperdinck) ou de la naissance (Piazzolla), mais il est à coup sûr, l’oublié de la liste, en dehors de son pays d’origine !
J’ai découvert l’existence d’Alphons Diepenbrock il y a quelques années, grâce à un disque de Riccardo Chailly, enregistré avec l’orchestre du Concertgebouw – dont le chef italien est alors le directeur musical – dans le cadre d’une intégrale des symphonies de Mahler. A la 7ème symphonie de ce dernier, était couplé Im grossen Schweigen (1905), une sorte de grand poème symphonique avec voix, sur un texte de Nietzche, dudit Diepenbrock.
La fascination pour une écriture orchestrale qui a des parentés évidentes avec Mahler ou Zemlinsky est immédiate, pour la forme, le format et la longueur, inédits, de ces mélodies avec orchestre.
Je ne cesserai plus d’explorer l’oeuvre de ce compositeur, grâce à d’autres disques trouvés en Hollande, où je m’approvisionnais régulièrement, venant de Liège (il n’y a qu’une toute petite trentaine de kilomètres entre Liège et Maastricht !).
Brilliant Classics rééditant, à tout petit prix, des enregistrements produits et publiés par Chandos.
En 2012, un autre label hollandais, Etcetera, consacre, à l’occasion du sesquicentenaire* de Diepenbrock, un coffret de 8 CD et un DVD, regroupant sinon la totalité de l’oeuvre, au moins tout ce qui a été enregistré du compositeur amstellodamois. Un coffret exemplaire à tous points de vue. Un livret richement documenté, comportant l’ensemble des textes et poèmes mis en musique, les témoignages de ses contemporains et interprètes, bilingue anglais-néerlandais.
Et tout récemment, extrait de ce coffret, Brilliant Classics édite les mélodies avec piano.
Une oeuvre atypique pour un compositeur contemporain de Mahler, Reger ou Debussy ! Rien pour le piano ou la musique de chambre, pas d’opéra, très peu pour l’orchestre symphonique – mais d’une grande qualité et toujours lié à des sujets littéraires – et pratiquement 90% d’une production vouée à la musique vocale et chorale.
(Die Nacht (1911) chantée par Janet Baker accompagnée par Bernard Haitink et le Concertgebouw)
Diepenbrock, né dans une famille qui ne connaît pas les fins de mois difficiles, se tourne plutôt vers l’Université que vers le Conservatoire. C’est un littéraire, épris de Baudelaire, Verlaine, Goethe, Hölderlin, Novalis, qui se lancera plutôt tardivement, et en autodidacte, dans la composition.
Pour son 50ème anniversaire, le 2 septembre 1912, c’est Willem Mengelberg lui-même qui lui dédie tout un concert de ses oeuvres à la tête de l’orchestre du Concertgebouw, comme Marsyas ou le printemps enchanté (1906) – une musique de scène pour la comédie de Baltasar Verhagen –
L’influence de Debussy dans le traitement de l’orchestre est évidente.
Mais Diepenbrock fera toujours un complexe par rapport à ses illustres contemporains, qui seront aussi ses amis, Mahler ou Richard Strauss par exemple. Il ne se sent pas capable d’oeuvres de l’envergure des symphonies de Mahler, encore moins des opéras de R. Strauss.
Mengelberg dit de lui, en 1909 : « Diepenbrock est un génie, mais sa musique est sacrément difficile« . Difficile à mémoriser, donc à apprendre, balançant constamment entre influences wagnériennes et raffinements debussystes. Difficile aussi parce que sa compréhension repose sur une connaissance approfondie du contexte littéraire.
Plus confidentielle encore – on veut dire par là complètement ignorée hors des Pays-Bas- son oeuvre chorale, liturgique ou profane, n’a jamais cessé d’être au programme des formations néerlandaises (le coffret Etcetera comprend plusieurs enregistrements avec Eduard Van Beinum, Bernard Haitink, Ed Spanjaard)
Le corpus de mélodies avec piano, quant à lui, se partage entre trois tiers presque égaux : 13 Lieder en majorité composés sur des poèmes de Goethe, 11 sur des textes latins, italiens ou néerlandais, et 11 sur des poèmes français, Verlaine, Baudelaire pour l’essentiel, mais aussi Gide (Incantation) ou Charles van Lerberghe (Berceuse).
On est évidemment surpris lorsqu’on a dans la tête l’Invitation au voyage avec les notes de Duparc
et qu’on découvre ce qu’en a fait Diepenbrock ! Ici dans une merveilleuse interprétation, celle deAafje Heynis (1924-2015) – qui n’est pas celle qu’on trouve dans les coffrets Brilliant/Etcetera, gâchée par la diction chewing-gum de Jard Van Nes.
Si le centenaire de sa mort peut contribuer à le faire mieux connaître, à faire aimer un compositeur singulier, qui n’est pas un simple épigone, alors célébrons celui d’Alphons Diepenbrock !