Petits et grands arrangements

Messieurs les Anglais...

A l’occasion d’une critique pour Forumopera (lire Les Chants d’un voyageur déconfiné) j’ai découvert un personnage dont le nom ne m’était pas inconnu – Roy Douglas (1907-2015 !), mais dont je n’avais pas mesuré l’importance dans la vie musicale britannique du XXème siècle.

Roy Douglas c’est celui qui a composé, en 1936, la musique du ballet Les Sylphides à partir de pièces de Chopin. Ballet dont Karajan a gravé, en 1961, avec Berlin, une version définitive.

Mais Douglas – mort à 107 ans ! – a bien d’autres faits d’armes à son actif, comme arrangeur, assistant, et parfois compositeur à la place d’un autre !

Roy Douglas collabore d’abord, dès 1937, avec Richard Addinsell (1904-1977), compositeur de musiques de film, resté célèbre pour son Concerto de Varsovie, une brève oeuvre concertante pour piano et orchestre alla Rachmaninov, écrite pour le film Dangerous Moonlight (1941) de Brian Desmond Hurst qui traite de la lutte des Polonais face à l’envahisseur nazi.

Il semble bien que Roy Douglas – qui est rarement crédité de ce « tube »- soit non seulement l’orchestrateur mais aussi le véritable créateur de cette pièce. On conseille vivement ce disque, pour le fantastique pianiste Philip Fowke, malheureusement peu connu en dehors du Royaume-Uni

Après Addinsell, Roy Douglas va « assister » William Walton (1902-1983) puis Ralph Vaughan Williams (1872-1958), pas moins !

Ainsi c’est Roy Douglas qui va orchestrer six des neufs mélodies du cycle des Songs of Travel que Vaughan Williams a écrits pour voix et piano en 1914, c’est lui qui va mettre en forme, préparer nombre de partitions d’orchestre de RVW qui passait pour être difficile à déchiffrer, et dont les dernières années (Vaughan Williams est mort en 1958) ont été compliquées par des problèmes de santé.

Charles Mackerras et Sullivan

Les « opérettes » de Gilbert et Sullivan sont au Royaume-Uni ce que Johann Strauss et Lehar sont à Vienne ou la Zarzuela à Madrid.

Comme nombre de ses confrères, le grand chef australien Charles Mackerras a réalisé des suites d’orchestres à partir d’ouvrages lyriques. C’est ainsi qu’il produit un prodigieux pot-pourri des thèmes des ouvrages de Sullivan, un feu d’artifice orchestral

Mackerras récidive en 1954 pour un ballet – The Lady and the Fool – composé d’airs peu connus de Verdi.

Un disque à conseiller chaleureusement :

Britten et Rossini

Parmi les « arrangeurs » britanniques de grand luxe, il faut évidemment citer Benjamin Britten qui s’est livré à de petits bijoux d’orchestration d’oeuvres tardives de Rossini, en 1936 les Soirées musicales et en 1941 les Matinées musicales

PS. J’apprends, au moment de boucler ce billet, la disparition de Patrick Dupond, un danseur étoile dont les plus jeunes générations ne peuvent imaginer la star qu’il fut sur les scènes du monde entier. Il faudra revoir ces ballets qu’il illumina de sa grâce et de sa virtuosité.

Le maître de ballet

90 ans depuis septembre, cet Australien ne restera pas dans l’histoire de la musique et du disque que comme l’époux de la Stupenda – c’est ainsi qu’on surnommait sa compatriote, disparue il y a dix ans, la cantatrice Joan Sutherland, dont il a dirigé quasiment tous les enregistrements d’opéras.

Une idée pour Roselyne Bachelot : s’il y a un chef d’orchestre qui mériterait la Légion d’honneur, c’est bien Richard Bonynge.

Le superbe coffret que Decca édite en cette fin d’année en témoigne à la perfection : aucun chef n’a autant servi et enregistré la musique française que lui.

Entendons-nous, Richard Bonynge n’a jamais cherché à concurrencer Munch, Paray, Martinon et autres hérauts de Berlioz, Ravel, Debussy, mais le travail de recherche qu’il a inlassablement entrepris pour mettre au jour, réhabiliter, éditer tout un trésor de partitions oubliées du XIXème siècle français, est proprement hallucinant

Personne ne prétend, lui moins encore, que tout ce répertoire n’est fait que de chefs-d’oeuvre, l’inspiration tire souvent à la ligne, et il ne faut pas chercher autre chose que du divertissement, de l’écoute agréable et légère, dans ces ballets, connus (Delibes, Tchaikovski) ou inconnus. Mais que tout cela est fait avec un chic, une allure, magnifiées par des prises de son dans la plus pure tradition Decca.

Il faut aussi louer l’éditeur Decca : les rééditions de cette qualité se font rares, les galettes sont parées de leurs couvertures d’origine, le livret est richement documenté et permet de s’y retrouver très facilement dans les compositeurs, les oeuvres, les interprètes.

Merci Monsieur Bonynge !

Le contenu de ce coffret de 45 CD :

Adam: Le Diable à quatre; Giselle (2 versions); Le Corsaire
Auber: Marco Spada; Gustave III – Ouverture & ballet; Concerto pour violoncelle
Delibes: Coppelia; Sylvia (2 versions)
Leoni: Prayer and the Sword
Burgmüller: La Peri
Chopin: Les Sylphides
Thomas: Hamlet
Verdi: Le trouvère, ballet
Massenet: Manon (ballet); Le Carillon; Scènes Alsaciennes et Dramatiques; Fantaisie pour violoncelle et orchestre; La Cigale; Valse tres lente; Le Cid; Meditation de Thais (Nigel Kennedy)
Berlioz: Les Troyens, ballet
Weber/Berlioe: Aufforderung zum Tanz
Lecocq: La Fille de Madame Angot
Donizetti: La Favorita, ballet
Messager: Les deux Pigeons
Minkus / Delibes: La Source
Drigo: La Flûte magique
Minkus / Lanchbery: La Bayadere
Gounod: Faust, ballet
Offenbach: Le Papillon
Popper: Concerto pour violoncelle (Silverstein)
J. Strauss II: Aschenbrödel/Cendrillon; Ritter Pasman; Le beau Danube (Désormière); Die Fledermaus, Ouverture et ballet
Tchaikovski:  Casse-Noisette, Le lac des cygnes, La Belle au bois dormant
Händel: Alcina, ballet
Rossini / Respighi: La Boutique fantasque
Rossini/Britten: Soirées musicales, Matinees musicales
Meyerbeer: Les Patineurs
Ouvertures du XVIIIème siècle
Ouvertures d’opéras français
L’art de la Prima ballerina
Hommage à Pavlova
Entractes et ballets d’opéras français

Orchestre de la Suisse Romande / London Symphony Orchestra / Covent Garden / National Philharmonic Orchestra / English Chamber Orchestra

La découverte des Ballets russes (I)

#Confinement Jour 37

En décembre, puis en mars dernier, j’évoquais ici un ouvrage, dans lequel le confinement me donne tout loisir de me replonger (lire Mouvement contraire)

91cka4bso1LOn a déjà dit ici le fantastique travail réalisé par les courageux éditeurs de La Coopérative pour rééditer, compléter (iconographie, discographie) ces Mémoires du grand chef Désiré-Émile Inghelbrechtpubliés en 1947 aux éditions Domat.

Inghelbrecht a été un témoin et un acteur considérable de la vie musicale de la première moitié du XXème siècle. Comme sa plume est aussi cultivée que sa baguette, chaque chapitre de ses souvenirs est un régal et une mine d’informations pour le lecteur.

Le 8 mars dernier, j’évoquais son récit de la naissance du Théâtre des Champs-Elysées (lire Naissance d’un théâtre).

Aujourd’hui, partant du chapitre XVI de ce Mouvement contrairej’aimerais vous inviter à suivre, en quelques épisodes, Inghelbrecht dans sa découverte émerveillée et affûtée de l’aventure des Ballets russes à Paris et de son personnage central Serge Diaghilev (1872-1929).

« C’est en 1906 que Diaghilev entreprit sa conquête de Paris, par une exposition de peinture russe contemporaine. L’année suivante il donnait à l’Opéra une série de concerts historiques russes, dirigés par Nikisch et Rimski-KorsakovEn 1908, toujours à l’Opéra, il révèle Boris Godounovavec Chaliapineque l’on retrouve en 1909 au Châtelet incarnant Ivan le Terrible de la Pskovitaine (un opéra en trois actes de Rimski-Korsakov)

 

Au cours de cette saison, les opéras alternent avec les ballets, dont la révélation soulève un enthousiasme unanime, et qui constitueront généralement seuls les spectacles des saisons suivantes. »

 

« De haute stature et de corpulence robuste, Serge de* Diaghilev avait l’aisance et la distinction natives du grand seigneur/…./ Son regard perçant semblait dépasser souvent sa vision immédiate et il jouait de son monocle, comme pour dérouter ceux qu’il observait/…./ Encore que son accueil fût cordial, il restait distant et son sourire était réticent. On sentait qu’il ne s’écartait jamais du but qu’il poursuivait, ne s’intéressant aux hommes qu’en fonction de leur utilité éventuelle, qu’il s’agisse d’artistes, de financiers, du public ou des snobs, desquels il sut se servir en maître » (* Diaghilev avait rajouté une particule à son patronyme sans doute pour en remontrer aux… snobs, particule qui n’existe pas en russe !)

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L’innovation la plus frappante apportée par les Russes était d’ordre décoratif/…./ Nos hôtes printaniers allaient nous émerveiller soudain par la coordination de leurs mises en scène, grâce à une unité de conception picturale/…./ Au point de vue musical, il avait fallu, au début, s’en tenir à des adaptations de Chopin, pour les Sylphides, de Schumann, pour le Carnaval, et de quelques compositeurs russes pour Cléopâtre.

(Fabuleuse interprétation d’Ernest Ansermet (l’un des premiers chefs à travailler pour et avec les Ballets russes) du Carnaval de Schumann orchestré pour le ballet par Glazounov et Rimski-Korsakov.)

« Un drame chorégraphique, audacieusement imaginé sur la symphonie Shéhérazade de Rimski-Korsakov, avait même soulevé la réprobation des héritiers du maître. Mais, dès la seconde année, Diaghilev allait demander à des musiciens d’avant-garde d’écrire spécialement des musiques de ballets. Et c’est ainsi que nous eûmes coup sur coup la révélation du génie de Stravinsky avec l’Oiseau de feu et Pétrouchka… »

Suite au prochain épisode !

Conseil discographique : l’un des interprètes les plus éclairés de ces fascinantes musiques créées pour les Ballets russes est le grand Ernest Ansermet.

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