Des morts vivants, Chéreau, Rorem etc.

Les Amandiers

Il y a un mois j’avais beaucoup aimé son film L’Innocent. Louis Garrel est de retour, et pas dans n’importe quel rôle, dans le film de Valeria Bruni-Tedeschi, Les Amandiers, il y incarne Patrice Chéreau, qui fut le directeur de ce théâtre, devenu mythique, de Nanterre.

J’ai beaucoup aimé, l’histoire, la réalisation, les acteurs et actrices. Comme le journaliste qui interroge ici Valeria Bruni-Tedeschi :

« Patrice Chéreau est le plus vivant de tous les morts« 

Ce film montre avec tant de justesse les élans, les espoirs, les douleurs de cette bande de jeunes apprentis acteurs, n’évite aucun des chocs de l’époque, la drogue, le SIDA. On a plus d’une fois été ému, sinon bouleversé. Les interprètes sont tous formidables, y compris les filles et fils de…Mention particulière pour celle qui est censée représenter VBT, Nadia Tereszkiewicz, et peut-être surtout Sofiane Bennacer, dans sa descente aux enfers. Je n’ai pas arrêté de penser à Patrick Dewaere… Evidemment Louis Garrel est plus Chéreau que nature jusque dans les attitudes, les tics, le langage ! Ne pas oublier celui qui fut son adjoint comme directeur de l’école de théâtre des Amandiers, Pierre Romans, ici incarné par Micha Lescot, emporté par le SIDA à 39 ans.

Allez voir ce film, vraiment !

Presque centenaire

Il y a fort à parier que, si Renaud Machart n’avait pas contribué à le faire connaître en France, notamment en traduisant l’un de ses Diaries, le nom de Ned Rorem (1923-2022) serait resté quasi inconnu.

« Un matin de mai 1949, un jeune Américain à la beauté ravageuse débarque au Havre. Comme beaucoup de jeunes gens de sa génération venus d’outre-Atlantique, le compositeur et écrivain Ned Rorem ne compte passer en France que quelques mois. Il y restera jusqu’en 1955. Ce sont ces années que retracent ce Journal parisien, un texte fameux aux Etats-Unis, qui, depuis sa parution, en 1966, n’avait jamais été encore traduit en français. Le Journal parisien fit scandale par la liberté de ton de son auteur, son insolence et sa cruauté, et par des indiscrétions qui ne furent pas appréciées de tous. Ned Rorem fait très vite la connaissance de Marie Laure de Noailles, qui deviendra sa plus sure alliée et sa plus chère amie à Paris. Elle le prendra sous son aile et le présentera au Tout-Paris artistique. Eberlué et crâne, séduit mais méfiant, le jeune compositeur fréquente Francis Poulenc, Salvador Dali, Georges Auric, Henri Sauguet, Jean Cocteau, Julien Green, Pablo Picasso, Julius Katchen, Paul Eluard, Pierre Boulez, Alice Toklas et la colonie américaine de Paris. Des années partagées entre le travail, la boisson, la rencontre de jeunes hommes ; la France, le Maroc (mais aussi l’Angleterre et l’Allemagne d’après guerre) ; l’amour, le désespoir. Le tout noté au fil d’une plume d’une redoutable précision de trait » (Présentation de l’éditeur)

Le compositeur américain est mort à New York ce samedi à l’âge respectable de 99 ans.

Quelques repères discographiques pour se faire au moins une petite idée de ce que Ned Rorem a représenté dans la musique du XXème siècle.

Les larmes de Leila K.

Il serait sans doute resté inconnu du grand public, si l’excellente Leila Kaddour – qui présente le journal télévisé de France 2 le samedi et le dimanche midi – n’avait pu retenir son émotion en annonçant sa mort.

Je ne connaissais pas personnellement, je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec lui, mais la brutale disparition de Pascal Josèphe, à 68 ans, a rappelé l’importance de celles et ceux qui, dans l’ombre, font vivre la télévision, et c’est tout aussi vrai pour la radio, les médias en général, les structures culturelles. Il y a ceux qui sont dans la lumière – Pascal Josèphe l’avait tenté, en se présentant à la présidence de France Télévisions en 2015 – et ceux, il en était, qui créent, donnent leur chance, promeuvent, innovent. C’est pour cela que sa mort bouleverse autant de monde…

Livre de vie

Je ne sais ce qui m’a, jusqu’à présent, retenu de lire les témoignages, les ouvrages, les récits publiés à la suite des attentats de 2015 – Charlie le 7 janvier, le Bataclan et les terrasses du 11ème le 13 novembre. Crainte d’entrer comme par effraction dans l’intimité douloureuse de ceux qui ont survécu ou perdu un fils, un frère, un mari…Peur d’être dans une sorte de compassion voyeuriste.

J’avais exactement les mêmes réticences à l’égard du livre de Philippe Lançon, Le Lambeau

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Je ne connais pas Philippe Lançon, je n’ai jamais lu ses papiers dans Libé ou Charlie, ni ses précédents livres. Et quand j’ai appris le sujet de ce livre, je me suis d’abord dit que non, pas plus que les autres, je ne céderais à la tentation de regarder la douleur, l’indicible, s’étaler sous mes yeux.

Et puis des amis chers, et puis quelqu’un que je respecte infiniment – Bernard Pivot dans le Journal du DimancheCelui qui n’était pas tout à fait mortm’ont convaincu non pas de céder à une curiosité malsaine, mais d’entrer dans un univers littéraire rare, une écriture magnifique qui transfigurent l’événement, l’atrocité de l’attentat, de la tuerie du 7 janvier 2015.

Quand un homme a la malchance de descendre aux enfers et la chance d’en revenir vivant, quoique à moitié, l’existence n’est plus un fleuve tranquille mais un torrent qui charrie l’inconcevable. Philippe Lançon raconte onze mois de sa vie passés pour l’essentiel dans une chambre d’hôpital et au bloc de chirurgie, et c’est bien plus terrifiant que les films fabriqués pour faire peur. Pourtant, il ne s’apitoie pas sur lui-même, il ne hausse ni ne lénifie le ton. Il se contente de raconter avec précision, méticuleusement, la reconstruction physique et morale d’un homme qu’on a voulu détruire. Il prend son temps comme s’il se revanchait du temps qui lui était alors compté et dont il faillit être privé à tout jamais…(Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche, 15 avril 2018)

Mais ce livre est beaucoup plus, beaucoup mieux que ce récit de l’indicible. Philippe Lançon use d’un procédé qui, chez d’autres, lasserait, la digression, l’échappée vers des souvenirs, des amours, des amitiés, que sa mémoire « d’avant » a fixés et que sa renaissance « d’après » restitue avec une acuité, une capacité d’évocation exceptionnelles.
Au moment où j’achève cet article, paraît dans Le Parisien un appel-manifeste « Contre le nouvel antisémitisme«  lancé, entre autres, par Philippe Val, ex-patron de Charlie Hebdo. Il fait terriblement écho au livre de Philippe Lançon…
Extraits (Le Monde, 22 avril 2018)

Plus de 300 personnalités ont signé un « manifeste contre le nouvel antisémitisme » en France, dénonçant un « silence médiatique » et une « épuration ethnique à bas bruit au pays d’Emile Zola et de Georges Clemenceau » dans certains quartiers, dans Le Parisien à paraître dimanche 22 avril.

« Nous demandons que la lutte contre cette faillite démocratique qu’est l’antisémitisme devienne cause nationale avant qu’il ne soit trop tard. Avant que la France ne soit plus la France », lit-on dans ce texte.

Il a été signé par des politiques de droite comme de gauche – l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, l’ex-premier ministre Manuel Valls, l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë, le président des Républicains Laurent Wauquiez… –, et par des artistes (Gérard Depardieu, Charles Aznavour, Françoise Hardy…). Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Levy, Elisabeth Badinter et Luc Ferry sont aussi au nombre des signataires, tout comme des responsables religieux, dont des imams.

« Dans notre histoire récente, onze Juifs viennent d’être assassinés – et certains torturés – parce que Juifs par des islamistes radicaux », écrivent-ils, en référence à l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006, à la tuerie dans une école juive de Toulouse en 2012, à l’attaque de l’Hyper Cacher en 2015, à la mort par défenestration à Paris de Sarah Halimi en 2017 et, récemment, au meurtre d’une octogénaire dans la capitale, Mireille Knoll.

« Les Français juifs ont vingt-cinq fois plus de risques d’être agressés que leurs concitoyens musulmans », lit-on dans ce manifeste.

« Dix pour cent des citoyens juifs d’Ile de France – c’est-à-dire environ 50 000 personnes – ont récemment été contraints de déménager parce qu’ils n’étaient plus en sécurité dans certaines cités et parce que leurs enfants ne pouvaient plus fréquenter l’école de la République. »

Ciblant principalement ce « nouvel antisémitisme », les signataires demandent « que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés de caducité par les autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémitisme catholique aboli par [le concile] Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime ». « Nous attendons de l’islam de France qu’il ouvre la voie », écrivent-ils.