Le Hollandais oublié

Il est né le 2 septembre 1862 à Amsterdam, et mort dans la même ville il y a cent ans très exactement, le 5 avril 1921.

Il n’est pas le seul dont on va, cette année, commémorer le centenaire de la mort (Saint-Saëns, Humperdinck) ou de la naissance (Piazzolla), mais il est à coup sûr, l’oublié de la liste, en dehors de son pays d’origine !

J’ai découvert l’existence d’Alphons Diepenbrock il y a quelques années, grâce à un disque de Riccardo Chailly, enregistré avec l’orchestre du Concertgebouw – dont le chef italien est alors le directeur musical – dans le cadre d’une intégrale des symphonies de Mahler. A la 7ème symphonie de ce dernier, était couplé Im grossen Schweigen (1905), une sorte de grand poème symphonique avec voix, sur un texte de Nietzche, dudit Diepenbrock.

La fascination pour une écriture orchestrale qui a des parentés évidentes avec Mahler ou Zemlinsky est immédiate, pour la forme, le format et la longueur, inédits, de ces mélodies avec orchestre.

Je ne cesserai plus d’explorer l’oeuvre de ce compositeur, grâce à d’autres disques trouvés en Hollande, où je m’approvisionnais régulièrement, venant de Liège (il n’y a qu’une toute petite trentaine de kilomètres entre Liège et Maastricht !).

Brilliant Classics rééditant, à tout petit prix, des enregistrements produits et publiés par Chandos.

En 2012, un autre label hollandais, Etcetera, consacre, à l’occasion du sesquicentenaire* de Diepenbrock, un coffret de 8 CD et un DVD, regroupant sinon la totalité de l’oeuvre, au moins tout ce qui a été enregistré du compositeur amstellodamois. Un coffret exemplaire à tous points de vue. Un livret richement documenté, comportant l’ensemble des textes et poèmes mis en musique, les témoignages de ses contemporains et interprètes, bilingue anglais-néerlandais.

Et tout récemment, extrait de ce coffret, Brilliant Classics édite les mélodies avec piano.

Une oeuvre atypique pour un compositeur contemporain de Mahler, Reger ou Debussy ! Rien pour le piano ou la musique de chambre, pas d’opéra, très peu pour l’orchestre symphonique – mais d’une grande qualité et toujours lié à des sujets littéraires – et pratiquement 90% d’une production vouée à la musique vocale et chorale.

(Die Nacht (1911) chantée par Janet Baker accompagnée par Bernard Haitink et le Concertgebouw)

Diepenbrock, né dans une famille qui ne connaît pas les fins de mois difficiles, se tourne plutôt vers l’Université que vers le Conservatoire. C’est un littéraire, épris de Baudelaire, Verlaine, Goethe, Hölderlin, Novalis, qui se lancera plutôt tardivement, et en autodidacte, dans la composition.

Pour son 50ème anniversaire, le 2 septembre 1912, c’est Willem Mengelberg lui-même qui lui dédie tout un concert de ses oeuvres à la tête de l’orchestre du Concertgebouw, comme Marsyas ou le printemps enchanté (1906) – une musique de scène pour la comédie de Baltasar Verhagen –

L’influence de Debussy dans le traitement de l’orchestre est évidente.

Mais Diepenbrock fera toujours un complexe par rapport à ses illustres contemporains, qui seront aussi ses amis, Mahler ou Richard Strauss par exemple. Il ne se sent pas capable d’oeuvres de l’envergure des symphonies de Mahler, encore moins des opéras de R. Strauss.

Mengelberg dit de lui, en 1909 : « Diepenbrock est un génie, mais sa musique est sacrément difficile« . Difficile à mémoriser, donc à apprendre, balançant constamment entre influences wagnériennes et raffinements debussystes. Difficile aussi parce que sa compréhension repose sur une connaissance approfondie du contexte littéraire.

Plus confidentielle encore – on veut dire par là complètement ignorée hors des Pays-Bas- son oeuvre chorale, liturgique ou profane, n’a jamais cessé d’être au programme des formations néerlandaises (le coffret Etcetera comprend plusieurs enregistrements avec Eduard Van Beinum, Bernard Haitink, Ed Spanjaard)

Le corpus de mélodies avec piano, quant à lui, se partage entre trois tiers presque égaux : 13 Lieder en majorité composés sur des poèmes de Goethe, 11 sur des textes latins, italiens ou néerlandais, et 11 sur des poèmes français, Verlaine, Baudelaire pour l’essentiel, mais aussi Gide (Incantation) ou Charles van Lerberghe (Berceuse).

On est évidemment surpris lorsqu’on a dans la tête l’Invitation au voyage avec les notes de Duparc

et qu’on découvre ce qu’en a fait Diepenbrock ! Ici dans une merveilleuse interprétation, celle de Aafje Heynis (1924-2015) – qui n’est pas celle qu’on trouve dans les coffrets Brilliant/Etcetera, gâchée par la diction chewing-gum de Jard Van Nes.

Si le centenaire de sa mort peut contribuer à le faire mieux connaître, à faire aimer un compositeur singulier, qui n’est pas un simple épigone, alors célébrons celui d’Alphons Diepenbrock !

*Sesquicentenaire = 150ème anniversaire

Le goût du piano

Encore un parfait petit livre à offrir, dans cette épatante collection du Mercure de France, Le goût de… (format de poche, 8 €)

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Nul besoin d’apprendre à en tirer des sons, il suffit d’en effleurer les touches pour qu’il se mette à chanter. Juste. En cela, le piano se distingue des autres instruments. Ses quatre-vingt-huit touches, offertes en un regard, suggèrent toutes les combinaisons possibles, innombrables, passées et à venir, de la musique occidentale. Complet, imposant, solitaire, le piano est l’instrument du virtuose et l’outil du chef d’orchestre, capable de condenser toute la complexité d’un opéra, d’une symphonie. Le piano fascine, et pas seulement les musiciens : Flaubert, Fontane, Feydeau, comme Tolstoï, Zola, Sand ou Verlaine ont composé non pas pour, mais sur et avec lui. Interprètes et compositeurs eux-mêmes ont cédé au plaisir d’en parler. Mozart d’abord, puis Berlioz, Schumann, Liszt et bien d’autres encore. Tout le XIXᵉ siècle a résonné de ce nouvel instrument, massif, lascif, magique. Le XXᵉ siècle est resté sous son charme, Vian, Sagan, Colette ou Duras en témoignent. Quant aux écrivains du XXlᵉ siècle, tels Echenoz ou Barnes, ils continuent à en porter l’écho. (Présentation de l’éditeur)

Cécile Balavoine a fait un heureux choix de textes, comme le portrait de Debussy par Colette, ou celui de Chostakovitch par Julian Barnes, une lettre de Mozart à son père sur les pianos de Stein à Augsbourg, et tant d’autres signés Tolstoi, Boris Vian, Marguerite Duras, Mörike…

En écho à La Sonate à Kreutzer, la célèbre nouvelle de Tolstoi (citée dans ce livre), une version de la sonate de Beethoven, qui ne laissera pas indifférent.

Post scriptum à mon billet d’avant-hier : Le lièvre au pays des malicesCet aphorisme du grand pianiste Alfred Brendel:

The word LISTEN contains the same letters as the word SILENT