L’Amazonie, les habitudes perdues et retrouvées

Paresse

J’ai retrouvé, il y a quelques semaines, des cahiers que je croyais disparus, où je consignais chaque été mes souvenirs de vacances. L’habitude m’en vint dès mes 9 ou 10 ans, je confectionnais une sorte de journal de bord, avec au minimum une carte postale ou une photo prise avec le premier appareil – un Kodak Instamatic 50 – que je reçus, je pense, à l’occasion de ma communion solennelle !

J’ai continué, au fil des ans, de noircir cahiers de vacances et plus tard journaux pas nécessairement intimes. J’aimais écrire, le geste d’écrire, si possible au stylo à encre. Je m’attardais à des détails, des descriptions, des impressions. En relisant tout cela bien des années plus tard, j’ai le sentiment de retrouver intacts, précis, les souvenirs des jours heureux.

Lorsque j’ai commencé à « bloguer », au début de l’année 2007, j’avais repris le cours de ces confessions – qui n’en étaient pas vraiment – non pour les étaler, m’en faire valoir, simplement pour fixer ce qu’une mémoire volatile risquait d’oublier. Et j’aimais développer, argumenter.

Paresse, résignation ? Je n’ai plus aujourd’hui la patience, ni même l’envie, de prendre part aux polémiques ambiantes, d’étayer un point de vue, dont personne n’aurait grand chose à faire d’ailleurs. Pourtant ce blog est public, et je sais qu’il est lu – beaucoup ont la gentillesse de me dire qu’ils le lisent, le suivent, avec un certain intérêt. Ils ne m’en voudront pas d’être plus elliptique, moins descriptif que naguère. Une belle photo, une vidéo peu connue, voilà qui fait souvent l’affaire… Pour le reste, Internet délivre tous les savoirs, assouvit toutes les curiosités !

L’Amazonie équatorienne

Me voici donc en Amazonie équatorienne, et la plume démunie pour traduire le bonheur grandiose qui s’empare de celui qui pénètre ce sanctuaire d’une nature inviolée.

C’est d’abord une longue route de Quito (Tout l’or du monde) à Puerto Francisco de Orellana. Notre voyagiste nous avait d’abord annoncé un transfert en petit avion, mais la ligne ne fonctionne plus que certains jours, et constitue en soi une aberration écologique pour qui veut visiter et honorer l’Amazonie.

Les touristes sont rares, sur la pirogue à moteur qui va nous conduire, deux heures durant, sur le fleuve Napo, jusqu’à un petit débarcadère, nous ne serons que deux, entourés par des membres du staff du lodge qui va nous accueillir pour trois belles journées au milieu de nulle part. Après la pirogue, une bonne vingtaine de minutes de marche en forêt jusqu’à une nouvelle embarcation cette fois menée à la pagaie.

L’immensité du silence seulement troublé par le vol de quelques aras bavards, le bateau qui avance sur une eau sombre au milieu d’une végétation luxuriante, avant de déboucher sur une sorte de lac et d’apercevoir une première habitation en bois.

Même si on se pose la question, on évite de demander comment l’eau courante, l’électricité, la connexion internet (pas de réseau téléphonique en revanche) fonctionnent si loin de toute habitation ou communauté.

Première balade en pirogue l’après-midi pour aller théoriquement pêcher le piranha… on en reviendra bredouille mais on aura pénétré plus au coeur de la jungle amazonienne, rencontré des dizaines de singes farceurs, les capucins, les « écureuils » qui prennent un malin plaisir à se défier – c’est à qui fera le saut le plus périlleux d’un arbre à l’autre, les hurleurs à poil rouge…

Le soir, après un excellent dîner – on admire la prouesse culinaire du cuisinier, bien plus inspiré que ses confrères de Quito – on renonce à une sortie nocturne pour apercevoir les caïmans. Le lendemain, on en trouvera un tapi juste à côté du bar du lodge…

Il paraît qu’ils ne sont pas dangereux… Voire ! On est plutôt rassuré de pouvoir se baigner dans l’eau sombre du lac, dans une piscine-cage, séparés des loutres, poissons, et autres bestioles qui peuplent les lieux !

Hier deux longues traversées à pied, chaussés de bottes, surtout après les pluies de la nuit, menés par Dorian, 28 ans, natif d’une communauté installée à une dizaine de kilomètres, aîné d’une fratrie de huit. Dorian connaît sa forêt comme personne, il a appris le français… et l’anglais à l’Alliance française de Quito, il partage son temps entre son activité de guide – deux semaines par mois – et le travail à la ferme familiale. Personne ne plaiderait mieux que lui l’importance de préserver la biodiversité de la forêt amazonienne, il en livre tant de secrets, avec une simplicité et un sourire désarmants.

Je sais désormais à peu près tout sur les vertus des espèces de palmiers qui poussent à l’état naturel ici – et pourquoi il faut absolument en proscrire la culture intensive comme le fait le Brésil de Bolsonaro, obliger tous les industriels de l’agro-alimentaire à renoncer à l’huile de palme ! – Comme ci-dessus cette espèce endémique, ce mince tronc blanc, phosphorescent, qui fait office de lampe de poche la nuit pour les promeneurs égarés !

Ces champignons blancs sont dotés d’admirables vertus : ils attirent tous les moustiques du coin – on ne les voit pas sur la photo, mais ils étaient bien plusieurs centaines ! – ils soignent les problèmes digestifs, ont un effet cautérisant sur les brûlures de la peau, etc.

Si l’on en doutait, on aurait ici confirmation que la nature est artiste !

On regagne le lodge au tomber du jour (rappeler ce qu’on a déjà écrit – Equateur, premières vues – pas de variation saisonnière sur l’équateur, le soleil se lève immuablement à 6 h et se couche à 18 h)

et trouver sur la rampe d’accès à la chambre-cabine ce délicieux représentant de la famille des arachnoïdes, qu’on pensait réservés aux candidats de Fort Boyard !

Rattrapés par l’actualité

Après un week-end plutôt agité (La réponse de la musique), on s’attendait à un début de semaine plus serein. C’était sans compter avec un…camion. Sans rapport avec celui qui a fait la macabre actualité du 14 juillet. Mais chargé d’une cargaison indispensable.

Tous les musiciens étaient pourtant présents dès les premières heures de ce lundi : Martin Grubinger père et fils, AlexGeorgiev, trois percussionnistes de haut vol, ainsi que Ferhan et Ferzan Önder, les pianistes jumelles turques.

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Mais tout le dispositif considérable de percussions nécessaire au concert du soir ? Pas arrivé à Montpellier. La raison ? le patron de l’entreprise de transport qui devait convoyer les instruments de Vienne à Montpellier avait décalé d’un jour le départ de ses chauffeurs, sans prévenir personne. Le camion, à la mi-journée, était encore dans les environs de Gênes en Italie. Il fallut donc envisager toutes les hypothèses, dont celle de ne pas jouer les oeuvres (en création française) de Tan Dun (Tears of Nature) et de Fazil Say (Gezi Park I). On passe sur les sentiments des uns et des autres… Dans ce genre de situations, indispensable de garder son sang-froid et de réduire le stress ambiant !

Et pour compliquer la donne, France Musique et d’autres radios de l’UER diffusaient le concert en direct. D’où balance son préalable !

Bref, le fameux camion finit par accoster au Corum à 18h30, soit 90 minutes avant le début du concert. Nos trois percussionnistes, aidés d’une armada impressionnante de techniciens, avaient achevé de disposer leurs instruments à 19h15, vingt minutes de répétition et de balance son du Tan Dun. 

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Mais impossible de répéter l’oeuvre de Fazil Say et de prendre le risque de la diffuser en direct. France Musique devrait la proposer en podcast. Le public nombreux de Montpellier a, lui, été envoûté par la puissance évocatrice de la pièce du pianiste/compositeur turc qui relate la répression qui s’était abattue sur de paisibles manifestants dans Gezi Park à Istanbul en 2013. Trois ans plus tard, le faux coup d’Etat manigancé par Erdogan résonnait tragiquement à nos oreilles.

Bref, jusqu’à la dernière minute, tous ont essayé de sauver l’essentiel de ce concert-fleuve,  même si la Sonate de Bartok pour deux pianos et percussions, annoncée dans les programmes, a dû passer à la trappe.

Et sans doute à cause de l’extrême tension de la journée, la soirée fut de celles qui s’inscrivent dans la mémoire des mélomanes et d’un festival.

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(Ferhan et Ferzan Önder, Alex Georgiev, Martin Grubinger junior et senior)

Entre deux démonstrations de virtuosité, l’ensemble Canticum Novum nous avait ramenés aux sources de la musique ottomane des XVIème et XVIIème siècles…IMG_3896L’actualité nous rattrapait aussi au dîner qui suivit le concert. Tandis que les trois percussionnistes rempaquetaient tout le matériel, les deux soeurs pianistes profitèrent de la douceur de la nuit montpelliéraine pour reprendre des forces. Ferzan me racontait qu’elle et son mari (Martin Grubinger) hébergeaient depuis plusieurs mois dans leur  maison des environs de Vienne, un réfugié syrien, qui s’était parfaitement intégré, était devenu en peu de temps un fameux cuisinier, mais demeurait séparé de sa femme et de ses enfants qui étaient toujours bloqués en Turquie. Cet homme charmant, devenu un ami du couple, ne convenant pas à la femme de ménage (autrichienne) de Ferzan, celle-ci refuse de le voir, de nettoyer sa chambre et ses affaires, parce que « vous comprenez Madame, mon mari est au chômage et je ne vois pas pourquoi on accueille des étrangers qui nous coûtent cher »…. C’est bien l’Autriche en effet qui a failli élire un président de la République d’extrême droite il y a quelques semaines…