La vie de Simone

L’hommage est unanime. Bien avant sa mort, survenue ce 30 juin, Simone Veil était entrée dans l’Histoire.

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Mes souvenirs de Simone Veil sont d’abord liés à une honte. Ineffaçable. Dans le débat à l’Assemblée Nationale sur la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse, un triste sire, député de la Manche, appartenant au même mouvement politique que moi à l’époque, avait accusé la ministre de la Santé, rescapée de la Shoah, d’inciter les femmes à « jeter des embryons au four crématoire« …  Dans les jeunes générations, personne n’a idée de la violence, de la haine même, à laquelle Simone Veil a été exposée, pour avoir endossé, à la demande de Giscard, la responsabilité de cette loi (video)

France 2 rediffusait hier soir le documentaire Un jour, une histoire : Simone Veil, l’instinct de vie. On doit à sa réalisatrice Sarah Briand l’un des meilleurs portraits de la disparue.

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Simone Veil, c’est sans doute, pour moi et ma génération, plus encore que la loi sur l’IVG, le combat européen, la campagne de 1979 pour la première élection du Parlement européen au suffrage universel. Aujourd’hui, on n’a plus idée du formidable espoir que représentait cette possibilité offerte aux peuples d’Europe – certes l’Union européenne ne comptait alors que 12 pays membres – de choisir leurs parlementaires.

C’est le souvenir d’une campagne enthousiaste, joyeuse, même si notre chef de file continuait d’être régulièrement confrontée à la violence de ceux qui ne lui ont jamais pardonné « sa »loi.

https://www.youtube.com/watch?v=ZTLFrIn_A-w

Souvenir de cette affiche, confectionnée avec les moyens du bord, qu’avait approuvée Simone Veil.

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Simone Veil première présidente de ce Parlement européen élu au suffrage universel !

Quelques années plus tard, je suis alors l’assistant parlementaire d’un député de Haute-Savoie. Nous apprenons que Simone Veil est invitée à un débat à la Maison des Arts de Thonon-les-Bains. Par courtoisie, « mon » député lui propose d’aller la chercher à l’aéroport de Genève, c’est moi qui m’acquitte de cette mission, un peu impressionné. Je vais avoir l’ex-ministre, l’ex-présidente du Parlement européen, pendant près de 45 minutes à mes côtés, le temps du trajet de Genève-Cointrin à Thonon-les-Bains.

Elle se prête de bonne grâce à mes questions – j’en ai tellement à lui poser ! – et y répond sans langue de bois, c’est le moins qu’on puisse dire, surtout quand elle évoque les figures politiques de l’époque.

Le lendemain, je la reconduis de très bonne heure à l’aéroport. Elle est d’une humeur exécrable. A-t-elle mal dormi ? Non, elle est furieuse après le petit discours de bienvenue que « mon » député s’était cru autorisé à prononcer, rappelant en des termes aussi maladroits qu’ambigus, le rôle de Simone Veil dans la loi IVG – alors que le colloque auquel elle participait n’avait strictement rien à voir avec ce sujet.

Elle ne décolérait pas contre ces « vieux politicards » macho auxquels elle assimilait mon député. Elle ne se radoucit qu’à la fin du trajet : « Au moins vous, je sais que vous faites de la politique autrement ». 

Une dernière image de Simone Veil me hante. Ces photos prises en avril 2013 le jour des obsèques de son mari Antoine. Le regard perdu dans le vide. Les signes d’une inavouable maladie, déjà perceptible quand la grande dame avait été reçue sous la Coupole en 2010.

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Dans un bref billet ce matin dans Le Figaro, Anne Fulda livre un souvenir bouleversé. Un déjeuner dans un restaurant du 7ème arrondissement, un peu à l’écart un couple, Antoine et Simone, ce devait être en 2012, le mari tient la main de sa femme tant aimée, lui parle doucement. Mais elle est déjà dans un autre monde, ses beaux yeux pers sont éteints.

Comme Jean d’Ormesson concluait son magnifique discours de réception de la nouvelle académicienne (à lire ici) : « Nous vous aimons, Madame » ! Pour toujours.

Hergé et le bon français

La dernière fois, c’était au Musée d’Orsay, une splendide faute de français dans l’exposition consacrée au Second Empire . Avant-hier, c’était au Grand Palais, l’exposition sans doute la plus courue du moment : Hergé

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Comment le commissariat de l’exposition, la direction du Grand Palais, peuvent-ils laisser à la vue de tous les visiteurs d’aussi grossières fautes de français ?

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Le plus cocasse est que le texte en anglais est correct : le pluriel pour mountains et un bien fâcheux singulier pour montagne !

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Juste énervant ! Au point que l’Académie française s’est sentie un devoir de publier un troisième volume de Dire ne pas dire :

61xz3dmkwllDit-on éduquer le sens de l’équilibre ou éduquer au sens de l’équilibre ? Se revendiquer ou se réclamer d’une longue tradition ? Se départit-on de son calme ou s’en départ-on ? Est-on prêt à ou près de venir ? Est-on sensé ou censé connaître la loi ? Que faire de ces tics de langages qui nous ont envahis : positiver, transpariser, s’adresser auprès, de manière à ce que, rapport à, poser problème ? Et les anglicismes : switcher, come-back, hot spot, biopic, success story, matcher, par quoi les remplacer ? Lancé en octobre 2011, le site « Dire, ne pas dire » de l’Académie française connaît un succès croissant. Aux questions les plus variées des internautes sur des difficultés de langue, les académiciens et les linguistes du quai Conti apportent des réponses claires et argumentées, notamment par rapport aux emplois fautifs, aux abus de sens, aux néologismes ou aux anglicismes. Les multiples interrogations sur l’omniprésence d’un vocabulaire technologique ou à l’irruption de mots étrangers véhiculés par les médias et la mondialisation, trouvent ici des réponses passionnantes. Car l’Académie française, loin d’être un gendarme de la langue, est autant attentive à la nécessité d’enrichissement de la langue française qu’à la lutte contre l’appauvrissement du vocabulaire. Ce livre reprend une sélection de plus de 200 entrées, effectuée par Dominique Fernandez et Yves Pouliquen, deux académiciens membres de la commission du dictionnaire, qui ont aussi rédigé deux textes introductifs. En se confrontant à des questions d’usage pratique de la langue, de cas concrets et quotidiens, en n’éludant aucune difficulté, ce travail constitue un vif hommage à l’intelligence et aux subtilités de la langue française (Présentation de l’éditeur)

Surtout qu’Hergé écrivait et parlait un parfait français, comme en témoignent les nombreux documents et plusieurs vidéos présentés dans l’exposition du Grand Palais… dès qu’on parvient à les apercevoir au milieu de la foule des visiteurs !

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Il est évidemment indispensable de réserver à l’avance (et de choisir un créneau horaire plutôt matinal !).

 

L’inconnu d’Istanbul

Qui lit encore Pierre Loti ? Son nom même ne doit plus dire grand chose…Les enfants ont-ils encore dans leurs manuels scolaires des extraits de Pêcheur d’Islande ?

Je me souviens d’avoir  visité sa maison natale à Rochefort (le Rochefort des Demoiselles !)

https://www.youtube.com/watch?v=Edqk-jQAm1Y

Exotique, suranné, désuet, l’académicien Loti ? Oui sans doute, mais pour ce qui est de l’atmosphère si particulière, prenante, sensuelle et chaleureuse de Constantinople/Istanbul, un remarquable témoin, et bon écrivain de sucroît !

Il faut aller visiter sa maison perchée tout en haut du gigantesque cimetière qui surplombe la mosquée d’Eyüpau centre de la Corne d’Or.

On prend le bateau de bon matin à l’embarcadère d’Eminönü pour un trajet d’une vingtaine de minutes dans la Corne d’Or.

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Sitôt débarqué à la station Eyüp, on se dirige vers le vaste complexe de la mosquée Sultan Eyüp. Pas un touriste, peu de locaux. L’activité ne reprend que vers 11 h du matin.

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On emprunte un téléphérique qui passe au ras de centaines de sépultures musulmanes.

14900552_10154072917452602_949219708023908535_nEt on finit par accéder à une modeste demeure en bois, et une terrasse ombragée d’où l’on balaie tout l’horizon d’une ville géante, qui paraît si paisible, presque languide.

14910582_10154072523202602_8683786014044117593_n14937308_10154072523662602_7228694663825529542_n

La demeure de Loti est modeste, dans le ton des habitations de la Constantinople fin de siècle qu’il a tant aimée.

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C’est dans ce refuge que Loti écrit deux de ses romans, l’un succédant à l’autre :8169cpl4qrl

Qui sait ? Même moi, je vais peut-être succomber aux sirènes stambouliotes d’un auteur que je n’ai jamais vraiment chéri…

Série noire (suite)

Il y a peu de chances que la nouvelle fasse l’ouverture des journaux télévisés ou provoque une émotion mondiale (vous  vous rappelez ? https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/01/11/la-dictature-de-lemotion/). Pourtant c’est un personnage considérable qui vient de nous quitter : Philippe Beaussant, écrivain, musicologue, membre de l’Académie française, est mort hier à 86 ans (http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/philippe-beaussant).

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Philippe Beaussant a été, avec Jacques Merlet, celui qui, sur France Musique, a initié l’adolescent que j’étais à la musique du Grand Siècle, qui m’a fait aimer Versailles, et Lully, et Louis XIV. Un érudit dans l’acception classique du terme.

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C’est évidemment par le film de Gérard Corbiau Le Roi danse, inspiré par sa biographie de Lully (Lully ou le musicien du Soleil –Grasset 1992que Beaussant connaît une célébrité relative.

 

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Très fort le titre du Parisien : http://www.leparisien.fr/flash-actualite-culture/mort-de-l-academicien-philippe-beaussant-specialiste-de-la-musique-barroque-08-05-2016-5777795.php.  !

 

L’amour circonflexe

Il en faut peu pour enflammer les réseaux sociaux, un seul accent, mais circonflexe, une réforme (?) ressortie (par qui? pour quoi ? pourquoi maintenant ?) des cartons où elle dormait depuis 1990.

J’ai aussitôt repensé à une chanson qu’Hélène Delavault avait repris de Marie Dubas : « L’amour au passé défini »

C’est sur la place de la Madeleine
Que nous nous connûmes un beau soir
Vous aviez une allure hautaine
Et moi, j’avais des souliers noirs

Vous traversâtes
Vous vous retournâtes
M’examinâtes
Un soir, un soir
Vous m’attendîtes
Vous me sourîtes
Et vous blêmîtes
Un soir, un soir
Comme je n’ vous parlais pas, vous n’ répondîtes rien
Mais l’aveu de mon coeur, vous l’ devinâtes bien
Et vous le crûtes
Lorsque vous l’ sûtes
Car vous vous tûtes
Un soir, un soir

Nous prîmes le porto en silence
Vous grignotâtes quelques anchois
Puis ensuite sans trop d’ résistance
Vous m’accompagnâtes chez moi

Vous vous assîtes
Vous éteignîtes
Vous m’étreignîtes
Un soir, un soir
Vous m’énervâtes
Vous m’affolâtes
Vous m’épatâtes
Un soir, un soir
Vous frôlâtes mes lèvres en m’appelant « Mon rat »
Vous fermâtes les yeux et soudain dans vos bras
Vous me reçûtes
Et puis vous m’eûtes
Tant que vous pûtes
Un soir, un soir

Hélas, les amours sont fragiles
Je le reconnais maintenant
Bientôt je rompis notre idylle
Et je vous trompai lâchement

Vous m’ soupçonnâtes
Vous m’épiâtes
Vous me pistâtes
Un soir, un soir
Puis vous surgîtes
Vous me surprîtes
Et vous m’haïtes 
Un soir, un soir
Vous me traitâtes à tort de menteuse et d’indigne
Et de votre gousset sortîtes un Browning
Vous m’ajustâtes
Mais vous m’ ratâtes
Et vous caltâtes
Un soir, un soir.

Impayable non ?

Honnêtement, si la langue française doit évoluer – je l’ai souvent évoqué sur ce blog – c’est en la débarrassant des inepties orthographiques qui n’ont aucune raison linguistique ou sémantique. On pourrait ainsi éviter à des imbéciles de prononcer des imbécillités et à des futiles de dire des futilités !

 

Les intellos

Il y a des marronniers* mieux venus que d’autres : faute de plus saignant sans doute, deux hebdomadaires viennent de consacrer leur une et un épais dossier aux intellectuels, une espèce en voie de disparition ?

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Buisson, Zemmour, Villiers, des intellectuels ? À l’échelle de l’indigence actuelle, oui. Et ils prospèrent sur un terrain déserté par le et la politique. Par curiosité, j’ai parcouru le dernier ouvrage de l’éphémère secrétaire d’Etat à la Communication du gouvernement Chirac (en 1986) et fondateur du Puy-du-Fou. Pour comprendre pourquoi un jeune homme brillant, audacieux, innovant, s’est transformé en caricature de souverainiste anti-européen. Et demain en inspirateur d’une droite décomplexée qui pourrait capter les électeurs déçus par les formations traditionnelles (de droite et de gauche), rétifs à la famille Le Pen et découragés par la perspective d’une réplique en 2017 du match présidentiel de 2012.

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Je ne partage aucune des conclusions ni des idéaux de Philippe de Villiers, mais certains constats font mal, très mal, sur l’absence de débat d’idées depuis une bonne trentaine d’années, le divorce de la classe politique d’avec le peuple, l’emprise de la technostructure et de l’argent sur le politique, etc.

Les succès de librairie de Zemmour (lui je n’arrive pas à le lire, mais je devrais peut-être faire l’effort ?) ne peuvent pas ne pas nous interpeler.

L’Obs nous assure qu’il y a une nouvelle génération d’intellectuels à gauche, on veut le croire, on l’espère ! Mais lorsque le même hebdomadaire il y a trois semaines a proposé un débat sur les valeurs de la gauche en matière d’immigration et d’intégration, il a appelé à la barre Jean Daniel (95 ans) et Edgar Morin (94 ans), c’est dire ! (http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20151023.OBS8199/immigration-integration-faut-il-desesperer-de-la-gauche.html)

Un grand monsieur a disparu ces jours derniers, mais au-delà des hommages convenus (François Hollande : « Un grand intellectuel exigeant et passionné »), on ne peut pas dire que le décès de René Girard ait bouleversé les médias. Et pourtant, l’adolescent puis le jeune adulte que je fus, passionné par le débat d’idées, les joutes intellectuelles, s’est nourri non seulement des ouvrages mais aussi des lumineuses interventions du philosophe « inventeur » de la théorie de la pensée mimétique. C’était du temps, il est vrai, où Bernard Pivot ne craignait pas de convier sur le plateau d’Apostrophes ces personnages qui nous invitaient à être plus intelligents, plus cultivés…

Relire maintenant ce qui n’a rien perdu de son actualité.

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*Marronnier : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marronnier_(journalisme)

Sonate d’automne

Les records de température semblent avoir été battus pour cette Toussaint 2014. Pourtant les souvenirs de beaux jours ne sont pas si rares dans ma mémoire : en 1997, quatre jours à Venise et le jour de la Toussaint, sous le soleil, la visite du cimetière de San Michele et les tombes des Stravinsky et de Diaghilev.

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Hier Paris était en beauté sous la douceur du soleil d’automne.

IMG_1404 L’hôtel de Soubise, dans le Marais, siège des Archives NationalesIMG_1405

La Seine près de Notre DameIMG_1406

Un petit coin de Paris, rue de BuciIMG_1407 IMG_1408 IMG_1409

La place Fürstemberg, à Saint-Germain-des-PrésIMG_1411 IMG_1412 IMG_1414

L’église Saint-Germain-des-PrésIMG_1415

Un célèbre café où rodent encore les ombres de Sartre, Beauvoir ou Sapritch !

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Un grand magasin qui porte mal son nomIMG_1418

La rue du Cherche-Midi

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La fontaine et l’église Saint-SulpiceIMG_1425 IMG_1428

L’Académie Française, quai de ContiIMG_1429 IMG_1431 IMG_1433

Le Louvre, la Seine, le Vert-Galant, le Pont NeufIMG_1434 IMG_1435 IMG_1436 IMG_1437

Saint-Germain-l’AuxerroisIMG_1438

 

Cette Toussaint s’achevait au théâtre des Champs-Elysées par le triomphe d’une Cecilia Bartoli toujours généreuse envers un public conquis d’avance, même lorsque le propos musical est parfois un peu mince. Conforme à ce que nous aimons d’elle et de son art depuis 25 ans.