Fraternité

Christian Merlin dans Le Figaro d’hier évoquait une Folle journée qui dure dix-sept jours. Bien vu ! Ce soir s’achève un marathon de 220 concerts et manifestations entamé le 9 juillet à Mende et on a bien l’impression que ce trentième anniversaire du festival* a été fêté partout et par tous. Il se conclut par la plus forte des proclamations : Alle Menschen werden Brüder. 

J’ai relu le texte original du poème de Schiller An die Freude (dont Beethoven n’a utilisé qu’une partie pour le dernier mouvement de sa IXème Symphonie) : Bettler werden Fürstenbrüder (Les mendiants deviendront frères des princes). Révolutionnaire non ? L’idéal des Lumières exalté dans cette vaste Ode à la fraternité de 1785.

Instantanés de ces derniers jours :

IMG_0115(Helium Brass à Perpignan le 12 juillet)IMG_0150(Les breakdancers de Star Cross’d Lovers de David Chalmin le 14 juillet)IMG_0187(The Amazing Keystone Big Band le 17 juillet au Domaine d’O)IMG_0215(Avec Paul Daniel le 20 juillet)IMG_0221 (Lucilla Galeazzi chante Naples le 22 juillet)IMG_0224(Le Trio Karénine le 22 juillet à Aigues-Mortes, et dès le dernier accord du trio op.63 de Schumann un rideau de pluie)IMG_0228 IMG_0236(François-Frédéric Guy impérial dans Beethoven le 23 juillet)IMG_0246(Résurrection de La Jacquerie de Lalo et Coquard avec une troupe de choc : Michel Tranchant chef de choeur, Nora Gubisch, Véronique Gens, Patrick Davin, Charles Castronovo, Boris PInkhasovitch, Jean-Sébastien Bou, Patrick Bolleire et Enguerrand de Hys le 24 juillet)

*Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon

Le choix du chef

A l’heure où j’écris ce billet, l’Orchestre philharmonique de Berlin n’a toujours pas de chef pour succéder à Simon Rattle en 2018. La grande affaire de ce lundi 11 mai était le « conclave » qui réunissait dans une église de Dahlem les 124 musiciens qui ont le droit de voter pour leur chef. Pas de fumée blanche à l’issue de plusieurs heures de réunion, et de plusieurs votes  on l’imagine.

Déjà lors des précédents épisodes de ce type, à la mort de Karajan, puis pour la succession d’Abbado, l’unanimité avait été loin d’être atteinte. Ni Claudio Abbado, après Karajan, ni Simon Rattle après Abbado n’avaient été choisis facilement. On se rappelle les blessures (d’amour-propre) de Maazel ou Barenboim qui s’y étaient préparés…en vain !

Les médias s’emparent de l’affaire comme s’il s’agissait de l’élection d’un pape ! On va même jusqu’à écrire que l’orchestre se retrouve sans chef…

Peut-on avancer deux ou trois réflexions politiquement pas très correctes ?

Un peu d’histoire d’abord.

Si Ansermet avec l’Orchestre de la Suisse Romande, Mravinski avec l’Orchestre philharmonique de Leningrad, Ormandy avec l’Orchestre de Philadelphie, ont laissé une trace cinquantenaire, si Karajan (élu « chef à vie ») s’est voué à Berlin pendant 34 ans (1955-1989), comme Zubin Mehta à Tel Aviv avec l’Orchestre philharmonique d’Israel depuis 1981, si James Levine est le patron du Metropolitan Opera de New York depuis 42 ans, si Ozawa a dirigé le Boston Symphony de 1973 à 2002, si Bernard Haitink a tenu les rênes du Concertgebouw d’Amsterdam pendant un quart de siècle, l’ère de ces longs règnes paraît bien révolue.

À Berlin justement, Claudio Abbado aura fait 13 ans (1989-2002), Simon Rattle 16 ans (2002-2018), l’un et l’autre auront connu autant de succès que de revers.

On dit à juste titre que Berlin est l’un des meilleurs orchestres du monde, mais cette qualité tient-elle à la personnalité qui le dirige ? Au risque de choquer, je réponds par la négative. La qualité d’un orchestre tient d’abord à son mode de recrutement, à son organisation, à l’exigence du groupe : la meilleure preuve en est le Philharmonique de Vienne, qui n’a pas de chef titulaire, et qui assure jalousement la formation, le recrutement et la carrière de ses musiciens ! Certes un grand chef impose une personnalité, un son, une identité à « son » orchestre surtout si le compagnonnage est d’une certaine durée.

Reprenons l’exemple de Berlin : on a longtemps loué (ou critiqué) le Karajan sound, ce fameux legato, cette somptuosité, cette onctuosité des cordes, et pour avoir eu la chance d’assister à quelques concerts « live », je peux témoigner qu’en concert on entendait vraiment l’orchestre comme au disque. Mais qu’on prenne d’autres enregistrements réalisés avec l’orchestre pendant l’ère Karajan, on n’entend pas le même son avec Böhm, Cluytens (l’intégrale des symphonies de Beethoven au début des années 60), Kubelik ou Maazel. Finalement tout ce que certains ont  reproché à Abbado ou Rattle – ils avaient abîmé, voire perdu ce fameux « son » berlinois ! –

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Chef permanent ou directeur musical ?

Les exemples cités plus haut sont ceux de patrons incontestés des phalanges qu’ils animaient, l’expression « chef permanent » avait tout son sens, même si ces grands chefs ne refusaient pas quelques invitations prestigieuses en dehors de leurs orchestres. Il y a belle lurette que l’expression est obsolète, et qu’on parle aujourd’hui de « directeur musical« .

Pourquoi cette évolution ? D’abord parce que plus aucun grand chef n’accepterait de se lier exclusivement à un orchestre… et qu’aucun orchestre ne supporterait plus de se retrouver semaine après semaine avec le même chef. Un directeur musical consacre en général de huit à douze semaines à « son » orchestre, indépendamment des disques et des tournées. Il ne cumule pas ou plus obligatoirement cette fonction avec celle de directeur artistique, autrement dit il n’est pas toujours l’unique responsable de la ligne artistique de l’orchestre.

Mais on continue à attribuer au chef/directeur musical un rôle, un pouvoir, une influence, qui ne correspondent plus à la réalité. Un orchestre vit, fonctionne, progresse grâce d’abord à la qualité de ses musiciens, à l’esprit collectif qui les anime, et bien sûr avec un management solide et compétent, sans lequel aucun chef, aussi prestigieux soit-il, ne peut exercer son art.

Il y a d’ailleurs un paradoxe étonnant : dans le domaine de l’opéra, on cite toujours l’intendant, le directeur, quand on évoque la Scala, le Met, l’Opéra de Paris (on parle de Rolf Liebermann, Hugues Gall, Gérard Mortier ou Stéphane Lissner), beaucoup plus rarement du directeur musical (même si, dans le cas de Paris, la personnalité de Philippe Jordan est incontestable). Dans le cas des orchestres, c’est le  contraire, comme si rien n’avait changé depuis le milieu du XXème siècle !

Faut-il un directeur musical ?

L’impasse dans laquelle se trouvent les Berliner Philharmoniker, qui ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un profil incontestable pour succéder à Simon Rattle, est finalement assez significative.

Qu’attend-on aujourd’hui d’un directeur musical ? Le prestige lié à une star de la baguette, mais y a-t-il encore des stars de la baguette, comme l’étaient des Karajan, Maazel et même Abbado ? Les noms qu’on cite encore ont tous dépassé largement la septantaine (Barenboim, Jansons, Muti, Haitink..).  Le renouveau, le dynamisme de la jeunesse, mais au risque de l’inexpérience, et d’une déception rapide ? Certes, la génération montante ne manque pas de grands talents (les Nézet-Séguin, Bringuier, Nelsons, Dudamel, Afkham, Heras Casado, Denève, Petrenko (les deux, Kirill et Vassily), liste non exhaustive) qui sont sollicités partout, par tous les orchestres, au risque de n’avoir pas le temps de creuser leur sillon et de se forger une personnalité. Et la question qui fâche : quand l’une de ces jeunes baguettes arrive devant une phalange comme Berlin, qui dirige vraiment ? Le chef… ou l’orchestre ?

Pour répondre à la question posée en tête de ce paragraphe, je ne pense pas que des formations comme Berlin aient aujourd’hui réellement besoin d’un « directeur musical ». Pourquoi pas un nombre restreint d’invités privilégiés, qui couvrent de vastes répertoires et permettent des approches différentes. Ceux qui en pincent pour Thielemann et une certaine « tradition » germanique comme ceux qui ont apprécié les aventures de Rattle en terrain baroque, ceux qui aiment l’enthousiasme communicatif de Dudamel ou le panache de Nelsons y trouveraient tous leur compte.

Mais la question ne se limite pas à Berlin évidemment. Elle est pendante en France, à l’Orchestre de Paris (que Paavo Järvi quitte l’an prochain) où l’annonce d’un successeur se fait toujours attendre, ou à l’Orchestre National de France, où une réflexion a été entamée sans précipitation (et indépendamment des soubresauts de ces dernières semaines). Une chose est certaine pour ce dernier, il ne manque pas de très bons chefs, français notamment, pour le diriger, et l’histoire octogénaire de l’orchestre nous rappelle qu’on doit ses grandes et riches heures à des chefs… qui n’avaient ni le titre ni la responsabilité de directeur musical (Munch, Celibidache, Bernstein, Muti, même Maazel ne fut longtemps que « premier chef invité »), comme en témoigne l’indispensable coffret édité par Radio France et l’INA.

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William et Mathilde

On se rappelle l’aubaine, pour les programmateurs et les maisons de disques : 2013 marquait le bicentenaire de la naissance des deux monstres sacrés qui se sont partagés l’Europe lyrique du XIXème siècle, Verdi et Wagner.

Le hasard a voulu que j’entende cette semaine deux de mes ouvrages préférés de l’un et de l’autre. D’abord lundi soir, au théâtre des Champs-Elysées, Macbeth et hier à Montpellier l’unique cycle de mélodies de Wagner, ses Wesendonck-Lieder. Macbeth c’est d’abord un coup de coeur au disque et c’est, pour moi, plutôt une rareté à la scène, il y a longtemps à Genève (ou à Paris) je crois, plus récemment, le 28 décembre 2013 à Saint-Petersbourg, un souvenir extraordinaire : un cast exclusivement russe (Vladislas Slunimsky en Macbeth, Tatiana Serjan en Lady Macbeth, Evgueni Nikitin en Banquo, et surtout les forces orchestrales et chorales déchaînées par le démiurge Valery Gergiev et une mise en scène d’une grande beauté de David McVicar. La production du Théâtre des Champs-Elysées a beaucoup d’atouts (mais compte-tenu des protagonistes, le devoir de réserve m’impose de ne pas émettre d’avis !).

C’est à l’évidence un opéra atypique dans l’oeuvre de Verdi, puisqu’il suit de près l’ouvrage de Shakespeare. Deux rôles écrasants, le couple Macbeth, surtout elle, il faut une voix grande, large, puissante mais subtile (comme Abigaille dans Nabucco), le reste des comparses ne faisant que des apparitions, un seul air de ténor (celui de Macduff) mais valant à son interprète toutes les ovations.

https://www.youtube.com/watch?v=Bf3auny7u0Y

Comme toujours chez Verdi, le baryton se taille la part du roi, ici le sublime Renato Bruson, qui est l’atout maître de la version Sinopoli 51erK6vCLAL._SX425_

On a toujours considéré que la version d’Abbado était une référence. 41SBN2GRJBL

Sans doute pour la Lady Macbeth de Shirley Verrett dont c’était une grande incarnation, et le timbre rayonnant de Piero Cappuccilli mais comme souvent chez Abbado, je suis en manque de fougue, de théâtre, de sens dramatique…

Ma version de chevet, même imparfaite, c’est Riccardo Muti, pour l’impact dramatique,la vision, l’ensemble; 81HnyH3gQJL._SX425_

Changement de registre, un Wagner plus amoureux qu’héroïque, avec ce cycle de mélodies sur des poèmes de Mathilde Wesendonckhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Wesendonck-Lieder), dans la version orchestrale due à Felix Mottl (qui pourrait être de la plume de Wagner).

A Montpellier, ces Wesendonck étaient couplés au Château de Barbe-Bleue de Bartok, dans une mise en espace et en lumière de Jean-Paul Scarpitta. Couplage audacieux.

Encore un « rôle » exigeant une tessiture large, de la puissance et de la douceur. On a naguère invité Nora Gubisch à Liège qui donnait une intensité charnelle à ces poèmes, on a entendu hier soir Angela Denoke, timbre ample, pulpeux, épanoui, qui ne m’a jamais déçu.

Un peu compliqué au disque : je n’accroche pas vraiment aux « spécialistes » wagnériennes comme Flagstad, Nilsson ou Varnay. Découverte sur le tard, ma version n°1 est celle d’Eileen Farrell.. et Leonard Bernstein, un couple plutôt inattendu surtout dans Wagner ! Magnifique… 51eP0bJSeRL

Mais j’ai grandi avec Jessye Norman et Colin Davis. 516UIygeP2L

Et bien sûr on ne peut passer à côté de la récente et inattendue version masculine de Jonas Kaufmann https://www.youtube.com/watch?v=2HgPlGxeyYg 71QmalNmmAL._SL1086_

Notes d’Arménie

Les commémorations du centenaire du premier génocide du XXème siècle, celui qui a décimé une grande part du peuple arménien, ont au moins permis de rappeler à nos mémoires bien oublieuses que l’extermination de masse n’a pas commencé – et ne n’est pas terminée – avec Hitler et le nazisme.

Le plus étonnant, le plus navrant, est qu’on n’ose pas encore, dans certains pays, et pas des moindres, reconnaître cette monstruosité, au motif qu’on ne doit pas mécontenter la Turquie, dont chacun peut observer l’intense respect de la démocratie qui anime ses dirigeants actuels.

Qu’en est-il de la musique arménienne, de ses créateurs, compositeurs, interprètes ?

On a lu le beau papier consacré par Le Monde à l’ami Alain Altinoglu (http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/04/18/alain-altinoglu-revient-sur-son-passe-armenien_4618467_3246.html?xtmc=altinoglu&xtcr=1). On se rappelle l’émotion partagée avec un autre chef d’orchestre, George Pehlivanian, lauréat du Concours de Besançon en 1991, qui se vit aussitôt invité et reçu en héros à Erevan, capitale d’une Arménie à peine sortie de l’Union Soviétique, où tout manquait, nourriture, électricité, et où, pour fêter le premier Arménien à avoir gagné un aussi prestigieux concours, on illumina la salle de concert, on rameuta tous les musiciens présents. George de retour me montra la vidéo d’une Symphonie fantastique qui n’avait jamais si bien porté son nom. Le même George Pehlivanian dirige ce dimanche à Bruxelles un concert-fleuve d’hommage à la mère-patrie de ses ancêtres

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On ne va pas dresser ici la liste prestigieuse de ces musiciens qui n’ont jamais oublié leur histoire, l’histoire de leur peuple, et qui l’ont au contraire honorée.

Du côté des compositeurs, la figure de proue est évidemment Aram Khatchatourian (1903-1978), regardé le plus souvent en Occident avec ce dédain condescendant qu’on réserve aux compositeurs « folkloristes ». Sauf que son oeuvre ne se réduit pas à La danse du sabre ou à la valse de Mascarade. Les auditeurs de Liège ont pu s’en apercevoir en mars dernier lorsque George Pehlivanian précisément dirigea la monumentale 3e symphonie avec orgue de Khatchatourian, écrite en 1947, tout emplie des fureurs de la guerre. L’orchestre philharmonique de Vienne ne fut pas moins surpris de découvrir et d’enregistrer, en 1962, sous la direction du compositeur, sa 2e symphonie, datant de 1943, « Le tocsin » qui n’eut pas tout à fait la même célébrité que la 7e symphonie de son contemporain Chostakovitch

Les partitions les plus authentiques, celles qui rattachent Khatchatourian à ses racines arméniennes, sont sans aucun doute ses ballets, notamment Gayaneh. 

Petite collection personnelle d’enregistrements indispensables :

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Bien évidemment la musique arménienne ne se réduit pas à cette seule figure. Il faut citer celui qui en a été le héros autant que le héraut, Komitas (http://fr.wikipedia.org/wiki/Komitas), il faudrait rendre hommage à tous ceux, toutes celles  surtout qui ont assuré la transmission orale du patrimoine musical traditionnel millénaire de l’Arménie.

https://www.youtube.com/watch?v=lAfZZyWUFZQ&list=PL41EA625F972FC539

On aime aussi ce disque tout récent, qui montre de nouveaux visages de l’Arménie musicale.

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Premières

Trois premières très différentes cette semaine.

Lundi soir au Châtelet l’un des films les plus originaux de Marcel L’Herbier, magnifiquement restauré, L’Inhumaine, de 1924.

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Une restauration parfaite à voir le 4 mai prochain sur Arte. Explications de Serge Bromberg :

Pour cette nouvelle restauration, Lobster Films a pu reprendre le travail depuis les négatifs originaux nitrate encore en bon état grâce au matériel conservés par le CNC.
Ces éléments ont été scannés en 4K sur le Nitroscan des laboratoires Eclair, et la restauration numérique a été effectuée aux laboratoires Lobster Films en 2014. 
Mais outre la qualité d’image absolument lumineuse de cette nouvelle restauration, c’est la restitution des teintes qui permet de découvrir enfin L’Inhumaine telle que Marcel L’Herbier l’avait imaginée. En effet, l’usage était de monter le négatif des films dans l’ordre des teintes. Sur une même bobine se trouvent assemblés bout à bout tous les éléments teintés bleus, sur une autre les éléments teintés verts, ou jaune, ou rouge. 
Ainsi, en remettant dans l’ordre ces plans filmés en noir et blanc et en suivant les indications précieuses écrites à l’encre directement sur la pellicule – indications ne figurant pas sur l’interpositif des années 1970 – ce sont bien les teintes d’origine qui son reconstituées pour chaque plan. Certaines chutes de montage donnent également des indications de teintages et de virages authentiques, et datant de l’époque. 
La remise dans l’ordre de ces plans après teintage révèle l’œuvre au plus proche de ce qui fut montré pour la première fois, éclatante de précision, de beauté formelle et véritable feu d’artifice hypnotique de teintages et de virages. Quant au problème de l’intensité des teintes et de l’insertion des flashes de couleurs pures dans le montage final très rythmé, il a pu enfin être résolu grâce aux nouvelles technologies de restauration numérique.
Une résurrection…

Le film était accompagné par une création musicale du percussionniste Aidje Tafial pour ensemble instrumental, en partie inspirée des partitions que Darius Milhaud avait composées pour deux séquences majeures du film. Indépendamment de la qualité des interprètes, la musique peinait à se renouveler, donnant un sentiment de monotonie paradoxal pour un film aussi audacieux dans le propos, les décors, les situations…

Mardi c’était la première de Penthesilea, le septième opéra de Pascal Dusapin, à La Monnaie de Bruxelles. 

Une heure et demie de musique âpre, sombre, extrêmement prenante – c’est la marque du compositeur – qui vous empoigne et ne vous lâche plus jusqu’au terme de l’oeuvre.

“Dévorée par la passion, rongée par le devoir, affamée par le désir” : telle est Penthésilée, la reine des Amazones, face au guerrier grec Achille qu’elle affronte durant la guerre de Troie. Mais comment traiter de la démesure en évitant le piège de la surenchère illustrative ? C’est à ce dilemme que répond magistralement Pascal Dusapin en composant son septième opéra, Penthesilea, une commande de la Monnaie de Bruxelles, sur l’un des mythes les plus terrifiants de la Grèce antique qui relate la mort d’Achille, tué et dévoré par celle qu’il aime, Penthésilée.
Peu d’auteurs se sont risqués à l’approcher et, quand ils l’ont fait, c’était au risque d’une réprobation générale. Lorsque Heinrich von Kleist s’empare du sujet pour écrire une pièce de théâtre en 1807, celle-ci fait scandale, ne sera jamais publiée de son vivant et devra attendre le XXe siècle avant d’être montée (Fabienne Arvers, Les Inrocks)

Deux jours plus tard, contraste total avec une autre première (pour moi), Le Pré aux Clercs, l’un de ces nombreux opéras français du début du XIXème siècle, dû à Ferdinand Hérold, qui remporta un succès immédiat à sa création en décembre 1832 à l’Opéra-Comique qui le proposait dans une nouvelle production mise en scène avec autant d’efficacité que de sobriété par Eric Ruf, bien dirigée par Paul McCreesh à la tête de l’orchestre Gulbenkian, dans des costumes « d’époque » superbes.

Modèle des Huguenots de Meyerbeer, inspiré de l’unique roman de Mérimée et du style troubadour, c’est l’ouvrage qui, quoiqu’ayant causé la mort de son compositeur, resta le plus longtemps au répertoire de l’Opéra Comique, avec plus de 1600 représentations jusqu’en 1949 !

Distribution de belle qualité, presque entièrement francophone, mention spéciale pour Michael Spyres, Eric Huchet, Marie Lenormand, Jael Azzaretti, Emiliano Gonzalez Toro.

Malheureusement il faudra attendre la publication en CD prévue par le Palazzetto Bru Zane pour se remettre l’ouvrage dans l’oreille, France Musique n’ayant pu capter l’ouvrage pour cause de grève.

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Max ressuscité

Marc Vignal me l’avait soufflé à l’oreille, comme on file un bon tuyau à un copain, Marc Vignal l’auteur, entre autres, d’une imposante monographie consacrée à Haydn : « Si tu trouves des enregistrements de Max Goberman, précipite-toi dessus ». 513JQ65Y8HL

En 1989, pendant une tournée de l’Orchestre de la Suisse Romande aux Etats-Unis et une étape dans la ville universitaire d’Ann Arbor, j’avais trouvé quantité de microsillons dans une véritable caverne d’Ali Baba, dont un 33 tours sous label Odyssey de symphonies de Haydn dirigées par ce fameux Max Goberman. 33 tours précieusement conservé jusqu’à ce jour, puisque je n’avais plus jamais retrouvé en CD quoi que ce soit de ce chef (http://www.haydnhouse.com/max_goberman.htm) Et voilà que Sony réédite un coffret miraculeux de 14 CD : 71XXtF28F5L._SL1500_ 45 symphonies et 3 ouvertures de Haydn captées dans une lumineuse stéréo à Vienne entre 1960 et 1962 avec l’orchestre « de l’opéra de Vienne », autrement dit l’Orchestre philharmonique de Vienne. Un projet d’intégrale des symphonies de Haydn – c’eût été la première gravée, bien avant celle de Dorati – interrompu par le décès brutal du chef en 1962. Extraordinaire parcours pour ce chef américain né en 1911 à Philadelphie, qui mêlait avec un bonheur apparemment égal Broadway, Bernstein et Bach, Vivaldi ou Haydn…comme son plus illustre contemporain, un certain Leonard Bernstein (http://en.wikipedia.org/wiki/Max_Goberman) Max_Gobermansm https://www.youtube.com/watch?v=-tQI0Oe5AL0 Où l’on découvre qu’il y eut des précurseurs, des aventuriers, des audacieux, bien avant Harnoncourt, Gardiner ou Brüggen…

René, Judi et les deux François

Vingt ans après, quel contraste ! En débarquant à la gare de Nantes ce vendredi midi, des panneaux, des oriflammes partout, nul ne pouvait ignorer que France Musique était à la Folle Journée, les photos des producteurs/animateurs présents sur place ce week-end…

Après le succès, inattendu, incompréhensible pour les Parisiens engoncés dans leurs certitudes, de la première Folle journée consacrée à Mozart, titre oblige, j’avais dû batailler pour que quelques micros de France Musique viennent se poser à la toute nouvelle Cité des Congrès de Nantes en 1996. Suivant en cela la même démarche que l’initiateur de cette manifestation, René Martin (l’homme de La Roque d’Anthéron, de la Grange de Meslay, et de tant d’autres initiatives qui ont révolutionné l’approche de la musique classique). Se rapprocher des publics, leur ouvrir la porte de la musique classique..

folle_journee(©Guillaume Decalf / France Musique)

On peut discuter de ce qu’est devenue cette petite entreprise devenue si grande qu’elle s’exporte désormais dans le monde entier. Il n’empêche, c’est à des précurseurs comme René qu’on doit cette certitude que la musique peut conquérir le coeur et susciter les passions des publics les plus larges.

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Dans le train de retour vers Paris hier – faute de connexion internet impossible de travailler – j’ai fini par regarder un film que j’avais téléchargé depuis plusieurs semaines, Philomena de Stephen Frears.

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Synopsis du film et trame de l’ouvrage éponyme de Martin Sixsmith.

Irlande, 1952 : Philomena Lee, encore adolescente, tombe enceinte. Considérée comme une « femme déchue », elle est envoyée au couvent, et son fils lui est retiré. 
50 ans plus tard, elle va solliciter l’aide de Martin Sixsmith, journaliste désabusé et cynique pour tenter de le retrouver. Ensemble, ils partent pour l’Amérique où ils tisseront une relation à la fois drôle et profondément émouvante.

Comment dire ? Bien sûr, il y a la patte de Stephen Frears (The Queen), mais le sujet de fond, le scandale absolu de ces enfants irlandais, arrachés à leurs mères, vendus, exportés en Amérique est à peine abordé… Il faut toute la simplicité, l’humanité de Judi Dench pour que l’histoire ne sombre pas dans le mélo.

Ce samedi soir, changement de registre. Au Théâtre du Rond-Point, où il fait toujours aussi bon venir, le cher François Morel dans son nouvel opus « La fin du monde est pour dimanche ». 20120110183042-d0e7a1e1

http://www.theatredurondpoint.fr/saison/fiche_spectacle.cfm/183770-la-fin-du-monde-est-pour-dimanche.html

Du pur François Morel, poésie, douce ironie, un peu de Raymond Devos, une heure et demie de bonheur.

Et à 21 h tapantes, pendant que les derniers spectateurs finissent de s’installer, un autre François, guidé par le maître des lieux, Jean-Michel Ribes, applaudi par la salle, s’assied un rang devant nous…

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Personnalité(s)

La disparition de José Artur le 24 janvier dernier a suscité le même type d’éloges et de commentaires que ceux qui avaient suivi la mort de Jacques Chancel un mois plus tôt (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/01/25/lhomme-qui-aimait-les-autres/). Tout le monde a loué des voix uniques, des caractères bien trempés, bref, de fortes personnalités. Pourquoi devoir parler de « fortes » personnalités d’ailleurs, comme si c’était une espèce en voie de disparition !

Avoir une personnalité, du caractère, semble presque incongru, dans un univers où la conformité, le consensus, l’uniformité font loi. Dans le monde des médias, comme en politique. Et on admire Chancel, Artur, Pivot parce qu’ils osaient juste être eux-mêmes, sans se soucier de leur image, de leur paraître.

En musique, on vit aussi cette sorte d’affadissement, chez les créateurs comme chez les interprètes. Il reste heureusement – et on les y encourage – de ces personnalités qui n’existent pas en fonction du regard des autres et d’une opinion publique censée être homogène et unanime. On en a eu deux très beaux exemples, très différents, en ce début de semaine.

Gustavo Dudamel (photo ci-dessous) était pour le week-end à la Philharmonie de Paris avec son orchestre Simon Bolivar du Venezuela. Je suis loin d’aimer tout ce que fait ce jeune chef, on peut ergoter sur ses disques, son approche de Mahler, Beethoven ou Brahms, je ne sais pas si la 5e symphonie de Mahler qu’il dirigeait dimanche est conforme au droit canon des mahlériens patentés, mais Dudamel a ceci de différent de ses confrères, qu’il est une star, qu’il a une présence, une aura, un charisme qui ne sont qu’à peu d’interprètes. Bref c’est une personnalité !

Lundi c’était la première française du Concerto pour violon de Pascal Dusapin (ci-dessous), toujours à la Philharmonie. Qui nierait au compositeur – bientôt sexagénaire sous son allure juvénile – une place singulière dans le paysage musical mondial ? Dusapin n’est pas consensuel, ni conforme, il met même quelque volupté à se distinguer des courants dominants. Et nul parmi les milliers d’auditeurs qui ont réservé une longue ovation à l’interprète (Renaud Capuçon) et au compositeur, et qui n’appartiennent pas, loin s’en faut, au public initié à la musique contemporaine, n’a douté une seconde d’avoir assisté ce soir-là à l’éclosion d’un chef-d’oeuvre.

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La culture joyeuse

Guère plus qu’une coïncidence : ma semaine a été rythmée par deux initiales, J.C., communes à un ancien Président de la République et à un producteur de radio et de télévision disparu le 23 décembre dernier. Jacques Chirac et Jacques Chancel. Ce livre d’abord d’une journaliste du Monde, Béatrice Gurrey : Unknown

On sait bien que pour vendre il faut des titres racoleurs, sauf qu’en l’espèce celui-ci est inutile et réducteur. Le travail de Béatrice Gurrey vaut mieux que cela : c’est le crépuscule d’un personnage finalement singulier de la politique française, et c’est, en effet, toute une famille – mais est-ce un « clan » ? – tout aussi particulière, passée au crible d’une plume pertinente, informée, jamais complice, souvent bienveillante. Pour qui suit de près la vie politique on n’apprend rien d’essentiel, en revanche, la dimension humaine, la solitude, l’éloignement, la maladie, les revanches de l’entourage, sont décrits avec une justesse qui éclaire l’après-pouvoir, Des recoins souvent mal explorés de la comédie humaine.

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Et puis l’autre J.C., Jacques Chancel, c’était l’émission d’hommage voulue par France Télévisions et Radio France pour l’irremplaçable passeur de culture, diffusée ce vendredi sur France 2 et France Inter, et enregistrée mercredi soir à La Plaine Saint Denis, sur un plateau qui fut, entre autres, celui du Grand Echiquier.

http://www.france2.fr/emissions/le-grand-echiquier-l-emission-culte

En dix jours, et alors même que la terrible semaine des attentats nous avait mobilisés pour la grande soirée #SoiréeJeSuisCharlie du 11 janvier, nous sommes parvenus à monter tout un plateau d’artistes, de compagnons de route de Jacques Chancel, mais aussi de jeunes talents qu’il aimait suivre, En revoyant quelques séquences, pour certaines devenues culte, du Grand Echiquier on ne cesse de mesurer ce qu’a été, ce que devrait encore être une émission culturelle ET populaire,

C’est sans doute cela la plus belle part d’héritage de Jacques : le partage d’une culture joyeuse, sans apprêt, sans artifice. http://https://www.youtube.com/watch?v=bEEuJF3ZUzM Un regret évidemment, la diffusion tardive de cette émission d’hommage, alors que la réussite du Grand Echiquier tenait aussi à sa diffusion en prime time… 

Parasites

Comme auditeur de musique, je n’ai jamais été un puriste, un fanatique de haute-fidélité ou d’appareils dernier cri. Sans doute parce que je préfère la vie à la perfection technique, la rumeur du concert au silence glacé d’une chaîne hi-fi.

En revanche, je fais attention au matériel que j’utilise en écoute ambulatoire – c’est comme cela que disent les spécialistes ! – dans ma voiture ou au casque. Pas de publicité ici mais je suis abonné depuis longtemps à une marque américaine spécialiste de la spatialisation du son.

Et on entend parfois, souvent même, de drôles de choses au casque, toutes sortes de bruits parasites, même dans des enregistrements dits « de studio », donc sans public. Loin de me gêner, ces bruits sont comme des restitutions de moments de vie, échappés aux ciseaux du montage, et donnent une proximité parfois indiscrète avec l’interprète.

Quelques exemples :

Ayant acheté mon premier lecteur de CD aux Etats-Unis en 1989, et quelques enregistrements de mon cher Thomas Beecham – c’était encore l’époque des immenses magasins Tower Records dans chaque ville importante – j’écoute au calme, et au casque, dans ma chambre d’hôtel la Symphonie fantastique gravée par le chef anglais, dans une superbe stéréo, avec l’Orchestre National. Peu après le début du 2e mouvement « Un bal« , j’entends un téléphone sonner, j’ôte mon casque, décroche le combiné de ma chambre. Personne. Je recommence trois fois l’écoute du mouvement, et à chaque fois, je suis interrompu par une sonnerie…Je finis par comprendre que c’est celle d’un téléphone indiscret d’une pièce voisine du studio d’enregistrement… que le monteur n’a pas entendu ou a négligé d’enlever. Allô ! ici Hector….

Je n’ai pas vérifié dans les éditions ultérieures si l’on avait ou non corrigé ce bruit original !

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Autre spécialité assez répandue, surtout chez les pianistes vieillissants, les bruits d’ongles sur les touches du clavier ! Recordman toutes catégories : Claudio Arrau. On se demande si les ingénieurs du son de Philips ont fait semblant de ne pas entendre ou s’ils n’ont pas osé demander au vieux maître chilien de se couper les ongles ! Idem dans certaines captations de Sviatoslav Richter.

Evidemment Glenn Gould a donné le ton, quasiment impossible d’entendre seulement le piano sans un « accompagnement » vocal plus ou moins accordé…

Chez les violonistes, c’est la respiration qui s’invite, parfois peu discrète, mais toujours à l’unisson du jeu de l’interprète, comme le prolongeant, lui faisant écho. Particulièrement sensible dans les pièces pour violon seul (Bach, Paganini, Bartok). Cela ne vaut que pour des enregistrements anciens, malheureusement on fait disparaître cela au montage dans les CD récents (comme ce beau coffret de Tedi Papavrami)

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Les pianistes et les violonistes ne sont pas les seuls à… s’exprimer de la sorte, certains chefs d’orchestre n’échappent pas à cette forme particulière d’expression. Charles Munch était, semble-t-il, coutumier de certains rugissements, Armin Jordan – que j’ai mieux connu et de plus près – ahanait et soufflait, dans le feu de l’action, et les preneurs de son de la radio suisse romande ou d’Erato avaient parfois du mal à masquer cet enthousiasme. Dans certains disques, en dressant l’oreille, on parvient à entendre ces émissions si caractéristiques du grand chef suisse, ce qui nous le rend plus proche encore si c’est possible.

Rien de tel n’est audible dans le 4e mouvement de la 4e symphonie de Mahler, « Das himmlische Leben / La vie céleste », qu’Armin Jordan dirigea en mai 2006 à Liège, quatre mois avant sa mort…

En revanche, beaucoup de bruits de podium, de chaises, de plancher, de pupitres dans les prises de son très spectaculaires (et très proches) qui étaient la marque des labels américains dans les grandes années de la stéréo triomphante (fin des années 50 et 60). C’est très sensible dans les prises de Bernstein à New York, mais personnellement j’adore  ce qui ajoute encore au frémissement du moment, à l’engagement physique du chef… On est très gâtés en ce moment avec les imposantes rééditions du considérable legs discographique du compositeur/chef américain.

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Et parfois même chez un perfectionniste comme Karajan, on entend de bien étranges choses : enregistrements faits trop vite ? erreurs de montage ? Ainsi dans un CD plutôt lourdingue d’ouvertures d’Offenbach, le rare Vert-Vert, avec un beau cafouillage rythmique que personne n’a corrigé. Une explication dans ce documentaire ?

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