Elections municipales : hier et aujourd’hui

Dans dix jours ont lieu les élections les plus importantes pour la vie quotidienne des Français : les municipales. Mais on n’en parle pas ou si peu.

À Paris, une lamentable histoire d’érection a failli occulter l’élection, en tout cas le débat électoral. Et si l’on comptabilise le nombre de sujets, d’articles consacrés à cet épisode, à ses acteurs, témoins ou complices, on dépasse de très loin le temps et le volume impartis aux programmes des candidat(e)s. Pour le reste de la France, silence radio ou presque dans les journaux et sur les antennes nationales.

Qu’on me permette d’évoquer quelques souvenirs personnels qui témoignent, pour le moins, d’une certaine permanence dans les comportements politiques.

1983 Thonon-les-Bains

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En 1983, j’habitais et je travaillais à Thonon-les-Bains comme assistant parlementaire (lire Réhabilitation d’un député élu en 1981, qui était adjoint au maire de Thonon. Celui-ci, Paul Neuraz (1932-2018) avait succédé en 1980 à Georges Pianta, qui régnait sur la sous-préfecture haut-savoyarde depuis 1945.

Il n’y avait pas grand risque pour la liste sortante, rassemblant beaucoup de « sans étiquette » et des élus du centre et de droite modérée, mais Paul Neuraz devait faire ses preuves et sortir de l’ombre de son prédécesseur. Il me demanda de l’aider dans sa campagne, ce que je fis volontiers. En réalité, tout était à faire et imaginer, Georges Pianta n’ayant jamais eu besoin de faire campagne.

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Face à une liste de gauche menée par un entrepreneur local, président du club de foot, élu conseiller général PS en 1979, Michel Frossard, la campagne du maire sortant se présentait comme une promenade de santé, jusqu’à ce que la rumeur enfle de la constitution d’une troisième liste, où figuraient quelques notabilités locales, le patron de l’hebdomadaire régional Le Messagerun promoteur immobilier qui n’avait pourtant pas eu à se plaindre des largesses de la municipalité sortante.

La panique gagna les co-listiers de Paul Neuraz, l’intox – les réseaux sociaux n’existaient pas encore, mais le bouche à oreille et les comptoirs de bistrots si ! – prospérait au point de faire douter les plus sérieux. Le moral des troupes était au plus bas…

Une nouvelle loi électorale

Il faut rappeler ici que Gaston Defferre, le premier ministre de l’Intérieur de François Mitterrand avait fait voter une loi, en 1982, qui constituait une révolution dans le paysage municipal français. Jusqu’alors, dans les villes de plus de 3500 habitants, les listes majoritaires emportaient la totalité des sièges des conseils municipaux. Ainsi, pendant des années, les partis comme le RPR (ancêtre des Républicains), le PS ou le PC purent gouverner, verrouiller des villes sans aucune opposition. La loi Defferre, à laquelle aucun gouvernement n’a touché depuis quarante ans, a bouleversé la donne : la liste majoritaire obtient 50% des sièges, les autres 50% étant répartis à la proportionnelle entre les listes ayant obtenu plus de 10 % des voix (dont bien sûr la liste majoritaire). Ainsi la iiste qui a obtenu la majorité des voix dispose d’une majorité confortable des sièges, mais les oppositions sont présentes au conseil municipal.

La même loi prévoit qu’entre les deux tours, des listes qui ont obtenu plus de 12,5 % des voix (à vérifier, je ne suis plus sûr de cette clause) peuvent fusionner et ainsi former une nouvelle liste avant le second tour.

Un quarteron de notables

C’était sans doute l’idée des initiateurs de cette « troisième liste » thononaise que de se placer pour contraindre le maire sortant à les intégrer sur sa liste à l’issue du premier tour.

Je faisais, quant à moi, l’analyse – et le pari – qu’on devait absolument éviter ce cas de figure et faire une campagne qui assure la victoire de la liste sortante dès le 1er tour. Le maire, Paul Neuraz, et son entourage, partageaient mon point de vue, mais redoutaient que le reste de la liste ne continue à faire, involontairement, la publicité de la troisième liste. Je soumis l’idée d’un tract qui prendrait la forme un peu solennelle d’un appel aux électeurs, qui userait à dessein de mots et d’expressions familières à certains membres de la « troisième liste » qui se revendiquaient comme purs gaullistes. Je convainquis le maire de réunir toute sa liste dans un café de Vongy, qui servait de permanence électorale, pour remobiliser ses colistiers et les persuader qu’une victoire au premier tour était non seulement possible mais indispensable ! Nous fîmes distribuer à chacune et chacun un paquet de tracts, ainsi que des cartes des quartiers à couvrir : à l’issue de la réunion, aidés de quelques militants, tous les colistiers devaient à leur tour parcourir la ville et distribuer la bonne parole ! Inutile de dire que 80% d’entre eux n’avaient jamais fait cela…

Les réactions ne se firent pas attendre de la part de la troisième liste. Courageusement, certains co-listiers du maire sortant s’étaient défaussés sur moi  – c’est toujours la faute à Rousseau ! – de l’idée et du ton du tract distribué nuitamment. Je me fis directement engueuler par la tête de la 3ème liste qui nous menaçait de sévères représailles. Ses amis et lui n’avaient pas beaucoup apprécié de se faire qualifier de « quarteron de notables plus préoccupés de leurs propres affaires que de l’avenir de la cité ».

Mais, comme je l’avais confié aux inspecteurs des Renseignements généraux – c’était devenu une habitude entre nous à chaque scrutin : je leur donnais mon pronostic, ils le notaient, et si je perdais je leur devais une tournée, et à l’inverse – ce qui s’est toujours produit ! si mes prévisions étaient exactes, c’est eux qui me la devaient ! – les résultats du premier tour de ces élections municipales de 1983 à Thonon-les-Bains, furent sans appel : 51,8 % des voix pour la liste du maire sortant, et à peine 12 % pour cette 3ème liste qui avait fait trembler l’establishment local…

DSK en Haute-Savoie

En 1986, je cesse mon activité d’assistant parlementaire. La donne politique a changé dans le département de la Haute-Savoie à la suite du changement de mode de scrutin – la proportionnelle – aux élections législatives.

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La direction du PS a imposé Dominique Strauss-Kahn comme chef de file dans un département où il n’a jamais eu aucune attache (connue), le maire d’Annemasse, Robert Borrel, socialiste de toujours, monte une liste dissidente.  L’UDF qui détenait les 3 circonscriptions – à partir de 1986 il y en a 5 – forme sa liste mais il faut faire une place – la première – au jeune maire d’Annecy élu en 1983, Bernard Bosson (lire Les années Bosson) Le député sortant de Thonon est en quatrième position, il a très peu de chances d’être réélu (il m’en voudra longtemps, pensant que j’ai agi contre son intérêt !).

En 1988, Mitterrand, réélu président de la République, dissout l’Assemblée nationale élue en 1986.  Pendant la première cohabitation – le gouvernement de Jacques Chirac a modifié la loi électorale pour revenir au scrutin classique par circonscription. Les accords nationaux UDF-RPR aboutissent, en Haute-Savoie, à ce qu’on « offre » à un cacique du RPR, maire de Saint-Julien en Genevois (dans la circonscription d’Annemasse !), Pierre Mazeaudl’investiture pour la députation dans le secteur Thonon-Evian ! Le maire de Thonon, Paul Neuraz, pourtant membre du parti radical (donc de l’UDF) ne bénéficie d’aucun soutien politique. C’est Pierre Mazeaud qui va l’emporter, de peu, et qui dès le soir de son élection comme député de Thonon, annonce qu’il « prendra la mairie » l’année suivante !

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J’ai encore un souvenir très précis. Ce jour-là – un dimanche – j’étais allé travailler à la Radio suisse romande à Genève, je rentrais chez moi à Thonon, en passant par la place de l’Hôtel de Ville. Je croise le maire, plusieurs élus, j’arrête ma voiture. Ils m’invitent à monter dans le bureau du maire – alors que je n’ai plus d’activité politique à Thonon depuis deux ans ! Les mines sont défaites, la garde rapprochée du maire est accablée, certains envisagent même de démissionner sans attendre l’échéance de 1989.

Une élection n’est jamais faite d’avance

Je prends la parole et je tiens à cette assemblée une analyse qu’aucun n’est prêt à entendre : une élection nationale n’est pas une élection locale. Pierre Mazeaud a certes gagné le siège de député, grâce au soutien des partis de droite et du centre, le maire n’a pas fait un résultat honteux, et en 1989, on votera pour un maire et non pour une personnalité politique. Et, comme en 1983, je redis qu’au lieu de se lamenter et de faire la promotion du concurrent annoncé, il faut d’abord croire en soi et s’organiser pour gagner un an plus tard. Mais – je me garde bien de leur dire – je suis passé à autre chose depuis deux ans et je ne me vois pas dans le futur film.

Quelques mois plus tard, j’ai pris rendez-vous avec le maire, pour évoquer le sort de l’Ecole de musique locale dont on m’a pressé de prendre la présidence. Paul Neuraz ne peut s’empêcher d’évoquer la prochaine échéance, et me dit qu’il aurait besoin de moi. Je lui rappelle que je suis très pris par mon activité à la radio et que je me vois mal refaire une campagne. Mais il me propose d’être sur sa liste – il faut du sang neuf ! -. Je m’entends encore lui répondre : D’accord, mais pas pour faire de la figuration. Comme adjoint à la culture pourquoi pas, et à condition de renouveler de fond en comble la liste et la campagne.

En fait, l’enjeu m’excite. Comme prévu, les partis de la majorité d’alors vont soutenir et investir la liste de Pierre Mazeaud, constituée de bric et de broc (l’ancien député non réélu en 1986, d’anciens de la troisième liste de 1983), je reçois des injonctions de Bernard Bosson, le leader centriste du département, qui me prédit une déroute cuisante si je persiste à soutenir Paul Neuraz, a fortiori à faire partie de sa liste.

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En réalité, nous allons renverser la table. En prenant le contrepied de tous les usages électoraux.

Le slogan et l’affiche d’abord. Tous les concurrents, à commencer par Pierre Mazeaud, mettent en avant la tête de liste et les soutiens politiques. Je teste l’idée auprès de quelques proches. Notre liste aura pour titre et slogan : Tous pour Thonon. Qui pourrait être contre, dans une ville sportive, où quasi tous les citoyens sont les supporters du Thonon FC ? Cela évoque aussi une pub très fameuse à l’époque pour un produit laitier (« On se lève tous pour Danette« ). Et on fera une photo de groupe !

Dans l’ordonnancement de la liste, on met en avant les nouveaux noms – une bonne moitié de la liste sortante a été renouvelée. Les anciens regimbent, mais comprennent l’objectif.

Dans le journal électoral, même idée : surtout pas une liste de promesses, ni d’autocélébration de la tête de liste, mais, à la manière de Paris Match (les moyens en moins !), une série de photos et d’articles sur les membres de la liste, qui ils sont, ce qu’ils représentent dans leur quartier, leur vie professionnelle, leurs propositions concrètes pour améliorer la vie dans la cité. Le journal a un succès sans précédent lors d’une consultation électorale, tout le monde a lu les anecdotes, vu les photos… C’est bien une équipe qu’on va élire, avec des visages familiers, pas des notables, des apparatchiks.

Le reste je l’ai raconté ici : UDF et RPR sont furieux, Bernard Bosson me menace de toutes sortes de représailles et de conséquences funestes si nous persistons à faire équipe avec le Maire sortant, et donc contre le candidat investi par les partis de la majorité, le député Mazeaud. Ce dernier, avec qui j’aurai toujours un contact franc et direct, me dira, au beau milieu de la campagne municipale, et devant témoins : « De toute façon, vous allez gagner, vous faites une excellente campagne, moi je suis plombé par la bande de branquignols (sic) qu’on m’a imposés« . Au soir du 1er tour, la liste du maire sortant (renouvelée à 50 %) obtient 41% des voix, celle de P.Mazeaud soutenue par les états-majors parisiens et départementaux, fait péniblement 19%. Grand prince – ou dépité – Mazeaud refuse toute idée de fusion de sa liste avec celle du maire. J’aurai la maigre satisfaction de recevoir un message de félicitations de Bernard Bosson pour notre « brillante réussite ».

De nouveau, la preuve est faite que les élections ne sont jamais jouées d’avance, et qu’un scrutin national (législatives) n’a pas toujours d’effet sur un scrutin local (municipales).

A l’issue de ce scrutin, je serai bien élu Adjoint au Maire, chargé de la culture, de la jeunesse et de la vie associative, une fonction qui m’aura profondément passionné de 1989 à 1995.

1473-capture-d-ecran-2019-11-14-a-17.18.54(J’eus à présider la Maison des Arts et Loisirs, l’une des premières maisons de la Culture Malraux, devenue Théâtre Maurice Novarinadu nom du célèbre architecte thononais qui l’avait conçue, père de l’écrivain, homme de théâtre, Valère Novarina).

1995, une autre vie

Nouveau scrutin municipal en 1995, un mois après l’élection présidentielle remportée par Jacques Chirac. La donne a changé, pour l’équipe sortante comme pour moi.

J’ai longuement raconté le nouveau tour qu’a pris ma vie professionnelle en 1993 (L’aventure France Musique). Me revient un souvenir émouvant : lorsque j’ai confirmation que je vais bien partir pour France Musique, je rencontre aussitôt le maire de Thonon pour l’informer de ce changement important de situation, et voir avec lui comment il envisage que je poursuive ou non ma mission à Thonon.

Paul Neuraz était un homme athlétique, grand, massif, qui en imposait mais cachait bien ses humeurs et ses sentiments derrière une moustache qui frisait pour un bon mot. Un grand pudique. Lorsque je lui eus annoncé la nouvelle de ma promotion professionnelle, il m’en félicita d’abord chaleureusement, puis je le vis ses yeux s’embuer  et l’entendis me dire à mi-voix : Bravo pour toi, mais dommage pour la suite. C’est toi qui devais reprendre le flambeau, la mairie, mais aussi la députation. Tu es jeune (j’avais 37 ans à l’époque) tu es le meilleur élément de l’équipe, moi j’ai fait mon temps… » Jamais depuis que nous formions l’équipe de la municipalité nous n’avions eu pareille discussion, je savais que le maire me faisait confiance dans les dossiers épineux que j’avais eu à traiter dès mon entrée en fonction. J’avoue que j’étais interloqué..

Il me fit promettre d’accomplir mon mandat jusqu’au bout, quitte à aménager les réunions de municipalité pour qu’elles soient compatibles avec mon agenda parisien.

Quand arriva le temps de la campagne de 1995, le contexte politique avait changé, les appétits s’étaient aiguisés, l’image du maire sortant après 15 ans de mandat était écornée. Pourtant j’acceptai de figurer en numéro 3 sur sa liste, à sa demande, et soutenu par les plus jeunes de mes collègues conseillers municipaux sortants. Je pris congé pour faire campagne, mais le coeur n’y était plus comme en 1989. Les résultats du premier tour plaçaient certes en tête la liste sortante, mais venaient ensuite, dans un mouchoir, une liste conduite par un apparatchik giscardien, un avocat centriste qui voyait plus grand que la commune voisine d’Allinges dont il était le maire, une liste socialiste. Les quatre listes pouvaient se maintenir au second tour.

Le maire sortant, se sentant désavoué, fit savoir qu’il était prêt à laisser la tête de liste à son second, un assureur bien implanté, adjoint sortant aux Finances, si cela pouvait permettre une fusion avec une ou l’autre listes. Je fus sollicité par les socialistes et les centristes, qui mettaient comme conditions que je prenne moi la tête d’une éventuelle liste fusionnée et que l’assureur en question s’en retire… Avec le recul, je pense que si j’avais dit oui et que je m’étais prêté à ces négociations et combinaisons, j’aurais eu une chance de l’emporter.

Mais j’avais fait un choix de vie, un choix professionnel, qui n’étaient pas compatibles avec une « carrière » politique locale.

Au second tour, avec quelques voix d’avance, la liste de celui qui allait être le maire de Thonon pendant… 25 ans, l’emporta à la surprise générale. Je me retrouvai élu conseiller municipal dans l’opposition…. et très souvent conseiller de mon successeur, un ami, au poste d’adjoint à la culture! Le nouveau maire eut la délicatesse de ne jamais m’attaquer sur mon bilan et, à plusieurs occasions, de reconnaître qu’il n’avait pas mieux à proposer que ce qui avait été fait sur le plan culturel…  En janvier 1999, j’abandonnai mon siège de conseiller municipal, par manque de temps et de disponibilité, et pour qu’un de mes colistiers prenne la suite. Malheureusement, cet ami cher, ce compagnon de tant d’aventures amicales et municipales – c’était l’une des nouvelles figures qui m’avaient suivi sur la liste de 1989 – devait mourir d’une crise cardiaque un mois plus tard après que nous eûmes passé une fabuleuse journée à dévaler les pistes d’Avoriaz…

2020, quelles perspectives ?

Depuis 1995, j’ai plusieurs fois eu la tentation de reprendre une activité élective. Parce que j’ai depuis toujours la passion de la politique, conçue comme le service de la cité, le service des citoyens. Je m’en étais ouvert une fois au Bourgmestre (maire) de Liège, mais ce ne fut qu’une hypothèse vite refermée, ma fonction d’alors de directeur d’une entreprise culturelle étant évidemment incompatible avec un mandat électif. À Thonon, les amis que j’y ai gardés m’en ont aussi reparlé. Mais les temps ont changé, et on ne construit pas l’avenir dans les pas du passé.

En fin de compte, je n’ai jamais cessé de faire de la politique, dans les postes que j’ai eu la chance d’occuper et que j’occupe encore. Diriger un festival qui non seulement prône l’accès de tous à la culture, mais met en oeuvre cet idéal à l’échelle de toute une région, affirmer et faire en sorte que la musique aille partout où elle peut aller, où elle est attendue, c’est bien une autre manière de faire de la politique.

Que donneront les élections du 15 et du 22 mars prochains ? Je suis évidemment de très près les campagnes dans quelques villes où j’ai des attaches, Thonon-les-Bains bien sûr, Paris évidemment, Montpellier, et quelques autres encore.

IMG_7370(Les couleurs de l’automne dernier à Montpellier).

Bien malin qui pourrait faire un pronostic dans les trois villes que j’ai citées… et dans bien d’autres. L’éclatement de l’offre politique, le nombre de listes en concurrence, la perte des repères traditionnels – cause et conséquence des élections présidentielle et législative de 2017 – rendent les résultats plus qu’incertains. Les sondages ? cela fait des années qu’ils sont régulièrement démentis ou corrigés par les élections. Le suspense est entier…

PS Un jour sans doute je raconterai les moments forts de mon mandat à Thonon-les-Bains, l’une des plus belles expériences humaines et civiques qu’il m’ait été donné de vivre.

L’aventure France Musique (II) : L’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes

Comme promis suite du premier volet : Il y a vingt-cinq ans : l’aventure France Musique (I).

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Du changement du côté de la direction

Auprès de Claude Samuel, un changement important s’est opéré en cette rentrée 1993: son adjoint à la Direction de la musique, Stéphane Martin – croisé brièvement à Aix-en-Provence en juillet – quitte Radio France pour être bientôt le directeur de la musique du Ministère de la Culture (un poste occupé jadis par Maurice Fleuret, le véritable créateur de la Fête de la Musique auprès de Jack Lang). Stéphane Martin deviendra, en 1998, l’inamovible patron du Musée du quai Branly à la demande de Jacques Chirac. Il est remplacé, auprès de Claude Samuel, par Olivier Morel-Marogerqui devient vite un complice et un ami et qui sera mon lointain successeur à la direction de France Musique (de 2011 à 2014).

Les producteurs et les équipes de France Musique commencent à rentrer, la plupart sont curieux de découvrir cet inconnu nommé « Délégué aux programmes » (un titre tellement incompréhensible que le successeur de Jean Maheu à la présidence de Radio France, Michel Boyon, me renommera « directeur délégué de France Musique… et des programmes musicaux de Radio France » !).

Hypothèses et rumeurs

Certains de ceux que j’ai connus lors de la journée commune F.M./Espace 2 (cf.  L’aventure France Musiquese réjouissent de mon arrivée, à laquelle, me confient certains, ils ne seraient pas étrangers. M’ayant fait comprendre ce que je leur dois, ils comptent sur moi pour changer les choses… pour les autres, préserver voire augmenter leur pré-carré, égratignant l’équipe sortante et surtout Claude Samuel… dont je dois me méfier !!

En réalité, ils ne comprennent pas pourquoi j’ai été nommé, pourquoi moi… et comme il faut bien inventer une explication quand les faits sont trop simples, j’apprendrai quelques semaines plus tard que j’ai été poussé là par le ministre RPR de la Culture d’alors, Jacques Toubon – d’ailleurs tout le monde sait que je suis RPR !! (lire sur mon passé « politique » Les années Bosson) – pour contrebalancer l’influence de Claude Samuel réputé de gauche. Evidemment je n’ai jamais rencontré Toubon auparavant, encore moins bénéficié de l’appui de quiconque au gouvernement ou dans un parti. Le seul ami que j’ai, dans le gouvernement d’Edouard Balladur, est le maire centriste d’Annecy, Bernard Bossonministre de l’Equipement, des Transports et du Tourisme, avec qui je suis en froid depuis quelques mois, et à qui j’apprendrai ma nomination, une fois installé à Paris…

Je suis trop attaché à ma liberté, à mon indépendance, pour ne jamais avoir dépendu, dans ma vie professionnelle comme dans mon activité publique, de quelque « piston », réseau, obligation que ce soit. J’ai parfois payé le prix de cette indépendance – le chômage, l’incertitude, la défaite électorale – mais je ne l’ai jamais regretté.

Première visite des studios

L’une des premières choses que je demande à faire, dès mon arrivée dans la Maison ronde, est de visiter les studios de la chaîne. Il y a 25 ans, ceux-ci ne sont pas, comme aujourd’hui, installés au coeur des chaînes, mais dans ce qu’on appelle encore « la petite couronne », autrement dit dans l’espace situé entre la maison ronde telle que tout le monde la connaît de l’extérieur, et la tour centrale. Double explication : l’isolation phonique – puisque pas de contact avec l’environnement urbain – et les impératifs de Défense nationale !

Je « descends » donc – comme je le ferai quasi quotidiennement, week-ends compris, pendant près de six ans – voir les studios où se déroule l’essentiel des émissions de France Musique. Je salue les présents – je mettrai un peu de temps à comprendre les fonctions réelles de ceux que je croise, « chef de cabine », « chargé de réalisation », speaker ou speakerine, chargé(e) du relevé des droits d’auteur, technicien(ne)s, assistant(e)s de production. Bref, rien que de très normal pour un patron de chaîne ! J’apprendrai avec surprise – la rumeur court vite dans les couloirs circulaires de la Maison ronde ! – que j’ai fait très fort avec cette simple visite : mes prédécesseurs ne descendaient jamais en studio !

L’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes

Début septembre, j’ai suggéré à Claude Samuel – qui n’est pas très chaud – une rencontre entre lui, les producteurs de France Musique et du programme musical de France Culture (je reviendrai plus tard sur cet étrange « état dans l’Etat ») et moi, histoire de faire les présentations, d’expliquer un peu comment nous allons travailler et avec quels objectifs. Là encore, je découvrirai que ce genre de rencontre collective est une première (sauf par temps de grève !)

L’assemblée est nombreuse, intimidante.. et intimidée. Il faut un peu de temps pour que les questions sortent, on n’est jamais trop prudent surtout face à une nouvelle direction qui pourrait prendre ombrage de certaines impertinences. Mais en filigrane, on comprend bien que les producteurs veulent savoir ce qui va changer, puisque le directeur de la musique – qui a la tutelle des chaînes – n’a pas changé. Je m’entends répondre – ce que je pense vraiment – que :

  • si Claude Samuel a fait appel à moi, c’est peut-être parce que je peux apporter une expérience, des idées, une perspective
  • mais qu’il ne saurait y avoir, entre lui et moi, plus que « l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes ».

On me reprochera souvent cette remarque. Comme si, dans une équipe, on avait une chance quelconque de faire évoluer les situations, de faire bouger les choses, dans un conflit ouvert, public, entre numéro 1 et numéro 2.  Toute mon expérience – même si je n’ai que 37 ans lorsque je prends mes fonctions – tant professionnelle, à la Radio suisse romande, que politique, comme Maire-Adjoint de Thonon-les-Bains, me dit qu’il n’y a pas d’autre voie que la force de persuasion, le pouvoir de conviction qu’on exprime dans une équipe et qui emporte – ou non – l’adhésion à une idée, un projet, un changement.

En tout cas, en cette rentrée 1993, je n’ai pas le sentiment de commencer une course d’obstacles, même si je percevrai vite l’incroyable lourdeur de l’organisation d’une Maison qui tient plus d’une administration de type soviétique que d’une entreprise de médias. Et je ne tarderai pas à croiser de fortes têtes. Portraits pour bientôt…

 

 

 

 

Tout change, rien ne change

« Le chômage est devenu un mal français, qui traduit à la fois le manque de compétitivité de notre appareil productif et la faillite de notre système de formation. La maladie est aussi sociale : la pauvreté est revenue en force et nous ne lui avons trouvé d’autre remède qu’une assistance administrative qui l’entretient et même l’aggrave. Elle est surtout politique et morale : les Français n’ont plus confiance en l’Etat ni en ceux qui l’incarnent; ils finissent pas ne plus avoir confiance en eux-mêmes. Le malaise de la justice, la montée de l’insécurité, la peur de perdre une identité nationale que tout semble menacer, voilà autant de signes du dérèglement de notre vie publique et de la crise de l’Etat ».

Plus loin cette citation de Montesquieu : « Le principe de la démocratie se corrompt non seulement lorsqu’on perd l’esprit d’égalité, mais encore quand on prend l’esprit d’égalité extrême et que chacun veut être égal à ceux qu’il choisit pour lui commander. Pour lors, le peuple, ne pouvant souffrir le pouvoir même qu’il confie, veut tout faire par lui-même, délibérer pour le sénat, exécuter pour les magistrats et dépouiller tous les juges »

« Peut-on mieux exprimer le rejet de la politique qui sévit de nos jours »?

Comment gouverner demain un peuple à la fois surinformé et désinformé, conservateur et réformateur, casanier et aventurier, réaliste et impatient ? »

Constat terriblement actuel, d’une implacable lucidité. La préface d’un ouvrage récent ? D’un retraité de la politique ? ou d’un des nombreux candidats aux primaires présidentielles de l’automne ?

Date de publication du livre, dont ces lignes sont extraites : 3 février 1993 !!

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A l’époque, le favori des sondages actuels, Alain Juppé, est secrétaire général du RPR, le parti gaulliste dont Jacques Chirac est le président. Il n’a pas encore été Premier ministre, il n’est pas encore maire de Bordeaux. Et comme il l’écrit (voir ci-dessus) plus d’une fois il est tenté d’abandonner les jeux stériles d’une certaine politique… pour s’établir à Venise.

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Je ne connais pas bien ce prétendant sérieux à l’élection présidentielle française, et je me suis dit que j’en découvrirais un peu plus sur le personnage dans ce bouquin vieux de 23 ans où il se livre et se délivre de son côté raide et distant. D’admirables pages sur sa famille, ses études – oui c’est une grosse tête bien faite ! -, son amour de la Grèce et de la Méditerranée, et surtout une très grande honnêteté (qui ne se prive pas de quelques vacheries bien senties à l’endroit de ceux qu’il appelle – déjà – les « mammouths » du parti gaulliste, les Pasqua, Balladur, Séguin) dans l’analyse de la situation du pays.

C’est peu dire – et c’est aussi décourageant qu’affligeant – qu’à peu près sur tous les sujets abordés, comme l’Europe et le référendum sur le traité de Maastricht (1992), l’immigration, la politique éducative et culturelle, rien ne semble avoir changé, progressé, évolué depuis vingt ans. On ne pourra pas retirer à Juppé le mérite de la constance dans l’analyse et la prospective. Le quadragénaire qui piaffait d’impatience devant les lenteurs des circuits de décision saura-t-il, devenu septuagénaire, bousculer l’inertie, les pesanteurs d’un pays tenté par le repli et l’abstention ?