Bizet #150 (I) : les perles méconnues

On commémore ce 3 juin le sesquicentenaire* de la mort de Georges Bizet, à 37 ans. d’une crise cardiaque survenue dans sa maison de Bougival, deux mois pile après la création de Carmen à l’Opéra-Comique. J’ai déjà fait état de mes préférences et références pour cet opéra : Carmen est de la revue.

Je n’ai fait le rapprochement qu’il y a quelques semaines en réécoutant un disque acheté il y a longtemps à Barcelone. Ecoutez « El arreglito » du compositeur espagnol Sebastian Iradier, une habanera qui ressemble beaucoup à une autre – d’ailleurs Bizet ne s’est jamais caché de s’en être inspiré !

Mais comme pour d’autres compositeurs – Ravel et son Boléro par exemple – la célébrité universelle de Carmen a éclipsé tout le reste de l’oeuvre de Bizet. Rien que pour les ouvrages lyriques, tant sur scène qu’au disque, c’est la rareté.

Pour un Docteur Miracle récemment ressuscité au Châtelet (lire ma critique sur Bachtrack : Purges et élixirs du docteur Bizet au Châtelet), où sont les mises en scène de Don Procopio, Ivan IV, La jolie fille de Perth, ou même Les pêcheurs de perles qui sont relativement mieux servis ?

Discographie tout aussi étique, avec pour Les pêcheurs deux versions qui sortent du lot :

La romance de Nadir est le « tube » de l’ouvrage. Et il ne réussit pas à tous les ténors (on ne citera pas ici ceux qui sont hors sujet ou plutôt hors voix)

Je n’aime pas toujours Cyrille Dubois (il m’a bloqué sur les réseaux sociaux parce que j’ai exercé mon droit élémentaire de critique dans une production de la Flûte enchantée sur Bachtrack) mais dans cet air en particulier il est proche de l’idéal.

Alain Vanzo (1928-2002) était, lui aussi, idéal dans ce répertoire.

Mais pour moi la meilleure version de cette romance de Nadir reste celle de… Tino Rossi, jadis découverte sur un 45 tours, la voix des étoiles…

Dans le même registre orientalisant qui a séduit tant de compositeurs au XIXe comme au début du XXe siècle, Djamileh présente des séductions qu’on aimerait un jour voir sur une scène, pourquoi pas sur celle de l’Opéra-Comique, où l’ouvrage fut créé le 22 mai 1872.

L’Arlésienne introuvable

Pas la peine d’insister sur la purge qu’a constituée L’Arlésienne qu’on a vue au Châtelet. Pour qui souhaite l’intégralité de la musique de scène composée par Bizet, deux versions d’égal intérêt :

On connaît évidemment mieux et on écoute beaucoup plus souvent les suites d’orchestre qu’en ont tirées le compositeur et Ernest Guiraud (à lire dans le prochain billet)

Enfin on remercie le Palazzetto Bru Zane pour ce quadruple CD – et toujours un livret remarquablement documenté – qui restitue de vraies raretés, qui ne sont pas toutes de première importance, mais qui sont servies par les meilleurs interprètes du moment

Bizet au piano

L’oeuvre pianistique de Bizet a longtemps été et reste largement confidentielle. Je n’ai eu longtemps dans ma discothèque que l’album réalisé par le pianiste français d’origine arménienne Setrak (1930-2006).

Il y a eu, depuis, un formidable disque de Nathanaël Gouin qui « revisite » avec un talent fou le Bizet qu’il aime.

*sesquicentenaire = 150e anniversaire

Toutes les versions signalées proviennent de ma discothèque personnelle.

Et toujours mes carnets du quotidien : brèves de blog

La naissance de Fauré

Gabriel Fauré est né le 12 mai 1845, il y a donc 180 ans, à Pamiers (Ariège).

La statue de Gabriel Fauré, due au sculpteur Sébastien Langloÿs, inaugurée il y a six mois à Pamiers

On a beaucoup parlé de Fauré, l’an dernier (voir Le vrai Fauré), parce que c’était le centenaire de sa mort. La vie culturelle, musicale, les sorties de disques, les expositions, tout est désormais rythmé par les anniversaires (lire Du bon usage des anniversaires).

Aujourd’hui personne ne parlera de Fauré, le jour de sa naissance, puisqu’on semble avoir épuisé le sujet pour le centenaire de sa mort. Et, à vrai dire, on s’en fiche…

Je veux juste en profiter pour ressortir de ma discothèque quelques raretés, oeuvres ou interprètes.

Nathalie et Catherine

L’un des plus beaux disques de mélodies de Fauré rassemblant Nathalie Stutzmann (60 ans depuis quelques jours !) et la très regrettée Catherine Collard

Le bouquet de mélodies gravées par Victoria de Los Angeles m’émeut toujours

C’est par Yves Montand qu’adolescent j’ai découvert Les Berceaux de Fauré !

J’avais déjà écrit ici mon admiration pour le pianiste américain Grant Johannesen (1921-2005) et son interprétation de la Ballade pour piano et orchestre

J’ai consacré pas mal d’articles à l’oeuvre pour piano de Fauré.

Juste cette pépite, cet Impromptu n°2 capté au festival de Montreux en 1988. Quatre ans plus tard pour les 90 ans d’Hugues Cuénod, Nikita Magaloff qui devait disparaître quelques temps après, en donna une version inoubliable, d’une beauté crépusculaire.

Masques et bergamasques est une pièce tardive de Fauré, elle résiste aux baguettes qui n’en saisissent pas l’esprit, mais évidemment pas à Armin Jordan, qui l’a enregistrée avec l’Orchestre de chambre de Lausanne. Merci à l’OSR et à la télévision suisse de nous restituer cette vision de concert

Pénélope oubliée

On ne peut pas dire que l’unique opéra de Fauré, Pénélope, créé en 1913 à Monte Carlo, encombre les programmes d’opéra ni les discothèques.

C’est dire si la version de Charles Dutoit, avec son fabuleux cast, est précieuse.

Fauré à Bâle

Il faut saluer le travail que fait le chef britannique Ivor Bolton sur la musique française depuis qu’il préside aux destinées de l’Orchestre symphonique de Bâle (Basler Sinfonie-Orchester), avec notamment ce très beau disque :

Et toujours les échos de mon week-end à Athènes et autres impressions : brèves de blog

France Musique : 30 ans ont passé, les souvenirs restent

J’ai déjà raconté ici – L’aventure France Musique – les raisons et les circonstances de mon arrivée à France Musique le 23 août 1993, il y a donc exactement 30 ans !

J’invite ceux que cela intéresse à relire mon article d’il y a cinq ans…

J’ai découvert un peu par hasard que le 6e épisode du podcast La Maison de la Radio : 60 ans de musique et de partage évoque cette période et le rôle que j’ai pu jouer (à écouter ici ou en direct le 26 août à 9 h sur France Musique)

Je garde de précieux souvenirs des presque six années que j’ai passées à la tête de la station, mais je n’éprouve ni nostalgie ni regrets. Encore moins ce qui malheureusement alimente souvent les souvenirs de ceux qui ont été « en responsabilité », l’aigreur ou la rancoeur. Ce sont des sentiments qui me sont, qui m’ont toujours été étrangers.

Oui il m’arrive de penser que j’aurais pu faire plus, mieux, plus longtemps dans les fonctions qui m’ont été confiées, mais j’éprouve plus souvent la satisfaction de voir que les projets qu’on a lancés, les transformations qu’on a opérées – et il y en a eu beaucoup à France Musique – sans heurts, sans atteinte à la dignité des personnes, sont ancrés dans l’histoire de la chaîne et dans la mémoire de ceux qui ont participé à l’aventure, et qui pour beaucoup en font encore partie.

Deux grilles etc.

Anne-Charlotte Rémond évoque dans cet épisode la grille que j’étais chargé de préparer pour janvier 1994 (sous la supervision de Claude Samuel). Elle aurait pu ajouter ma pleine et entière responsabilité dans celle qui a été établie, cette fois avec Pascal Dumay, pour la rentrée 1997. Les principes sont restés les mêmes, mais – il y a prescription – je voudrais raconter une anecdote qui illustre l’état de tension, d’incertitude que génère inévitablement l’exercice de la refonte d’une grille de programme chez les producteurs. Dumay et moi nous étions isolés pendant un week-end à l’écart de Paris pour « finaliser » le dispositif et bien entendu nous étions convenus, au moins implicitement, que nos discussions resteraient secrètes, tant que la grille ne serait pas validée, sachant que tous guettaient le moindre signe. Dans la semaine qui suivit, mon cher assistant, Sylvain Lopez (tragiquement disparu dans un accident de voiture à l’été 1999), me rapporta des « bruits » de couloir alarmistes, forcément alarmistes, sur nos travaux du week-end! Je parvins à identifier la source de ces bruits, une jeune productrice dont on me dit qu’elle était très proche du directeur de la musique…Je me retrouvai dans la très délicate situation de devoir dire innocemment (!) à ce dernier mon incompréhension quant aux fuites qu’on me rapportait. Penaud, il me promit de mettre fin à cette situation ! Finalement, « notre » grille fut très bien accueillie tant par la « maison » que par la presse.

J’ai précieusement gardé l’article de Christian Leblé paru dans Libération en janvier 1996, quelques mois avant que Claude Samuel ne soit remplacé par Pascal Dumay à la direction de la musique de Radio France : France Musique mue et remonte. Les problématiques qui se posaient demeurent peu ou prou et la nécessité de faire une « radio à l’écoute de ses auditeurs » plus évidente que jamais.

Mémoire retrouvée

Ainsi à l’occasion du récent décès de Renata Scotto, France Musique a rediffusé quelques épisodes d’une série « Mémoire retrouvée » que j’avais lancée dès l’été 1994, sur un principe simple. En radio, la plupart des personnes interviewées le sont parce qu’elles sont dans l’actualité ou parce qu’elles ont une « promo » à faire. Mais quid de celles et ceux qui ont quitté les feux de la rampe, et qui ont des tas de souvenirs à livrer… et qu’on interroge rarement ? J’avais donc proposé à tous les producteurs de la chaîne une formule et un format inédits (j’avoue que j’ai eu un peu de mal à convaincre la structure de production, déstabilisée par la liberté que je tenais à laisser aux équipes) : j’ai demandé à chacun(e) une liste de personnalités qu’il/elle souhaiterait interroger. Une fois d’accord, les producteurs prenaient contact avec elles et nous ne fixions la durée de l’émission qu’après que la rencontre entre interviewés et producteurs avait eu lieu. Ainsi, par exemple, la même productrice fit face à deux cas de figure opposés : après avoir rendu visite à un célèbre ténor (Alain V.), elle me dit qu’avec le matériau récolté, elle tiendrait tout juste une heure. En revanche, avant même d’en avoir terminé avec la grande Renata T., elle m’annonça qu’elle en aurait bien pour cinq émissions, toute une semaine. Je ne voulais surtout pas enfermer les uns et les autres dans un format.

C’est ainsi qu’avec Renata Scotto, en 1997, Mildred Clary put réaliser trois émissions : Mémoire retrouvée de Renata Scotto, à réécouter ici

Je regrette que mon successeur Pierre Bouteiller ait interrompu une série qui constitue, encore aujourd’hui, une formidable source d’archives exclusives sur le monde musical de la fin du XXème siècle.

Directs de New York et de Lyon.

Parmi les réalisations dont je reste fier, deux semaines vraiment exceptionnelles à l’automne 1998 ont marqué l’histoire de la chaîne. Anne-Charlotte Rémond évoque dans son podcast l’incroyable semaine en direct de New York avec Renaud Machart et Claude Carrière : je l’ai racontée ici lorsque Claude Carrière est mort (lire La belle carrière de Claude). Avec un incident dont je n’ai pas lieu d’être fier…

Quelques mois après l’expédition new-yorkaise, France Musique installait ses micros à l’Opéra de Lyon, pour une semaine de directs de l’amphithéâtre de la scène complètement refaite par Jean Nouvel en 1993.

Pour la première fois, les auditeurs de la chaîne allaient découvrir en direct plusieurs stars d’aujourd’hui : Karine Deshayes, Stéphane Degout, Stéphanie d’Oustrac…et l’ouvrage de Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue, avec lequel le nouveau directeur général, Alain Durel, et son nouveau directeur musical, Louis Langrée, inauguraient leur mandat, Françoise Pollet incarnant glorieusement le rôle réputé inchantable d’Ariane.

Un dernier hommage à Michel Larigaudrie, disparu il y a bientôt un an, qui m’envoyait régulièrement des photos des émissions de France Musique qu’il réalisait. Je retrouve celle-ci au moment de conclure cet article : je ne reconnais pas tout le monde, sauf bien sûr à droite de la photo Rolf Liebermann (1910-1999), entre autres ancien directeur de l’Opéra de Paris, et tout à gauche Michel Larigaudrie et Olivier Morel-Maroger qui m’a lointainement succédé à la direction de la chaîne (de 2011 à 2014). Je me demande bien ce que j’étais en train de raconter à l’époque…

L’aventure France Musique (VIII) : Mémoire retrouvée

Dans le cadre de la nouvelle émission  Les Trésors de France Musique de la grille de rentrée de France Musique, proposée chaque soir de 23 h à minuit, Françoise Monteil diffusait jeudi soir des extraits d’une Mémoire retrouvée consacrée au violoniste Isaac Stern.

J’évoquais le concept des grilles d’été que j’avais involontairement introduit sur France Musique à l’été 1994 (L’aventure France Musique : la séparation).

Deux pleins mois pour permettre aux producteurs réguliers de la chaîne, d’abord de prendre leurs vacances, mais aussi d’essayer de nouvelles idées, de nouveaux formats, et bien sûr pour la direction de donner leur chance à des collaborateurs extérieurs, de tester des concepts, d’ouvrir la chaîne, etc. (c’est ainsi que l’animateur de Tour de chant, l’actuelle émission dominicale vouée à la chanson, Martin Pénetétait venu me proposer une mini-série d’été).

Parmi les projets auxquels je tenais le plus, je souhaitais constituer, ou plutôt reconstituer des archives sur les grands interprètes retirés de la vie active. Déjà à l’époque (!) on invitait les artistes au micro en fonction de leur actualité, pour faire la « promo » de leur dernier disque, du concert ou du spectacle auquel ils participaient. Mais les grands entretiens comme ceux que conduisait Claude Maupomé (Comment l’entendez-vous ?) n’existaient plus.

Je me demandais tout simplement, comme beaucoup d’auditeurs, ce qu’ils étaient devenus, tous ces artistes qui nous avaient enchantés. C’était d’ailleurs le premier titre auquel j’avais pensé : « Que sont-ils devenus? ». Finalement nous nous étions arrêtés à un titre à la fois plus neutre et plus explicite : Mémoire retrouvée.

Le principe de l’émission était d’une grande simplicité. Tous les producteurs de la chaîne étaient sollicités, ils choisissaient librement celles et ceux qu’ils allaient interviewer, et, après arbitrage de ma part, on ne fixait la durée et le nombre des émissions qu’après qu’ils eussent rencontré leurs interlocuteurs. Et surtout, l’émission devait échapper au cadre classique de l’interview, questions-réponses, et laisser seulement parler le musicien, l’inviter à se livrer en toute confiance en dehors de toute préoccupation promotionnelle.

C’est peu de dire que ni les producteurs ni les chargés de réalisation n’étaient habitués à pareille liberté (en général, la direction imposait un format, un horaire), et qu’il fallut pas mal de réglages. Mais tous eurent tôt fait de constater que c’était la bonne formule.

Je  me rappelle deux cas en particulier, où cette souplesse fut bienvenue : ce producteur qui s’était rendu au domicile, une petite maison au bord de la Marne,  d’un ténor qui eut son heure (justifiée) de gloire et qui m’avoua qu’il parviendrait avec peine à construire une heure et demie d’émission avec les propos qu’il avait enregistrés (« C‘est terrible, il n’avait rien à dire! »), et à l’inverse, cette productrice qui avait obtenu un rendez-vous avec Renata Tebaldi, en était revenue enthousiaste, avec de la matière pour faire cinq émissions. Le ténor eut ainsi droit à une heure et demie, la concurrente de Maria Callas à sept heures et demie.

Sauf erreur de ma part, cette série d’émissions estivales commença en 1994 et s’acheva en 2000.

Ces Mémoire retrouvée sont, je l’imagine, toutes archivées à l’INA. Elles ont beaucoup servi à Karine Le Bail et à son émission Les Greniers de la mémoire, mais aussi, bien sûr, à chaque fois qu’est survenu le décès de ceux que les micros de France Musique étaient allés chercher au fond de leur retraite.

La grande majorité des artistes sollicités par les producteurs de France Musique avaient répondu avec enthousiasme, souvent avec émotion. Quelques refus cependant : je me rappelle Teresa Stich Randall 

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faisant répondre qu’elle n’avait rien à dire sur sa vie d’avant (les années Aix, erc.), ou Lisa Della Casa disant que ses disques parlaient pour elle.

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Je me réjouis que Françoise Monteil pioche dans ces trésors, dans ces mémoires à jamais vivantes, pour son émission vespérale.

Parmi les extraits disponibles sur le site de l’INA

Roland Petit (1998)

Pierre Schaeffer (1994)

Régine Crespin (1995)