Notre époque est sans mémoire, elle est aussi sans distance par rapport à l’actualité. Une nouvelle tombe, aussitôt suivie de réactions automatiques. Comme celles qu’ont suscitées les récentes disparitions de Georges Prêtreou Michèle Morgan.
Hier c’était une disparition beaucoup moins médiatique, la cantatrice française Geori Boué, qui avait fait une apparition très applaudie sur la scène de l’Opéra-Comique en février 2013 pour la première de Ciboulettede Reynald Hahn, dont elle avait été la première interprète au disque.
Et la rubrique nécrologique ne risque pas de se tarir dans les mois à venir…
Je posais donc hier une nouvelle fois la question sur Facebook : pourquoi faut-il qu’à chaque disparition d’une personnalité un peu connue, tout le monde tombe dans le panneau de la louange excessive ? Je me suis fait – gentiment – remonter les bretelles par ceux qui me reprochaient de ne pas considérer Georges Prêtre comme le « géant », le « dernier grand chef », le « musicien préféré des Viennois », abondamment décrit par une presse et des réseaux sociaux qui semblent avoir abdiqué tout esprit critique.
Quand on n’ose pas dire les choses comme elles sont, on use de périphrases, et dans le cas du chef disparu qui avait une conception très élastique du respect des partitions qu’il dirigeait, on évoque des « interprétations particulières ». J’en suis bien désolé, mais je ne vois pas ce qu’il y a de « grand » dans le rubato systématique, la désarticulation rythmique, dont Prêtre usait et abusait. Comme dans cette valse de Strauss (Morgenblätter / Les journaux du matin), qui devient sous sa baguette une caricature de l’esprit viennois : à partir de 45’30…
Maintenant je n’ai pas connu le personnage, autrement que brièvement lors de la journée spéciale du 23 décembre 1995 que nous avions consacrée sur France Musique à ElisabethSchwarkopf. Georges Prêtre était venu évoquer la première française de Capricciode Richard Strauss qu’ils avaient donnée à l’Opéra de Paris en 1964, au micro du regretté Jean-Michel Damian.
J’étais dans l’avion quand a retenti la traditionnelle (sempiternelle !) Marche de Radetzkyà la fin du concert du Nouvel an dirigé cette année par Gustavo Dudamel.
Mais Youtube rattrape le temps perdu…(merci à la télévision publique espagnole !)
Tempo parfaitement juste pour ce genre de marche de caractère, qui n’a rien de militaire ni de guerrier. Juste parce que c’est le rythme des chevaux qui défilent, ni trot ni galop. Et puis la marche viennoise doit conserver cette Gemütlichkeit indissociable des grands rassemblements festifs.
J’ai depuis longtemps dans ma discothèque un double album que, même sous la torture, je n’aurais jamais osé avouer posséder. Il y a des plaisirs interdits… Des marches prussiennes et autrichiennes dirigées par un ex-membre du NSDAP. Impensable.
Et pourtant lors d’un festival de mi-saison de l’Orchestre philharmonique de Liège, en janvier 2010, François-Xavier Roth n’avait pas résisté au plaisir de diriger trois harmonies spectaculairement réunies sur la scène de la Salle Philharmonique, et de faire scander par le public l’une de ces marches prussiennes, devenue un tube dans le monde entier :Alte Kameraden (ou Old Comrades)
Et chaque programme de Nouvel An comporte son lot de marches, certes souvent conçues pour célébrer un événement, un anniversaire, très rarement une victoire militaire ou un appel patriotique. Gustavo Dudamel n’y a pas coupé avec cette marche extraite de l’opérette de Franz Lehar, Wiener Frauen. Prise trop rapidement à mon goût (ci-dessous à 2’20)
Les deux fils du père Straussont écrit, à leur tour, une marche « patriotique » (Vaterländischer Marsch) qui emprunte beaucoup à la Radetzky ! Hommage au fondateur de la dynastie ?
Parfois le compositeur et avisé homme d’affaires qu’était Johann Strauss filscherchait à s’attirer les bonnes grâces des puissants (qui l’invitaient à prix d’or avec son orchestre), ainsi cette Napoleon Marschdédiée à Napoléon III (et pas à Napoléon 1er comme le suggère l’illustration de la vidéo ci-dessous)
De nouveau il y a certains codes à respecter, une tradition aristocratique viennoise : Boskovsky sait y faire, et pour cause ! Tandis que le fougueux octogénaire Georges Prêtre lance une attaque de cavalerie…hors sujet !
Zubin Mehta, un habitué des concerts de Nouvel An, a révélé nombre de ces marches de célébration. Comme cet hommage inattendu à la Révolution française, tiré de la dernière opérette de Johann Strauss Die Göttin der Vernunft (La Déesse de la Raison)
Parfois la marche prend une tournure plus martiale, mais ne perd jamais en élégance, comme cette marche de la garde fédérale impériale Auf’s Korn surtout dans sa version chantée.
Si l’on sort de Vienne, il n’est que de penser aux Prom’s à Londres, à nombre de fêtes populaires américaines, ou encore à l’immense concert de la Waldbühne à Berlin. Tous se concluent par des marches reprises par des foules multicolores et de tous âges…
Montpellier proposait un spectacle de fin d’année qui a fait grincer quelques dents (lire Soupe pop), l’Opéra de Lyonfait certes plus traditionnel avec une opérette de Johann Strauss, mais avec un ouvrage rarement donné sur les scènes françaises Une Nuit à Venise(la dernière fois que j’avais vu l’ouvrage c’était en 1997 à l’Opéra Comique !)
J’ai aimé sans réserve ce que j’ai vu mercredi soir, la direction de Daniele Rustioni – un tout jeune chef pressenti pour succéder à KazushiOno comme directeur musical de la scène lyonnaise, qui maîtrise tous les ressorts d’une musique si difficile dans sa fausse légèreté -, la mise en scène de Peter Langdal qui gomme toutes les faiblesses d’une comédie alambiquée, en situant l’action dans les années 50 dans une Venise de carte postale, les décors et les costumes flamboyants, et une excellente troupe de chanteurs qu’on croirait passés par le Volksoperde Vienne, la routine en moins.
Comme dans la plus connue Chauve-Souris, sous la gaieté apparente affleure toujours cette mélancolie, cette nostalgie si caractéristiques de la musique de Johann Strauss (Capitale de la nostalgie).
Dans cet air en particulier :
La première berlinoise d’Une nuit à Venise en 1883 ayant été un fiasco, Strauss s’empressa de recycler ses beaux thèmes de valse dans la Valse de la Lagune (Lagunen Walzer)
Et puis – est-ce une vue de l’esprit de ma part ? – j’entends un hommage évident à Wagner, mort… à Venise en février 1883, l’année de la création de cette Nuit à Venise, Wagner qui admirait Johann Strauss, dans cet air de (Helden)tenor :
Les bonnes versions de l’opérette ne sont pas légion. Pour le style parfait du bien trop sous-estimé chef suisse Otto Ackermannet un casting d’enfer (mais pas nécessairement idéal ! l’aristocratique Elisabeth Schwarzkopf, vocalement somptueuse, n’est pas très crédible en Annina, marchande de poissons de son état…). Voir la vidéo ci-dessus
Vingt-cinq ans plus tard, Nicolai Geddaretrouvait Rita Streich(tout aussi distinguée poissonnière que Schwarzkopf !) dans ce qui demeure la meilleure version moderne de l’opérette
Le 1er janvier prochain, serons-nous devant nos postes de télévision et/ou à l’écoute de France Musique ? Le d’ordinaire si traditionnel concert de Nouvel an des Wiener Philharmoniker devrait prendre un sérieux coup de jeune avec la présence au pupitre de Gustavo Dudamel. Une bonne surprise en perspective ?
(Avec Gustavo Dudamel, à la Philharmonie de Paris, le jour de son 34ème anniversaire !)
Ces musiques, d’apparence légère, sont en réalité si difficiles, comme si leur « viennitude » échappait à de grandes baguettes peu familières de ce qui fait le caractère unique de la capitale autrichienne, la ville de Klimt, Freud, Schoenberg, Mahler… et des inventeurs de la valse pour la Cour et le peuple, les Lanner, Strauss, Ziehrer & Cie…
J’écrivais ceci il y a un an dans Diapason à propos du très beau coffret publié par Sony :
« Mit Chic » (titre d’une polka du petit frère Strauss, Eduard) au dehors – pochettes cartonnées, papier glacé au blason de l’orchestre philharmonique de Vienne, mais tromperie sur le contenu : « The complete works », une intégrale de la famille Strauss ? des œuvres jouées en 75 concerts de Nouvel an ? Ni l’une ni l’autre.
Mais le double aveu de l’inamovible président-archiviste de l’orchestre, Clemens Hellsberg, nous rassure : l’origine peu glorieuse – 1939, les nazis, un chef Clemens Krauss compromis – est assumée, le ratage, en 1999, du centenaire de la mort de JohannStrauss fils (et les 150 ans de celle du père) aussi. En 60 ans, les Viennois n’avaient jouéque 14 % des quelque 600 opus des Strauss père et fils. Quinze ans après, le pourcentage s’est nettement amélioré : 265 valses, marches, polkas, quadrilles des Strauss, Johann I et II, Josef et Eduard, quelques Lanner (10), Hellmesberger (9), Suppé(5), Ziehrer (4), épisodiquement Verdi, Wagner, Brahms, Berlioz, Offenbach.
Un oubli fâcheux : les rares versions chantées de polkas (Abbado 1988 avec les Petits Chanteursde Vienne) et de Voix du printemps (Karajan 1987 avec Kathleen Battle),
Rien cependant qui nuise au bonheur de cet orchestre unique, sensuel, miroitant, tel quele restitue l’acoustique exceptionnelle de la grande salle dorée du Musikverein, le chic, lecharme, une élégance innée.
Les chefs, c’est autre chose : Carlos Kleiber, en 1989 et 1992, a placé si haut la référence– heureusement la quasi-totalité de ces deux concerts est reprise ici. Les grands habitués, Zubin Mehta, formé à Vienne (à lui Le Beau Danube bleu ) et Lorin Maazel se taillent la part du lion, Harnoncourt est insupportable de sérieux (une Delirien Walzer anémiée), Muti impérial, Prêtre cabotinant, Karajan réduit à la portion congrue (du seul concert de Nouvel an qu’il dirigea le 1er janvier 1987 l’anecdotique Annen Polka) et Boskovsky indétrônable pilier de 25 ans de « Nouvel an » (1955-1979) confiné aux compléments. Pourquoi tant de place pour les plus récents invités ? Barenboim empesé et chichiteux, Ozawa hors sujet, Jansons artificiel à force d’application, et l’anesthésique Welser-Moest.
Je me suis longtemps demandé pourquoi, d’abord, j’étais irrésistiblement attiré par ces musiques – à 20 ans, c’était une passion inavouable ! – ensuite toujours plongé dans un état de nostalgie avancé, la nostalgie étant le regret de ce que l’on n’a pas connu…
L’explication est d’abord musicale. Johann Strauss puis Lehar après lui, à la différence d’un Offenbach ou d’un Waldteufel en France, ne laissent jamais libre cours à la joie pure, au trois-temps allègre et débridé. Dans leurs valses – qui sont en réalité des suites de valses enchaînées – les frères Johann et Josef Strauss ne peuvent s’empêcher, soit dans l’orchestration, soit dans les figures mélodiques, d’assombrir la perspective, de décourager l’optimisme qui devrait normalement gagner l’auditeur ou le danseur.
Cette phrase initiale si douce-amère du hautbois et de la clarinette reprise par les violoncelles est une parfaite signature de la nostalgie viennoise…
Dans une autre valse, beaucoup moins connue, Le Papillon de nuit (Nachtfalter), toute l’introduction puis le lancement de la valse sont d’une tristesse infinie. Ce n’est plus une valse à danser, mais les échos d’un bonheur révolu…
Ce sentiment atteint des sommets dans La Chauve-Souris (Die Fledermaus), lorsqu’à la fin du bal chez Orlofsky, au deuxième acte, les convives entonnent Brüderlein, Schwesterlein
(Un extrait de la version mythique de Carlos Kleiber avec Brigitte Fassbaender en faux prince russe)
Et que dire du célébrissime duo valsé de La Veuve joyeuse (Die lustige Witwe) ? Ici dans l’incomparable version de Karajan avec Elizabeth Harwood et René Kollo.
Un passage moins connu de la même opérette (Comme un bouton de rose) prend presque des airs du fin du monde, de fin d’un monde en tout cas :
Le même ténor Waldemar Kmentt rejoint l’une des plus voix les plus authentiquement viennoises, Hilde Gueden – mélange de sensualité, de douceur et de ce je ne sais quoi de tristesse – dans une autre opérette de Lehar, Le Tsarévitch
Dix ans avant la mort de Johann Strauss (1825-1899), Gustav Mahlercrée sa Première symphonie. Ecoutez à partir de 20’45 » – l’imparable rythme de valse du second mouvement :
Et pour rester dans cette atmosphère Mitteleuropa, un petit bijou triste à souhait, cette valse lente du compositeur tchèque Oskar Nedbal :
Pour finir, un regret en forme de coup de gueule. N’ayant encore jamais trouvé d’ouvrage sérieux en français sur la dynastie Strauss et leurs amis, je me réjouissais de découvrir une nouveauté parue chez Bernard Giovanangeli Editeur : Johann Strauss, la Musique et l’esprit viennois.
L’auteur se présente comme germaniste, maître de conférences, avec plusieurs ouvrages à son actif sur Sissi, Louis II de Bavière, Mayerling, Vienne, etc. Le problème est que ce livre hésite constamment entre plusieurs approches, la biographie plutôt people, les poncifs sur l’esprit du temps et des lieux, des anecdotes sans grand intérêt à côté d’un chapitre plutôt original sur la judéité revendiquée de Johann Strauss, un catalogue a priori complet des oeuvres du roi de la valse – mais à y regarder de près, truffé d’erreurs ! – tout comme une discographie complètement cahotique (Le Baron Tzigane d’Harnoncourt est daté de 1972 chez EMI (!) tandis que la version d’Otto Ackermann de 1953 est datée de 1988, tout le reste à l’avenant… Le pompon est détenu par la préface d’un illustre inconnu que l’auteur présente comme un grand chef d’orchestre et de choeurs, qui ne manque d’ailleurs pas de citer tous ses titres de noblesse qu’on ne poussera pas la cruauté à citer ici. Disons que sa notoriété est circonscrite à un périmètre qui va d’Angoulême à Limoges et que l’art d’enfiler les perles n’a plus de secrets pour lui : « Il suffit d’écouter Le Beau Danube bleu, que j’ai eu le plaisir de diriger, pour percevoir toute la richesse mélodique et la construction symphonique de la reine des valses célèbre dans le monde entier… »
Non je ne relance pas le débat – qui n’en est pas un d’ailleurs ! – sur le public de la musique classique, l’aspect supposément élitaire du concert classique, etc.. Je me suis souvent exprimé sur ce blog, et pense avoir démontré l’inanité de ces clichés dans mes responsabilités passées et actuelles. Pour faire simple, ceux qui véhiculent ces clichés – et malheureusement ils sont encore nombreux – sont ceux qu’on ne voit jamais au concert !
Je viens d’assister coup sur coup à deux concerts, très (trop ?) classiques dans leurs programmes, dont les interprètes témoignaient, s’il en était besoin, que la valeur n’attend définitivement pas le nombre des années.
Jérémie Rhorerdirigeait jeudi soir, au Théâtre des Champs-Elysées, le Requiem de Verdi. À la tête de l’Orchestre National de France et du Choeur de Radio France. Avec un quatuor de solistes où le baryton-basse Ildebrando d’Arcangelo faisait figure de grand aîné du haut de ses 46 ans ! J’en entendais autour de moi douter qu’une aussi jeune équipe soit de taille à affronter le chef-d’oeuvre de Verdi, j’ai même lu des critiques dans le même sens. Toujours les clichés… Moi j’ai entendu des voix ardentes, musiciennes, qui ne faisaient pas un numéro de bête de scène. Et je suis sorti heureux de cette soirée*
Vendredi soir, à l’Auditorium de la Maison de la radio, l’attraction c’était un musicien de 27 ans, le pianiste et chef israélien Lahav Shani.
Le microcosme musical ne parle que de lui depuis deux ou trois ans. Surtout depuis qu’il a remplacé, au pied levé, Philippe Jordan dans une tournée de l’Orchestre symphonique deVienne il y a quelques mois, ou Franz Welser-Moest avec l’autre phalange viennoise, les Wiener Philharmoniker ! Un surdoué à l’évidence. Avec l’Orchestre philharmonique de Radio France, il avait choisi un programme à la fois populaire et original : les danses symphoniques de West Side Story de Bernstein, le second concerto pour piano – qu’on ne donne jamais en concert ! – et la 9ème symphonie de Chostakovitch.
En ce dimanche d’automne, une musique qui accompagne idéalement les couleurs de la saison, le deuxième mouvement du second concerto de Chostakovitch que Lahav Shani jouait et dirigeait du clavier.
*J’ai pris le parti de ne pas faire de critique des concerts auxquels j’assiste. Ce n’est pas mon rôle. Mais je ne peux m’interdire d’exprimer mon enthousiasme. Et ces deux soirées m’ont enthousiasmé !
On ne pourra pas accuser Deutsche Grammophonde ne pas avoir anticipé le 70ème anniversaire de Gidon Kremer, le violoniste letton né le 27 février 1947 à Riga. Et ce pavé de 22 CD est tout simplement exceptionnel. Il ne s’agit pas, comme certains intitulés pourraient le faire croire, de l’intégrale des enregistrements du violoniste pour la marque jaune, mais de tous les concertos ou oeuvres concertantes qu’il a gravés pour Philips et DGG.
Et sans vouloir être désagréable, ni établir d’inutiles comparaisons, ce coffret n’a pas grand chose à voir avec les pavés récents de DGG consacrés à Ithzak Perlman ou Pinchas Zukerman. Aucun des illustres confrères de Kremer n’a jamais eu cette inlassable curiosité pour les compositeurs de son temps, et cette passion pour le travail d’interprétation « historiquement informée » des grands classiques. Qui se souvient aujourd’hui du choc provoqué par l’intégrale des concertos pour violon de Mozart enregistrée avec Harnoncourt et des Wiener Philharmoniker sacrément bousculés ?
C’est grâce à Gidon Kremer que j’ai découvert et aimé des oeuvres phares comme Offertoriumde Sofia Goubaidoulina, puis les concertos de John Adams ou Philip Glass, plusieurs pièces de Schnittke et d’improbables compositeurs baltes, qu’il fut souvent le premier à « révéler » en Europe de l’Ouest.
J’ai un très beau souvenir personnel de Gidon Kremer, une tournée de l’Orchestre de la Suisse Romande à l’automne 1987 au Japon. Il partageait avec Martha Argerich le rôle de soliste invité d’Armin Jordan. Jamais plus entendu depuis interprétation plus habitée, incandescente, intense du concerto pour violon de Sibelius. Je me rappelle aussi un long entretien passionnant, enregistré dans un train, que j’avais fait pour la Radio suisse romande et qui a dû être effacé presque aussitôt (comme celui que j’avais réalisé – deux heures de bande magnétique – avec Martha Argerich !). Sibelius n’est pas dans ce coffret jaune, mais je conseille vivement ce formidable témoignage du tout jeune Kremer (23 ans) capté à Moscou avant son départ pour l’Occident.
On l’a compris, pour moins de 60 €, ce coffret est un indispensable de toute discothèque, l’honneur d’un musicien qui a épousé son siècle et ne s’est jamais reposé sur des lauriers précoces.
Un énorme pavé, format 33 tours, regroupant tous les enregistrements réalisés ces quinze dernières années pour Sony (et Deutsche Harmonia Mundi). Y compris les ultimes CD Beethoven posthumes, plusieurs « nouveautés », des enregistrements de 2007 « autorisés » mais non publiés jusqu’à ce coffret : le Stabat Mater de Dvorak, le Christ au mont des Oliviers de Beethoven, et deux cantates de Bach (26 et 36). S’y ajoute un somptueux ouvrage de 140 pages, remarquablement présenté et illustré, dans lequel chaque oeuvre, chaque période abordée par Harnoncourt dans ses disques est documentée par le maître lui-même – souvent par le biais d’interviews contemporaines des enregistrements – dans cette langue si éloquente, brillante…et compréhensible, qui nous rend plus intelligents, plus cultivés, plus curieux encore de partager les découvertes et les recherches que le chef disparu a menées pendant plus de soixante ans.
Aussi imposant soit-il, ce coffret n’est certes pas complètement représentatif de l’art et de la personnalité d’Harnoncourt, tels qu’ils se sont inscrits dans la mémoire des musiciens et des mélomanes. Tout son travail de recherche sur le répertoire baroque et classique, entrepris dès le mitan des années 50, n’est présent ici que par les reprises d’ouvrages qu’il avait déjà enregistrés chez Teldec/Warner (aurons-nous un jour une « édition » Harnoncourt intégrale ?) : Requiem et dernières symphonies de Mozart, quelques cantates et l’Oratorio de Noël de Bach. Mais le bouquet final est extraordinaire : les Symphonies parisiennes de Haydn, les symphonies de jeunesse de Mozart – on est un peu moins enthousiaste d’un curieux alliage avec Lang Lang – , une paire de symphonies de Bruckner, une grandiose Paradis et la Péri de Schumann, un austère Requiem allemand de Brahms, toute une ribambelle de valses viennoises qui mériteraient vraiment un plus large sourire. Et des incursions pour le moins exotiques : Verdi et son Requiem (Harnoncourt s’est même essayé à Aida.. chez Warner !), des Dvorak, Smetana, Bartok, jusqu’à Porgy and Bessde Gershwin ! Mais quand on lit ce qu’Harnoncourt dit de ces oeuvres et de ces compositeurs, on les comprend (et on les entend) avec d’autres oreilles…
Absolument indispensable !
Tous les détails, oeuvres, interprètes, dates et lieux d’enregistrement à voir ici : Nikolaus le Grand
On relira avec intérêt la dernière interview que Nikolaus Harnoncourt avait accordée – en 2013 – au magazine Diapason : La dernière interview
PS 1 Précision utile, qui répondra aussi à quelques commentaires sur Facebook : tous les disques, coffrets, que j’évoque sur mon blog, je les achète moi-même. À quelques très rares exceptions près, je ne les reçois pas gratuitement ni des éditeurs (ce qu’on appelle des « services de presse ») ni des artistes. Ma liberté est aussi à ce prix ! Accessoirement, j’ai appris à trouver les meilleurs fournisseurs au meilleur prix, en neuf ou en occasion.
PS 2 J’en profite pour rappeler à mes lecteurs qui sont à Paris ou qui passent par la capitale française qu’il y a, au 38 boulevard St Germain (en face de l’église St Nicolas du Chardonnet et de la Mutualité), le meilleur magasin classique de « seconde main » – avec beaucoup d’imports japonais -. Une visite régulière s’impose. Et pour ceux qui sont trop loin de Paris, le site est là pour combler vos attentes : Melomania, la passion du classique.
Il y a des artistes, des chefs d’orchestre qui, l’âge venant, ralentissent l’allure, donnent du temps au temps, et d’autres, plus rares, qui semblent défier les ans. Il n’est que d’écouter les derniers enregistrements d’un Paul Paray (1886-1979), d’un Leopold Stokowski (1882-1977) pour se convaincre que la jeunesse n’a pas d’âge.
Chroniquant pour Diapasondes rééditions (dans la collection Eloquence) du grand chef franco-américain, je regrettais que Decca ne lui ait pas encore consacré un coffret récapitulatif de la série d’enregistrements stéréo réalisés à Londres, Vienne et Amsterdam entre 1956 et 1963 pour Westminster, Philips et Decca. Comme souvent, c’est la branche italienne d’Universal qui a pris les devants et exaucé mon souhait (Pierre Monteux Decca Recordings):
On était prêt à se réjouir sans réserve de ce beau coffret de 20 CD, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’il y manque une Symphonie fantastique (Berlioz) et quelques extraits du Songe d’une nuit d’été (Mendelssohn), qui, certes, ne sont pas essentiels, une prise de son acide (1956) n’aidant pas des Wiener Philharmoniker curieusement mal à l’aise…
Plus grave, l’une des plus chatoyantes et juvéniles Shéhérazade (Rimski-Korsakov) manque aussi à l’appel… Mystère !
Mais pour tout le reste, bien sûr dans Debussy et Ravel, mais de manière moins attendue, dans Sibelius, Dvorak, Elgar, et pour Beethoven et Brahms, fringants, allègres, irrésistibles, ce coffret est indispensable.
Tout aussi vivement conseillées, ces prises de concert (en stéréo !) à Boston en 1958 et 1959, qui sont autant de prises de risques, Monteux cravachant l’orchestre, parfois au risque de la rupture. Mais quel souffle ! Les solistes sont logés à la même enseigne, Leonid Kogan – juste avant l’enregistrement officiel pour RCA – solaire dans Brahms, et dans le 1er concerto du même Brahms, le prodigieux Leon Fleisher soudain largué, muet, pendant quelques longues secondes du premier mouvement, mais livrant avec Monteux le rondo final le plus halluciné de toute la discographie.
Quelques jours avant l’arrivée de l’OSR à Bombay – une première pour l’orchestre – l’occasion est idéale d’envoyer un sonore Happy Birthday à l’un des plus illustres enfants de la mégalopole indienne : Zubin Mehta.
Bon sang ne sachant mentir, c’est tout logiquement que le jeune adolescent s’oriente vers la direction d’orchestre et fait ses classes à Vienne auprès du célèbre chef et pédagogue Hans Swarowsky.(https://fr.wikipedia.org/wiki/Zubin_Mehta)
C’est à Vienne qu’il réalise pour Decca, à tout juste 30 ans, son premier enregistrement symphonique, et pas n’importe quoi : la 9ème symphonie de Bruckner. Coup d’essai, coup de maître qui installe durablement Zubin Mehta comme un interprète de prédilection du répertoire viennois, et comme un hôte privilégié des Wiener Philharmoniker.
Impossible de dérouler ici la carrière, la discographie du chef octogénaire. Disons qu’à titre personnel j’aime beaucoup les premières années d’un musicien incroyablement doué, qui s’est ensuite parfois abandonné à la facilité, à une certaine routine. On écoutera donc avec bonheur ce que Decca a regroupé dans un beau coffret hommage, les années Los Angeles, les premières avec l’orchestre philharmonique d’Israel, dont Mehta est le chef à vie depuis plus de 40 ans !
J’ai beaucoup aimé ses premiers concerts de Nouvel an à partir de 1990, mais nettement moins la version assoupie de 2015…
Un souvenir personnel pour finir : l’été 1974 je suis ouvreur au Festival de Lucerne, fonction bénévole mais qui me permet d’assister à tous les concerts, à plusieurs répétitions, et exceptionnellement à une mini-croisière sur le lac des Quatre-Cantons, en compagnie de Zubin Mehta et de sa flamboyante épouse. Trop timide pour l’approcher, mais impressionné par sa belle allure. Impression confirmée le soir par le concert du LosAngeles Philharmonic qu’il dirige et un souvenir exceptionnel du 3e concerto pour piano de Beethoven que joue son ami de toujours Daniel Barenboim.
L’une des plus célèbres valses de Johann Strauss porte le titre de Kaiser Walzer(Valse de l’Empereur). On devrait plutôt écrire « Valse des Empereurs », puisque l’oeuvre résulte d’une commande faite au fils Strauss pour marquer la visite de François-Joseph d’Autriche à Guillaume II de Prusse à Berlin en 1869. Le titre initial était d’ailleurs Hand in Hand (le précurseur germanique du mano en la mano cher au général de Gaulle en visite au Mexique en 1964). C’est l’éditeur Simrock qui trouva plus habile d’appeler cette valse Kaiser Walzer, puisqu’ainsi nommée, on maintient l’ambiguïté sur l’identité du ou des Kaiser !
Pour une oeuvre de circonstance, on peut dire qu’elle aura porté chance à son auteur. Ici une version que je trouve idéale, sans empois, sans lourdeur, captée lors de l’un des deux concerts de Nouvel An que dirigea le regretté Claudio Abbado.
Deux disques indispensables :
Une seule oeuvre de Johann Strauss fait, en réalité, directement allusion à l’empereur d’Autriche-Hongrie. Précisément une marche au titre compliqué : Kaiser Franz Joseph I. Rettungs-Jubel-Marsch. Ecrite pour célébrer avec pompe mais élégance le rétablissement de l’empereur après l’agression au couteau dont il avait été victime le 18 février 1853 de la part d’un jeune forgeron hongrois Janos Libenyi.
Emouvant de retrouver cette marche sous la baguette du plus viennois des chefs (même s’il était né à Berlin), notre cher Nikolaus Harnoncourt, disparu le 5 mars dernier.
Nettement plus dispensable le film de Billy Wilder La Valse de l’Empereur (1948) avec Bing Crosby et Joan Fontaine, qui pousse la caricature jusqu’à l’absurde.
Centenaire ou pas, François Joseph n’aura jamais la postérité de son épouse Elisabeth, beaucoup plus connue sous le nom de Sissi. Et le promeneur des bords du Léman à Genève ne peut éviter le jardin et la statue qui immortalisent celle qui mourut sous les coups d’un anarchiste à sa descente de bateau sur le quai du Mont-Blanc