La douce compagnie de la mort

Ces derniers jours, la mort est ma compagne, non pas que je m’en approche ou que je la redoute pour moi – je suis bien placé pour savoir qu’elle peut survenir à l’improviste ou qu’on peut la frôler (Une expérience singulière ). Mais tous les jours la mort s’impose dans l’actualité, brutale, massive, lors des guerres en cours au Moyen-Orient ou en Ukraine. Dans les cercles de famille ou d’amitié.

Ist dies etwa der Tod ?

La plus belle, la plus douce, la plus sereine des odes à la mort est la dernière mélodie des « Vier letzte Lieder » de Richard Strauss sur un poème de Joseph von Eichendorff : Im Abendrot / Au couchant

Wir sind durch Not und Freude
gegangen Hand in Hand;
vom Wandern ruhen wir
nun überm stillen Land.

Rings sich die Täler neigen,
es dunkelt schon die Luft,
zwei Lerchen nur noch steigen
nachträumend in den Duft.

Tritt her und laß sie schwirren,
bald ist es Schlafenszeit,
daß wir uns nicht verirren
in dieser Einsamkeit.

O weiter, stiller Friede!
So tief im Abendrot.
Wie sind wir wandermüde–
Ist dies etwa der Tod?

Dans la peine et la joie

Nous avons marché main dans la main ;

De cette errance nous nous reposons

Maintenant dans la campagne silencieuse.

Autour de nous les vallées descendent en pente,

Le ciel déjà s’assombrit

Seules deux alouettes s’élèvent,

Rêvant dans la brise parfumée.

Approche, laisse-les battre des ailes,

Il va être l’heure de dormir ;

Viens, que nous ne nous égarions pas

Dans cette solitude.

Ô paix immense et sereine,

Si profonde à l’heure du soleil couchant!

Comme nous sommes las d’errer !

Serait-ce déjà la mort ?

La traduction est bien faible pour traduire le sublime du poème allemand.

Se rejoindre dans la mort

J’ai immédiatement pensé à ce poème en apprenant la mort, le 8 juin dernier, du danseur Eric Vu-An, trois semaines après celle de son compagnon Hugues Gall, surtout après la très longue épreuve d’une cruelle maladie.

Wir sind durch Not und Freude
gegangen Hand in Hand;
vom Wandern ruhen wir
nun überm stillen Land.

J’imagine que, si l’on croit au Ciel, le parfait germanophone qu’était Hugues Gall a pu accueillir Eric avec ces mots si forts, si justes.

Je n’ai pas l’habitude d’assister à des obsèques, sauf de très proches bien sûr. Pourtant j’ai assisté ce lundi à celles d’Hugues Gall en l’église Saint-Roch. Sans doute le besoin de revivre un peu d’un passé heureux. De partager silencieusement des souvenirs que les témoignages de ses proches ont ravivés, en particulier les deux Christian, Christian de Pange, qui fut secrétaire général de l’Opéra de Paris (et brièvement mon adjoint à la direction de la Musique de Radio France), et Christian Schirm, fidèle entre les fidèles de Genève à Paris.

Il y avait des ministres, des personnalités du monde musical, et beaucoup de gens que je n’ai pas reconnus. De belles plages de musique aussi et surtout, sommet d’émotion, Ständchen, la sérénade de Schubert transcrite par Liszt sous les doigts de Lucas Debargue. La réverbération de la nef de l’église Saint-Roch ajoutait à l’intensité de ce moment.

Ici dans l’interprétation d’un autre magnifique artiste, Alexandre Kantorow

La maison de ses chansons

Lundi matin, dans Télématin, l’interview de Loïc Résibois, atteint de la maladie de Charcot, qui regrettait que la loi sur la fin de vie en discussion à l’Assemblée nationale n’ait pas pu aboutir en raison de la dissolution prononcée dimanche soir par Emmanuel Macron, m’avait fait penser à Françoise Hardy. Son fils Thomas qui donnait régulièrement de ses nouvelles ne disait plus rien depuis quelque temps, je redoutais que ce silence soit de mauvais augure.

Ce matin au réveil on a su que Françoise Hardy était enfin délivrée de ses souffrances. Que n’a-t-elle pu choisir de partir avant de subir l’intolérable ? pourquoi lui refuser une mort douce ?

J’ai aimé cette belle personne, et ses chansons qui nous étreignent, qui ont le parfum de la mélancolie, de ces larmes qui font du bien… Les artistes ne meurent pas, ils demeurent en nous.

Quelques-unes des chansons de Françoise Hardy qui me touchent plus particulièrement :

Les maisons où j’ai grandi

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