Disques d’été (IV) : éternels présents

Le disque est heureusement là pour préserver et entretenir la mémoire de ceux qui sont morts trop tôt, emportés par la maladie. Je citais Lipatti dans mon billet du 2 août. Je voudrais évoquer  les pianistes Daniel Varsano et Youri Egorovdisparus à 35 ans au printemps 1988 à quelques semaines d’intervalle

Le premier n’a guère eu le temps de construire une discographie digne de son talent. Le sesquicentenaire de la naissance d’Erik Satie a été l’occasion de rééditer l’un des plus beaux disques qui aient été consacrés au compositeur d’Arcueil.

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Sony serait bien inspiré de rééditer ses versions aussi originales que passionnantes des Variations Goldberg de Bach – jamais éditées en CD à ma connaissance – et des Variations Diabelli couplées à la sonate Waldstein de Beethoven fugitivement disponibles en CD.

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Quant à Youri Egorov, on doit à ses amis proches, sa famille d’adoption et de coeur qui l’a accompagné jusqu’au bout de ses souffrances aux Pays Bas, de nous avoir offert une magnifique collection, d’abord d’enregistrements de studio pour EMI ou la radio néerlandaise essentiellement, puis de « live » tous plus émouvants, prodigieux, radieux les uns que les autres.

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Et juste avant l’été à nouveau un double CD qui porte si tristement son titre de Chants d’automne.

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Quelques mois avant sa mort, Youri Egorov se confiait à Schubert. La tendresse avait ce soir-là un visage. Pour l’éternité.

 

Génération Le Luron

Je viens de voir le documentaire diffusé le 4 avril dernier (et rediffusé le 29 prochain) : http://www.france3.fr/emission/thierry-le-luron-le-miroir-dune-epoque

Avec une double émotion. Par le plus grand des hasards, j’ai vu les débuts d’un jeune homme de 17 ans à la télévision, en 1970. Je ne sais plus pour quelle raison mon père, qui était professeur d’anglais, avait accompagné à Paris une classe de son lycée  de Poitiers pour l’émission « Le jeu de la chance », diffusée en direct un dimanche après-midi. Et c’est alors qu’on vit le dénommé Thierry Le Luron chanter un air de Rossini d’une superbe voix de baryton. Il revint plusieurs semaines de suite pour son talent de chanteur jusqu’à ce qu’il se risque à une imitation du Premier ministre de l’époque, Jacques Chaban-Delmas, devant Jean Nohain et tout un plateau stupéfaits par la qualité de la prestation. La suite est connue : https://fr.wikipedia.org/wiki/Thierry_Le_Luron.

Avant le documentaire de France 3, Jacques Pessis avait déjà consacré un film à son ami, disparu il y a trente ans :

https://www.youtube.com/watch?v=BZZEX886TKc

Thierry Le Luron, je l’ai retrouvé « en vrai » au début des années 80. Notamment lorsqu’invité à un congrès politique, il fut ce qu’il a toujours été, impertinent, percutant, imperméable aux pressions des puissants, se moquant allègrement de ceux qui l’avaient invité (et payé pour sa prestation !).

Et puis, même s’il l’a toujours nié, pour protéger sa famille, son image, sa vie privée, TLL a été, pour toute une génération, la mienne, le triste symbole d’une jeunesse décimée par la maladie du siècle, le virus jamais nommé, tant à l’époque il semait la terreur. À Paris, dans les lieux à la mode, tout le monde savait que l’imitateur faisait des fêtes jusqu’au bout de la nuit et préférait les garçons. Personne n’était dupe des couvertures de Paris-Match et des photos retouchées pour masquer les avancées de la maladie qu’il combattait avec un cran admirable. L’un de ceux qui partageaient ses nuits, et sans doute sa vie, le pianiste Daniel Varsano, l’a suivi dans la mort dix-huit mois plus tard, non sans avoir laissé quelques disques admirables, qui nous rappellent son talent singulier.

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Le Luron, comme Coluche – tous les deux disparus en 1986 ! – manquent plus que jamais à notre univers politique et culturel.