Quand Rachmaninov rime avec Trifonov

La dernière fois que je l’ai entendu en concert, c’était en décembre 2013 à la Salle Pleyel, dans le cadre du cycle Chostakovitch que donnaient Valery Gergiev et son orchestre du Marinski de Saint-Pétersbourg. Il avait tout juste 22 ans, auréolé de ses prix aux concours Chopin  et Tchaikovski. Daniil Trifonov m’avait proprement soufflé par son interprétation du premier concerto de Chostakovitch pour piano et trompette.

Parce que, dans cette oeuvre en particulier, le jeune virtuose conjuguait à peu près toutes les qualités que j’attends d’un interprète :  la technique transcendante, le grain de folie, la variété des humeurs, l’élan poétique. Et finalement ce quelque chose d’indéfinissable, qui le rend unique.

Un premier disque Rachmaninov m’avait mis en joie, une belle alliance entre Daniil Trifonov et le jeune patron de l’orchestre de Philadelphie, un autre surdoué, Yannick Nézet-Séguin (lire Eveil d’impressions joyeuses et Yannick à Rotterdam)

 

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Un deuxième disque vient de paraître ce 12 octobre et, après déjà trois écoutes en continu, je ne peux qu’approuver en tous points l’analyse qu’en fait François Hudry pour QOBUZ :

… Les noces entre Rachmaninov et Daniil Trifonov avec Yannick Nézet-Seguin et le Philadelphia Orchestra s’avèrent somptueuses. Leur version du 2e Concerto renouvelle le miracle de versions mythiques comme celles de Rachmaninov lui-même ou de Earl Wild.

Destination Rachmaninov dit l’album en guise de titre. Le problème c’est que l’on n’a pas envie de descendre du train dans lequel le jeune pianiste russe est bien installé en regardant le paysage défiler… Et quels paysages…car Trifonov et Nézet-Seguin ont une vue aussi large que les grands espaces russes ; le piano volubile, liquide, électrique, aérien, mais aussi puissant de Trifonov répond à l’opulence de l’orchestre. Une pâte sonore jamais pesante mais, au contraire, toujours en mouvement avec une souplesse épousant tous les mélismes et les humeurs d’une partition qui fêtait le retour à la vie d’un compositeur atteint d’une grave dépression.

La grande surprise de ce disque provient pourtant du 4e Concerto, le mal-aimé de la série, qui prend ici les teintes de la mélancolie et s’inscrit dans la suite logique des trois autres avec la même puissance expressive grâce à ces interprètes d’exception. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, saluons une prise de son superlative « à l’ancienne » rendant parfaitement justice à la largeur des phrasés, à l’épaisseur des cordes et aux séduisantes couleurs des cuivres et de la petite harmonie du célèbre orchestre américain.
En prime et sous la forme de formidables bis discographiques, quelques extraits de la Troisième Partita pour violon de Bach dans une transcription virtuose de Rachmaninov. A écouter d’urgence !

© François Hudry/QOBUZ

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Si je devais apporter un bémol à mon enthousiasme, ce serait sur le 3ème mouvement du  Deuxième concerto. Je le préfère, je l’entends plus électrique, plus nerveux comme dans l’inoubliable version Katchen/Solti (voir Rachmaninov et MarilynMais le tandem Trifonov/Nézet-Séguin est d’une telle qualité d’écoute réciproque, de liberté poétique, qu’on accepte sans réticence leurs tempi buissonniers. Et pour le Quatrième concerto l’on tient certainement la meilleure version de la discographie rachmaninovienne (malgré les beautés du piano d’Arturo Benedetti Michelangeli, si pâlement secondé par Ettore Gracis dans la légendaire version EMI de 1957).

On imagine que le Troisième concerto suivra bientôt. On peut déjà présumer qu’on ne sera pas déçu, à l’écoute de ce « live » capté en 2014 à Verbier.

D’autres « preuves » de la personnalité si unique de Daniil Trifonov ? Depuis un miraculeux « live » de Geza Anda, je n’ai jamais entendu plus libres et poétiques Etudes op.25 de Chopin que celles-ci lors du Concours Artur Rubinstein de Tel Aviv (2011)

Mêmes impressions avec les Etudes d’exécution transcendante de Liszt.

Une chose est sûre : Rachmaninov rime désormais avec Trifonov !