Cela fait longtemps que je ne me suis pas amusé à l’exercice de la dictée (lire La dictée verte de Cendrillon et Ainsi fonts font fond…). C’est un panneau à l’entrée d’une rue du centre historique du Puy-en-Velay qui m’a donné l’idée de celle qui suit. Et puis on est à la veille de la rentrée scolaire : si certains professeurs veulent s’en servir, qu’ils n’hésitent pas !
Couleur chair
« Il y a une discipline qui ne coûte pas cher, mais qui m’est très chère depuis que j’ai l’âge d’écrire : l’orthographe. Dieu sait si la langue française est complexe, puisque pleine d’homophones.
Ce n’est pas à Bourges, ni au bord du Cher, ni même dans le département du Cher que j’ai découvert un panneau qui faisait allusion à une compagnie locale – les Cornards du Puy-en-Velay, qui aimait faire bombance. Mais en aucun cas ces Cornards n’étaient cannibales ni amateurs de chair humaine, fût-elle bonne. L’histoire ne dit pas si ces Cornards allaient à l’église le dimanche et écoutaient religieusement le sermon du curé en chaire, ou si l’un d’entre eux fût jamais titulaire d’une chaire universitaire. À l’époque déjà, les études coûtaient cher et l’on comprend bien qu’au Puy-en-Velay comme ailleurs dans nos chères bourgades de France et de Navarre, les plaisirs de l’existence étaient ceux du bon vin et de la bonne chère. On ajoutera qu’en ces temps reculés, ils avaient la chance de ne pas être abrutis par les chansons de Cher, seule ou en couple avec son cher Sonny !Je l’avoue, j’ai toujours préféré l’art du pianiste Cher…kassky ! » (Jean-Pierre Rousseau, 31 août 2025 / Reproduction interdite sauf accord exprès de l’auteur*)
Happy #50 Daniel !
Le chef d’orchestre Daniel Harding fête aujourd’hui ses 50 ans. Il peut être fier de son parcours d’homme et de musicien. J’ai hâte de le retrouver bientôt au pupitre de l’un de nos orchestres parisiens !
Dernier volet de cette mini-série consacrée au chef américain Arthur Fiedler (1895-1979). Le paradoxe est que d’aucuns ont reproché à Fiedler et à ses Boston Pops précisément ce à quoi ils ont voué leur passion : populariser l’orchestre symphonique, celui de la musique classique et du grand répertoire, en diffusant la musique de leur temps, c’est-à-dire la chanson, la musique de film, la comédie musicale, les standards du jazz. On devrait plutôt les remercier d’avoir mis le même soin, le même très haut niveau de qualité, à jouer les Beatles, Simon & Garfunkel, Nino Rota, Ferdé Grofé, Leonard Bernstein, que Liszt, Dvorak ou Dukas.
On pense parfois que le compositeur Leonard Bernstein n’était joué que par… Leonard Bernstein chef d’orchestre. Arthur Fiedler et ses Boston Pops n’ont pas hésité à mettre à leur programme des extraits d’une oeuvre très contemporaine de Bernstein, sa fameuse Mass écrite en 1971.
Arthur Fiedler, enregistrant les premières musiques de films de John Williams, ignorait probablement que le prolifique compositeur lui succèderait à la tête des Boston Pops de 1980 à 1993 !
Le dernier concert d’Arthur Fiedler à la tête des Boston Pops le 4 juillet 1978 – le jour de la fête de l’Indépendance américaine – est un bon résumé de l’art et de la popularité d’un chef alors âgé de 83 ans !
Apparemment, la Colombie est devenue une destination à la mode pour les touristes français. Pourtant le pays a longtemps fait peur à cause de la situation politique, des cartels de la drogue, etc…et l’actualité toute récente ne rassure pas vraiment. Au moment où je prenais l’avion du retour (voir breves de blog : retour) on apprenait cette série d’attentats : 18 morts près de Medellin et Cali (source Radio France).
Pour être honnête, nulle part et jamais pendant un voyage qui nous a mené de Bogota à Medellin, de Barichara à Carthagène des Indes, du parc Tayrona au bord de la mer caraïbe jusqu’à la région du café à Quimbaya, je n’ai ressenti une quelconque violence visible ou diffuse. Même la présence policière dans les villes est réelle mais discrète.
Pour autant la politique locale s’est invitée à plusieurs reprises durant notre parcours. En visitant le coeur historique de Bogota, en face du ministère des affaires étrangères, à l’entrée de l’hôtel Opera, on aperçoit des hommes en noir, qui ont tout l’air de ce qu’ils sont, des bodyguards, et pas mal de jeunes hommes en costume cravate (des avocats semble-t-il). Notre guide signale qu’ils sont ici pour négocier les suites du coup de tonnerre judiciaire survenu le 29 juillet : la condamnation de l’ancien président Alvaro Uribe à 12 ans d’assignation à résidence
L’ancien siège de la présidence, actuel ministère des affaires étrangères
Condamnation qui sera finalement suspendue provisoirement par la Cour suprême le 19 août
au terme aussi de nombreuses manifestations de soutien à l’ancien président.
Il faut préciser ici qu’une autre actualité vient de nous rattraper : la mort deMiguel Uribe, même patronyme, mais aucun lien familial avec l’ancien président. On se rappelle que le jeune sénateur avait été visé à bout portant lors d’un meeting en juin dernier (lire Le père du candidat assassiné en lice pour la prochaine présidentielle).
Mais on sent la jeune génération vraiment désireuse de tourner l’une des pages les plus tragiques de l’histoire de la Colombie. Pour nous Européens, la Colombie des années de plomb c’était trois noms, les FARC, Ingrid Betancourt et Pablo Escobar, les milices armées, les barons de la drogue. En réalité, au-delà des FARC, ce furent des groupes para-militaires au service des politiques en place, de droite et de gauche, le narcotrafic corrompant toute la société – Pablo Escobar était reconnu et même admiré comme un bienfaiteur de la société !
J’ai visité à Medellin un Musée de la Mémoire qui relate les milliers de morts des quarante dernières années, chaque famille, pauvre ou riche, de Colombie, ayant connu au moins un mort, une agression meurtrière, souvent pour rien, juste parce qu’on se trouvait pris entre deux feux.
On ne ressort pas indemne d’une telle visite, et les nombreux jeunes, Colombiens ou étrangers, qui s’y trouvaient en même temps que moi, étaient plongés dans une sidération silencieuse.
Il faudra encore une ou deux générations pour que les horreurs de ce passé récent disparaissent des esprits.
Mais je peux confirmer que le touriste n’a aucune crainte à avoir de visiter Bogota (photos ici) ou Medellin,(photos ici) a fortiori les plus petites villes de Colombie. Il y a au contraire une grande gentillesse de la part de tous ceux que l’on croise, commerçants, restaurateurs, agents publics, etc…qui vous sont au contraire reconnaissants d’avoir franchi la barrière de la peur et de la mauvaise réputation. Il y a certes des régions à éviter (on recommande de s’inscrire sur le site du Quai d’Orsay : Fil d’Ariane)
Un patchwork écologique
Ce qui frappe immédiatement en Colombie, c’est la variété des visages, des paysages, des origines. Je ne vais pas refaire ici le voyage que je viens de faire : pour cela lire mes brèves de blog du 7 au 22 août.
Mais quelques constats… réjouissants.
La première chose que je remarque quand je traverse un pays, c’est l’état du domaine public. Et pendant très longtemps, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud, on remarquait malheureusement la saleté, l’absence d’entretien, le plastique répandu partout. Il y a, en Colombie comme ailleurs, encore pas mal de décharges sauvages, mais dans l’ensemble le souci d’éco-responsabilité est manifeste dans le ramassage et le traitement des déchets, l’utilisation de l’eau – qui est une ressource encore très abondante, mais dont le citoyen colombien a conscience qu’elle doit être préservée – A Medellin comme à Bogota, on peut visiter ce qu’ils n’appellent pas là-bas « favelas » comme au Brésil, mais du terme étrange d’ invasiones. Il y a une fierté évidente à montrer au touriste étranger ce qui a été fait pour réhabiliter ces « comunas« , ces quartiers précaires jadis gangrénés par le trafic et la violence. C’est particulièrement spectaculaire à Medellin :
La Comuna 13, naguère la plus mal famée de Medellin, est aujourd’hui un quartier complètement réhabilité, où les artistes ont travaillé à la demande et avec l’accord des habitants, le plus notable étant que les aménagements ont été pensés pour les handicapés, les personnes âgées, les enfants – ce qui n’était pas gagné d’avance vu la configuration des lieux !
Il en a été de même dans la Comuna 3 au sud de la ville.
La préoccupation écologique est tout aussi manifeste dans les villes de bord de mer, comme Carthagène qui n’est pas encore submergée par le tourisme de masse, parce qu’elles privilégient l »hôtellerie à taille humaine, même si les nouveaux quartiers voient les gratte-ciel pousser comme des champignons.
L’habitat colonial dans le quartier ancien de Getsemani à Carthagène.
Au nord de la Colombie, sur la côte caraïbe, le parc national de Tayrona préserve à la fois une richesse naturelle prodigieuse et surtout les lieux de vie des Indiens Tayrona et Kogis.
Le pays du café
La Colombie est le troisième producteur mondial de café, après le Brésil et le Vietnam. Au centre du pays, au milieu de villages archétypiques – Filandia, Salento, Quimbaya, on cultive le café, et maintenant un peu de cacao, sans engrais chimiques, selon des méthodes traditionnelles. Les Colombiens se plaignent – gentiment – de ne boire que du café de qualité moyenne, puisque le meilleur de leur production – exclusivement de l’arabica – est destiné à l’exportation. Cela dit, pour avoir chaque matin bu du café « local », je l’ai trouvé très convenable et souvent excellent.
Même si l’Equateur est indétrônable dans la région pour la production de cacao, la Colombie s’est mise depuis quelques années à cultiver le cacao. Comme on a pu le constater près de Quimbaya
On doit ajouter à cela la qualité de la gastronomie locale, de la plus simple – à base de manioc, de banane plantain, de toutes sortes de légumes et de fruits – à la plus sophistiquée (on a très bien dîné à Bogota, Medellin ou Carthagène, à des prix des plus raisonnables).
On ne saurait prétendre bien connaître un pays deux fois grand comme la France, qu’on n’a fait qu’entrevoir, mais on en revient heureux d’avoir rencontré des gens, de tous âges, confiants dans l’avenir, dans un pays prospère économiquement, où l’on ne se résigne ni à la misère ni au déclassement. On va, en tout cas, suivre de près les évolutions politiques en cours…
Même les vautours noirs, leur vrai nom est « urubu », viennent se désaltérer à la piscine. Tandis que les singes hurleurs roux se font un malin plaisir de surprendre le touriste au réveil.
Troisième et avant-dernier article de cette mini-série consacrée au chef américain Arthur Fiedler (lire Le chef américain et Les racines européennes) dont la longévité – près de cinquante ans – à la tête des Boston Pops, lui a permis de côtoyer toutes les stars de son temps. L’abondante discographie qu’il a signée parvient à peine à restituer la richesse de cet héritage partagé. Heureusement les documents vidéo sont de moins en moins rares (ils l’ont été longtemps en raison de règles drastiques de protection des droits d’auteur et des droits des interprètes aux Etats-Unis)
Le pianiste virtuose américain a signé peut-être la référence absolue de Rhapsody in Blue et du concerto en fa de Gershwin avec Arthur Fiedler. Version toujours rééditée et d’une richesse inépuisable.
Témoignage de cette amitié, ce concert de 1974 qui réunit le pianiste et le chef américains dans le concerto en fa de Gershwin :
Toujours parmi les invités réguliers d’Arthur Fiedler, singulièrement pendant le festival d’été de Tanglewood – qui est en quelque sorte la résidence estivale de l’orchestre de Boston – le jazzman Duke Ellington.
Le bicentenaire de l’indépendance des Etats-Unis en 1976 est évidemment l’occasion de fêtes spectaculaires pour les Boston Pops et Arthur Fiedler. A cette occasion, ils accueillent le chanteur et guitariste country Roy Clark
Arthur Fiedler naît à Boston le 17 décembre 1894. Ainsi il est l’un des rares grands chefs américains du XXe siècle, l’autre étant Leonard Bernstein – à être né sur le sol américain. Certes son père Emanuel Fiedler est d’origine autrichienne et travaille comme violoniste dans le Boston Symphony. Il va d’ailleurs suivre son père qui retourne vivre en Autriche à sa retraite et étudier notamment le violon à Berlin auprès de Willy Hess. Il quitte l’Europe de ses études lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, revient à Boston, est engagé à son tour en 1915 comme violoniste au Boston Symphony. Dès 1924, il forme avec quelques collègues le Boston Sinfonietta, en attendant de prendre la direction en 1930 des Boston Pops, fondés 35 ans plus tôt pour employer les musiciens du Boston Symphony durant la saison estivale.
On reviendra sur ce qui a fait la gloire du couple Boston Pops / Fiedler, cette capacité de propager, dans des conditions artistiques optimales – avec l’un des meilleurs orchestres au monde – les mélodies, les musiques de films, les thèmes populaires – cf. le premier chapitre de cette série : Fiedler l’Américain.
Mais dans l’héritage discographique du chef, il y a beaucoup d »enregistrements qui, encore une fois, ne sont jamais cités, ni critiqués, et qui sont pourtant à mettre au sommet, comme les musiques d’Europe centrale, et singulièrement les viennoises. Là où Bernstein n’a jamais trouvé la clé – la valse viennoise -, où Ormandy enjolivait parfois outrageusement, où Fritz Reiner était parfois d’une austérité excessive, Arthur Fiedler révèle le grand chef qui a tout compris de ces répertoires, parce qu’il les a appris à la source.
Vienne à Boston
Le lien d’Arthur Fiedler avec la famille Strauss est double. Il semblerait qu’il ait joué, lorsqu’il a suivi son père à Vienne, dans l’orchestre du fils d’Eduard Strauss, le dernier des frères (1835-1919). Mais c’est surtout la présence de Johann Strauss – celui dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance – à Boston en 1872 pour le World’s Peace Jubilee and International Music Festival qui est restée gravée dans la mémoire des Bostoniens.
La version d’Arthur Fiedler de la fameuse Valse des Empereurs / Kaiserwalzer (*) n’est pas loin d’être ma préférée.
(*) D’abord intitulée Hand in Hand, cette valse composée lors de la visite de Guillaume II de Prusse à Vienne change de titre, lors de la visite retour de François Joseph à Berlin le 21 octobre 1889, et devient Kaiserwalzer – qu’il faudrait donc traduire par Valse des… empereurs.
La suite tirée d’airs d’opérettes de Lehar est toute nostalgie Mitteleuropa – en dépit du titre plutôt ridicule du disque qui la contient
Et que dire de cette ouverture de Suppé – Cavalerie légère – dont le titre est souvent contredit par l’interprétation !
Merci à Fiedler d’avoir aussi enregistré cette ouverture de l’opérette Fatinitza du même Suppé, le seul autre enregistrement que j’en ai est celui de Charles Dutoit à Montréal
Mitteleuropa
On s’éloigne du Danube pour rejoindre le cours tumultueux de la Vltava – la Moldau est nettement plus prononçable !
Il y a surtout une somptueuse version de la Symphonie n°9 dite du Nouveau Monde de Dvořák, qu’Arthur Fiedler enregistre en 1970 avec le Boston Symphony.
Une version que j’ai découverte récemment, incluse dans un coffret censé regrouper les enregistrements de William Steinberg et du Boston Symphony pour RCA !
Exemplaire aussi cette vision de la célèbre rhapsodie roumaine n°1 d’Enesco : écoutez cette vivacité, cette liberté rhapsodique dans l’énoncé des thèmes populaires – dont l’Alouette – qui ont inspiré le compositeur roumain.
Vive la France !
Ce n’est évidemment pas à Arthur Fiedler qu’on demandait d’enregistrer le grand répertoire – rien qu’à Boston, entre Koussevitzky, Munch, Leinsdorf, Steinberg, et même Ozawa, pour ne citer que les titulaires du Boston Symphony, qui étaient aux commandes durant le mandat de Fiedler aux Pops, il y avait le choix. Mais on a laissé au roi Arthur quelques « créneaux » comme cette Gaîté Parisienne (Munch l’enregistrera aussi… mais à Londres)
Et puis il y a cet enregistrement surprenant – c’était une première aux Etats-Unis – de la suite que le compositeur russe Rodion Chtchédrine (qui s’écrit en russe avec deux fois moins de lettres : Щедрин) a réalisée pour cordes et percussions sur des thèmes de Carmen de Bizet :
Les racines irlandaises
Quand on évoque les racines européennes d’Arthur Fiedler, il est impossible – et ce serait bien dommage ! – d’oublier qu’encore aujourd’hui plus de 20% de la population de Boston se déclare d’origine irlandaise. C’est dire si les concerts monumentaux – les Irish Nights – qu’a dirigés à plusieurs reprises Fiedler sont des incontournables de sa discographie
L’éditeur a laissé tous les bruits de la fête, et on se prend à entonner tel ou tel hymne à l’écoute d’un tel événement.
J’ai inauguré cette série – La grande porte de Kiev – au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Poutine. Je ne peux ni ne veux laisser passer ce qui s’est passé ce 15 août à Anchorage, cette rencontre Trump-Poutine qui a, logiquement, suscité autant que commentaires que d’attentes et de déceptions.
Avant de prendre l’avion le 4 août dernier, avant donc de savoir que ce sommet aurait lieu, j’ai acheté un peu par hasard ce petit bouquin.
J’ignorais tout de l’auteur – Nicolas Delesalle – et du sujet de ce livre paru en 2023.
« Derrière la fenêtre de son compartiment, un Français d’origine russe regarde les forêts d’Ukraine défiler. Autour de son cou, une croix orthodoxe que lui a offerte sa mère, professeure de russe. Une mère qui l’accompagnait déjà lors de son premier voyage scolaire à Kiev en pleine guerre froide, échangeant des jeans Levi’s contre du caviar. Et qui, en tant qu’interprète fantasque, l’assistait pour son premier reportage dans la Russie des années 2000. Aurait-il pu l’imaginer alors interrogée par le KGB à dix-sept ans à Sébastopol ? À quelques centaines de kilomètres de ce train, un vieil Ukrainien porte lui aussi une croix orthodoxe autour du cou. Ils ne se connaissent pas encore mais, bientôt, les deux hommes vont partager un secret et ainsi approcher le mystère des origines, entre fierté, désenchantement et honte. » (Présentation de l’éditeur)
Jusqu’alors je partageais le drame des Ukrainiens par le truchement d’Andrei Kourkov. Le livre de Nicolas Delesalle, dont ni le nom ni le prénom ne trahissent les origines russes, m’a bouleversé. L’écriture est d’un ciselé magnifique, l’émotion surgit au détour d’une ponctuation. Empoignez-le, il ne vous lâchera plus.
La concomitance de cette lecture et du sommet russo-américain m’oblige à écrire ceci aujourd’hui, en réaction à tous les commentaires que j’entends et lis.
Les salauds nécessaires
Ça doit faire du bien à ceux qui déversent sur les réseaux sociaux les pires adjectifs sur le président américain comme sur le russe. Oui, ils sont tout cela assurément. Ce n’est pas ici que je vais commencer à défendre l’un ou l’autre.
Mais ils sont là, à la tête de deux puissances nucléaires qui, depuis 1945, s’étaient partagé l’Europe en terme de protection militaire – OTAN contre Pacte de Varsovie.
Si l’on n’a pas la mémoire longue, on ne peut rien comprendre à ce qui se joue en Ukraine depuis 2014 – l’annexion de fait de la Crimée par la Russie – et le 24 février 2022. Je citais le dernier bouquin de François Reynaert dans mon dernier article (Trois ans après).
Comprendre n’est pas excuser, encore moins légitimer. Mais on ne peut pas oublier que la génération actuellement au pouvoir en Russie, les Poutine, Lavrov, ont connu, vécu, la déliquescence de l’Union Soviétique, l’émancipation de toutes les républiques dites soviétiques – dont les trois baltes, Lituanie, Lettonie, Estonie, qui n’avaient jamais formellement accepté leur inclusion dans l’URSS, la dislocation du pacte de Varsovie et donc de la zone d’influence russe. L’Union européenne d’une part – avec la réunification de l’Allemagne – s’est installée au contact direct de l’ex-empire soviétique, et l’OTAN est aux marches de la Russie.
Je sais ce qu’on va m’objecter : rappelant cela, je reprends le « narratif » de Poutine qui répète depuis trois ans – et encore hier à Anchorage – que c’est l’Occident (et Biden) qui est la cause de la guerre en Ukraine. Non je ne suis le porte-voix de personne, de Poutine encore moins. Mais l’histoire est là, qu’on ne peut pas refaire à son gré. Comme on ne peut pas nier que la Russie est née.. à Kiev (lire la Rus’ de Kiev).
Je me rappelle une discussion, en 2019, avec l’ambassadeur d’un pays balte à Paris, ancien ministre de La Défense de son pays, qui m’avait expliqué avec une clarté de diamant la situation géopolitique, les risques à court et moyen terme de la confrontation entre la Russie et les pays nouveaux membres de l’OTAN, comme le sien. A l’époque, la Finlande était encore un pays non-aligné, neutre en quelque sorte par rapport à la Russie dont elle partage une frontière de plusieurs centaines de kilomètres. Peu ont relevé le fait que la Finlande a rejoint l’OTAN le 4 avril 2023.
Enfin, ne jamais oublier qu’aucun tsar depuis Pierre le Grand, aucun dirigeant de l’ère soviétique, à commencer par Staline, et maintenant Poutine, n’a jamais abandonné le mythe de la Grande Russie. Mythe sur lequel ils s’appuient pour gouverner sans partage, au prix de tous les sacrifices pour des peuples si longtemps asservis.
Voilà pour tenter d’expliquer – encore une fois sans aucunement la légitimer – la position invariable de la Russie de Poutine.
Du côté américain, il faut, me semble-t-il, se garder tout autant des simplismes faciles : Trump est un idiot, qui change d’avis toutes les cinq minutes. Croit-on vraiment qu’il se serait fait élire deux fois président des Etats-Unis si ce n’était qu’un sombre crétin ?. Je crois au contraire qu’il faut se méfier de lui, du soubassement idéologique très puissant de son action – qui n’est pas juste une variante populiste de la « grande Amérique » – et que l’agitation permanente autour de sa personne, du moindre de ses faits et gestes, qui sature les plateaux de télévision du monde entier, est destinée à masquer la réalité d’une politique puissamment réactionnaire, qui n’a pas fini de faire des dégâts aux Etats-Unis.
Et maintenant ?
Il y avait tout à craindre, pour l’Ukraine, du sommet de ce 15 août. Que Trump brade l’Ukraine pour obtenir à tout prix un cessez-le-feu, sur le dos des Ukrainiens. Finalement, il a assumé de ne pas conclure cette rencontre par un « accord », et compris que rien n’avancerait sans les Européens et le premier concerné, Zelensky lui-même*
Dans Le Monde d’aujourd’hui l’ancien ministre des affaires étrangères d’Ukraine, Dmytro Kuleba, réagit à la réunion d’hier:
« Le bon côté, c’est qu’aucun accord n’a été conclu qui irait à l’encontre des intérêts de l’Ukraine ou du reste de l’Europe. En fait, cette réunion a produit plus de brouillard que de clarté. Ils auraient pu conclure un accord, mais ils ne l’ont pas fait, parce que Trump comprend une chose : il n’a aucun levier pour imposer un accord que l’Europe et l’Ukraine jugeraient inacceptable. C’est pour cela qu’il n’ira pas jusqu’à un accord avec Poutine. Il doit tenir compte de l’Europe et de l’Ukraine. La seule nouvelle qui pourrait vraiment compter, ce serait si Poutine acceptait une rencontre avec Zelensky, Trump et, idéalement, des représentants européens. Parce qu’il serait presque impossible de sortir de cette rencontre sans un accord. Ce serait le signal que la situation change » (Le Monde, 16 août 2025)
* Dans les campagnes de désinformation dans lesquelles les Russes sont passés maîtres depuis longtemps, l’une d’elles est à relever, parce que plus subtile que d’autres et reprise par de grands médias occidentaux (comme Le Monde). On a vu fleurir titres et articles sur le fait que Zelensky était déstabilisé dans son propre pays, qu’il était mis en cause pour sa « faiblesse » dans la mise en place d’institutions anti-corruption en Ukraine, qu’il avait dû limoger des proches, etc… Il y a certainement du vrai dans tout cela, mais la bonne vieille technique de la calomnie à bas bruit a encore de beaux jours devant elle.
On fête aujourd’hui le centième anniversaire de Robert Massard, né à Pau le 15 août 1925.
Deux souvenirs m’attachent à ce grand monsieur du chant.
Le premier ce devait être une Tribune des critiques de disques sur France Musique autour de Carmen de Bizet. Le rôle d’Escamillo n’est pas le plus facile à chanter, et beaucoup de ceux qui l’ont enregistré sont à la peine soit à cause de la tessiture – profondeur des basses et éclat dans l’aigu – soit à cause d’une prononciation souvent exotique (les fameuses diphtongues si difficiles de la langue française). Et soudain Robert Massard m’apparut comme un Escamillo idéal dans la célèbre version de Callas (où je découvris par la même occasion la Micaela elle aussi idéale d’Andrea Guiot)
En matière d’exotisme, la version du Faust de Gounod, dirigée par Richard Bonynge, qui aligne Corelli, Ghiaurov, Sutherland (on reste en famille!), sort du lot grâce à Robert Massard, absolument éblouissant dans l’air de Valentin. Il n’est que d’écouter un peu plus loin l’intervention de Nicolai Ghiaurov…
Tout aussi admirable, Robert Massard l’est dans la version de référence de Benvenuto Cellini de Berlioz dirigée en 1972 par Colin Davs
On aura compris qu’il faut rechercher et chérir tout ce que Robert Massard a pu enregistrer notamment dans l’opéra et l’opérette français.
Entretiens
Dans cet entretien de 2021, Robert Massard évoque ses débuts à Aix et sa relation avec Carlo-Maria Giulini
Version 1.0.0
Mais c’est évidemment à mon cher Benoît Duteurtre qui aurait adoré célébrer ce centenaire, que je pense en évoquant Robert Massard, et aux émissions qu’il a consacrées au grand baryton.
Il faut réécouter ces « grands entretiens » entre Robert Massard et Benoît Duteurtre, réalisés il y a moins de deux ans..: Robert Massard sur France Musique.
Mes humeurs du jour toujours à suivre dans mes brèves de blog
Dans toutes les revues « sérieuses » de musique classique, françaises ou anglophones, il y a un nom qu’on ne cite jamais lorsqu’il s’agit d’évoquer les grands chefs d’orchestre américains du XXe siècle, qu’ils soient natifs ou venus d’Europe. Et pourtant… à en juger par son legs discographique et l’étendue des répertoires qu’il a dirigés, je me demande si ce n’est pas lui le plus grand chef américain : Arthur Fiedler (1894-1979).
J’ai souvent évoqué cette figure dans mon blog (lire America is beautiful) mais je n’ai jamais pris le temps de creuser la personnalité, la carrière, l’envergure du personnage. Une personnalité tellement associée à la formation – les Boston Pops – qu’il a dirigée près de cinquante ans, de 1930 à 1979, qu’on ne s’est pas donné la peine d’y voir autre chose qu’un brillant showman.
Comme j’ai, au fil des ans et des voyages, collectionné tout ce que j’ai pu trouver des enregistrements d’Arthur Fiedler, je vais tenter de démontrer pourquoi ce chef est si singulier et exceptionnel dans tous les styles de musique. Le rôle des Boston Pops, émanation directe de l’orchestre symphonique de Boston (comme le Hollywood Bowl Orchestra est l’autre nom du Los Angeles Philharmonic durant les mois d’été lorsqu’il se produit… au Hollywood Bowl !), était de reprendre, en grande formation symphonique, tous les airs à la mode, les chansons traditionnelles ou non. Pour cela, on faisait appel à plusieurs arrangeurs attitrés.
Ce qui est fabuleux – oui j’ose le terme – avec Arthur Fiedler, c’est que tout ce qu’il dirige est fait avec une classe folle, une allure, une vitalité, un goût sûr, qu’on ne retrouve chez aucun de ses contemporains (sauf peut-être Felix Slatkin avec le Hollywood Bowl), ni chez ses successeurs – John Williams pourtant, actuellement Keith Lockhart. Et quel orchestre superlatif, superbement enregistré !
Fiedler l’Américain
Ouvrons le bal de cette mini-série avec ces « orchestral spectacular« qui sont juste prodigieux. Jamais rien de vulgaire ou de banal, une jubilation irrésistible, un swing admirable…
Version 1.0.0
Je doute qu’un jour on réédite en coffret(s) cette incroyable discographie. A moins que Cyrus Meher-Homji qui l’a déjà fait pour un chef beaucoup moins intéressant (John Mauceri) ne l’entreprenne dans sa collection Eloquence ?
Fiedler et Leroy Anderson
Leroy Anderson (1908-1975) est le pape incontesté de cette musique « légère » américaine. Et Arthur Fiedler et ses Boston Pops, pour qui Anderson a beaucoup écrit et/ou arrangé, sont imbattables dans ce répertoire. Le brave Leonard Slatkin (le fils de Felix !) a réalisé une intégrale de la musique d’orchestre d’Anderson, que j’ai bien sûr dans ma discothèque. Mais la comparaison entre Fiedler et Slatkin est terrible pour ce dernier, qui a complètement oublié la vocation première de cette musique. Un exemple :
Là où Fiedler nous emporte dans une course folle, sollicitant l’extrême virtuosité de ses cuivres, Slatkin nous joue cela bien gentiment, bien propre.
Voilà une vidéo réjouissante où compositeur et chef se retrouvent sur le podium du Boston Symphony Hall pour la pièce The Typewriter rendue célèbre par Jerry Lewis dans le film Who’s minding the store ? (1963)
Pour faire une transition vers le prochain article consacré à Arthur Fiedler, le grand chef « classique », ce Musical Jukebox de Leroy Anderson me semble tout trouvé !
Et pour les humeurs, les visites du jour, toujours mes brèves de blog
Dmitri Chostakovitch est mort le 9 août 1975, épuisé, usé par 69 années d’une vie qui se sera faufilée comme elle pouvait parmi toutes les horreurs de son pays natal, la Russie devenue Union Soviétique.
C’est sans doute l’un des compositeurs qui comptent le plus d’occurrences dans ce blog (cf. les deux articles les plus récents Encore Chostakovitch et La vérité Chostakovitch). Je ne vais donc pas répéter ce que j’ai écrit à de multiples reprises, sauf peut-être que « Chosta » est un compositeur qui, pour moi, supporte mal le studio, le disque même, et nécessite le concert, le « live ». C’est particulièrement vrai pour ses opéras, mais ça l’est plus encore dans ses grandes symphonies, où l’impact purement physique du son sur l’auditeur/spectateur est une donnée indispensable pour la bonne perception de l’oeuvre.
J’ai tant de souvenirs de ces concerts qui m’ont laissé anéanti, interdit, sans voix. La fin de la 11e symphonie et le glas des cloches dans la magnifique salle de Saragosse (Espagne), dirigée par Louis Langrée à la tête de l’Orchestre philharmonique de Liège, lorsque tout l’auditoire attend près d’une minute avant d’applaudir. La 13e symphonie dirigée par Neeme Järvi avec le choeur de la radio bulgare, l’Orchestre de la Suisse romande, lorsque de vieilles abonnées du Victoria Hall – qui craignaient cette oeuvre trop moderne.. chantée en russe – étaient en larmes à la fin. Plus récemment, le finale du 1er concerto pour violon à Montpellier, qui n’a pas été pour rien dans le choix du jury de décerner le Grand Prix de l’Eurovision jeunes musiciens au jeune Daniel Matejca;
Alors, puisque le sujet de cette série est de faire entendre quelques secrets de ma discothèque, je ne propose évidemment ici que des « live ».
Concertino pour 2 pianos
L’oeuvre est courte (8 minutes), date de 1953 et est dédiée au fils de Chostakovitch, Maxime, comme le sera le 2e concerto pour piano en 1957
Martha Argerich a eu, au moins deux fois, Lilia Zylberstein comme partenaire pour ce Concertino pour 2 pianos
Concerto pour piano n°1 et trompette
Martha Argerich, toujours elle, a laissé plusieurs aérions « live » du 1er concerto qui date de 1933, créé par le compositeur lui-même au piano. Son complice à la trompette est le toujours étonnant Sergei Nakariakov, jadis enfant prodige.
Pour les symphonies, il faut évidemment repérer les concerts d’ Evgueni Mravinski, dédicatoire et créateur de plusieurs des symphonies de Chostakovitch..
Symphonie n°5
Symphonie n°15
Kurt Sanderling, peut-être mieux que d’autres, a trouvé la clé de cette ultime 15e symphonie de Chostakovitch, qui peut dérouter autant les auditeurs que les chefs d’orchestre… Ici un précieux enregeistrement de concert avec l’orchestre de Cleveland
Symphonie n°10
La 10e symphonie qui suit de quelques mois la mort de Staline en 1953 est certainement l’oeuvre emblématique de Chostakovitch, et au concert celle qui produit l’effet le plus déterminant sur l’auditoire. Il peut y avoir des exceptions, comme en octobre 2024 (lire ma critique pour Bachtrack du concert de Daniele Gatti avec les Wiener Philharmoniker )
Karajan a enregistré deux fois la 10e symphonie. C’est peut-être à Moscou, lorsqu’il y est invité avec l’orchestre philharmonique de Berlin, en 1969, que le choc, l’étincelle, sont les plus forts
L’humour qui sauve
Chez Chostakovitch, il y a toute une production de musiques de film, de ballet (l’exemple le plus célèbre étant la valse tirée d’une pseudo « suite de jazz » n°2), de divertissement pur, qui permettait aussi bien au compositeur qu’aux interprètes et aux auditeurs d’échapper à la tragédie des temps.
J’éprouve toujours autant de plaisir à écouter « les aventures de Korzinkine«
ou une suite comme « Le boulon » si exemplative d’une période où tout semblait permis : » Le Boulon » (en russe : Болт, Bolt) est un ballet en trois actes de Dmitri Chostakovitch, créé en 1931 à Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Il s’agit d’une œuvre satirique qui dépeint la vie dans une usine soviétique, avec une intrigue centrée sur un sabotage et ses conséquences. Le ballet est connu pour son humour corrosif, sa musique entraînante et son exploration des relations complexes entre les ouvriers et le pouvoir soviétique.
J’avais fait une halte dans cette charmante sous-préfecture des Pyrénées-Orientales le 14 juillet dernier et j’avais visité l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxaoù se tiennent la plupart des concerts du festival (lire Loin du monde).
Les affiches des trente premières années du festival font évidemment rêver.
La période 1980-2020 durant laquelle le festival fut animé par le clarinettiste Michel Lethiec est chichement documentée, peu de disques, encore moins d’échos de concerts sur YouTube, Durant quelques saisons, le festival de Prades eut même une résidence au théâtre des Champs-Elysées.
Depuis 2020, on sent un festival revivifié par Pierre Bleuse. Un festival qui heureusement s’expose à un large public via YouTube en particulier.