Remugles

Il y a quelques mois, à propos de ce qu’on appelle « l’affaire Levine » (Le roi est mort), j’écrivais ceci :

« Je ne connais pas les faits dont on accuse le chef d’orchestre (qui les nie : James Levine nie les allégations d’abus sexuels), je ne peux m’empêcher d’être frappé par la vague de puritanisme qui semble saisir l’Amérique de Trump, et qui n’épargne aucun milieu, aucun domaine…./ 

Comprenons-nous bien, si les faits sont avérés, ils ne sont en rien excusables, mais pourquoi les victimes ont-elles attendu si longtemps, le retrait de Levine de la direction du Met et sa santé chancelante, pour se manifester ? Je n’aime pas ceux qui tirent sur une ambulance. Je n’aime pas cette Amérique oublieuse du talent des siens. »

JAMES LEVINE

Mêmes accusations, mêmes conséquences pour le chef d’orchestre suisse Charles Dutoit : Fin de carrière tourmentée pour Charles Dutoit

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Et voici qu’on apprend le licenciement sans préavis par le board de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam du directeur musical que la phalange néerlandaise avait nommé en 2016 (et s’apprêtait à prolonger), le chef italien Daniele Gatti.

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Le 10 juin 2016, ici même, j’écrivais :

C’était ce jeudi le dernier concert officiel de Daniele Gatti en tant que directeur musical de l’Orchestre National de France. Réussite complète sur toute la ligne. Le programme d’abord, choisi par le chef, donnant dans la gravité plus que dans la fantaisie, et d’une rareté bienvenue : la Troisième symphonie d’Honegger dite « Liturgique »et la cantate Alexandre Nevski de Prokofiev….

Si l’heure est aux hommages et aux compliments, il faut reconnaître que ni le chef ni l’orchestre n’ont été épargnés par la critique pendant leur aventure commune de huit saisons. Hier, comme en maintes autres occasions, l’ONF et Daniele Gatti ont prouvé que, dans le répertoire génétique de l’orchestre, ils sont exceptionnels. J’ai rarement entendu Honegger aussi puissant et émouvant, et dans Prokofiev un orchestre scintillant, virtuose, et un Choeur de Radio France à son meilleur dans cette exaltation de la grande Russie.

Comme directeur de la musique de Radio France – de juin 2014 à mai 2015 – j’ai été amené à travailler étroitement avec celui qui était le « patron » de l’Orchestre National de France. Après un premier contact rugueux, nous avions établi un lien de confiance qui m’a permis de constater, une fois de plus, que ces grands personnages que sont les chefs d’orchestre, craints, révérés, obéis souvent sans discussion, sont, en réalité, pétris de doutes, inquiets, et trouvent, du fait de leur position et du prestige qui lui est attaché, rarement une oreille attentive, bienveillante, compréhensive, non courtisane. Je me rappelle un Daniele Gatti blessé par certaines critiques, d’un soir où je dus insister pour l’inviter à dîner en toute liberté et où nous quittâmes le restaurant bien après l’heure de fermeture. Et, avant cela, je ne peux oublier ce coup de fil – inhabituel – du chef me demandant à me voir d’urgence dans mon bureau, fin septembre 2014 : il souhaitait m’informer en tout premier, et à travers moi, la présidence de Radio France, de la nouvelle qui allait être rendue publique début octobre, sa nomination comme directeur musical du Concertgebouw d’AmsterdamJe lisais son bonheur sur son visage d’ordinaire fermé.

Mieux que je ne saurais l’écrire, je reproduis ici l’article du journaliste italien Angelo Foletto (tiré du blog du Wanderer : Contre un monde de bienpensance et de fausse morale. Pour Daniele Gatti):

« Il semblait impossible qu’un chef italien aussi prolétaire (courant les cachets au conservatoire, jouant au foot, avec des profits loin d’être ceux d’un premier de la classe dans la  Milan musicale déjà moche des années 70-80) étranger aux groupes d’influence nationaux et internationaux, sans l’appui de « sa » maison de disque, peu disert et d’un caractère plutôt bourru, mais si bosseur, et si réfléchi pour devenir le plus pur et le plus complet talent d’aujourd’hui parmi les chefs quinquagénaires, ait pu faire une telle carrière. Au point d’avoir été courtisé, engagé en 2016 et – il y a quelques semaines- officieusement couronné comme chef à vie du Royal Concertgebouw Orchestra, une des cinq meilleures phalanges au monde aujourd’hui.
Oui, c’est impossible. Ou mieux, depuis hier, cette carrière a été virtuellement et brutalement annulée. Au nom d’un instant de testostérone mal dominée, il y a vingt-cinq ans – et « révélé », sans dépôt de plainte ou démarche similaire – Daniele Gatti a été lâché, injustement et sans autre forme de procès, par le board hollandais qui avait mis dans ses mains en juin son propre avenir artistique et commercial.

Les allégations ? Un très partiel (et bien peu documenté) reportage sur les « agressions sexuelles » dans le monde de la musique classique publié dans le Washington Post le 25 juillet et relancé – pur hasard ! – par un site-blog de mélomanes « proche » de quelques agences artistiques et repris un peu partout depuis. Pendant plus de huit mois d’enquête, les deux journalistes ont recueilli des témoignages nombreux, mais vagues sur la question, presque tous remontant au siècle dernier. Rien de neuf, mais par exemple, on n’y trouve pas les noms que tous dans le milieu connaissent parce qu’en professionnels sérieux, ils ne vantent pas de telles « agressions ». Et presque tous les témoignages recueillis dans ce long article sont anonymes, seules deux chanteuses (?) pratiquement du même âge que le chef répètent la même version des faits comme si elles l’avaient apprise par cœur.  Et la photo mise en tête de l’article évoque malicieusement un geste de chef qui – et ce n’est pas un hasard – est celui de Gatti.

Par la suite – c’est à dire après l’article – il semble qu’aient chanté la même chanson quelques dames de l’orchestre hollandais, sans carte d’identité, parlant d’« expériences inappropriées », sans plus de précision. D’où, selon le communiqué très sec de la RCO, le licenciement sans préavis ni discussion contradictoire.

A la fin du communiqué il est précisé que les concerts seront effectués avec d’autres chefs. Est-ce pour tranquilliser les sponsors américains sur la « pertinence sexuelle » (il serait curieux de comprendre comment ils la vérifieront) du chef choisi ou sur sa valeur ? Librement évaluée par l’orchestre ou « suggérée » par le groupe d’intérêts ou par l’artiste qui pour certains « mal pensants » (mais pas trop) pourrait avoir habilement utilisé le cas en abusant des ambiguïtés puritaines et souvent pas neutres de #Metoo ?
C’est vrai, c’est un signe inquiétant des temps que l’usage malfaisant qu’on fait de ces dénonciations à retardement. Et il est effrayant que l’institution culturelle  la plus historique, la plus importante et la plus fameuse d’une ville archi-connue pour être la zone franche du sexe en tous genres et des substances chimiques qu’on se procure facilement et par tous moyens, use de telles procédures professionnelles sans preuves, faisant des « procès sexuels » préventifs, obscurantistes et démagogiques. 

Angelo Foletto. »

Un été Bernstein (III) : L’Italie

Arrivant ce dimanche en Italie pour quelques jours de vacances, je me suis demandé quel était le rapport de l’Américain Leonard Bernstein avec ce pays d’opéra et de traditions populaires, plus que de musique symphonique.

Si l’on excepte la présence du chef au pupitre de La Scala dans les années 50, pour des prestations restées dans les mémoires du fait de « la » Callas, Bernstein a relativement peu travaillé en Italie.

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Il a plusieurs fois dirigé l’orchestre de l’Accademia nazionale di Santa Cecilia de Rome.

C’est avec cette formation qu’il enregistre une version pas vraiment idiomatique, ni dans la conduite de l’orchestre puccinien, ni dans le format vocal des principaux protagonistes, de La Bohème de Puccini

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Bernstein retrouve l’Accademia à la fin de sa vie pour un cycle Debussy, crépusculaire, plus wagnérien que français de touche.

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Pour les Italiens proprement dits, morne plaine : un disque d’ouvertures de Rossini, très « show off », et deux des poèmes symphoniques qui forment la « trilogie romaine » de Respighi. Rien d’indispensable…

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Discographie complète de Bernstein : Bernstein Centenary

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Post scriptum : Après publication de cet article, un amical lecteur s’étonnait que je ne mentionne pas les deux enregistrements verdiens de Bernstein : son Falstaff avec Dietrich Fischer-Dieskau et l’inévitable Requiem.

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Je fais un blocage sur DFD dans Verdi (et pas que dans Verdi !), est-ce pour cela que je n’ai jamais prêté une oreille plus attentive à ce que fait Bernstein dans l’ultime chef-d’oeuvre de Verdi ?

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Même « oubli » pour cette version londonienne du Requiem. Je vais – peut-être – réviser mon jugement avec le troisième coffret – annoncé pour la mi-août – de la Leonard Bernstein Edition de Sony, regroupant tous les enregistrements vocaux, choraux et lyriques du chef.

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