Des goûts et des couleurs

« Je sais aussi d’expérience…. qu’on ne sert pas les musiciens, a fortiori quand on les aime, par l’hypocrisie ou le silence, on n’est pas obligé pour autant de les blesser inutilement. Le musicien, l’artiste sait mieux que quiconque si son récital, son concert, a été réussi ou… moins réussi. Il n’a que faire des compliments de complaisance ».

Voilà ce que j’écrivais dans un article – Le difficile art de la critique – qui m’avait valu beaucoup de commentaires, et qui me revient maintenant.

Si ce blog était véritablement mon journal intime, je n’hésiterais pas une seconde à lui confier sans détour les sentiments que m’ont inspirés certains concerts auxquels j’ai assisté. Mais, si j’ai choisi de le laisser en accès libre, donc public, je restreins de moi-même mon expression.

Il a suffi d’un adjectif – « déçu » – posté sur Facebook à l’issue d’un récent concert pour que je sois sommé de m’expliquer et qu’un débat s’ouvre avec d’autres musiciens, des collègues du pianiste auquel je faisais référence. Il en ressortait que je ne pouvais pas être déçu, que ce n’était pas possible, vu que l’artiste en question est considéré comme un immense talent en devenir et qu’il est impérial dans le répertoire où précisément j’ai eu l’impression de le voir sombrer. En résumé, si je disais ce que je pense, je risquais de compromettre une brillante carrière – et ce serait de ma faute ! -.

De toutes les façons, je ne peux définitivement pas être, publiquement, juge et critique. Je garderai donc les raisons de ma déception pour moi…

D’un autre concert – les 40 ans de l’Orchestre de chambre de Paris, mercredi au Théâtre des Champs-Elysées – je ne dirai guère plus. Il y avait du bon, de l’excellent et du moins bon. IMG_9127 (1)

Sans doute était-il osé, risqué même, de faire se succéder deux cycles de mélodies pour ténor, avec deux chanteurs différents, en première partie – comme l’a noté Bachtrack, mais comme je suis un inconditionnel des cycles de Britten, en particulier ses Illuminations sur des poèmes de Rimbaud, j’ai été comblé d’y entendre Mark Padmore. Certes je préfère de loin la version pour soprano – qui est l’originale, puisque écrite pour la chanteuse suisse, Sophie Wyss – que j’ai eu l’immense chance de pouvoir programmer, il y a presque trente ans, avec Felicity Lott, Armin Jordan et l’Orchestre de la Suisse romande.

 

Avec un chanteur de la qualité de Mark Padmore, et la présence au sein de l’OCP depuis quelques mois,  d’un fabuleux jeune corniste, Nicolas Ramezje me demande si la sublime Sérénade pour ténor, cor et orchestre du même Britten n’eût pas été en meilleure situation… Un prochain concert ?

Dans mon courrier ce matin, un tout nouveau disque et un gentil mot de Jean-Marc Luisadal’un des musiciens les plus singuliers de la planète piano.

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J’aime beaucoup Jean-Marc Luisada, sa passion encyclopédique pour le cinéma, je n’aime pas tout ce qu’il fait au piano, précisément parce qu’il prend certains partis, qui peuvent me dérouter dans certains répertoires, mais jamais il ne m’ennuie ou m’indiffère.

Avec ce nouveau CD Schumann, il récidive, remet sur l’ouvrage ces deux chefs-d’oeuvre qui ont échappé à plus d’un – Humoresque en particulier – Je vais évidemment au plus tôt le confronter avec ce premier jet, presque trentenaire, livré aux micros d’un personnage ô combien original, François Dominique Jouis, et son label Harmonic Records, qui furent quelque temps installés à Thonon-les-Bains où j’eus plus d’une occasion de croiser leur destinée compliquée.

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Immortels

Pourquoi pleurer la mort d’un musicien, d’un artiste, d’un créateur ? Pour ses proches, la douleur, la peine, la tristesse sont compréhensibles, mais pour nous autres qui ne les avons connus que de loin ou par le seul truchement d’un média, quel sens notre affliction a-t-elle, surtout si elle s’affiche d’abondance sur les réseaux sociaux ? Comme s’il fallait participer à l’émotion collective obligée…

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J’ai partagé ici quelques souvenirs de Maurane (La dernière fugueparce que je l’ai un peu connue et j’aime lire les témoignages d’amis qui ont eu le bonheur de travailler avec Gérard Jouannest et qui sont sincèrement touchés par sa disparition hier à l’âge de 85 ans.

Mais comme Mauranecomme Brel dont il fut beaucoup plus que l’accompagnateur – le compositeur de 35 de ses chansons – Gérard Jouannest est immortel. Parce que, comme l’a écrit Charles Trenet et chanté Juliette Gréco : 

Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
La foule les chante un peu distraite
En ignorant le nom de l’auteur
Sans savoir pour qui battait leur coeur…

Je pense aujourd’hui à celle qui fut la compagne à la scène comme à la ville de Gérard Jouannest, à cette soirée au Théâtre des Champs-Elysées en juin 2009, à jamais gravée dans ma mémoire (Le grand art de Juliette Gréco met K.O. le public du Théâtre des Champs-Elysées), je pense à vous, Madame Gréco, native de Montpellier, que la maladie a privée de l’incroyable énergie que vous nous offriez si généreusement.

Merci à la Radio Télévision suisse d’avoir restitué ce document. Amours immortelles…

Salonen fait un Mahler

La soirée parisienne était douce et prometteuse. Un ami, devant le Théâtre des Champs-Elysées, me disait sa joie de retrouver un chef qu’il suit passionnément depuis 25 ans. J’étais a priori moins enthousiaste, quelques souvenirs moins convaincants, mais très curieux dans un programme plus classique que ceux que j’avais entendus dirigés par lui jusqu’à présent : 2ème symphonie de Beethoven et 1ère symphonie de Mahler

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Esa-Pekka Salonen va fêter son 60ème anniversaire le 30 juin prochain, on a du mal à l’imaginer à voir la silhouette svelte et juvénile du chef diriger l’une des plus belles phalanges européennes, le Philharmonia Orchestra de Londres.

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Je crois bien que la dernière fois que j’ai vu le chef finlandais à l’oeuvre, c’était dans cette mémorable Elektra d’Aix-en-Provence, la toute dernière et géniale mise en scène du regretté Patrice Chéreau. Salonen avait porté à incandescence la partition de Richard Strauss à la tête d’un Orchestre de Paris transfiguré.

Alors que sa discographie, et les quelques programmes de concerts que je l’ai vu diriger, étaient très orientés XXème et XXIème siècles, comment allait-il aborder la plus classique des symphonies de Beethoven et le premier grand ouvrage symphonique en forme de manifeste de Mahler ?

Les textures de Beethoven sont allégées, timbales et trompettes baroques, Salonen prend le parti d’une certaine objectivité qui ne choisit finalement aucune des pistes explorées par ses aînés Brüggen ou Harnoncourt. J’ai plus d’une fois pensé à Gardiner (dans son intégrale gravée pour Archiv  il y a 25 ans), Très bien joué, mais un peu neutre.

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En revanche, dès les premières minutes – cet éveil de la Nature – de la Première de Mahler, on pressent que le voyage auquel nous convie Salonen nous captivera, nous saisira jusqu’au bout. C’est l’anti-Bernstein, le refus de solliciter un texte que Mahler a truffé d’indications très précises et scrupuleuses, il « suffirait » presque de jouer ce qui est écrit. Et c’est ce à quoi semble d’attacher Salonen, avec une science exceptionnelle des timbres, des équilibres, et un sens de la narration qui épouse parfaitement les intentions du compositeur. Et quel orchestre ! Glorieux pupitre de violoncelles dans l’attaque du 2ème mouvement « Kräftig bewegt », densité du quatuor, éclat sans clinquant des cuivres. Salonen, en – excellent – compositeur qu’il est lui aussi, met en valeur la modernité, les audaces instrumentales d’un Mahler qui invente des voies symphoniques nouvelles.

Je ne m’étais, à tort, pas intéressé jusqu’à maintenant aux Mahler de Salonen. Je crois que je vais rattraper le temps perdu…

Sony réédite bientôt l’intégrale des enregistrements réalisés par Esa-Pekka Salonen, où dominent les grands symphonistes du XXème siècle, Nielsen, Sibelius, Lutoslawski, Stravinsky…

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Grand écart

D’un lundi à l’autre, j’ai vécu, comme spectateur/auditeur, le grand écart en matière de concert classique : programme, lieu, contenu, format, présentation, public, tout distinguait les soirées du 19 et du 26 mars derniers.

Révélations classiques de l’ADAMI au théâtre des Bouffes du Nord d’une part, trio de stars – l’orchestre symphonique de la Radio Bavaroise, Mariss Jansons et Dmitri Matsuev – dans le cadre douillet du Théâtre des Champs-Elysées d’autre part.

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Dans l’un des quartiers les plus populaires et bigarrés de Paris, les Bouffes du Nord sont un lieu de culture unique, irremplaçable qui porte encore l’esprit de celui qui lui a redonné vie il y a une quarantaine d’années, Peter Brook, et qui, aujourd’hui, propose une programmation comme je les aime, comme j’essaie de le faire par exemple au Festival Radio France, une programmation qui fait confiance au public, à son goût de la découverte.

Je craignais – à tort – que la soirée des Découvertes classiques de l’ADAMI ressemble à un défilé de jeunes musiciens genre concours de fin d’année, un peu gauche, maladroit. Ce fut tout le contraire grâce à une mise en espace intelligente, un déroulé fluide et habile du programme qui a permis de se faire une juste idée du talent des huit musiciens, quatre chanteurs, quatre instrumentistes. J’en ai repéré quelques-uns qu’on invitera à Montpellier, ils ont ce quelque chose de plus qu’une belle voix ou un beau jeu. Adrien Boisseau relègue définitivement aux oubliettes les mauvaises blagues sur l’alto (lire Le mal aimé de l’orchestre, Blaise Rantoanina a la lumière de Mozart dans sa voix de ténor, Jonathan Fournel fait sonner son piano (une Etude de Debussy somptueuse, un Jésus que ma joie demeure impérial) comme on se souvient avoir entendu Nicholas Angelich tout jeune le faire…

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Lundi dernier, c’était une tout autre ambiance, celle des grandes soirées chic du Théâtre des Champs-Elysées, la présence de l’un des meilleurs orchestres d’Europe, un chef charismatique, qui vient de fêter ses 75 ans, et un pianiste volcanique.

IMG_4832Public d’abonnés, et d’invités des sponsors du concert ou des ambassades. Certains manifestement ne savaient pas ce qu’ils venaient entendre. Juste derrière moi dans la file des spectateurs qui attendaient d’être placés au parterre, j’entends un homme jeune faire remarquer à sa compagne… qu' »il y a aussi un orchestre qui joue ce soir » (!).

Programme finalement moins conventionnel que d’ordinaire surtout pour un orchestre en tournée : 1ère symphonie « Le printemps » de Schumann en première partie, Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, et l’une des dernières oeuvres – pas la plus essentielle, de Leonard Bernstein – centenaire oblige – son Divertimento pour orchestre.

C’est une pure jouissance que d’écouter un orchestre à la sonorité si fondue, chaleureuse,   méridionale si on ose le cliché – mais Munich et la Bavière ont toujours été le « sud » des terres germaniques. Surtout quand Mariss Jansons gomme les aspérités de partitions qu’il dirige comme de vastes paysages élégiaques, un traitement qui convient à Schumann, nettement moins à Bernstein qui prend un coup de sérieux que l’auteur de West Side Story n’imaginait sans doute pas (l’ouverture de Candide en bis confinait au contre-sens). Dmitri Matsuev est égal à lui-même : capable de démonstrations spectaculaires de virtuosité, mais aussi de véritable poésie dans un Rachmaninov plutôt tenu que débridé.

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L’audace du public

Deux concerts contrastés, pour le moins, ces derniers jours à Paris. Des programmes « exigeants » comme on dit quand on veut s’excuser de ne pas a priori complaire au « grand public » (lire Le grand public). Et des programmes qui ont conquis, enthousiasmé les publics réunis pour ces concerts.

D’abord jeudi soir, au Théâtre des Champs-Elysées, le pianiste Christian Zacharias

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Je connais Christian depuis presque trente ans, lorsqu’il avait accepté de remplacer un jeune pianiste souffrant comme soliste d’un concert dirigé par Armin Jordan à Genève ! C’était, je crois, en 1990. Même au faîte de sa carrière de pianiste, il n’avait encore jamais joué en Suisse ! Et ce fut, pour lui, le début d’une aventure musicale qui allait notamment le conduire à diriger l’Orchestre de chambre de Lausanne de 2000 à 2013 (à la suite du regretté Jesus Lopez Cobos), et pour moi le commencement d’une amitié qui ne cesserait plus.

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Ainsi, en 1997 – j’étais alors directeur de France Musique – j’avais été mis dans la confidence de la préparation d’un concert monté par les Amis de l’OSR (Orchestre de la Suisse Romande) pour fêter les 65 ans d’Armin Jordanen même temps que la fin de son mandat à la tête de la phalange genevoise. J’avais trouvé un studio à la maison de la radio à Paris pour que Christian Zacharias et Felicity Lott puissent répéter, dans le plus grand secret, une séquence dont ils feraient la surprise au chef suisse.

En 2010, j’invitai Christian Zacharias à jouer dans la nouvelle série Piano 5 étoiles à la Salle Philharmonique de Liège. Un an plus tard, il dirigeait les forces de l’Opéra royal de Wallonie pour de subtiles Noces de Figaro de Mozart mises en scène par Philippe Sireuil.

Ce jeudi soir, faisant le pari de la confiance du public, il avait choisi un programme très classique, et plutôt rare en récital : Bach et Haydn. Rien pour l’épate, rien pour la virtuosité transcendante ou le romantisme échevelé. Austère presque… Mais quel bonheur d’entendre un piano sonner clair et dense, qui jamais ne cherche à singer ou imiter le clavecin ou le pianoforte. C’est la première fois que j’entendais Zacharias chez ces deux compositeurs, mais je vis depuis longtemps avec ses Scarlatti…sans parler de l’autre grand classique dont il est un interprète de prédilection, Mozart !

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L’autre moment fort de rencontre entre un musicien hors norme et un public aventurier, ce fut vendredi soir, à l’auditorium de la Maison de la radio. L’Orchestre philharmonique de Radio France avait convié la jeune cheffe polonaise Marzena Diakun (qu’on reverra à Montpellier le 13 juillet prochain – Made in France) à diriger un programme extrêmement (trop ?) copieux. Rien moins que Taras Bulba de Janáček d’entrée de jeu, suivi d’un long (trop ?) concerto pour percussions du Finlandais Kalevi Aho, et en seconde partie la 9ème symphonie de Dvořák.

Le public n’aura peut-être retenu de cette soirée que la prestation exceptionnelle, étourdissante, ébouriffante, de Martin Grubingerla star de la percussion. Déjà en novembre 2014, quelques jours après l’inauguration de l’Auditorium de Radio France, il avait donné un aperçu de son fantastique talent en interprétant Speaking drums de Peter Eötvös sous la direction du compositeur.

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Je l’avais invité, avec son père et les soeurs Önder, en juillet 2016, à une soirée du Festival Radio France Occitanie Montpellier qui avait failli ne pas avoir lieu (lire Rattrapés par l’actualité). 

Vendredi il a fait une nouvelle démonstration d’un art incomparable, sa seule prestation sauvant de l’ennui une oeuvre vraiment longuette et répétitive qui n’est pas la plus inspirée de son auteur. En bis, Martin Grubinger a proposé un numéro plus sportif que musical, comme il l’a annoncé lui-même pour le plus grand bonheur d’un public aux anges. Court extrait :

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La mort en face

Sauf erreur de ma part, la dernière fois que j’avais vu l’ouvrage, c’était à l’Opéra Bastille en 2004. C’est dire si j’attendais ces Dialogues des Carmélites de Francis Poulencdonnés au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, dans une mise en scène d’Olivier Pyqui avaient déjà triomphé en 2013.

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La même production a précédé la reprise parisienne, en décembre dernier, à La Monnaie de Bruxelles, avec une distribution en partie commune aux deux théâtres.

https://www.youtube.com/watch?v=kx2mUNulczU

Pour les rôles communs à Bruxelles et Paris : Patricia Petibon, en Blanche de la Force, confirme ce que j’ai déjà constaté avec plaisir dans les récents Pelléas et Mélisande et Mithridate vus dans ce même théâtre des Champs-Elysées, la pleine maturité d’un talent que je me souviens avoir vu éclore à Ambronay, il y a une trentaine d’années, dans David et Jonathas. Sans les scories d’une notoriété acquise un peu trop rapidement sur des critères extra-musicaux.

On admire tout autant Véronique Gens – une habituée du Festival Radio France – en Madame Lidoine habitée, Sophie Koch, impressionnante Mère Marie de l’Annonciation, et chez les hommes Alain Cavallier en Marquis de la Force et surtout le magnifique ténor Stanislas de Barbeyrac, voix ronde, chaude et ample, parfaite incarnation du Chevalier de la Force, frère si aimant de Blanche.

À Paris, même annoncée en méforme, Sabine Devieilhe épouse à merveille la jeunesse et l’insouciance de Soeur Constance. 

Couronnant une distribution entièrement francophone – sacrée évolution du paysage lyrique français depuis 30 ans ! merci à des pépinières comme l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris et à son infatigable animateur Christian Schirm qui y ont ô combien contribué – la Prieure d’Anne-Sofie von Otter, diction, expression du texte superlatives, est d’une puissance d’évocation qui bouleverserait le plus rétif des spectateurs au texte de Bernanos.

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Il m’est arrivé de ne pas aimer ou de ne pas comprendre Olivier Py dans certaines de ses mises en scène. Dans ces Dialogues, il est admirable, convaincant, de bout en bout : Un tel spectacle est l’honneur des scènes francophones, en ce temps où tant d’œuvres sont délibérément défigurées, violentées, avilies par les metteurs en scène. Ici règne le respect, celui d’un texte et d’un argument théâtral de premier ordre, comme l’écrit André Tubeuf dans son blog.

Dans la fosse, l’Orchestre National chante Poulenc comme sa langue maternelle.

Une soirée à retrouver avec bonheur sur France Musique le 25 février prochain.

 

 

Les rêves d’Anja

Retour à la Philharmonie de Paris ce lundi soir. Après l’Orchestre de Paris et Herbert Blomstedt (lire L’autre Herbert), un programme et un équipage de haut vol : Valery Gergiev  les Münchner Philharmoniker (Orchestre philharmonique de Munich), Anja Harteros en soliste des Wesendonck Lieder de WagnerLe concert s’ouvrait par Francesca da Rimini de Tchaikovski et se concluait par Une vie de héros (Ein Heldenleben) de Richard Strauss.

On admire d’abord la générosité et l’ordonnancement de ce programme. Le vaste poème symphonique de Tchaikovski, composé lors d’un séjour à Bayreuth (!), jamais entendu au concert, jadis découvert dans l’enregistrement de Svetlanov, révèle l’infinie palette de nuances d’un orchestre d’une souplesse et d’une transparence qui contraste avec les couleurs plus sombres de ses voisins munichois, comme celui du Bayerischer Rundfunk.

On sait d’emblée que le chef ossète va tutoyer les sommets. Impression amplement confirmée en seconde partie avec un Richard Strauss voluptueux, plus lyrique qu’épique, dans lequel tous les pupitres se couvrent de gloire – je retrouve avec bonheur le son de la flûte en bois d’Herman van Kogelenenberg, que, tout récemment nommé à la direction de l’orchestre philharmonique de Liège en 1999, j’avais engagé comme 1ère flûte, et qui après quelques années au Concertgebouw est depuis 2013 le soliste des Münchner Philharmoniker.

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Heureux évidemment de revoir Valery Gergiev à son meilleur, comme le souvenir que j’avais de sa venue à Montpellier en juillet 2016 (lire La rencontre)

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Et puis, au milieu de ces vastes épopées symphoniques, l’oeuvre qui m’a fait aimer et approcher Wagner, cet unique cycle de mélodies sur des poèmes de l’aimée Mathilde Wesendoncket la sublime osmose entre la chanteuse et l’orchestre, la voix d’or et de pourpre d’Anja Harteros qui déploie tour à tour douceur et puissance, aigus de lumière et graves de bronze. On espère au plus vite une trace discographique.

On avait tant aimé la chanteuse dans Tosca à l’Opéra Bastille : Tosca sans chef.

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Comme on associe souvent ces Wesendonck Lieder de Wagner et les Vier letzte Lieder de Richard Strauss, une petite idée de l’art d’Anja Harteros dans cette vidéo :

La dernière fois qu’on avait entendu ces Wesendonck, c’était avec un partenaire habituel d’Anja Harteros, Jonas Kaufmann, au théâtre des Champs-Elysées, avec l’Orchestre national de France dirigé par Daniele Gatti.

https://www.youtube.com/watch?v=qbwqTKSaN6U

Pour finir, une discussion surprise à l’entracte au bar de la Philharmonie de Paris, juste après les Wagner chantés par Anja Harteros : « Ah quelle chanteuse, formidable non ? – Ah moi j’ai beaucoup aimé, surtout Super héros (sic) de… comment vous dites, Richard Strôôôs » – Vous avez raison, elle a vraiment bien chanté ce Strôôôs »…. Il faut dire qu’à ce genre de soirées, une bonne partie de la salle est constituée d’invités des mécènes et sponsors…

 

De Broadway aux Champs-Elysées

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Il y a trois semaines j’étais sur Broadway (In the magic of the night). Jeudi soir, Broadway était au théâtre des Champs-Elysées à Paris.

IMG_3503 (1)(Magie de l’avenue Montaigne à Paris)

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Isabelle Georges (voir Isabelle au Bal) y reprenait le spectacle créé avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège le 31 juillet 2014 au Concertgebouw d’Amsterdam et repris à Liège à la veille de Noël 2014. Avec les mêmes partenaires Frederik Steenbrink (chant), Guillaume Naud (piano), Gilles Barikosky (saxophone), Jérome Sarfati (contrebasse), David Grebil (batterie), et à la baguette Fayçal Karoui qui, ce jeudi soir, dirigeait l’Orchestre de chambre de Paris. Un triomphe, une fois de plus !

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Juste avant le spectacle, j’avais fait un saut à l’exposition Gauguin au Grand Palais

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Avec l’impression de me retrouver dans les salles du Metropolitan Museum of Art de New York (voir Les trésors du Met) où Gauguin et tous ses illustres camarades occupent presque tout un étage…

 

IMG_3496(Gauguin, Autoportrait au chapeau, 1893, Musée d’Orsay)

Déjeuner ce vendredi dans une excellente table du centre de Paris, pour évoquer le festival Radio France 2018 avec une complice de toujours. Assis par le hasard des réservations à côté d’un pianiste jadis célèbre, qui a toujours soigneusement cultivé son accent russe.

Et dans la soirée, alors que la concurrence était forte (Noël à Broadway à Radio France), j’avais choisi l’anti-« spectacle de fête » par excellence : Patrick Timsit, à l’exact opposé de son personnage d’amuseur public, dans un beau monologue d’extraits du Livre de ma mère d’Albert Cohen, mis en scène par Dominique PitoisetAu théâtre de l’Atelier.

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Les premières vingt minutes sont parfois laborieuses, comme si le comédien avait besoin de s’imprégner de la gravité du texte face à un public qui n’attend qu’une occasion de rire. Puis Timsit trouve son rythme, le ton juste, et c’est alors l’émotion qui gagne tous les spectateurs. Je n’ai personnellement jamais été un lecteur de Cohen, il faudrait peut-être que je m’y mette après ce spectacle, à conseiller à ceux qui veulent échapper à la fête obligatoire.

Dans la famille Järvi, le père

Je n’étais pas sûr d’être rentré à temps de Montpellier pour assister au concert de l’Orchestre National de France, hier soir, à la Maison de la Radio, dirigé par un vétéran, le vénérable Neeme Järvi80 ans depuis le 7 juin dernier.

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J’ai donc écouté la seconde partie du concert sur France Musique (disponible en réécoute ici), la 12ème symphonie « L’année 1917 » de Chostakovitch, que j’évoquais dans mon billet d’avant-hier (Octobre en novembre, la Révolution). Contraste assurément avec la vision du jeune Andris Poga l’été dernier à Montpellier avec l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Comme si le vieux chef s’attachait à gommer les aspérités, les rudesses d’une symphonie qui n’est vraiment pas la meilleure de son auteur (en tous cas bien inférieure à la 11ème symphonie, elle aussi évoquant la Révolution russe, la première, celle de 1905). Mais quelle puissance d’évocation, comme si Neeme Järvi racontait sa propre histoire !

Me sont revenus d’anciens souvenirs de ce chef charismatique, qui m’était apparu fatigué lors d’un concert très inégal en 2011 au Théâtre des Champs-Elysées (Martha Argerich y avait créé un très médiocre concerto du dernier compositeur « officiel » russe, Rodion Chtchedrine.

Lorsque j’étais producteur à la Radio Suisse Romande (entre 1986 et 1993), j’avais la responsabilité de programmer une bonne partie des concerts de l’Orchestre de la Suisse romande, sous l’égide d’un comité de programmation présidé par Armin Jordan. Dans ce cadre, j’avais obtenu que Neeme Järvi, qui n’avait jamais dirigé à Genève, alors que sa réputation, et sa discographie, étaient déjà considérables, , vînt diriger deux programmes différents. Tout fier de moi, je rendis compte de ma prospection à la direction de l’orchestre, à son administrateur de l’époque, l’inamovible Ron Golan, ancien alto solo de l’OSR. L’engueulade ne se fit pas attendre : « Mais comment peux-tu inviter un inconnu à diriger l’OSR et lui confier deux semaines? »  Il ne fréquentait pas beaucoup les disquaires..

Le chef estonien vint donc à Genève, pour la première fois, en juin 1991. Diriger deux programmes à son image : L’un comportant la suite de Karelia de Sibelius, et l’immense 13ème symphonie de Chostakovitch (lire ici : Histoires juives), l’autre, la semaine suivante, la Symphonie concertante pour violoncelle de Prokofiev, avec Antonio Meneses, et la 7ème symphonie de Dvořák.

Après une première journée de répétitions, j’invitai Neeme Järvi à boire un verre pour avoir ses impressions. Il me dit d’emblée : « Avec cet orchestre, je veux enregistrer Stravinsky. Pouvez-vous m’arranger cela ? Mon producteur est d’accord. » (Chandos). J’en fis part immédiatement à Ron Golan, revenu entre-temps à de meilleurs sentiments à l’égard de cet « inconnu ». Deux ans plus tard, cinq CD avaient été mis en boîte.

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Autre souvenir : première répétition au studio Ansermet de la maison de la radio à Genève de la 7ème symphonie de Dvořák

L’OSR ne passant pas pour être l’orchestre le plus discipliné, je m’attendais à une mise en route un peu laborieuse. Järvi fila d’une traite le premier mouvement, puis enchaîna avec les trois autres. Concentration maximum, orchestre parfaitement en place et attentif aux moindres inflexions du chef. Au fond de la salle, j’étais soufflé ! Järvi dit simplement à la fin: Merci Messieurs, c’est parfait. Nous en resterons là !

On a ensuite beaucoup reproché à Neeme Järvi de ne pas assez travailler avec ses orchestres, notamment lorsque, bien plus tard, il est devenu directeur musical de l’OSR – de 2012 à 2015.

Je n’oublie pas non plus cette soirée d’après-concert, en juin 1993, à laquelle Neeme Järvi et sa femme étaient présents. Les Amis et l’administration de l’OSR avaient voulu me témoigner leur attachement, alors que je m’apprêtais à quitter la Radio Suisse romande pour rejoindre France Musique.

Entre-temps, j’ai appris à connaître et apprécier l’art et la personnalité de ses deux fils, Paavo et KristjanBelle dynastie de chefs !

 

 

Isabelle au Bal

Le Concertgebouw d’Amsterdam, le Festival d’Edimbourg, le Musikverein de Vienne, le Festival Radio France, et tant d’autres scènes, où se déploie le talent unique d’une artiste – musicienne, chanteuse, danseuse – qu’on aime et qu’on admire – la répétition d’un compliment n’est pas complaisance, mais simple et rassurant constat -, Isabelle Georges était hier soir à Paris, dans un lieu chargé d’histoire qui vient de ressusciter par la volonté d’un homme et d’une équipe, le Bal Blomet.

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Pour cette première française du spectacle Oh Là Là écrit pour et créé au Festival d’Edimbourg 2016. Isabelle Georges était bien entourée, de formidables musiciens comme Adrien Sanchez (clarinette et saxophone), Samuel Domergue (batterie), Edouard Pennes (guitare), Jérome Sarfati (contrebasse), et le complice de toujours Frederik Steenbrink (piano et chant).

 

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La presse écossaise a comparé Isabelle Georges à des monstres sacrés comme Judy Garland, Lisa Minnelli ou Barbra Streisand. On ne la démentira pas…

On se réjouit de retrouver Isabelle et plusieurs de ses complices au Théâtre des Champs-Elysées le 21 décembre prochain pour un programme qui m’est cher à plus d’un titre (les Liégeois s’en souviennent) : Broadway symphoniqueEt comme l’avait quittée le 17 juillet dernier à Montpellier, il se dit, dans les milieux autorisés, qu’on pourrait bien la retrouver dans un tout nouveau projet pendant l’été 2018 en Occitanie…

L’actualité d’Isabelle Georges c’est aussi la sortie d’un disque, qu’on n’a pas encore écouté, mais qui reflète plusieurs des concerts/récitals qu’elle a donnés ces derniers mois notamment à Radio France.

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