La victoire de la musique

Je me suis souvent exprimé ici sur les Victoires de la musique classique, avec d’autant plus de liberté que c’est moi qui avais jadis décidé d’associer France Musique à cette manifestation. Je note d’ailleurs qu’aujourd’hui le président de ces Victoires n’est autre que le directeur de France Musique, Marc Voinchet . CQFD !

Victoires 2024

Je n’ai pu suivre que la fin de la cérémonie d’hier – j’avais une bonne excuse, un concert à la Maison de la radio (critique à suivre sur Bachtrack) – mais ce que j’en ai vu et les récompenses attribuées m’ont fait bonne impression. Juste une remarque quant à la présentation : quand Frédéric Lodéon tenait la barre de ces soirées (il l’a fait jusqu’en 2018), peu importait le ou la comparse qu’on lui adjoignait, il dominait le sujet sans conteste possible. Depuis lors, comme pour toutes les manifestations musicales, on nous impose un Stéphane Bern plus guindé que jamais dans un style qui n’est plus supportable pour parler de musique et de musiciens classiques. Quel contraste hier soir avec Clément Rochefort, l’un des meilleurs producteurs que France Musique ait recrutés et formés depuis longtemps ! Que n’a-t-on laissé ce dernier piloter seul la soirée !

(Avec Clément Rochefort dans les studios de France Bleu Hérault à Montpellier en 2019)

Joie de revoir ma chère Karine Deshayes, plus éblouissante que jamais en ce 29 février – jour anniversaire de Rossini ! – avec son complice Florian Sempey. Dommage qu’il y ait eu quelques soucis de micro dans cet extrait, mais cela ne gâche pas notre plaisir… et notre admiration pour ces chanteurs.

Pas beaucoup de surprise à l’annonce des lauréats comme soliste instrumental – Alexandre Kantorow ne quitte guère les sommets qu’il a atteints depuis sa m&daille d’or au Concours Tchaikovski 2019 – ou soliste vocal – le ténor Benjamin Bernheim qui doit chanter Roméo et Juliette au Metropolitan Opera de New York dans quelques jours. Heureux que Marie Jacquot soit distinguée comme « révélation chef d’orchestre », quoique cet intitulé me paraisse à la limite du ridicule s’agissant d’une musicienne à qui sont déjà confiées d’importantes responsabilités.

Comme le public, je découvre les talents de la compositrice Florentine Mulsant, de la gambiste Salomé Gasselin ou encore de la jeune mezzo-soprano Juliette Mey.

Plus étrange est la nomination dans la catégorie « Enregistrement » du coffret d’hommage à Nicholas Angelich. On se demande d’ailleurs si cette récompense attribuée à un seul disque classique est pertinente : il y a une telle production qui n’est plus et de loin l’apanage du seul CD qu’il est illusoire de prétendre distinguer « le meilleur enregistrement . Ici, il eût été ô combien plus pertinent que ce coffret soit placé hors catégorie.

Le génie de Moussorgski

Mercredi soir, j’assistais à la première de la série de représentations de Boris Godounov proposées jusqu’au 7 mars par le théâtre des Champs-Elysées. J’ai rendu compte pour Bachtrack de cette production créée à Toulouse en décembre dernier : Les grosses ficelles d’Olivier Py dans Boris Godounov au théâtre des Champs-Elysées.

Mais si l’on fait abstraction de ces trucs de mise en scène, et de la relative déception d’une direction assez banale, il faut louer sans réserve tous les chanteurs de cette production (ce sont les mêmes à Toulouse et à Paris), dont la star aurait dû être Mathias Goerne dans une prise de rôle pour lui. Le baryton allemand ayant déclaré forfait, il a été, très avantageusement, remplacé par Alexander Roslavets dans le rôle-titre

Au cas où on n’aurait pas compris la fine allusion au tsar Boris (Poutine) recevant au Kremlin le prince Chouiski (Macron)

Comme je l’écris dans Bachtrack, je songeais en écoutant Roslavets à ce qui s’était passé, il y a 111 ans, sur cette même scène : pour la saison inaugurale du théâtre construit par Auguste Perret, c’est le grand Fiodor Chaliapine qui reprenait le rôle-titre du chef-d’oeuvre de Moussorgski, qu’il avait chanté cinq ans plus tôt au Châtelet.

Le mépris du public (suite)

Des amis m’ont fait passer un article pleine page paru dans La Dépêche du Midi le 23 février sous un titre on ne peut plus explicite : Gautier Capuçon, les soeurs Berthollet, ces musiciens classiques qui abusent de grosses ficelles pour vendre des disques. Le sous-titre est encore plus explicite : « La musique classique fait désormais l’objet de produits marketing qui s’assurent les meilleures ventes. Gautier Capuçon en est l’exemple le plus flagrant. Son frère Renaud et le Toulousain Bertrand Chamayou analysent le phénomène de façon virulente« .

Je continue de citer l’article de Jean-Marc Le Scouarnec : Après «  Intuition  », «  Emotions  » et «  Sensations  », le violoncelliste Gautier Capuçon a intitulé son dernier album «  Destination Paris  ». Sorti en novembre, il a réussi, comme les précédents, à se placer dans les meilleures ventes d’albums… et pas seulement de musique classique. On y trouve des tubes, des tubes et encore des tubes, issus de la chanson («  La foule  », «  Champs Elysées  », «  Les feuilles mortes  », «  Les copains d’abord  »…), du cinéma («  Un été 42  », «  Chi Mai  », «  Le mépris  »…) et quand même un peu de son univers d’origine («  La veuve joyeuse  », «  Les contes d’Hoffmann  », «  Roméo et Juliette  », etc.) Comment le dire sans fâcher personne : c’est tellement peu original que cela en devient carrément gnangnan. Et atteint même le plus grand ridicule avec une reprise d’  », de Jean-Jacques Goldman et un inédit tout aussi épouvantable du même, intitulé «  Pense à nous  » (avec chœur d’enfants – aïe, aïe, aïe !).

Déambulant naguère dans le rayon classique d’une FNAC parisienne, j’entendis justement un arrangement bien sirupeux des Feuilles mortes joué par un violoncelle qui me semblait en défaut de justesse, capté de trop près : vérification faite, c’était bien Gautier Capuçon.

J’ai connu – et invité – en mars 2002 à Liège, un tout jeune homme de 20 ans, qui faisait un joli duo avec son frère aîné Renaud. Ils avaient joué le double concerto de Brahms. J’ai réinvité Gautier une ou deux fois par la suite (un 2e concerto pour violoncelle de Chostakovitch bouleversant, le concerto en do Majeur de Haydn durant la saison anniversaire 2010-2011 de l’OPRL). En 2021 j’écrivais ceci : Servir plutôt que se servir. C’était à la veille du Festival Radio France. Le « divorce » si l’on peut parler ainsi entre les deux frères était consommé depuis pas mal de temps, même si seul le milieu musical le savait.

Dans La Dépêche, Renaud Capuçon ne fait pas directement allusion à son frère, mais le propos est transparent :  » C’est très bien parfois de proposer des albums de ce type, comme je l’ai fait moi-même avec Un violon à Paris. Le danger – et je parle de façon générale – est d’être obsédé par la vente des disques et d’oublier l’essentiel : jouer les pièces du grand répertoire…. La musique n’est pas une autoroute sans surprises : prenons donc des risques !« 

Dieu sait si Renaud C. a pu agacer, apparaissant en toutes circonstances comme une sorte de musicien officiel de la République, il a nettement pris du champ depuis quelque temps. Mais nul ne peut lui dénier une curiosité toujours en éveil pour la création. Je l’ai entendu jouer Rihm à Liège, créer les concertos de Dusapin à Paris, de Matthias Pintscher à Genève. Le journaliste de La Dépêche rappelle, quant à lui, que le violoniste jouait l’aride concerto de Schoenberg à Toulouse en décembre dernier (« Pas de Goldman ou de Morricone à l’horizon, pas de Joe Dassin en version fade et passe-partout »)

Renaud Capuçon et Matthias Pintscher (Photo JPR)

L’autre musicien cité dans cet article est le Toulousain Bertrand Chamayou : « Ce n’est pas en soi un problème pour un musicien classique de jouer des musiques de films, de la variété ou de la pop… si c’est bien fait, ce qui est rarement le cas ! C’est souvent de la soupe. Les maisons de disques (*) encouragent à utiliser les mêmes ficelles, les recettes toutes faites » Le pianiste remarque qu’en voulant toucher ainsi un public plus large, on risque d’aseptiser la musique ,alors que « on peut incarner de belles choses avec de la grande musique, sans être forcément un odieux snobinard traitant le public avec arrogance »

Le dernier album de Bertrand Chamayou est une nouvelle preuve de la curiosité de l’interprète, mêlant Satie et John Cage : « Erik Satie et John Cage sont des ovnis dans le monde de la musique, car ils ont envisagé la musique à travers un prisme complètement différent », explique le pianiste. « Ce sont des pionniers dans le sens où, pour beaucoup, ils ont changé l’idée même de ce que doit être la musique »

(*) Ce qui est plutôt amusant, c’est que les trois musiciens, Gautier, Renaud Capuçon et Bertrand Chamayou sont édités par le même label, Erato/Warner Classics !

Signes de vie

Ne pas parler ici ou sur les réseaux sociaux des tragédies qui frappent le monde, en Israel ou en Palestine, comme toujours en Ukraine, ne pas commenter les horreurs proférées par des responsables politiques qui font honte à leurs fonctions, lorsqu’ils sont parlementaires, ne signifie pas qu’on est indifférent ou sans opinion. La retenue, le silence sont meilleurs conseillers.

La musique de Sheku

J’ai de l’affection et de l’admiration pour ce garçon depuis que je l’ai vu jouer lors du mariage de Harry et Meghan en 2018, affection et admiration confirmées depuis que j’ai l’entendu à l’auditorium de la Maison de la radio en 2019 et que j’ai dîné avec lui après le concert. Sheku Kanneh-Mason n’avait pas encore 20 ans, et n’avait pas encore achevé son cycle d’études supérieures, il était tel qu’il apparaît sur scène, presque timide, conscient des risques d’une soudaine notoriété.

C’est avec le 1er concerto pour violoncelle de Chostakovitch qu’il avait remporté le concours des jeunes musiciens de la BBC en 2016.

Sept ans après, Sheku a encore approfondi sa vision, plus lyrique qu’exubérante.

C’est ainsi qu’on l’a entendu jeudi dernier à la Philharmonie de Paris, avec l’Orchestre de Paris dirigé par Nathalie Stutzmann, comme je l’ai écrit sur Bachtrack : La jeunesse triomphante de Sheku Kanneh-Mason.

Renaissance

C’est peut-être un détail sans importance pour vous lecteurs, mais pour moi ça veut dire beaucoup. La maison historique de la famille maternelle, que j’avais trouvée en si piteux état lorsque j’étais passé à Entlebuch, au coeur de l’Emmental, en 2020 (lire Été 69), a retrouvé tout son lustre au terme d’une rénovation respectueuse de la tradition typique de cette vallée suisse, les murs d’écailles en bois.

J’ai pu en informer ma mère avec qui je peux encore échanger brièvement en vidéo lorsque l’opportunité se présente. À son âge, dans la maison de retraite où elle vit désormais, parfois absente à ce monde, il faut saisir le bon moment, celui où elle se reconnecte à ses souvenirs, où un sourire éclaire son visage lorsqu’elle reconnaît ses proches.

Encore

Cadeau pour finir que ce bis capté il y a quelques semaines à Stresa : toute la vie, l’ardeur, la jeunesse s’y trouvent exaltées. Yuja Wang et Tarmo Peltokoski (Retour à Colmar) et la pure joie de jouer :

Des chefs et des dames

Les Français ne vous oublient pas

Hier spontanément j’ai souhaité un bon anniversaire à Michel Plasson – 90 ans – mais il a fallu qu’un chroniqueur britannique, trop heureux de pouvoir taper sur ce qui n’est pas British, affirme sur son blog que la France avait « oublié » son grand chef. Inutile querelle. Tous les mélomanes, et les musiciens, français savent ce qu’ils doivent à ce grand chef qui a si bien et si longtemps servi la musique de son pays, en particulier à la tête de l’Orchestre du Capitole de Toulouse.

Rattle fait un Mahler

J’ai encore compris hier soir pourquoi je redoute la Sixième symphonie de Mahler, pourquoi je ne l’écoute quasiment jamais au disque. Alors que je ne me lasse de pratiquement aucune autre – la fabuleuse Troisième entendue à Bucarest (lire Le Mahler de Mäkelä), l’étonnante Cinquième du Portugal et la découverte d’un grand chef, Dinis Sousa) pour n’évoquer que les plus récents concerts. Hier donc c’était l’Orchestre de la radio bavaroise – quelle volupté ! – et son nouveau chef Simon Rattle qui inauguraient leur relation.

Même si je ne l’ai pas formulé aussi abruptement dans mon compte-rendu pour Bachtrack (lire Suffocante Sixième symphonie de Mahler par Simon Rattle), je trouve l’oeuvre, et son dernier mouvement en particulier, à la limite de l’inaudible. Mais je ne regrette évidemment pas d’avoir entendu la version/vision plutôt singulière du chef anglais et de son fabuleux orchestre.

Catherine est Bernadette

Comme antidote à la déprime mahlérienne, rien de mieux ce matin que le nouveau film de Léa Domenach, Bernadette !

Je craignais qu’après toute la promo qui avait été faite, les multiples interviews des acteurs et surtout de Catherine Deneuve qui incarne Bernadette Chirac, je ne sois finalement déçu par un film qui a sinon divisé, du moins partagé la critique. SI j’en juge par le nombre de spectateurs présents en matinée dans une salle du centre de Paris, le film ne devrait pas connaître un gros succès de fréquentation. Nulle déception, mais le plaisir d’un bon cinéma, qui aurait gagné à un peu plus de nerf.

Peu importe, ce Bernadette évite à peu près tous les pièges du genre : le personnage qu’incarne formidablement une Catherine Deneuve souveraine – qui n’est jamais dans l’imitation ou la parodie – est souvent sympathique, tandis que tous les machos qu’elle côtoie (à commencer par son président de mari, formidable Michel Vuillermoz, l’inénarrable Sarkozy de Laurent Stocker), à l’exception de l’attendrissant conseiller Bernard Niquet si bien joué par Denis Podalydès, frôlent souvent le ridicule. Sara Giraudeau est une étonnante et très crédible Claude Chirac. Plusieurs jolis moments d’émotion et une bande-son des plus inattendues, qu’on ne divulgâchera pas…

Retour à Colmar

Ce fut un beau, un très beau week-end ! Je n’avais plus que de vagues souvenirs du chef-lieu du Haut-Rhin, mais déjà sous une chaleur étouffante : ce devait être il y a trente ans Evgueni Svetlanov et son orchestre russe dans la Sixième de Mahler. Et la découverte du polyptyque de Mathias Grünewald au musée Unterlinden (lire Mathis le peintre).

Le Koifhus, l’ancienne Douane

La fameuse Maison des Têtes

Inutile de dire que dans une aussi jolie ville, la gastronomie est reine. Tradition germanique, bien pratique quand on va au concert, les restaurants servent dès 19 h. On veut citer ici deux établissements où la chaleur de l’accueil, la diligence du service ont précédé et prolongé le bonheur de l’assiette :

La Maison Rouge et un sublime pâté en croute

et – un dimanche soir – À l’échevin, le restaurant de l’hôtel Le Maréchal, un petit menu qui porte bien son nom « Ballade en Alsace » avec un « consommé de choucroute en montgolfière, kassler, foie gras et truffes »… à tomber ! Le tout à des prix plus que raisonnables !

Un nouveau festival

Quand j’ai vu le programme que l’ami Alain Altinoglu, qui en est le nouveau directeur artistique, avait concocté pour le vénérable Festival de Colmar, en particulier ce qui se passait samedi et dimanche, je me suis dit que l’occasion était toute trouvée pour un retour en Alsace, surtout si Bachtrack m’y envoyait en mission ! Deux concerts de l’orchestre du Capitole de Toulouse sous la baguette du nouveau prodige de la direction, Tarmo Peltokoski, tout fraichement désigné par le maire de Toulouse pour prendre la direction musicale de l’ensemble au 1er septembre 2014. Et pas n’importe quels programmes !

« Ces deux concerts marquent, en tout cas, le début d’une belle relation entre un déjà très grand chef et un orchestre prêt à le suivre sur les sommets de l’excellence. » C’est la conclusion de mon article sur Bachtrack : A Colmar le début d’une belle histoire entre Tarmo Peltokoski et l’ONCT

Preuve en quelques images de ce que j’ai écrit à propos d’une mémorable Quatrième symphonie de Bruckner, c’était samedi soir :

Il y a des soirs où l’on est heureux de s’attarder après le concert, de saluer et de féliciter les musiciens..

Le mépris du public

Je crois n’avoir aucune preuve à donner de ce qui a constitué la colonne vertébrale non seulement de mes activités professionnelles mais aussi de tous mes engagements publics : le respect du public.

Or le simple fait, pour des grands médias, de ressasser que la musique classique est « élitiste », qu’elle doit être « dépoussiérée » est déjà le signe d’un profond mépris du public. Ce « grand public » ( mon article de septembre 2015 Le grand public n’a malheureusement rien perdu de sa pertinence) que ceux qui en parlent le plus sont incapables de définir, pour la bonne raison qu’ils ignorent ce qu’est, ce qu’attend ce public qui n’est pas composé d’imbéciles !

Quand on voit l’étalage médiatique que de grandes chaînes TV et radio de service public réservent à des « artistes », à des prestations, qui sont des insultes vivantes à des milliers de musiciens qui ont fait de longues et dures études, qui affrontent les incertitudes et les affres d’une vie professionnelle, sans même parler de carrière, toujours aléatoire.

Je ne connaissais pas, jusqu’à ce que France 2 nous abreuve d’une pub aussi ridicule qu’insistante, le dénommé Riopy,

Il paraît qu’il en est à son quatrième « album » chez Warner ! Faut-il insister ?

Son « confrère » Sofiane Pamart a bénéficié, lui, de toutes les attentions d’Arte Concert.

On se demande bien pourquoi Alexandre Kantorow s’est évertué à gagner le Grand Prix du concours Tchaikovski à Moscou, pourquoi Beatrice Rana s’est présentée au concours Van Cliburn, pourquoi Yuja Wang a travaillé avec autant d’acharnement au Curtis Institute, pour ne citer que les plus beaux exemples d’immenses talents de la jeune génération. Question look, cette dernière n’a rien à redouter de la comparaison avec M. Pamart, sauf qu’elle, elle sait jouer du piano !

et n’imite pas la pianiste sino-américaine qui veut. Cette trouvaille sur YouTube vaut le détour, mais Chopin n’est-il pas un peu has been sous des doigts aussi glamour ? Admirez la posture !

Je fais, pour ma part, le pari du public,

Cela me rappelle, toutes proportions gardées, ces « crooners » qu’on a essayé de nous vendre comme les nouveaux Sinatra ou Dean Martin, qui à force de pubs ont sans doute vendu beaucoup de disques, dont la « carrière » a duré ce que vivent les roses, dont les noms sont aujourd’hui complètement oubliés. L’absence de talent finit toujours par se remarquer.

En attendant, j’ai replongé dans ma discothèque, à l’écoute de magnifiques artistes, que j’avais un peu négligés ces derniers temps. C’est mon choix de la semaine !

J’avais eu le privilège d’entendre Elisabeth Leonskaja jouer ce 3ème concerto de Beethoven à Toulouse en janvier 2018…

J’ai réécouté le contenu de deux coffrets Chopin jadis publiés par Teldec, qui n’était pas encore Warner.

Comme les valses de Chopin sous les doigts si poétiques de Maria Joao Pires

les deux cahiers d’Etudes de Chopin où éclate le génie d’un jeune pianiste, aujourd’hui malheureusement fourvoyé dans les pires errements.

ou encore les sonates 2 et 3 avec le merveilleux György Sebök, à qui Warner serait bien inspiré de consacrer un coffret réhabilitateur.

PS On conseille vivement à ceux qui l’auraient manquée l’émission « Portraits de famille » de Philippe Cassard du 1er avril dernier sur France Musique

Rita, Nadia, Mel, Cécile et le printemps

J’ai passé un week-end avec beaucoup de femmes, celles de ma famille – des anniversaires -, celles qui font de la musique – la soirée anniversaire du choeur Accentus (lire mon compte-rendu sur Bachtrack : Accentus fête ses 30 ans avec Mendelssohn) celles qui en composent.

On sait le formidable travail de recherche et d’enregistrement que produit l’équipe du Palazzetto Bru Zane / Centre de musique romantique française pour faire revivre des pans entiers du répertoire français.

Le coffret de 8 CD que le PBZ a publié à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, simplement intitulé Compositrices, est une formidable compilation – sans équivalent dans la discographie -.

À côté de quelques noms, un peu plus connus – ou moins méconnus – que d’autres, Louise Farrenc, Cécile Chaminade, les soeurs Boulanger, Pauline Viardot, Marie Jaëll, combien de révélations, de découvertes ! J’entends déjà la critique de quelques bougons : « si elles avaient écrit des chefs-d’oeuvre, ça se saurait ! » Heureusement que notre univers musical n’est pas fait que de chefs-d’oeuvre, on ne supporterait pas longtemps l’altitude. Mais pour qui est saturé des sempiternels Debussy, Ravel, Berlioz – pour ne citer que des Français – ces huit CD sont une bénédiction. J’ai juste une réserve, très personnelle j’en conviens, je n’aime pas beaucoup ni le timbre ni la manière du ténor Cyrille Dubois, très présent dans cette collection. En revanche, ceux qui ne le connaissent pas encore, découvriront en Leo Hussain un chef de première importance. Ici dans le poème symphonique Andromède d’Augusta Holmès (1847-1903).

Charmantes, romantiques, douces à l’oreille, une jolie collection de pièces de piano à 4 mains, due à Roberto Prosseda et Alessandra Ammara. On relève en particulier, parce que c’est de circonstance, les Voix du printemps de Marie Jaëll (1846-1925).

On ne va pas tout détailler, mais franchement autant de belle musique, de découvertes à faire, pour moins de 50 €, on court, on se précipite !

César Franck #200

C’est aujourd’hui le bicentenaire de la naissance, le 10 décembre 1822 à Liège, de César Auguste Franck.

En dehors de sa ville natale, et de quelques concerts parisiens, on ne peut pas dire que cet anniversaire ait bénéficié de grandes célébrations. Pas très vendeur sans doute le père Franck.

Après le point fait sur la discographie – lire Ave César -, mes choix purement subjectifs, et quelques pépites bien cachées ou oubliées.

Symphonie

L’unique symphonie, en ré mineur, de César Franck, achevée en 1888 et créée le 17 février 1889, bénéficie d’une discographie pléthorique. J’ai déjà ici souvent exprimé mes préférences, corroborées par la critique.

Je ne peux évidemment pas revoir, sans une profonde émotion, ces deux vidéos pourtant si différentes : l’Orchestre national de France exalté par le geste conquérant de Leonard Bernstein, l’Orchestre de la Suisse romande et Armin Jordan si authentiques.

J’ai fait le compte, j’en ai 43 versions dans ma discothèque (en CD) sans compter les téléchargées. Dont les trois enregistrées par Carlo-Maria Giulini, à Londres, à Berlin et à Vienne. On admire immensément ce chef, mais sa lecture hiératique, chargée d’intentions, statufie un peu plus le père Franck !

La sonate pour violon

Définitivement le duo Christian Ferras – Pierre Barbizet dans leurs deux versions EMI (1958) et DG (1965)

Psyché avec ou sans choeur

Déjà écrit (Ave Cesar), pour ceux qui voudraient sortir de la Symphonie, la trop justement méconnue symphonie qui ne dit pas son nom, le « poème symphonique avec choeur » Psyché.

Malheureusement pas grand chose à tirer ni à entendre de la toute récente et bien banale version des Liégeois dirigés par leur actuel chef, mais tout à redécouvrir grâce à la réédition d’un enregistrement de 1976 avec le même orchestre de Liège et son chef de l’époque, l’Américain Paul Strauss, pour la version complète avec choeur :

Et pour la version sans choeur, un enregistrement que j’écoutais hier dans un taxi – c’est rare un taxi branché sur France Musique ! – et qui m’enthousiasmait sans que je parvienne à le reconnaître. Lorsque j’entendis, à la fin de l’extrait, « désannoncer » Armin Jordan et l’orchestre symphonique de Bâle. (et pas, comme je l’entendis jadis sur cette même chaîne, l’orchestre Basler !!), je n’en fus pas surpris. Comme dans la symphonie, Armin Jordan est un chef qui a tout saisi du caractère de la musique de Franck, né au carrefour des cultures germanique et latine.

Le chasseur maudit

Sans doute l’oeuvre la plus « romantique » de César Franck, un poème symphonique d’une quinzaine de minutes où rodent les ombres de Berlioz, de Weber et du premier Wagner.

Michel Plasson et « son » Capitole de Toulouse en donnent une vision frémissante :

Piano et orchestre

Franck a écrit plusieurs pièces pour piano et orchestre, un concerto notamment (on les retrouve dans le coffret anniversaire OPRL/Fuga Libera. Seules restent jouées les Variations symphoniques – en réalité un concerto bref en trois parties – et Les Djinns.

J’ai longtemps été rebuté par le début empesé, lourd, de beaucoup de versions des Variations symphoniques, malgré l’excellence des pianistes et des chefs. Et à chaque fois je reviens à mon tout premier disque, inégalé, inégalable : Artur Rubinstein en 1957 et un chef Alfred Wallenstein qui ne se croit pas obligé d’embrumer Franck.

Pour le reste, je renvoie à l’esquisse de discographie déjà dressée dans Ave Cesar.

Petit cadeau pour cet anniversaire, une version vraiment inattendue de l’une des mélodies (genre qu’il a peu cultivé) de Franck, son Nocturne :

Hamlet & Co.

#FestivalRF22 #SoBritish

Hamlet à Montpellier

C’était hier la soirée d’ouverture du Festival Radio France, édition 2022 « So British ». Avec l’opéra d’Ambroise Thomas, Hamlet, dans sa version initiale, reconstituée, pour ténor. Un triomphe on peut le dire.

De gauche à droite : Philippe Talbot, Jodie Devos, Michael Schonwandt, John Osborn, Clémentine Margaine

Richard Martet, dans Opera Magazine, écrit :

« Une « prima donna » est née ! Nous avons toujours senti, chez Jodie Devos, l’étoffe d’une cantatrice d’exception. Elle a littéralement explosé hier, vendredi 15 juillet, dans une somptueuse version de concert d’Hamlet d’Ambroise Thomas, au Festival Radio France Occitanie Montpellier. L’excellente chanteuse que nous connaissons, au timbre frais et à la technique ébouriffante, est passée au niveau supérieur. La voix a gagné en rondeur et en puissance, sans rien perdre de ses qualités virtuoses, trouvant un terrain d’épanouissement idéal dans la redoutable scène de folie d’Ophélie, à l’acte IV. Variant les climats et les couleurs à l’infini, alternant longues phrases rêveuses et véhémentes cascades de vocalises, avec une netteté de diction jamais prise en défaut, la soprano belge a été saluée par une ovation aussi spectaculaire que méritée. Et quelle poésie, quelle émotion dans le passage qui suit, quand Ophélie, accompagnée par le chœur (Montpellier et Toulouse réunis) à bouche fermée, s’enfonce lentement dans le lac ! L’intensité de l’incarnation est telle qu’on en oublie complètement qu’il s’agit d’une version de concert. Jodie Devos a, de plus, la chance d’être remarquablement dirigée (Michael Schønwandt, à la tête de l’Orchestre National Montpellier Occitanie) et entourée : John Osborn en Hamlet (l’opéra est donné dans sa version avec un ténor dans le rôle-titre), Clémentine Margaine en Gertrude (impressionnante), Philippe Talbot en Laërte, Jérôme Varnier en Spectre…« 

Michael Schonwandt me confiait avant le concert combien l’incarnation d’Hamlet par un ténor changeait la couleur, la teneur du drame, et plusieurs des comparses des deux rôles principaux disaient après coup qu’ils préféraient presque cette version à l’habituelle avec baryton dans le rôle-titre. Evidemment Jodie Devos a vraiment triomphé pour sa première Ophélie sur scène – je n’oublie ni Natalie Dessay, jadis à Covent Garden, ni Sabine Devieilhe naguère à l’Opéra Comique, toutes deux sous la direction de Louis Langrée – mais la grâce, le fruité de la voix de la jeune cantatrice belge, en ont fait hier soir une Ophélie de rêve. John Osborn, d’abord par sa diction parfaite, sa prononciation et sa compréhension intime de la langue française, autant dans les élans héroïques que dans les confidences brisées, nous a infiniment touchés. Comme le souligne Opéra Magazine, tous les comparses, à commencer par Clémentine Margaine, les choeurs de l’opéra de Montpellier et du Capitole de Toulouse, l’opulent Orchestre de Montpellier, la direction généreuse et inspirée de Schonwandt, ont fait de cette soirée d’ouverture du festival un événement, bientôt diffusé sur France Musique.

D’autres Hamlet

Shakespeare et son prince du Danemark ont finalement peu inspiré les compositeurs d’opéra. En revanche, musiques de scène ou poèmes symphoniques n’ont pas manqué, même si aucune n’a jamais atteint la célébrité des nombreux Roméo et Juliette mis en musique.

Liszt

Liszt très impressionné par une représentation de Hamlet à Weimar en 1856, écrit un poème symphonique d’une vingtaine de minutes qui « résume » le drame shakespearien. Ici dans une version d’une grande densité, l’Orchestre national de France, enregistré au Théâtre des Champs-Elysées, est dirigé par Daniele Gatti, dont on a appris récemment la nomination à la tête de la Staatskapelle de Dresde.

Tchaikovski

Tchaikovski écrit en 1888 une « ouverture fantaisie » éponyme. De loin moins célèbre qu’une autre « ouverture fantaisie » intitulée.. Roméo et Juliette !

Emotion que de retrouver cette captation dirigée par le grand Evgueni Svetlanov :

Prokofiev une musique de scène

Prokofiev écrit lui une musique de scène à la demande du metteur en scène Sergei Radlov, qui est créée en mai 1938.

Très belle version discographique due au regretté Mikhail Jurowski (1945-2022) :

Chostakovitch

Le jeune Chostakovitch a précédé Prokofiev : c’est un jeune homme de 25 ans qui écrit lui aussi une musique de scène en 1931.

Plusieurs versions russes recommandables, mais la plus étonnante est sans doute celle d’Arthur Fiedler à la tête de ses Boston Pops !

Jeunes baguettes

Il y a deux mois, j’applaudissais le nouveau directeur musical de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä (Yuja, Klaus et Maurice), 26 ans !

Quand je lis le compte-rendu de Remy Louis d’un concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France, où le quasi-vétéran (36 ans tout de même !) Santtu-Matias Rouvali a dû être remplacé par Tarmo Peltokoski, un compatriote – finlandais – de 21 ans ! – lire Les débuts fracassants de Tarmo Peltokoski, j’ai l’impression d’une course à la jeunesse chez les organisateurs, les responsables d’orchestres ou d’institutions musicales.

Il y a encore une vingtaine d’années, recruter un chef de moins de 40 ans paraissait audacieux, voire risqué, surtout pour un poste de directeur musical. On n’aura pas la cruauté de citer les exemples de ces jeunes chefs qui n’auront fait qu’un petit tour à ce genre de poste.

Je me réjouis, par exemple, de recevoir à nouveau à Montpellier, le 19 juillet prochain, le chef anglais Duncan Ward (33 ans!), à la tête de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée (voir lefestival.eu). J’avais assisté en octobre dernier à sa prise de fonction comme chef de la Philharmonie Zuidnederland à Maastricht.

Jeudi dernier, c’était, à la Philharmonie de Paris, une autre jeune baguette, Thomas Guggeis, 29 ans, qui remplaçait Daniel Barenboim, souffrant, à la tête du West-Eastern Divan Orchestra.

Une Patrie universelle

Au programme de ce concert, le cycle « Ma Patrie » de Smetana, une suite de six poèmes symphoniques, dont la célèbre Moldau, que je n’avais plus eu l’occasion d’entendre en concert depuis que je l’avais programmé en janvier 2010 à Liège, avec François-Xavier Roth et l’Orchestre philharmonique royal de Liège (Festival Visa pour l’Europe).

Thomas Guggeis est indéniablement à son affaire dans un cycle où les décibels d’une orchestration wagnérienne peuvent souvent masquer les inspirations populaires du compositeur tchèque. On se demande si le résultat eût été le même avec Barenboim au pupitre. On a entendu un camarade regretter une certaine neutralité interprétative et l’absence de cette nostalgie slave qui devrait s’attacher à Smetana. On a aussi appris que le jeune chef qui avait fait plus d’un tour d’essai avec l’orchestre du Capitole de Toulouse, qui cherche depuis des mois un successeur à Tugan Sokhiev, n’a pas été retenu par les musiciens…

Revenons à Ma Patrie, et à ce qu’il faut bien appeler un cliché – la « nostalgie slave » -. Même si, d’évidence, comme des centaines d’autres oeuvres, ces poèmes symphoniques puisent aux sources de l’inspiration populaire, ils n’en ont pas moins détachables de leur contexte géographique ou historique et constituent des oeuvres « pures ». Personne ne conteste à des chefs et orchestres occidentaux le droit et la légitimité d’interpréter les symphonies de Tchaikovski, qui pourtant puisent abondamment – au moins autant que les Borodine, Moussorgski et autres compositeurs du Groupe des Cinq – dans le terreau traditionnel.

Ce n’est pas parce que le chef d’origine tchèque Rafael Kubelik (lire Les fresques de Rafael), a gravé à plusieurs reprises des versions de référence de ce cycle que celui-ci est chasse gardée des interprètes natifs de Bohème ! Ici on écoute un moment extrêmement émouvant : la captation du concert donné en 1990 par Kubelik à Prague, qu’il avait quittée en 1948, un an après la chute du mur de Berlin.

Mais je veux signaler une autre très grande version, beaucoup moins connue, celle de Paavo Berglund et de la somptueuse Staatskapelle de Dresde.