Fille de l’Elysée

On me taxera (le mot est à la mode !) d’incorrigible optimisme, de douce rêverie, si, à la veille d’une journée qu’on ne cesse de nous présenter comme celle de tous les dangers, j’ose en appeler à la fraternité, me mettant dans les pas, les vers et les notes de Schiller et Beethoven.

Souvenez-vous, c’était aux accents de la 9ème symphonie de Beethovenque le président de la République tout juste élu était venu saluer la foule qui se pressait dans la cour du Louvre. Les accents seulement, les paroles manquaient. Elles n’en prennent que plus de relief dix-huit mois après : Ô joie…. Fille de l’Elysée

Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium,
Wir betreten feuertrunken,
Himmlische, dein Heiligtum!
Deine Zauber binden wieder
Was die Mode streng geteilt;
Alle Menschen werden Brüder,
Wo dein sanfter Flügel weilt.

Wem der große Wurf gelungen,
Eines Freundes Freund zu sein;
Wer ein holdes Weib errungen,
Mische seinen Jubel ein!
Ja, wer auch nur eine Seele
Sein nennt auf dem Erdenrund!
Und wer’s nie gekonnt, der stehle
Weinend sich aus diesem Bund!

Freude trinken alle Wesen
An den Brüsten der Natur;
Alle Guten, alle Bösen
Folgen ihrer Rosenspur.
Küsse gab sie uns und Reben,
Einen Freund, geprüft im Tod;
Wollust ward dem Wurm gegeben,
und der Cherub steht vor Gott.

Froh,
wie seine Sonnen fliegen
Durch des Himmels prächt’gen Plan,
Laufet, Brüder, eure Bahn,
Freudig, wie ein Held zum Siegen.

Seid umschlungen, Millionen!
Diesen Kuß der ganzen Welt!
Brüder, über’m Sternenzelt
Muß ein lieber Vater wohnen.
Ihr stürzt nieder, Millionen?
Ahnest du den Schöpfer, Welt?
Such’ ihn über’m Sternenzelt!
Über Sternen muß er wohnen.

Joie ! Joie ! Belle étincelle divine,
Fille de l’Elysée,
Nous entrons l’âme enivrée
Dans ton temple glorieux.
Ton magique attrait resserre
Ce que la mode en vain détruit ;
Tous les hommes deviennent frères
Où ton aile nous conduit.

Si le sort comblant ton âme,
D’un ami t’a fait l’ami,
Si tu as conquis l’amour d’une noble femme,
Mêle ton exultation à la nôtre!
Viens, même si tu n’aimas qu’une heure
Qu’un seul être sous les cieux !
Mais vous que nul amour n’effleure,
En pleurant, quittez ce choeur !

Tous les êtres boivent la joie,
En pressant le sein de la nature
Tous, bons et méchants,
Suivent les roses sur ses traces,
Elle nous donne baisers et vendanges,
Et nous offre l’ami à l’épreuve de la mort,
L’ivresse s’empare du vermisseau,
Et le chérubin apparaît devant Dieu.

Heureux,
tels les soleils qui volent
Dans le plan resplendissant des cieux,
Parcourez, frères, votre course,
Joyeux comme un héros volant à la victoire!

Qu’ils s’enlacent tous les êtres !
Ce baiser au monde entier !
Frères, au-dessus de la tente céleste
Doit régner un tendre père.
Vous prosternez-vous millions d’êtres ?
Pressens-tu ce créateur, Monde ?
Cherche-le au-dessus de la tente céleste,
Au-delà des étoiles il demeure nécessairement.

https://www.youtube.com/watch?v=IInG5nY_wrU

Une 9ème de Beethoven historique, dirigée par Leonard Bernsteinaprès la chute du mur de Berlin. Le mot Freude (joie) avait été remplacé par Freiheit (liberté). Il commence comme le beau mot français de Fraternité.

Le mensuel Classica n’a pas hésité à relever le défi de comparer à l’aveugle des dizaines de versions du chef-d’oeuvre de Beethoven.

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Yannick Millon, Jean-Charles Hoffelé et le compositeur Patrick Burgan, nous livrent d’abord une passionnante analyse de la discographie pléthorique de l’oeuvre, en ne retenant que les versions en stéréo. Et le résultat de leur écoute comparée est pour le moins inattendu, tant il s’éloigne des « références » toujours avancées. Ce classement me plaît beaucoup, notamment la première place : un chef – Hans Schmidt-Isserstedt – auquel je consacrerai bientôt un portrait discographique, un orchestre qui « respire » naturellement Beethoven. Mais la suite est tout aussi captivante.

 

71dBai-6wuL._SL1411_(Decca 1965, Hans Schmidt-Isserstedt, Orch.phil.Vienne, Joan Sutherland, Marilyn Horne, James King, Martti Talvela)

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(Bis 2006, Osmo Vänskä, orchestre du Minnesota, Helena Juntunnen, Katarina Karneus, Daniel Norman, Neal Davies)

https://www.youtube.com/watch?v=XYFSPCh2fwY

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(Decca 1969, Eugen Jochum, Concertgebouw Amsterdam, Liselotte Rebmann, Anna Reynolds, Karl Ridder, Gerd Feldhoff)

812Brw+ZYOL._SL1395_(Deutsche Grammophon 1962, Herbert von Karajan, orch.phil.Berlin, Gundula Janowitz, Hilde Rössel-Majdan, Waldemar Kmentt, Walter Berry)

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(Deutsche Grammophon 1957, Ferenc Fricsay, orch.phil.Berlin, Irmgard Seefried, Maureen Forrester, Ernst Haefliger, Dietrich Fischer-Dieskau)

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(Warner 1991, Nikolaus Harnoncourt, orchestre de chambre d’Europe, Charlotte Margiono, Birgit Remmert, Rudolf Schasching, Robert Holl)

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(Sony 1961, George Szell, orch. Cleveland, Adele Addison, Jane Hobson, Richard Lewis, Donald Bell)

71PECzzfAiL._SL1400_(Archiv/DGG 1992, John Eliot Gardiner, orchestre Révolutionnaire et Romantique, Luba Orgonasova, Anne Sofie von Otter, Anthony Rolfe-Johnson, Gilles Cachemaille)

 

 

 

Sous les pavés la musique (VII) : Solti à Chicago

Les pavés se font de plus en plus lourds à mesure que s’approche la fin de l’année. On annonce une intégrale Karajan (DGG/Decca) en plus de 300 CD ! Pour l’heure c’est un autre recordman de l’enregistrement que Decca honore : une intégrale en 108 CD de tout ce que Georg Solti a réalisé à Chicago durant toute la période où il fut le chef principal puis directeur musical honoraire de l’orchestre (de 1970 à 1997)

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Rappel des dates-clés d’une des plus impressionnantes baguettes du XXème siècle. Le jeune György Stern étudie le piano, la composition et la direction avec rien moins que Bartók, Dohnányi, Kodály et Weiner. En 1937 Toscanini le choisit comme assistant au Festival de Salzbourg, et dès 1947 il enregistre pour Decca, une fidélité qui durera 50 ans et produira plus de 250 enregistrements dont 45 opéras !

Solti commence à diriger l’orchestre symphonique de Chicago en 1954 (au Festival de Ravinia), en 1969 il en devient le chef principal pendant 22 ans, puis directeur musical honoraire jusqu’en 1997.

Ce coffret représente donc le coeur battant de l’activité du grand chef hongrois, même si les puristes préfèrent sa première période (Londres, Vienne, Israel), où les caractéristiques de sa personnalité – vivacité, acuité rythmique, inlassable vitalité – font merveille dans le répertoire post-romantique et moderne.

Les cycles des symphonies de Beethoven, Brahms, Bruckner souffrent d’une vision trop impersonnelle, tout est en place, avec un orchestre rutilant, mais rien ne marque vraiment. Solti est nettement plus convaincant dans Mahler – des doublons pour certaines symphonies – Tchaikovski, Wagner, Bartók ou Stravinsky. Et surprenant dans les Chostakovitch qu’il n’a abordés que sur la fin. Les grands oratorios (Bach, Haendel) sont oubliables, même bien chantés. En revanche, le très grand chef d’opéra qu’il a toujours été – et à mes yeux plus grand que le chef symphonique – se retrouve dans les intégrales que ce coffret nous restitue, comme une étonnante Damnation de Faust.

Conseil d’achat : le prix du coffret peut varier de 40 à 50 € d’un site à l’autre, d’un pays à l’autre, mais pour moins de 2 € le CD, avec une très belle iconographie et un vrai livre-portrait, c’est une très belle occasion d’apprécier l’art d’un grand chef, dans la prestigieuse lignée des Szell, Reiner, Dorati, comme Solti originaires d’Europe centrale.

Détails du coffret à lire sur Solti à Chicago

Des nuances de noir et blanc

D’abord ce beau coffret commandé avant les vacances, arrivé le jour de mon retour, et depuis dégusté à petites doses, comme des retrouvailles avec quelqu’un qu’on avait un peu perdu de vue ou d’oreille.

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Faut-il rappeler qui est Rudolf Serkin ? Peut-être pas le plus grand pianiste, si l’on s’en tient à des critères techniques, mais l’un des musiciens les plus emblématiques du XXème siècle. Sa vie, ses origines, sa destinée épousent tous les cahots, les horreurs comme les lumières d’un siècle qui ne fut pas avare de fortes personnalités.

On redécouvre, dans ce coffret, dans un son largement amélioré, d’immortelles gravures de Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, et, plus rares, Bartok (1er concerto), Prokofiev (4ème concerto), Reger, Chopin (Préludes), et ces trésors de musique partagés à Marlboro avec les BuschCasals, Schneider, Fleisher et tant d’autres.

Voir détails de ce coffret ici : Rudolf Serkin complete Columbia recordings

https://www.youtube.com/watch?v=7oUkRPsaCBU

Decca honore, pour son 80ème anniversaire, l’un de ses artistes maison, stakhanoviste de l’enregistrement tant comme pianiste que comme chef : Vladimir Ashkenazy

 

71KYkoPzRUL._SL1200_Dans le dernier numéro de Gramophone le pianiste est évoqué, par euphémisme, comme « peu soucieux de couleurs ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites..  Virtuose certes, chez lui dans Rachmaninov ou Prokofiev, avare de poésie et de fantaisie dans le répertoire romantique (Beethoven, Brahms, Schumann, Chopin), je n’ai jamais accroché à Ashkenazy pianiste, surtout lorsqu’il est enregistré dans des acoustiques de salle de bain ou sur des pianos ferraillants qui durcissent un jeu qui n’est déjà pas très varié. J’ai toujours trouvé mieux, plus intéressant, plus idiomatique ailleurs.

Ashkenazy chef d’orchestre est souvent beaucoup plus pertinent que le pianiste. Decca serait bien inspiré (c’est peut-être prévu ?) de regrouper ses gravures comme chef, dans son répertoire natif (somptueux Rachmaninov avec le Concertgebouw) mais aussi dans des registres plus surprenants (Sibelius, Richard Strauss, Mahler…)

Mes préférés (VI) : un orchestre royal

J’avais déjà une bonne partie des coffrets édités au fil des ans par la radio néerlandaise de fabuleux concerts de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam (Koninklijk Concertgebouworkest). L’un des trois orchestres que je préfère au monde (avec Vienne et Berlin) ce qui n’a rien d’original. J’évoquerai demain le premier disque que j’achetai de cet orchestre et de son chef d’alors, Bernard Haitink.

Pour célébrer son 125ème anniversaire, le Concertgebouw a fait les choses en grand. Toute une histoire, des « live » plus passionnants les uns que les autres, captés par la radio néerlandaise, rassemblés en deux coffrets magnifiques, que j’avais renoncé à racheter en raison d’un prix, certes justifié par la qualité des enregistrements, mais dissuasif – comme l’étaient d’ailleurs les premiers coffrets partiels. J’ai finalement trouvé les deux précieux boîtiers à un prix beaucoup plus raisonnable sur www.amazon.co.ukJe m’empresse d’en télécharger le contenu en prévision de mes vacances est-européennes.

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La liste des oeuvres, des solistes, des chefs, donne le vertige. Evidemment les directeurs musicaux successifs, Eduard van Beinum, Bernard Haitink, Riccardo Chailly, Mariss Jansons, tant de grands chefs associés, Monteux, Szell, Dorati, Giulini, Sawallisch, Colin Davis, Kondrachineet cette acoustique miraculeuse.

Une très large place à la musique du XXème siècle, à des compositeurs et artistes hollandais bien peu connus hors des frontières bataves, de grands chefs, Boulez, Jochum, Krips, dans des répertoires qu’ils n’ont jamais servis au disque, des gravures historiques au sens premier du terme, Mengelberg, Furtwängler, Klemperer, Ormandy, Ancerl, des rencontres soliste-chef parfois inattendues, bref ces 152 CD méritent tous qu’on s’y arrête et qu’on parcoure, grâce à eux, la fabuleuse histoire de l’une des plus belles phalanges du monde.

Détails complets du coffret disponibles sur : Bestofclassic : Concertgebouw Amsterdam 125

Lili et le piano revolver

On ne pouvait imaginer parutions plus dissemblables que ces deux coffrets proposés par Sony Classical. Du piano dans les deux cas, et deux artistes un peu oubliés.

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Le moins qu’on puisse dire est que la vie et la carrière de Lili Kraus ont été aventureuses. J’aime depuis longtemps ses Schubert et ses Mozart – lire Alla turca – mais je pensais pas trouver un jour, aussi bien réédités, cette intégrale des concertos de Mozart réalisée au Konzerthaus de Vienne en quelques sessions en 1965 et 1966.

Il y a une injustice dans la présentation de ce coffret : on ne trouve qu’à l’intérieur du livret trilingue la mention du chef et de l’orchestre, comme s’ils étaient des comparses secondaires. Le nom du chef américain Stephen Simon est complètement inconnu en Europe, sinon des quelques mélomanes qui se rappellent l’interprète éclairé de Haendel qu’il fut aux Etats-Unis. Quant à l’orchestre du « Festival de Vienne », il s’agit d’une formation de circonstance réunie pour les besoins de la foison d’enregistrements réalisés   dans la capitale autrichienne dans les années 50 et 60.

La pianiste hongroise et le chef américain s’entendent à merveille pour donner des versions heureuses, imaginatives, extraordinairement libres et élégantes, de ces concertos où les références ne manquent pas. Un coffret indispensable à la discothèque de l’honnête homme !

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C’est peu dire que le pianiste américain John Browning (1933-2003) ne joue pas dans la même catégorie que Lili Kraus. Même s’il partage avec elle un déficit de notoriété  sur le continent européen. Son patronyme évoque plus les armes que le clavier ! Contemporain et concurrent de Van Cliburn, il n’a jamais eu la célébrité du premier vainqueur américain du célèbre Concours Tchaikovski en pleine guerre froide.

Ce coffret de 12 CD est évidemment beaucoup plus composite que celui de Lili Kraus, et reflète la variété du répertoire de l’Américain. Les cinq concertos pour piano de Prokofiev – technique étincelante – avaient déjà réédités dans un

coffret Leinsdorf (la première intégrale de ces concertos réalisée par un pianiste américain). On trouve aussi le Concerto de Barberque Browning créa pour l’ouverture du Lincoln Center en 1963, dans les deux versions gravées par le pianiste d’abord avec George Szell en 1964 puis avec Leonard Slatkin en 1990.Mais aussi Beethoven (Variations Diabelli, Sonate op.110), Schumann (Etudes symphoniques), Ravel, Debussy, les Etudes de Chopin, etc.

 

 

 

L’aristocrate et le moujik

Presque simultanément Deutsche Grammophon nous livre deux beaux coffrets sur l’art de deux des plus grands violoncellistes du XXème siècle, qui ont fait les riches heures de la marque jaune (et accessoirement de Philips et Decca) : Mstislav Rostropovitchet Pierre Fournier.

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Deux immenses personnalités, deux styles pour le moins opposés (pour user de clichés un peu faciles, l’élégance aristocratique du Français, l’intensité contagieuse du Russe). On peut aimer l’un et l’autre, et s’amuser au jeu des comparaisons lorsque le même chef (Karajan) les accompagne dans la même oeuvre (Don Quichotte de Richard Strauss).

Le coffret Rostropovitch ne contient rien qui n’ait été déjà réédité, mais regroupe tout ce qui est paru sous les labels DGG, Decca et Philips (et par Melodia pour ce qui est des séances de trios avec Kogan et Gilels), et inclut – à la différence du coffret EMI/Warner – les prestations du violoncelliste comme chef d’orchestre (et d’opéra) et pianiste accompagnateur de son épouse Galina Vichnievskaia. Plusieurs doublons, voire triplons (le Quintette à deux violoncelles de Schubert avec les Taneiev, les Melos et les Emerson) Détails ici : Rostropovitch l’intégrale Deutsche Grammophon.

Dans le cas de Pierre Fournier, on attendait depuis longtemps pareil hommage (après le coffret Warner). La longue carrière du violoncelliste français y est richement documentée, depuis les premières gravures avec Clemens Krauss et Karl Münchinger en 1953, jusqu’à une ultime séance en 1984 deux ans avant sa mort avec son fils Jean Fonda. Deux versions du Don Quichotte de Richard Strauss. Deux intégrales magnifiques des sonates piano-violoncelle de Beethoven avec Friedrich Gulda et Wilhelm Kempff, et de celles de Brahms  avec Rudolf Firkusny et Wilhelm BackhausEt ce qui reste pour moi une référence des Suites pour violoncelle de BachDétails à lire ici : Pierre Fournier, l’aristocrate du violoncelle

https://www.youtube.com/watch?v=0uJvUtyEtcg

De Pierre Fournier, Rostropovitch*, jamais avare d’un superlatif, avait dit qu’il était son « dieu », son « maître ».

*Sur l’orthographe et la prononciation de Rostropovitch, lire Comment prononcer les noms de musiciens

Sous les pavés la musique (V) : tout sur Robert

On a un peu oublié aujourd’hui l’art et la personnalité de Robert Casadesus (1899-1972), le pianiste français préféré des Américains, en tout cas de George Szell.

J’ai déjà raconté, dans une précédente version de ce blog, ce rendez-vous avec Gaby Casadesus qui, à 96 ans, avait tenu à se déplacer à mon bureau de France Musique pour s’assurer que le centenaire de son mari serait bien célébré comme elle entendait qu’il le soit, par les formations et les antennes de Radio France. Elle tenait, en particulier, à ce qu’on joue Casadesus compositeur, ce qui était rien moins qu’évident… La conversation avait été passionnante avec cette dame d’une élégance et d’une courtoisie hors d’âge. Je m’étais dit qu’elle tiendrait jusqu’à ce centenaire, elle est morte six mois après à 98 ans.

Aujourd’hui nous sont restitués quantité d’enregistrements devenus introuvables, ou très partiellement réédités au fil des ans, de Robert Casadesus, de sa femme Gaby et de leur fils Jean, tragiquement disparu en 1972 à 44 ans d’un accident de voiture au Canada.

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On trouvera ci-dessous les détails de ce coffret de 30 CD, des enregistrements qui vont de 1947 à 1972. Des références déjà connues – les Ravel – et rééditées – les concertos de Mozart avec Szell, mais curieusement pas la totalité, qu’on peut avoir dans le coffret très bon marché ci-dessous. Les formidables 1er et 4eme concertos de Beethoven captés à Amsterdam avec Eduard van Beinumla sonate de Bartok pour 2 pianos et percussions (avec le neveu Jean-Claude !), mais surtout des Chopin, Bach, Scarlatti et Rameau absolument admirables. Et puis, enfin disponibles (on les avait déjà dans un import japonais) ces sonates de Brahms et Beethoven avec le complice de toujours, le violon solaire de Zino FrancescattiMais quand donc SONY se décidera-t-il à rééditer le legs américain de ce fabuleux violoniste ?

Béla Bartók (1881-1945)
Sonata for 2 pianos and percussion Sz.110
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Concerto for piano and orchestra No.4 in C minor Op.44
Carl Maria von Weber (1786-1826)
Konzertstück for piano and orchestra in F minor Op.79
César Franck (1822-1890)
Sonata for violin and piano in A major, Symphonic Variations for piano and orchestra
Claude Debussy (1862-1918)
Arabesques, Children’s Corner, En blanc et noir, pour deux pianos, Estampes, Images Livre I et II, L’Ile joyeuse, Masques, Petite suite (for piano four hands), Préludes Livre I et II, Sonata for violin and piano in G minor, Sonata for violoncello and piano in D minor
Erik Satie (1866-1925)
Trois morceaux en forme de poire
Ernest Chausson (1855-1899)
Concert, Op.21
Franz Liszt (1811-1886)
Concerto for piano and orchestra No.2 in A major
Franz Schubert (1797-1828)
Divertimento « sur des motifs originaux francais » D.823  Andantino varié Op.84 No.1, Fantasia for piano 4 hands in F minor D.940
Frédéric Chopin (1810-1849)
Ballades, Sonata No.2 in B flat minor Op.35
Gabriel Fauré (1845-1924)
Ballad for piano and orchestra Op.19, Dolly Suite Op.56 for piano four hands, Quartet for piano and strings No.1 in C minor Op.15, Sonata for violin and piano No.1 in A minor Op.13,  Sonata for violin and piano No.2 in E minor Op.108, Two Préludes Op.103
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
French Suite No.6 in E major BWV817, Italian Concerto in F major BWV971, Partita No.2 in C minor BWV826, Sonata No.2 in A major for violin and piano BWV1015, Toccata in E minor BWV914
Johannes Brahms (1833-1897)
Piano concerto No.2 in B flat major Op.83, Sonatas for violin and piano in A minor Op.100, in D minor Op.108, in G major Op.78 
Manuel de Falla (1876-1946)
Noches en los Jardines de España 
Jean Philippe Rameau (1683-1764)
Gavotte, Le Rappel des Oiseaux, Les Niais de Sologne, Les Sauvages

Domenico Scarlatti (1685-1757)
Sonata in A major K.533, Sonata in B minor K.27, Sonata in D major K.23, Sonata in D major K.430, Sonata in E major K.380, Sonata in G major K.14
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concertos for piano and orchestra No.1 in C major Op.15, No.4 in G major Op.58, No.5 in E flat major Op.73 « Emperor », Sonatas No.1 in D major Op.12 No.1, No.10 in G major Op.96, No.14 in C sharp minor Op.27 No.2 « Moonlight », Sonata No.2 in A major Op.12 No.2, No.2 in A major Op.2 No.2, No.23 in F minor Op.57 « Appassionata », No.24 in F sharp major Op.78 « A Thérèse », No.26 in E flat major Op.81a « Les Adieux », No.3 in E flat major Op.12 No.3, No.31 in A flat major Op.110, No.4 in A minor Op.23, No.5 in F major Op.24 « Spring », No.6 in A major Op.30 No.1, No.7 in C minor Op.30 No.2, No.8 in G major Op.30 No.3, No.9 in A major Op.47 « Kreutzer », 
Maurice Ravel (1875-1937)
A la manière de Borodine (valse), A la manière de Chabrier, Berceuse sur le nom de Gabriel Faure, Gaspard de la nuit, Habanera, Jeux d’eau, Le Tombeau de Couperin, Ma mére l’Oye, Menuet Antique, Menuet sur le nom d’Haydn, Miroirs, Pavane pour une infante défunte, Piano concerto « for the left hand », Prélude in A minor, Sonatine, Valses nobles et sentimentales
Robert Casadesus (1899-1972)
Toccata Op.40, Sextet for piano and wind instruments Op.58, Sonata No.2 for violin and piano Op.34, Three Mediterranean Dances for 2 pianos Op.36
Robert Schumann (1810-1856)
Carnaval Op.9, Dichterliebe Op.48 (from the « Lyrisches Intermezzo » by H. Heine), Fantasia in C major Op.17, Papillons Op.2, Romance Op.28 No.2 in F sharp major, Symphonische Etüden, Waldszenen Op.82
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Andante and Variations for piano four hands in G major K.501, Concerto for 2 pianos and orchestra No.10 in E flat major K.365, Concerto for 3 pianos and orchestra No.7 in F major K.242, Concertos for piano No.12 in A major K.414, No.18 in B flat major K.456, No.20 in D minor K.466, No.21 in C minor K.467, No.22 in E flat major K.482, No.24 in C minor K.491, No.26 in D major K.537 « Coronation », piano No.27 in B flat major K.595, Concerto in F major for 3 pianos KV.242, Quintet in E flat major for piano and winds K.452, Sonata for 2 pianos in D major K.448 (K.375a), Sonatas for piano No.13 in B flat major K.333, No.14 in C minor K.457, No.17 in D major K.576
Robert Casadesus, Gaby Casadesus, Jean Casadesus, pianos, Jean-Claude Casadesus, percussions
Zino Francescatti, violin
Maurice Marechal, cello
Jean-Pierre Drouet, percussions
Pierre Bernac, barítono
André Sagnier, flute – Lucien Debray, oboe – Marcel Jean, clarinet – Gérard Tantôt, bassoon
J. de Lancie, oboe – A. Gigliotti, clarinet – B. Garfield, bassoon – M. Jones, French horn
Joseph Calvet, violin – Léon Pascal, Alto – Paul Mas, cello
Guilet Quartet
Columbia Symphony Orchestra, Dir. George Szell
Cleveland Orchestra, Dir. George Szell
Concertgebouw Orchestra, Dir: Edward van Beinum
Philadelphia Orchestra, Dir. Eugene Ormandy
Orchestre National de France, Dir. Carl Schuricht
Orchestra della RAI di Torino, Dir. Fernando Previtali
New York Philharmonic, Dir. Leonard Bernstein
New York Philharmonic, Dir. Dimitri Mitropoulos

Un conseil d’achat : pour une fois éviter les magasins et les sites en ligne qui proposent ce coffret à 100-120 €.  En le commandant directement à l’éditeur Scribendumrecordings.comil vous en coûtera 60 £ (env. 67 €), et vous le recevrez dans les huit jours par la poste.

 

La découverte de la musique (III) : l’été 73

Six mois après la mort brutale de mon père (dernière demeure), que faire de mon été 1973 ? J’avais fait le projet d’aller visiter la Hongrie puis la Roumanie où j’avais des « correspondants » qui, après de longs mois d’échanges de lettres, étaient impatients de voir en vrai ce jeune Français venu de l’autre côté du rideau de fer. Je m’étais renseigné sur le parcours en train, ce n’était pas vraiment l’Orient-Express, mais on n’en était pas loin. Des cousins de la famille de mon père, installés à Brie-Comte-Robert en région parisienne, habitués aux longs voyages en voiture (ils avaient fait d’incroyables trajets, jusqu’en Afghanistan !), me déconseillèrent de partir seul en train (je n’avais pas 18 ans), et me proposèrent de faire le voyage prévu en voiture. Avec un cousin de quelques années plus âgé que moi, et mélomane de surcroît.

Nous voici donc partis de Brie-Comte-Robert, le coffre de la Peugeot 204 chargé de boites de conserve et de matériel de camping, les bagages sur la banquette arrière, un lecteur de cassettes audio dernier cri.

11822239_620x465Première halte à Munich un samedi, mon cousin Pierre étant catholique pratiquant, nous repérons une église où suivre la messe le lendemain. Il est indiqué sur la porte que l’orchestre et le choeur de l’église en question joueront pendant l’office la messe dite « des moineaux » de Mozart. 

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Je trouverai vite un disque, qui ne m’a jamais quitté, de cette messe vraiment brève et de la plus imposante messe dite « du couronnement », magnifiquement dirigées par l’abbé Karl Forster chef du choeur de la cathédrale Sainte-Edwige de Berlin.

Etape suivante : Salzbourg. Une visite de la ville natale de Mozart qui ne me laissera pas un grand souvenir, sauf celui de n’être pas à ma place un soir aux abords du palais des festivals où se pressent messieurs en smoking et dames en robe longue, sortant de luxueuses limousines. C’est donc cela le festival de Salzbourg ?

Sur la route, mon cousin conduit, je me charge de l’accompagnement musical. Il est plutôt musique ancienne, cantates de Bach (j’en reparlerai dans un prochain épisode), moi plutôt musique romantique ou « légère ». J’ai enregistré sur une cassette deux disques sortis au printemps 1973 et je ne me lasse pas de les réécouter.

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Je suis complètement fasciné par le traitement que Karajan réserve à la musique de ballet de Manuel Rosenthal sur des thèmes d’Offenbach Gaîté parisienne, élégance, sophistication, pure beauté de l’orchestre, sans une once de vulgarité. Je découvrirai quelques années plus tard une version encore supérieure, celle que Karajan grava avec le Philharmonia à la fin des années 50.

Quant aux Vier letzte Lieder de Richard Strauss, dans l’ultime version Schwarzkopf, que mon cousin appréciait peu, je pouvais difficilement m’en détacher. Encore aujourd’hui, c’est resté, avec Gundula Janowitz/Karajan, ma version de chevet.

Après une étape rapide à Vienne, sans concert ni musique, l’expédition continue cette fois au-delà du rideau de fer. Le passage de la frontière hongroise se fait étonnamment vite, nous avons juste un visa de transit de 48 h, nous passerons une seule nuit dans un camping de Budapest. Nous avons rendez-vous avec mon correspondant hongrois, dans la banlieue de la capitale magyare. Pas de GPS, très peu de panneaux indicateurs, peu de routes et de rues goudronnées. Je ne sais par quel miracle nous parvenons à trouver la modeste maison familiale. Le grand-père parle un peu allemand, la mère juste le hongrois, mon correspondant mal le français. Il est pressé de profiter de notre présence pour sortir dans un parc de loisirs avec bars et discothèques « à l’occidentale » sur l’île Elizabeth. Nous n’y passons qu’une petite heure, la nuit est avancée, il faut le ramener chez lui et retrouver notre camping, nous y mettrons deux heures à tourner en rond, à nous égarer. Nous promettons à S. de repasser le voir à notre retour deux semaines plus tard. Le lendemain matin, avant de mettre le cap sur la Roumanie, nous visitons le centre de Budapest, je trouve un magasin de disques, je voudrais trouver du piano, des concertos. J’ai beau dire piano, Klavier, pianoforte avec tous les accents possibles, le vendeur ne comprend pas ma demande. Au rayon Brahms, je finis par trouver quelque chose qui ressemble à ce que je cherche, mais tout le disque est écrit en hongrois (pas comme sur la pochette « internationale » ci-dessous) . Et concerto pour piano se dit zongoraverseny !

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Je découvrirai donc le 1er concerto de Brahms dans cette version hongroise pur jus.

Cela ne vaut sans doute pas les références Curzon/Szell, Anda/Fricsay ou Arrau/Giulini, mais pour moi c’est l’indissoluble souvenir d’un premier été à Budapest…

Demain suite du voyage : la Roumanie, Bucarest, la Bucovine, Enesco.

 

Préférence nationale

Je relevais dans un précédent billet (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/10/21/frontieres/) les étranges frontières qui subsistent dans un univers musical et culturel qu’on pourrait croire mondialisé. Des carrières florissantes dans un pays, piteuses dans un autre. Des célébrités à Londres ou Bruxelles, des inconnus à Berlin ou Paris.

J’observe depuis longtemps – et c’est sans doute plus légitime – le phénomène d’une sorte de préférence nationale, d’autres diraient chauvinisme, dans la presse et la critique musicales. C’était flagrant dans les gros guides discographiques que publiaient naguère Penguin, Gramophone, Diapason, Fayard ou Laffont.

Même si j’ai aujourd’hui une raison supplémentaire d’avoir une préférence pour un mensuel français – Diapason pour ne pas le nommer – je lis toujours plusieurs magazines, anglais, français, allemands. Pour le plaisir de comparer, de découvrir des approches, des points de vue différents.

J’aime beaucoup nos amis anglais, il est rare que leur compétence, leur expertise souvent encyclopédique de tel ou tel domaine, puissent être prises en défaut. Mais assez systématiquement ils privilégient les interprètes britanniques, toujours mieux notés à critères comparables que des musiciens continentaux. Le flagrant délit de mauvaise foi est parfois caractérisé, comme pour cette parution récente d’une phalange londonienne, qui bénéficie de la note maximum de la part de ce critique de BBC Music Magazine, alors que rien, vraiment rien, ne justifie une telle cotation.

Je me doute qu’on pourrait trouver à redire à certaines critiques d’interprètes français, dans des journaux français, certains musiciens étant systématiquement encensés, d’autres tout aussi systématiquement ignorés ou négligés. Le phénomène s’est largement estompé ces dernières années.

Une belle occasion nous est fournie, en ce mois de novembre, de confronter les visions, les options, de deux grands magazines, de part et d’autre du Channel, sur un même sujet : Beethoven. BBC Music Magazine consacre un dossier très complet, didactique et argumenté, aux symphonies, à leurs interprètes (les choix sont plutôt inattendus, et ne se limitent pas aux traditionnelles « références ») ainsi qu’à l’unique opéra du grand sourd, Fidelio – là le résultat des courses est très nettement différent de celui du mensuel français. En supplément du magazine, un CD Beethoven avec un pianiste, John Lill, un septuagénaire célèbre au Royaume-Uni, inconnu en France…

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Diapason publie un nouveau coffret « idéal » de l’oeuvre de Beethoven (après les Symphonies), confrontation des versions, des interprètes, regard critique des musiciens d’aujourd’hui sur leurs collègues d’hier.

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http://www.diapasonmag.fr/actualites/a-la-une/beethoven-concertos-ouvertures-fidelio-messes.-le-vol.-v-de-la-discotheque-ideale-de-diapason-est-arrive

Le numéro de novembre comporte une discographie très complète de Fidelio, qui ne ressemble que de très loin à ce que préconise le magazine britannique, sauf sur un point qui fait l’unanimité des deux côtés de la Manche : le raté Rattle (EMI)