L’air du Nord (II) : Finlandia

C’est sans doute l’oeuvre la plus cèlèbre de Jean Sibelius (1865-1957) : Finlandia.

Elle ouvre ce samedi le concert de l’Orchestre du Capitole de Toulouse dirigé par Tugan Sokhiev à Montpellier dans le cadre du Festival Radio France (FestivalRF19)

20H_13-Sokhiev-Tugan-ET-Chamayou-Bertrand_www

Ce Finlandia a toute une histoire qu’il n’est pas inintéressant de rappeler dans le contexte politique de sa création. La version la plus jouée aujourd’hui – celle qui le sera samedi – est confiée au seul orchestre, elle a été créée le 2 juillet 1900 par le grand chef finnois Robert Kajanus (1856-1933), fondateur en 1882 de la Société orchestrale d’Helsinki qui deviendra l’Orchestre philharmonique d’Helsinki.

L’une des très grandes versions de Finlandia : Neeme Järvi dirige l’orchestre symphonique de Göteborg.

En 1899, Sibelius compose une Musique pour la célébration de la presse en plusieurs tableaux, comme un manifeste contre la censure opérée sur la presse finlandaise par le régime tsariste (la Finlande étant constituée depuis 1809 en Grand-Duché sous la tutelle de la Russie, son indépendance ne sera obtenue de haute lutte que le 6 décembre 1917 !)

Le dernier tableau s’intitule Eveil de la Finlande, ou Eveil du printemps finlandais. Il sera joué à Paris, lors de l’Exposition universelle de 1900, sous le titre explicite de La Patrie !

De fait, Finlandia est devenu très rapidement une sorte d’hymne patriotique pour les Finlandais. Sibelius l’intègre dès 1900 à ses Scènes historiques op.25.

Mais la musique originale de 1899 « pour la célébration de la presse » n’a jamais été publiée  intégralement du vivant de Sibelius. Il faut attendre presque un siècle plus tard pour que la partition soit reconstituée, en sept tableaux

  1. Prélude : Andante (ma non troppo) ;
  2. Tableau 1 : La chanson de Väinämöinen ;
  3. Tableau 2 : Les Finnois sont baptisés par l’évêque Henri ;
  4. Tableau 3 : Scène de la Cour du Duc Jean ;
  5. Tableau 4 : Les Finnois dans la Guerre de Trente Ans ;
  6. Tableau 5 : La Grande colère ;
  7. Tableau 6 : Éveil de la Finlande (plus tard transformé en Finlandia).

En 1998, c’est l’orchestre philharmonique de Tampere – autre invité de marque du #FestivalRF19  avec son chef actuel, le génial Santtu-Matias Rouvali les 25 et 26 juillet prochains – qui réalise le premier enregistrement de cette musique.

51uHGh834tL

Finlandia sera adaptée, par Sibelius lui-même, dès 1900 pour le piano

https://www.youtube.com/watch?v=CyVDJQmGaSM

puis pour choeur d’hommes et orchestre en 1938, puis en 1940 pour choeur mixte sur un texte de l’écrivain et académicien Veikko Antero Koskenniemi. La puissance de cette dernière version, créée dans le contexte dramatique du début de la Seconde Guerre mondiale, n’est plus à démontrer.

51fh4TMsi4L

Fille de l’Elysée

On me taxera (le mot est à la mode !) d’incorrigible optimisme, de douce rêverie, si, à la veille d’une journée qu’on ne cesse de nous présenter comme celle de tous les dangers, j’ose en appeler à la fraternité, me mettant dans les pas, les vers et les notes de Schiller et Beethoven.

Souvenez-vous, c’était aux accents de la 9ème symphonie de Beethovenque le président de la République tout juste élu était venu saluer la foule qui se pressait dans la cour du Louvre. Les accents seulement, les paroles manquaient. Elles n’en prennent que plus de relief dix-huit mois après : Ô joie…. Fille de l’Elysée

Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium,
Wir betreten feuertrunken,
Himmlische, dein Heiligtum!
Deine Zauber binden wieder
Was die Mode streng geteilt;
Alle Menschen werden Brüder,
Wo dein sanfter Flügel weilt.

Wem der große Wurf gelungen,
Eines Freundes Freund zu sein;
Wer ein holdes Weib errungen,
Mische seinen Jubel ein!
Ja, wer auch nur eine Seele
Sein nennt auf dem Erdenrund!
Und wer’s nie gekonnt, der stehle
Weinend sich aus diesem Bund!

Freude trinken alle Wesen
An den Brüsten der Natur;
Alle Guten, alle Bösen
Folgen ihrer Rosenspur.
Küsse gab sie uns und Reben,
Einen Freund, geprüft im Tod;
Wollust ward dem Wurm gegeben,
und der Cherub steht vor Gott.

Froh,
wie seine Sonnen fliegen
Durch des Himmels prächt’gen Plan,
Laufet, Brüder, eure Bahn,
Freudig, wie ein Held zum Siegen.

Seid umschlungen, Millionen!
Diesen Kuß der ganzen Welt!
Brüder, über’m Sternenzelt
Muß ein lieber Vater wohnen.
Ihr stürzt nieder, Millionen?
Ahnest du den Schöpfer, Welt?
Such’ ihn über’m Sternenzelt!
Über Sternen muß er wohnen.

Joie ! Joie ! Belle étincelle divine,
Fille de l’Elysée,
Nous entrons l’âme enivrée
Dans ton temple glorieux.
Ton magique attrait resserre
Ce que la mode en vain détruit ;
Tous les hommes deviennent frères
Où ton aile nous conduit.

Si le sort comblant ton âme,
D’un ami t’a fait l’ami,
Si tu as conquis l’amour d’une noble femme,
Mêle ton exultation à la nôtre!
Viens, même si tu n’aimas qu’une heure
Qu’un seul être sous les cieux !
Mais vous que nul amour n’effleure,
En pleurant, quittez ce choeur !

Tous les êtres boivent la joie,
En pressant le sein de la nature
Tous, bons et méchants,
Suivent les roses sur ses traces,
Elle nous donne baisers et vendanges,
Et nous offre l’ami à l’épreuve de la mort,
L’ivresse s’empare du vermisseau,
Et le chérubin apparaît devant Dieu.

Heureux,
tels les soleils qui volent
Dans le plan resplendissant des cieux,
Parcourez, frères, votre course,
Joyeux comme un héros volant à la victoire!

Qu’ils s’enlacent tous les êtres !
Ce baiser au monde entier !
Frères, au-dessus de la tente céleste
Doit régner un tendre père.
Vous prosternez-vous millions d’êtres ?
Pressens-tu ce créateur, Monde ?
Cherche-le au-dessus de la tente céleste,
Au-delà des étoiles il demeure nécessairement.

https://www.youtube.com/watch?v=IInG5nY_wrU

Une 9ème de Beethoven historique, dirigée par Leonard Bernsteinaprès la chute du mur de Berlin. Le mot Freude (joie) avait été remplacé par Freiheit (liberté). Il commence comme le beau mot français de Fraternité.

Le mensuel Classica n’a pas hésité à relever le défi de comparer à l’aveugle des dizaines de versions du chef-d’oeuvre de Beethoven.

zXninYel

Yannick Millon, Jean-Charles Hoffelé et le compositeur Patrick Burgan, nous livrent d’abord une passionnante analyse de la discographie pléthorique de l’oeuvre, en ne retenant que les versions en stéréo. Et le résultat de leur écoute comparée est pour le moins inattendu, tant il s’éloigne des « références » toujours avancées. Ce classement me plaît beaucoup, notamment la première place : un chef – Hans Schmidt-Isserstedt – auquel je consacrerai bientôt un portrait discographique, un orchestre qui « respire » naturellement Beethoven. Mais la suite est tout aussi captivante.

 

71dBai-6wuL._SL1411_(Decca 1965, Hans Schmidt-Isserstedt, Orch.phil.Vienne, Joan Sutherland, Marilyn Horne, James King, Martti Talvela)

41F8OgQBw4L

(Bis 2006, Osmo Vänskä, orchestre du Minnesota, Helena Juntunnen, Katarina Karneus, Daniel Norman, Neal Davies)

https://www.youtube.com/watch?v=XYFSPCh2fwY

81MGY2iBPuL._SL1420_

(Decca 1969, Eugen Jochum, Concertgebouw Amsterdam, Liselotte Rebmann, Anna Reynolds, Karl Ridder, Gerd Feldhoff)

812Brw+ZYOL._SL1395_(Deutsche Grammophon 1962, Herbert von Karajan, orch.phil.Berlin, Gundula Janowitz, Hilde Rössel-Majdan, Waldemar Kmentt, Walter Berry)

51gpe8EM6UL

(Deutsche Grammophon 1957, Ferenc Fricsay, orch.phil.Berlin, Irmgard Seefried, Maureen Forrester, Ernst Haefliger, Dietrich Fischer-Dieskau)

71PHDuz6qiL._SL1417_

(Warner 1991, Nikolaus Harnoncourt, orchestre de chambre d’Europe, Charlotte Margiono, Birgit Remmert, Rudolf Schasching, Robert Holl)

71Uh-f6-RoL._SL1500_

(Sony 1961, George Szell, orch. Cleveland, Adele Addison, Jane Hobson, Richard Lewis, Donald Bell)

71PECzzfAiL._SL1400_(Archiv/DGG 1992, John Eliot Gardiner, orchestre Révolutionnaire et Romantique, Luba Orgonasova, Anne Sofie von Otter, Anthony Rolfe-Johnson, Gilles Cachemaille)

 

 

 

Nouveaux publics

Quand on a, depuis toujours, la conviction que la musique classique n’est pas moribonde ni élitiste ni réservée aux mélomanes etc. (tous poncifs qui continuent d’être alignés à défaut d’arguments), quand on l’a prouvé, en inventant des formats, des formules, qui font salles combles de publics heureux, on est d’autant plus intéressé de découvrir des publics aussi différents que ceux que la récente tournée de l’Orchestre de la Suisse romande, en Chine et en Inde, nous a permis de rencontrer.

IMG_2633

Pékin dans l’immense bulle dessinée par l’architecte français Paul Andreu, inaugurée en 2007 juste avant les Jeux Olympiques, le National Center for Performing Arts (NCPA) comprenant une salle de concert et un opéra !

IMG_2615

Le public qui se presse ce premier soir à Pékin est très varié, beaucoup de familles, sans doute peu informé du programme qui lui est proposé (Prélude à l’après-midi d’un faune, Introduction et rondo capriccioso, Tzigane,  une large suite de Roméo et Juliette). La poésie intimiste de Debussy les surprend, les pièces virtuoses du violon pourtant peu démonstratif de Renaud Capuçon suscitent plus d’élans, le Prokofiev décontenance, le chef a fait le choix de terminer par les épisodes recueillis de la mort de Juliette, donc peu susceptibles d’enflammer les foules. Il faudra un bis chinois (« Murmures du printemps ») pour réchauffer le public.

Le lendemain, à 150 km au sud de Pékin, c’est à Jinan qu’on se retrouve dans un complexe encore plus récent que celui de la capitale chinoise, au milieu d’une toute nouvelle zone inhabitée. Dans la très belle salle de concert, l’organisateur local a une saison de 5 concerts symphoniques par saison, 3 d’entre eux étant concentrés entre le 28 et le 30 avril ! (La veille de l’OSR, c’était la Staatskapelle de Dresde, le lendemain l’Orchestre de chambre de Moscou). La salle est distante de 11 km du centre de la ville ! et aucune commodité à proximité. Il faut vraiment avoir envie de venir !IMG_2673

IMG_2665

Le programme est tout sauf familier à un public très jeune et familial, qui n’a manifestement aucune habitude du concert classique : Pavane pour une infante défunte, concerto pour violon de Beethoven et 2ème symphonie de Brahms. Assise à ma gauche, une fillette de 7/8 ans est captivée par Beethoven, elle danse quasiment sur place, beaucoup d’autres ont du mal à se concentrer sur une oeuvre longue et peu spectaculaire. Renaud Capuçon m’avouera après le concert avoir dû subir au premier rang les bavardages ininterrompus de spectateurs qui n’avaient manifestement pas intégré la dimension silencieuse de l’écoute. Mais c’est l’exception – malheureuse – qui confirme l’aptitude de ce public à simplement se laisser porter par une musique dont elle ne connaît ni les codes ni l’histoire. Il aurait fallu pouvoir interroger ce millier de Chinois sur ce qu’ils avaient ressenti et retenu de ce parcours dans la musique la plus européenne qui soit.

IMG_2674Shanghai c’est tout de suite une autre histoire, la salle est plus ancienne, sonne plus sec, le public est manifestement plus habitué. La bonne idée c’est l’affichage de part et d’autre de la scène du programme et des interprètes. Le même programme qu’à Pékin, mais reçu plus chaleureusement, l’intuition que la pratique du concert classique est plus répandue ici.

IMG_2349IMG_2699

A la sortie beaucoup de demandes d’autographes au chef d’orchestre, Osmo Vänskä.

À Bombay changement complet d’ambiance, la salle de 1100 places du NCPA porte mal son âge, les abords sont peu entretenus – comme un grand nombre de bâtiments publics – c’est un euphémisme !

IMG_2968C’est pourtant là qu’ont lieu les grands événements musicaux (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/04/30/zubin-80/)

Manifestement la recherche de nouveaux publics, plus familiaux ou jeunes, ne fait pas partie des objectifs du Centre, présidé par une personnalité aussi vénérable qu’inamovible.  On est dans l’entre-soi, ce qui n’empêche pas une partie du public d’applaudir inopinément entre les mouvements de Beethoven ou Brahms.

Comme le disait le violoncelle solo « historique » de l’OSR, François Guye, ce type de rencontres avec des publics si différents de ceux qui fréquentent le Victoria Hall de Genève ou les salles de concert de Paris ou Londres, remet en question salutairement les modes de transmission traditionnels de la musique classique. Depuis le temps qu’on le dit…