Tout un cinéma

Comme je le rappelais l’an dernier, à pareille époque (Oscars, Césars et Zanzibar) les longs voyages en avion me servent à rattraper mes retards en matière de cinéma. Le lendemain de la dernière cérémonie des Césars – qui pour une fois, se laissa regarder jusqu’au bout, bien rythmée, avec l’amusante et bienvenue séquence du « césar pour ceux qui n’ont pas eu le césar » – je prenais l’avion pour la Tanzanie, et à cause d’un important retard au départ, j’ai eu le temps de voir pas mal de films… dont certains de ceux qui ont été récompensés ce 28 février.

Un p’tit truc en plus

Je n’avais pas fait partie des près de 11 millions de spectateurs qui ont vu le premier film d’Artus, Un p’tit truc en plus.

J’ai compris le succès de ce film. Surtout pour quelque chose d’essentiel, que bien d’autres ont souligné avant moi : le regard porté sur les acteurs handicapés n’est jamais ni dans la bienveillance factice, ni dans le militantisme « inclusif ». On sourit souvent de leurs maladresses, de leurs réactions, de leurs tics et de leurs tocs. Et on finit par oublier complètement la performance qu’a dû constituer le tournage de ce film. On conserve longtemps en mémoire la lumière que dégage cette formidable troupe d’acteurs.

L’histoire de Souleymane

Je savais que le film avait déjà été primé à Cannes et ailleurs, et pourtant j’avais été réticent à aller le voir au cinéma. C’est le césar de la révélation masculine attribué à Abou Sangaré qui m’a finalement décidé à voir le film dans l’avion.

Tout le monde devrait voir ce film, parce qu’il évite tout ce que redoutais, le misérabilisme militant comme la critique manichéenne. Cela m’a rappelé un souvenir de la période Covid, lors d’un de mes séjours à Montpellier, lorsque les restaurants étaient encore fermés et que nous avions recours à la livraison à domicile. Je logeais au centre de Montpellier, dans une rue très facile à trouver, et pourtant ce jour-là le livreur – peut-être un Guinéen ? – n’arrivait pas à me trouver, se faisait engueuler par le restaurateur. Bref il finit par arriver, je l’attendais au bas de l’immeuble, et je vis un garçon qui me semblait très jeune, en pleurs, se confondant en excuses et me disant qu’il allait se faire virer à cause de son retard. Je l’écoutai quelques minutes me raconter son quotidien, la concurrence féroce entre livreurs pour espérer attraper les commandes, et un gain journalier de quelques euros. Je lui promis d’intervenir auprès du restaurateur et de la centrale par laquelle je passais pour mes commandes, pour obtenir de leur part la garantie que non seulement il ne serait pas sanctionné ni évincé, mais qu’au contraire il serait mieux employé et rémunéré. Ce fut le cas, et deux semaines plus tard A. revint me livrer, tenant à monter les deux étages qui accédaient à mon appartement. Un café bu rapidement, parce qu’il avait encore beaucoup de commandes à livrer.

On a dit que le film de Luc Lojkine relevait plus du documentaire que de la fiction. Peu importe. Tout y est juste, et jamais univoque. Les réseaux, les « frères » qui exploitent les réfugiés comme le Souleymane du film, mais aussi les amitiés qui naissent dans le foyer où il est hébergé, montrent l’envers d’un décor bien peu ragoûtant. Je repense toujours à la chanson de Pierre Perret, Lily, qui date de 1977 et demeure d’une saisissante actualité :

On la trouvait plutôt jolie, Lily
Elle arrivait des Somalies, Lily
Dans un bateau plein d’émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris

Le fil

J’avais vaguement vu passer ce film de Daniel Auteuil, Le fil, sans y prêter attention. Un avocat (Daniel Auteuil), sa femme avocate elle aussi (la prodigieuse Sidse Babett Knudsen, l’héroïne de la série Borgen), un père de famille (formidable Grégory Gadebois) accusé du meurtre de sa femme alcoolique. Ça pouvait faire un bon téléfilm du vendredi soir. Et c’est beaucoup mieux que cela, avec une issue surprenante, qu’on ne va évidemment pas dévoiler. Daniel Auteuil prouve, une nouvelle fois, que c’est l’acteur français le plus intense, le plus versatile qui soit. Son rôle dans l’Adversaire, le film de Nicole Garcia en 2002, sur l’affaire Romand, avait déjà donné la mesure de l’immensité de son talent.

Le roman de Jim

Autant être honnête, si Karim Leklou n’avait remporté, à la surprise générale, le César du meilleur acteur, je n’aurais sans doute pas regardé le film des frères Larrieu, Le roman de Jim.

Dans de superbes paysages du Jura se déroule une histoire assez simple au départ : Quand, lors d’une soirée, Aymeric rencontre par hasard sa collègue, Florence, celle-ci est célibataire et enceinte. Le jour où elle donne naissance à Jim, Aymeric est à ses côtés et passe des jours heureux avec eux. Un jour, le père biologique de l’enfant ressurgit« .

Je ne sais pas si la prestation de Karim Leklou dans ce film sympathique justifiait sa nomination. Au moins elle aura eu le mérite de l’inattendu. Le personnage qu’il incarne ici (Aymeric) lui va bien : un gentil un peu naïf, qui se fait avoir par les autres, par la vie, par les circonstances, qui fait office de père de substitution, dont on se débarrasse quand on n’a plus besoin de lui. Attachant, touchant, pas le plus grand film de l’année, mais à voir à l’évidence.

Dans le vol du retour deux films seulement – il faut un peu dormir tout de même ! –

En Fanfare

Malgré une rumeur très favorable autour de moi, je n’étais pas allé voir En fanfare, le film d’Emmanuel Courcel qui réunit Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin (qu’il serait tout de même temps de considérer autrement que comme l’attardé de la famille Tuche).

Sympathique certes, mais à la limite de la caricature. Au moins Benjamin Lavernhe est crédible en chef d’orchestre, et les musiciens qu’on voit et entend dans le film sont de vrais musiciens, professionnels ou amateurs. Pour le reste gentillet, attendu et souvent tiré par les cheveux.

Edmond

Pas vraiment récent, mais bien ficelé, Edmond d’Alexis Michallik. Intéressant pour comprendre la genèse d’une oeuvre et ce qui se passe dans la tête d’un créateur. Je n’ai cessé de penser à Mozart écrivant dans la nuit précédant la première à Prague, l’ouverture de son Don Giovanni (1787).

Catherine, Rudolf et le maire

L’avantage des longs voyages en avion c’est de pouvoir voir des films qu’on a manqués à leur sortie, qu’on ne serait peut-être pas allé spontanément voir en salle.. ou qu’on découvre dans la sélection proposée.

Ainsi mon récent périple africain (La beauté du mondem’a-t-il permis de voir trois films d’inégal intérêt qui ont en commun de constituer des portraits plutôt réussis.

Noureiev l’exilé

81WYqmVoFXL._AC_SL1500_Malgré la réputation de son auteur, je n’avais pas vraiment repéré ce Noureiev (en anglais The White Crow) de Ralph Fiennes.

Les biopics sont assez rarement réussis, la comparaison entre l’acteur/actrice incarnant le personnage portraituré et son modèle étant inévitable et souvent au désavantage de la fiction. Ralph Fiennes, lui, réussit son pari, avec le choix d’un jeune acteur, qui est aussi un excellent danseur, Oleg Ivenko, qui, d’emblée, « est » le Noureiev vibrant, insoumis, audacieux, que biographies et autobiographie nous ont décrit.

Le film se concentre sur une période décisive de la vie du danseur russe, le séjour à Paris, en 1961, de la troupe du Kirov de Leningrad, qu’il a intégrée non sans mal en 1958, et son spectaculaire passage à l’Ouest, à l’aéroport d’Orly, le 16 juin 1961.

Noureiev (j’écris à dessein Noureiev, et non Noureev comme le voudrait l’orthographe internationale d’usage pour les noms russes, puisque Нуреев se prononce Nou-ré-i-eff) a lui-même raconté ce tournant capital de sa vie d’homme et de danseur.

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Politique fiction ?

À de très rares exceptions près (comme Quai d’Orsay de Bertrand Tavernierles films ou séries télévisées traitant de la vie politique et/ou de personnages publics, versent dans la caricature ou sonnent faux.

La réussite du dernier film de Nicolas Pariser tient à ce que Alice et le Maire évite ces deux écueils, à ce que les acteurs qui incarnent les deux personnages principaux – Fabrice Luchini en maire de Lyon et Anais Demoustier en jeune conseillère – sont, de bout en bout, crédibles, justes (Luchini ne fait pas du Luchini !) et vraisemblables.

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Le maire de Lyon, Paul Théraneau, va mal. Il n’a plus une seule idée. Après trente ans de vie politique, il se sent complètement vide. Pour remédier à ce problème, on décide de lui adjoindre une jeune et brillante philosophe, Alice Heimann. Un dialogue se noue, qui rapproche Alice et le maire et ébranle leurs certitudes

Pour qui a vécu ce type de situations – ce qui est mon cas – rien dans ce qui est montré dans ce film, personnages, contexte, entourages, ambitions, n’est invraisemblable, exagéré ou caricatural. Le réalisateur connaît bien son monde, l’a observé de l’intérieur, et le restitue avec une justesse qui force l’admiration.

La vraie Catherine Deneuve ?

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« Fabienne, icône du cinéma, est la mère de Lumir, scénariste à New York. La publication des Mémoires de cette grande actrice incite Lumir et sa famille à revenir dans la maison de son enfance. Mais les retrouvailles vont vite tourner à la confrontation : vérités cachées, rancunes inavouées, amours impossibles se révèlent sous le regard médusé des hommes. Fabienne est en plein tournage d’un film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune. Réalité et fiction se confondent obligeant mère et fille à se retrouver.. »

Comment dire ? Comme Jérôme Garcin dans L’Obs : Ce n’est pas le meilleur film du cinéaste d’« Une affaire de famille », palme d’or au dernier Festival de Cannes, mais c’est (avec « Elle s’en va », d’Emmanuelle Bercot) le meilleur portrait, en biais, de Catherine Deneuve.

Pour reprendre la comparaison de Jérôme Garcin, j’ai, de loin, préféré le film d’Emmanuelle Bercot. Dans La Vérité, tout paraît téléphoné, même l’auto-dérision dont fait preuve Catherine Deneuve, comme si Hirokazu Kore-eda avait été intimidé par son actrice. Le film n’est pas désagréable, et se laisse voir, mais il n’est pas de ceux qui laissent une empreinte durable dans la mémoire.617QMe-6fGL._AC_SL1000_