Chez Zola

C’est une visite que je n’aurais peut-être pas faite, si dans mon entourage il n’y avait de fervents lecteurs de Zola. J’ai peu lu Emile Zola en dehors de l’Assommoir, sans doute parce que mes inclinations d’adolescent et d’étudiant me portaient plus vers la littérature russe ou allemande.

Mais j’avais lu que la maison de l’écrivain à Médan avait été restaurée et rouverte au public en 2018, j’avais surtout en mémoire l’inauguration en octobre 2021 par le président de la République du musée Dreyfus, jouxtant la maison de Zola, installé dans le petit pavillon où il logeait ses amis.

J’ai donc profité de ce dimanche de pluie et de vent pour visiter ces lieux en bord de Seine.

Cette maison d’Emile et Alexandrine Zola a une histoire pour le moins originale à lire ici : La Maison Zola.

Il y a toujours une émotion particulière à visiter les lieux où ont vécu, travaillé, créé, écrivains, compositeurs, peintres et autres artistes, même si, en l’espèce, le mobilier et les décors d’origine ont été en grande partie dispersés.

J’ai appris en visitant le grand salon reconstitué de la maison que Zola était un bon musicien, jouant de la clarinette et de l’harmonium !

La petite salle à manger et la modeste cuisine (qui ressemble un peu à celle de Monet à Giverny) témoignent du goût très éclectique de l’écrivain qui adorait « bibeloter », s’entourer d’une multitude d’objets, dont il ne reste plus grand chose d’original.

Le plafond de la salle à manger ne laisse pas d’étonner venant d’un républicain convaincu comme Zola !

Le cabinet de travail de l’écrivain, à l’étage, était, paraît-il, interdit à toute présence humaine …

Dans la lingerie, on a disposé un buste de Jeanne Rozerot, la jeune lingère devenue la maîtresse de Zola et la mère de ses deux enfants Denise et Jacques.

En écrivant ce bref compte-rendu, je découvre un ouvrage paru il y a peu :

Je sais ce qu’il me reste à faire, surtout après avoir lu la présentation de l’éditeur :

« Émile Zola n’est guère réputé pour sa mélomanie, et il ne s’est lui-même pas privé d’ironiser sur sa supposée ignorance en matière musicale. Pour autant, il est indéniable que sa plume fut souvent virulente à l’encontre de la musique en vogue : Offenbach et l’opérette, genre alors très couru, en furent les victimes régulières, pour la raison que, selon lui, celle-ci est le symbole même de la corruption politique, financière et morale du Second Empire. Zola se méfiait aussi du grand Opéra, car il établissait une séparation nette entre la littérature et la musique : alors que la première réclame de ses lecteurs de la réflexion et une attention soutenue, la seconde se contenterait d’une écoute superficielle, car elle ne parlerait qu’aux sens, et non à la raison. L’auteur de Germinal s’en prenait en outre à une certaine forme de romantisme frelaté, faite d’idéalisme souffreteux et de mièvrerie, véhiculée par les œuvrettes alors à la mode dans les salons. 
Son jugement semble sans appel. Pourtant, tout n’est pas si simple… Zola sera notamment un fervent partisan de Wagner, Verdi, Bizet ou encore Berlioz ; et, à partir de 1888, il mènera une fructueuse collaboration artistique avec Alfred Bruneau, imprimant à sa carrière une orientation nouvelle. Même s’il prétendait ne rien connaître à la musique, ses écrits témoignent du contraire : les textes que nous réunissons ici – une centaine d’articles de critiques qu’il a livrés à la presse entre 1865 et 1897, ainsi que plusieurs entretiens donnés dans les années 1890 – comportent maintes références à des compositeurs et à des œuvres musicales. Corrigeant l’image d’un homme réfractaire à l’art d’Euterpe, ces documents donnent à voir la richesse des goûts et des conceptions musicales de Zola. »

Un musée pour Dreyfus

J’avais vu et beaucoup aimé le film de Polanski

La visite du musée Dreyfus à Médan s’impose à tous ceux qui, comme moi, persistent à ne pas comprendre, plus d’un siècle après « l’affaire », comment et pourquoi un tel déferlement de haine, d’antisémitisme a pu bouleverser toute la société française de l’époque. L’actualité témoigne malheureusement de la résurgence de ces fléaux.

Eloge de la grandeur

Warner nous fait le cadeau de nous restituer, après une remastérisation spectaculaire, la seconde partie du legs discographique d’Otto Klemperer (1885-1973).

Je ne sais pourquoi je n’ai pas évoqué ici le premier coffret paru avant l’été, immédiatement acheté, et réécouté avec ravissement.

Relire tout ce que j’écrivais ici même en 2016 : Eloge de la lenteur, à propos déjà d’une somme de coffrets séparés qui nous avaient rendu (mais sans la « plus-value sonore » de la nouvelle remastérisation) l’héritage du grand chef allemand, disparu il y a 50 ans, le 6 juillet 1973, à Zurich.

Le second coffret comprend les quelques opéras et oeuvres sacrées que Klemperer a gravés sur le tard.

Je l’avais déjà constaté à l’écoute du corpus symphonique, Klemperer n’est jamais tout à fait où l’on attend. C’est plus vrai encore ici. J’essaie, depuis que j’ai reçu ce second coffret, de m’abstraire d’un certain nombre de clichés : que Bach, Haendel ou Mozart ne pourraient plus être écoutés qu’à l’aune des trépidations des Harnoncourt, Gardiner et autres « revisiteurs » des classiques.

Mon Dieu, qui nous élève aujourd’hui à des sommets de spiritualité, de joie profonde, dans La Passion selon Saint-Matthieu ou la Messe en si? Moi qui ai été nourri à la première révolution haendelienne de Colin Davis et de son Messie si élancé de 1966, je trouve dans celui de Klemperer une grandeur, une ferveur, qui m’émeuvent au plus haut point.

La Missa solemnis est depuis toujours ma version n°1, parce que personne n’a, comme Klemperer, jamais été plus loin dans l’inhumaine grandeur de ce monument.

La Flûte est absolument enchantée, enchanteresse même, la magie opère sans qu’il soit jamais besoin de hacher ou précipiter le discours. On peut rêver de plus de théâtre dans les trois Da Ponte, mais, à nouveau, si l’on fait abstraction de ce que l’on a engrangé dans sa mémoire, on redécouvre tant de beautés, et souvent ‘une énergie souterraine, moins immédiate.

Quant aux Wagner, avec un formidable Vaisseau fantôme et le premier acte de la Walkyrie – en plus des pages symphoniques déjà rééditées dans le premier coffret – ils sont d’autant plus précieux qu’ils sont parcimonieux.

Le centenaire de Georges Bosquet

Vous ne savez pas qui est Georges Bosquet, né le 28 mai 1923 en Transylvanie alors hongroise ? Allons, un petit effort !

Bosquet en hongrois c’est Ligeti, Georges c’est György. On célèbre en effet aujourd’hui le centenaire de l’un des compositeurs les plus importants du XXème siècle.

Je laisse aux spécialistes et musicologues le soin de rappeler et dérouler l’impressionnante carrière créatrice de Ligeti. Son nom n’a jamais déserté les programmes de concert, à la différence de bien de ses contemporains, même très célèbres (Stockhausen, Boulez) qui ont connu une certaine éclipse après leur disparition. On sait d’expérience que mettre le nom de Ligeti à l’affiche d’un concert n’a pas l’effet repoussoir que d’autres noms pouvaient susciter.

Mon premier vrai contact avec la musique de Ligeti, mon premier enthousiasme aussi, se situe à Zurich à l’automne 1986, à la Tonhalle précisément, où le pianiste Anthony di Bonaventura sous la direction de son frère le chef américain Mario di Bonaventura créent le Concerto pour piano, qui n’a alors que trois mouvements. Ligeti y rajoutera deux mouvements, et le concerto dans sa forme définitive sera créé par les mêmes chef et pianiste le 29 février 1988 au Konzerthaus de Vienne. J’ai, quant à moi, le souvenir d’une oeuvre incroyablement excitante, rythmiquement ensorcelante, au point que la première suisse, donnée devant le bon public bourgeois de Zurich, fut bissée et follement applaudie.

Et puis, dans le désordre, Atmosphères et Lontano, deux fascinantes pièces d’orchestre, que j’entendis assez souvent et que je programmai à l’Orchestre philharmonique de Liège.

Souvenir encore ébloui de son Requiem donné dans le cadre du festival Musica à Strasbourg, le 30 septembre 1994, avec le Choeur et l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigés par Zoltan Pesko (dans un programme où figuraient également Atmosphères, le magnifique Lonely Child du très regretté Claude Vivier (1948-1983) assassiné dans de sordides conditions et Grabstein für Stephan de Kurtag.

Une version bouleversante dirigée ici par le jeune Esa-Pekka Salonen.

C’est le même Salonen qui dirigeait les représentations du Grand Macabre, dans l’une des multiples révisions opérées par le compositeur, en février 1998 au Châtelet, dans une mise en scène de Peter Sellars. Je me rappelle avoir admiré le Philharmonia, la direction du chef, et plusieurs idées du metteur en scène, mais avoir été moins touché ou convaincu par l’oeuvre elle-même.

Dernier souvenir plus récent ce « bis » donné à Radio France par Bertrand Chamayou, un extrait de Musica ricercata

Sur le plan discographique, les références ont été rassemblées par Deutsche Grammophon d’une part, Sony d’autre part.

Ce jeudi, à la Maison de la radio et de la musique, Jakub Hrusa, le choeur et l’orchestre philharmonique de Radio France ont programmé un autre des chefs-d’oeuvre de Ligeti, Lux aeterna. On y sera !

La grande porte de Kiev (X) : Silvestrov l’Ukrainien

L’un des plus grands compositeurs de notre temps, l’Ukrainien Valentin Silvestrov, a fêté ses 85 ans le 30 septembre dernier. Loin de sa ville natale, Kiev.

(Valentin Silvestrov, né à Kiev le 30 septembre 1937)

A l’occasion de cet anniversaire, deux nouvelles publications discographiques. L’une chez son éditeur historique, le label ECM New Series :

Lire mon article sur Forumopera.com : Chanter pour l’Ukraine

Rappelez-vous dans un précédent article (Prières pour l’Ukraine), cette mélodie poignante devenue tristement célèbre – elle fait partie du Cycle Maidan 2014 qui constitue l’essentiel de ce disque.

Une autre publication sous le label de la Radio bavaroise, BR Klassik. Le chef d’oeuvre choral de Silvestrov, son Requiem pour Larissa écrit en 1999 trois ans après la mort inattendue de sa femme Larissa Bondarenko.

Diapason d’Or dans le numéro d’octobre du mensuel, 4 coeurs sur Forumopera.com (Un requiem ukrainien). Une oeuvre poignante, d’apparence hétéroclite, qui culmine dans son cinquième mouvement, un poème du grand poète national ukrainien Taras Chevtchenko :

Gothique

Ce blog prend du retard… Dès lors que j’ai accepté d’écrire des chroniques pour Forumopera.com sur des disques (De la nuit à la lumière, De si de Sa) et maintenant sur des concerts (Ainsi chantait Caligula, Douceur de la douleur), je leur consacre le temps et l’attention que l’exercice requiert. Et je n’entends pas, a priori, mélanger les deux disciplines.

Précision

Un ami musicien à qui je racontais mes nouvelles aventures de critique musical me disait mi-sérieux mi-moqueur : « Tu vas pouvoir balancer ! »… Comme si j’avais des comptes à régler, des vengeances à assouvir. C’est mal me connaître. Il n’y a que les aigris, les jaloux, les envieux (et il y en a quelques-uns – euphémisme -dans le milieu artistique) qui puissent nourrir de tels sentiments. J’ai eu la chance d’approcher, parfois de faire jouer, de très grands artistes, qui étaient aussi, pour l’immense majorité, de magnifiques êtres humains. De quoi et pourquoi devrais-je me « venger » ? Sans doute me priverai-je moins de dire ce que je pense, de dégonfler certaines baudruches, mais c’est tellement mieux, plus rassurant, de dire du bien…

Retour à Laon

Mais je peux raconter mes visites du week-end. Gothiques à plein. Grâce à de beaux concerts : Laon, Royaumont.

Pas des inconnues. Mais Laon ça faisait un sacré bail: un concert à la mi-octobre il y a une vingtaine d’années avec l’Orchestre philharmonique de Liège, George Pehlivanian à la baguette et Pierre Amoyal au violon. Il avait failli jouer avec des mitaines tant il faisait cru dans la haute nef de la cathédrale Notre Dame. Quant à l’orchestre ils n’étaient pas loin de faire jouer la clause du règlement de travail interdisant de jouer à moins de 18 degrés de température ambiante. Plus lointain encore, 1997 je crois, un Requiem allemand de Brahms avec lOrchestre philharmonique de Radio France, un chef que je n’aimais vraiment pas – Marek Janowski – mais ce soir-là je baissai la garde. Il avait invité le choeur du Singverein de Vienne (on avait encore les moyens à Radio France !). J’en ressens encore l’émotion.

Ci-dessus Les Siècles et l’ensemble Aedes dirigés par Mathieu Romano vendredi soir dans la cathédrale Notre-Dame.

Mon « papier » paru ce mardi sur Forumopera.com : Douceur de la douleur

En bis, une chanson de Clément Janequin chantée par les musiciens debout et le choeur. Beau.

Royaumont en majesté

L’abbaye de Royaumont, ce que c’est devenu depuis bientôt quarante ans, grâce à la volonté, l’énergie inlassable de Francis Maréchal, un centre de formation, de création voué à l’art vocal et à la danse. Dans un site exceptionnel. Deux concerts ce week-end, beaucoup de bonheur avec quatre jeunes duos (lire La relève à Royaumont) et une chanteuse qui me bouleverse toujours, Véronique Gens.

Van Gogh à l’asile

Aix : Rossini oui, Castellucci non

Quand on est soi-même responsable d’un festival.. qui a commencé ce lundi, c’est toujours compliqué d’aller visiter les collègues – l’an dernier, l’ami Jean-Louis Grinda pour un Samson et Dalila d’anthologie à Orange, il y a plus longtemps encore, 2018, pour la dernière de Bernard Foccroulle à Aix-en-Provence. Avignon n’en parlons pas..rien depuis 2014 !

La seule date d’échappée possible cette année c’était ce 12 juillet, le choix entre Moïse et Pharaon de Rossini et la Salomé d’Elsa Dreisig. Finalement Rossini, en raison de sa rareté, mais un grand regret de ne pas avoir vu ni entendu la jeune soprano franco-danoise !

Philippe Venturini dans Les Échos (Rossini en version JT) dit bien ce qu’on peut penser de ce spectacle, long, trop long. Certains tressent des louanges au metteur en scène Tobias Kratzer (la nouvelle coqueluche des scènes lyriques ?): d’accord il « contemporéanise » le sujet, il n’est ni le premier ni le dernier, mais le manichéisme à deux balles, l’humanité à gauche de la scène, la froideur technocratique à droite, ça me gonfle.

Pour les chanteurs, je serai plus indulgent que les critiques de la première : Michele Pertusi n’est pas si « usé » qu’on l’a écrit, il campe un Moïse crédible (Roselyne Bachelot a twitté : « il ressuscite Charlton Heston » !), Pene Pati (Aménophis) avait retrouvé son timbre solaire, Jeanine de Bique, que j’entendais pour la première fois, m’a fait belle impression en dépit d’une diction encore perfectible, mais c’est la jeune mezzo russe Vasilisa Berjanskaia qui m’a le plus séduit dans cette production.

Ici dans la production du festival de Pesaro l’an dernier.

A Aix, j’ai loupé la création de Pascal Dusapin et je m’en suis excusé auprès de lui (eh oui il assistait avec son épouse Florence Darel à la représentation de Moïse mardi soir !). Vaines excuses, je n’avais qu’à m’y prendre autrement, mais il sait depuis longtemps mon admiration et mon affection inconditionnelles.

En revanche, j’en suis désolé pour mes amis qui le vénèrent, je me refuse à participer à la cohorte des thuriféraires de Romeo Castellucci, parce que je ne vois non seulement aucun intérêt à des mises en scène du Requiem de Mozart ou de la 2ème symphonie de Mahler, mais j’y vois surtout une trahison de l’oeuvre de ces compositeurs. Il faut déjà supporter à l’opéra les avanies, les fantasmes de bric et de broc d’une génération de metteurs en scène qui nous infligent leurs réinterprétations des chefs-d’oeuvre du répertoire. Donc non et non !

Vincent à Saint-Rémy-de-Provence

J’habite à quelques centaines de mètres des lieux où Vincent Van Gogh a vécu ses dernières semaines, du cimetière d’Auvers-sur-Oise où il a été enterré en juillet 1890 et rejoint, en 1914, par son très aimé frère Theo (mort un an après Vincent aux Pays-Bas – c’est sa veuve qui décide de réunir dans un même tombeau les deux frères). Je connaissais à peu près tous les lieux qu’a fréquentés le peintre, sauf le cloître Saint-Paul de Masole de Saint-Rémy-de Provence, mi-hospice, mi-asile, aujourd’hui toujours maison de santé et de retraite, où Van Gogh passa une année, de mai 1889 à mai 1890 et peignit pas loin de 150 toiles !

Retours

On a appris cette semaine deux bonnes nouvelles.

La comète Alexia

Alexia revient. Sylvain Fort signait dans Forumopera un billet plein d’espoir : Alexia Cousin, un retour plein d’usage et de raison.

J’ai plusieurs fois évoqué Alexia Cousin dans ce blog et de précédents. Je l’avais entendue en 1998 à la maison de la Radio lorsqu’elle remporta le concours Voix Nouvelles à 18 ans, et de 2000 à 2005 je l’ai suivie, engagée, entendue à Genève, Liège, Paris…

Dans ce documentaire produit pour marquer le mandat de Louis Langrée comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, il y a de précieux extraits d’Alexia Cousin en concert : à 2’09 dans Ravel et à 14’30 dans Beethoven.

alexiacousin.com

Réhabilitation

Les musiciens de la Staatskapelle de Dresde ont choisi celui qui succèdera en 2024 à leur actuel directeur musical Christian Thielemann : ce sera Daniele Gatti. Et pour le chef italien une réhabilitation définitive et éclatante après sa bien peu glorieuse éviction d’Amsterdam en 2018 (Remugles). Lire le papier d’Hugues Mousseau pour Diapasonmag : Daniele Gatti à Dresde, une logique d’excellence

Daniele Gatti en février dernier à la tête de l’Orchestre National de France et du Choeur de Radio France au Théâtre des Champs-Elysées.

Grâce à YouTube, je retrouve un grand souvenir d’il y a huit ans presque jour pour jour. J’avais entraîné Mathieu Gallet, alors PDG de Radio France, au concert que donnaient l’Orchestre national et le choeur à la Basilique de Saint-Denis, le 27 juin 2014, sous la direction de Daniele Gatti pour une rareté au concert : l’oratorio Elias de Mendelssohn. Il faisait chaud, nous étions bien mal assis sur les chaises bien raides de l’église, mais quel souffle, quelle grandeur !

Agatha, Yuja, Klaus et Maurice

On n’oublie pas l’Ukraine loin de là (Unis pour l’Ukraine), on a parfois honte de certains débats ou de certaines prises de position (lire à ce sujet l’excellent billet du jeune musicologue Tristan Labouret sur Facebook)

Mais on vient de passer deux soirées bienfaisantes, l’une au théâtre, l’autre à la Philharmonie de Paris. Récit.

L’inconnu d’Agatha C.

Cela fait un moment que j’avais repéré ce spectacle qui se donne depuis le 24 janvier dans un théâtre – une salle moderne du 11ème arrondissement – où je n’avais jamais mis les pieds, l’Artistic Athévains


Je suis depuis mon adolescence un lecteur et un fan d’Agatha Christie, on connaît ses « recettes » pour nouer des intrigues policières et dérouter ses lecteurs jusqu’à la fin. Ses pièces de théâtre sont moins fréquentes. Raison de plus pour assister à ce Visiteur inattendu.

Le « pitch » est simple, trop simple pour être honnête évidemment ! Un soir de brouillard, un homme survient dans une maison isolée, sa voiture ayant versé dans le fossé, il arrive sur une scène de crime, un homme tué par balles dans une chaise roulante et lui faisant face une femme tenant un revolver et expliquant qu’elle vient de tuer son mari. On se doute que, comme dans tous les romans et les pièces d’Agatha Christie, tous les personnages qui vont intervenir ont tous une raison d’être impliqués dans ce crime, on ne dira évidemment pas qui est le coupable !

Ce qui est admirable dans ce spectacle, c’est d’abord une mise en scène astucieuse, judicieuse de Frédérique Lazarini, c’est la densité de chacun des personnages, chacun des rôles, et l’excellence de tous les interprètes : Sarah BIASINI Pablo CHERREY-ITURRALDECédric COLAS Antoine COURTRAY Stéphane FIEVETEmmanuelle GALABRU Françoise PAVY Robert PLAGNOL.

Cela se joue encore jusqu’à fin avril !

Yuja Wang, Klaus Mäkelä et Maurice Duruflé

Je n’avais pas encore eu l’occasion de voir et d’entendre le nouveau directeur musical de l’Orchestre de Paris, le jeune Finlandais Klaus Mäkelä qui vient de fêter ses 26 ans ! Le programme de cette semaine était, de surcroît, d’une originalité rare dans les concerts parisiens : l’Ebony concerto de Stravinsky, le Premier concerto pour piano de Rachmaninov et le Requiem de Maurice Duruflé.

Philippe Berrod ouvre le bal à la clarinette et s’amuse bien avec ses excellents collègues dans ce faux concerto faussement jazz mais vraiment Stravinsky sous la houlette élancée et élégante du jeune chef.

Puis vient le moins joué des quatre concertos de Rachmaninov qui servit – les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître – d’indicatif à la mythique émission de Bernard Pivot Apostrophes (dans la version de Byron Janis).

Quel bonheur de voir entrer, moulée dans une robe jaune (l’Ukraine?), la pianiste chinoise Yuja Wang, une artiste qu’on tient pour véritablement exceptionnelle depuis qu’on l’a entendue notamment en 2014 à Zurich dans le 2ème concerto de Prokofiev, et un an plus tard avec Michael Tilson Thomas dans le 4ème concerto de Beethoven, c’était à la Philharmonie ! (Les surdouées).

Yuja Wang a cette sorte de charisme, de personnalité hors norme, qui emporte l’adhésion et la sympathie immédiates du public, elle manifeste une telle joie de jouer, se défiant de tous les obstacles techniques – son deuxième bis hier soir, les redoutables variations sur Carmen de Vladimir Horowitz, elle s’en amusait, elle s’en régalait, comme si aucune difficulté ne pouvait lui résister -, son contrôle du clavier est proprement sidérant.

Requiem pour la paix

En dehors du disque (Michel Plasson) je n’avais jamais entendu en concert le Requiem de Maurice Duruflé (1902-1986), le chef-d’oeuvre choral de celui qui fut jusqu’à la fin de sa vie l’organiste de Saint-Etienne-du-Mont à Paris. La filiation avec Fauré est évidente (comme le couplage des deux oeuvres au disque). Le requiem de Duruflé a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1947

Hier, au-delà de la confirmation que Klaus Mäkelä est un chef très inspiré, en osmose avec son orchestre, on a vécu l’un de ces moments forts dans la vie d’un mélomane, dans une vie d’homme tout simplement. La puissance, la beauté, la cohésion des forces musicales – magnifique choeur de l’orchestre de Paris -, la présence de deux solistes ukrainiens, Valentina Plujnikova et Yuri Samoilov, le très long silence recueilli à la fin du requiem, avant que n’éclate un tonnerre d’applaudissements dans le public de la Philharmonie, particulièrement adressés aux deux interprètes ukrainiens, et au-delà d’eux, à tout un peuple martyr.

La grande porte de Kiev (VI) : Unis pour l’Ukraine

J’ai participé hier à la grande soirée organisée par France 2 et Radio France à la Maison de la Radio et de la Musique en solidarité avec le peuple ukrainien, Unis pour l’Ukraine

Radio France aux couleurs de l’Ukraine

Comme souvent, dans ce type de soirée organisée en dernière minute, il y a eu du bon, du très bon, et du moins bon, voire contestable. On eût aimé, autant le dire d’emblée, que Nagui n’accaparât pas la parole toute la soirée, Leila Kaddour en étant réduite à essayer d’exister, et surtout ne confonde pas cet hommage aux victimes de la guerre en Ukraine avec un Téléthon. Son appel systématique aux dons à la Croix Rouge, son verbiage dégoulinant de bons sentiments qui omettait soigneusement de prononcer le mot « guerre » pour s’apitoyer sur le sort des « réfugiés où qu’il soient dans le monde », ses questions ridicules aux artistes, bref une prestation de bateleur à contre-temps et à contresens qui n’a, heureusement, pas réussi à gâcher une soirée trop longue.

Les invités à cette soirée avaient été priés de choisir de prendre place au studio 104 ou à l’Auditorium, la chanson d’un côté, le classique de l’autre.

On peut revoir cette soirée : Unis pour l’Ukraine

Je ne veux que retenir que quelques moments très forts, très justes (le programme complet de la soirée ici)

Sublime Göttingen chanté par Carla Bruni accompagnée par Katia Buniatishvili

La force d’une chanson, même si la voix déraille…

Mais, installé à l’Auditorium, j’ai vécu plus de moments forts avec les formations de Radio France, la merveilleuse Maîtrise dirigée par Sofi Jeannin, le Choeur de Radio France dans un bouleversant Va pensiero, et bien sûr l’Orchestre National de France, dirigé par Cristian Macelaru, dont le nom n’a été cité qu’une seule fois de toute la soirée…

Andrei Bondarenko et Benjamin Bernheim

Benjamin Bernheim bouleverse l’auditoire avec l’Ingemisco du requiem de Verdi, et plus encore, en duo avec le baryton ukrainien Andrei Bondarenko, dans Dio, Che Nell’alma Infondere Amor de Don Carlo.

Mais l’émotion est à son comble, lorsque, bien après minuit, le Choeur de Radio France, l’Orchestre National de France, Cristian Macelaru entonnent l’hymne national ukrainien chanté par Andrei Bondarenko :

On est reparti de la Maison de la Radio le coeur lourd, en totale communion de pensée avec les victimes de cette guerre atroce.

Antoine et John Eliot en Italie

Jeudi, Daniele Gatti et le Requiem de Verdi au théâtre des Champs Elysées (Immortel requiem), vendredi, faute d’avoir pu aller revoir Hamlet à l’Opéra Comique (Il ne faut pas croire Chabrier) – regrets avivés par les échos unanimes que j’en ai – je m’étais promis d’aller entendre Louis Langrée à la Seine Musicale, avec l’Orchestre des Champs-Elysées et un joli programme de musique française (Bizet, Saint-Saëns). Rendez-vous manqué, pour cause de méforme passagère.

John Eliot Gardiner, dont Louis Langrée fut l’assistant à l’Opéra de Lyon, assistait à la dernière d’Hamlet (Photo @Chrysoline Dupont/Twitter)

Heureusement hier soir j’ai pu me rendre à la Maison de la Radio et de la Musique, où je n’avais pas remis les pieds depuis plusieurs semaines :

Et retrouver justement un chef (Le jardinier de la musique) qu’on avait laissé, conquis, bouleversé, à La Côte Saint-André en août 2018, dirigeant des cantates de Bach. Et un soliste, Antoine Tamestit, qu’on n’a plus jamais perdu de vue, depuis une stratosphérique Symphonie concertante de Mozart en janvier 2006 à Liège. Je ne suis pas sûr d’avoir déjà raconté les circonstances de cette première rencontre : le magnifique violoniste Frank Peter Zimmermann, qui était un peu un abonné de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, et que nous avions sollicité pour le festival Mozart dirigé par Louis Langrée, nous avait dit : « Je ne le connais pas encore, mais j’aimerais bien qu’on invite Antoine Tamestit à mes côtés ». C’est peu dire que ce fut un coup de foudre entre les deux solistes, entre Antoine et le chef, avec le public. Et, même à distance, entre l’altiste et moi, une amitié admirative qui m’a souvent fait regretter de manquer tel ou tel de ses concerts..

Un grand souvenir

A La Côte Saint-André, en 2018, je n’avais pu assister, justement, au concert de l’Orchestre révolutionnaire et romantique dirigé par John Eliot Gardiner, où Antoine Tamestit devait jouer cette oeuvre si étrange de Berlioz, sa « symphonie avec alto principal », Harold en Italie.

Hier soir, dans le cadre chaleureux de l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique, d’abord on rattrapa les souvenirs perdus, et on eut le sentiment d’une plénitude rare.

Ce miraculeux Harold est heureusement à (ré)écouter sur francemusique.fr.

Manifestement l’entente entre le chef anglais – qui fêtera ses 80 ans l’an prochain – et l’Orchestre philharmonique de Radio France produit des étincelles autant dans Berlioz, qui n’est pas la partition la plus facile à diriger, que dans la seconde partie du programme.

Elgar dans le sud

J’ai raconté mes vacances d’entre deux confinements en 2020 : Italie 2020, et notamment ma visite d’une charmante cité balnéaire de Ligurie, Alassio : C’est au cours de l’hiver 1903/1904 qu’Elgar séjourne à Alassio. Dans l’une des nombreuses lettres qu’il adresse à son ami August Johannes Jaeger – qu’il surnomme affectueusement Nimroddu titre qu’il a donné à la fameuse neuvième variation des Enigma Variations– il écrit, à Noël 1903 : « …This place is jolly – real Italian and no nursemaids calling out ‘Now, Master Johnny!’  like that anglicised Bordighera!…Our cook is an angel…We have such meals! Such Wine! Gosh!… » Plus tard il écrira : “Then in a flash, it all came to me – the conflict of the armies on that very spot long ago, where I now stood – the contrast of the ruin and the shepherd – and then, all of a sudden, I came back to reality. In that time I had composed the overture – the rest was merely writing it down.” (extrait de mon billet du 25 août 2020)

Je n’avais jamais entendu ce poème symphonique d’ElgarIn the South – en concert (pas difficile puisque la musique anglaise n’est quasiment jamais programmée en France ! on se rattrapera avec la prochaine édition du Festival Radio France). Encore moins l’oeuvre qui terminait le concert : Sospiri.

Merci Sir John Eliot ! Revenez à Paris dès que vous pouvez.

Un disque indispensable !