L’aventure France Musique (II) : L’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes

Comme promis suite du premier volet : Il y a vingt-cinq ans : l’aventure France Musique (I).

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Du changement du côté de la direction

Auprès de Claude Samuel, un changement important s’est opéré en cette rentrée 1993: son adjoint à la Direction de la musique, Stéphane Martin – croisé brièvement à Aix-en-Provence en juillet – quitte Radio France pour être bientôt le directeur de la musique du Ministère de la Culture (un poste occupé jadis par Maurice Fleuret, le véritable créateur de la Fête de la Musique auprès de Jack Lang). Stéphane Martin deviendra, en 1998, l’inamovible patron du Musée du quai Branly à la demande de Jacques Chirac. Il est remplacé, auprès de Claude Samuel, par Olivier Morel-Marogerqui devient vite un complice et un ami et qui sera mon lointain successeur à la direction de France Musique (de 2011 à 2014).

Les producteurs et les équipes de France Musique commencent à rentrer, la plupart sont curieux de découvrir cet inconnu nommé « Délégué aux programmes » (un titre tellement incompréhensible que le successeur de Jean Maheu à la présidence de Radio France, Michel Boyon, me renommera « directeur délégué de France Musique… et des programmes musicaux de Radio France » !).

Hypothèses et rumeurs

Certains de ceux que j’ai connus lors de la journée commune F.M./Espace 2 (cf.  L’aventure France Musiquese réjouissent de mon arrivée, à laquelle, me confient certains, ils ne seraient pas étrangers. M’ayant fait comprendre ce que je leur dois, ils comptent sur moi pour changer les choses… pour les autres, préserver voire augmenter leur pré-carré, égratignant l’équipe sortante et surtout Claude Samuel… dont je dois me méfier !!

En réalité, ils ne comprennent pas pourquoi j’ai été nommé, pourquoi moi… et comme il faut bien inventer une explication quand les faits sont trop simples, j’apprendrai quelques semaines plus tard que j’ai été poussé là par le ministre RPR de la Culture d’alors, Jacques Toubon – d’ailleurs tout le monde sait que je suis RPR !! (lire sur mon passé « politique » Les années Bosson) – pour contrebalancer l’influence de Claude Samuel réputé de gauche. Evidemment je n’ai jamais rencontré Toubon auparavant, encore moins bénéficié de l’appui de quiconque au gouvernement ou dans un parti. Le seul ami que j’ai, dans le gouvernement d’Edouard Balladur, est le maire centriste d’Annecy, Bernard Bossonministre de l’Equipement, des Transports et du Tourisme, avec qui je suis en froid depuis quelques mois, et à qui j’apprendrai ma nomination, une fois installé à Paris…

Je suis trop attaché à ma liberté, à mon indépendance, pour ne jamais avoir dépendu, dans ma vie professionnelle comme dans mon activité publique, de quelque « piston », réseau, obligation que ce soit. J’ai parfois payé le prix de cette indépendance – le chômage, l’incertitude, la défaite électorale – mais je ne l’ai jamais regretté.

Première visite des studios

L’une des premières choses que je demande à faire, dès mon arrivée dans la Maison ronde, est de visiter les studios de la chaîne. Il y a 25 ans, ceux-ci ne sont pas, comme aujourd’hui, installés au coeur des chaînes, mais dans ce qu’on appelle encore « la petite couronne », autrement dit dans l’espace situé entre la maison ronde telle que tout le monde la connaît de l’extérieur, et la tour centrale. Double explication : l’isolation phonique – puisque pas de contact avec l’environnement urbain – et les impératifs de Défense nationale !

Je « descends » donc – comme je le ferai quasi quotidiennement, week-ends compris, pendant près de six ans – voir les studios où se déroule l’essentiel des émissions de France Musique. Je salue les présents – je mettrai un peu de temps à comprendre les fonctions réelles de ceux que je croise, « chef de cabine », « chargé de réalisation », speaker ou speakerine, chargé(e) du relevé des droits d’auteur, technicien(ne)s, assistant(e)s de production. Bref, rien que de très normal pour un patron de chaîne ! J’apprendrai avec surprise – la rumeur court vite dans les couloirs circulaires de la Maison ronde ! – que j’ai fait très fort avec cette simple visite : mes prédécesseurs ne descendaient jamais en studio !

L’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes

Début septembre, j’ai suggéré à Claude Samuel – qui n’est pas très chaud – une rencontre entre lui, les producteurs de France Musique et du programme musical de France Culture (je reviendrai plus tard sur cet étrange « état dans l’Etat ») et moi, histoire de faire les présentations, d’expliquer un peu comment nous allons travailler et avec quels objectifs. Là encore, je découvrirai que ce genre de rencontre collective est une première (sauf par temps de grève !)

L’assemblée est nombreuse, intimidante.. et intimidée. Il faut un peu de temps pour que les questions sortent, on n’est jamais trop prudent surtout face à une nouvelle direction qui pourrait prendre ombrage de certaines impertinences. Mais en filigrane, on comprend bien que les producteurs veulent savoir ce qui va changer, puisque le directeur de la musique – qui a la tutelle des chaînes – n’a pas changé. Je m’entends répondre – ce que je pense vraiment – que :

  • si Claude Samuel a fait appel à moi, c’est peut-être parce que je peux apporter une expérience, des idées, une perspective
  • mais qu’il ne saurait y avoir, entre lui et moi, plus que « l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes ».

On me reprochera souvent cette remarque. Comme si, dans une équipe, on avait une chance quelconque de faire évoluer les situations, de faire bouger les choses, dans un conflit ouvert, public, entre numéro 1 et numéro 2.  Toute mon expérience – même si je n’ai que 37 ans lorsque je prends mes fonctions – tant professionnelle, à la Radio suisse romande, que politique, comme Maire-Adjoint de Thonon-les-Bains, me dit qu’il n’y a pas d’autre voie que la force de persuasion, le pouvoir de conviction qu’on exprime dans une équipe et qui emporte – ou non – l’adhésion à une idée, un projet, un changement.

En tout cas, en cette rentrée 1993, je n’ai pas le sentiment de commencer une course d’obstacles, même si je percevrai vite l’incroyable lourdeur de l’organisation d’une Maison qui tient plus d’une administration de type soviétique que d’une entreprise de médias. Et je ne tarderai pas à croiser de fortes têtes. Portraits pour bientôt…

 

 

 

 

Une fête de la musique

Pas question de relancer le débat sur l’utilité, les modalités, les dévoiements de l’idée lancée par Maurice Fleuret, le directeur de la musique du Ministère de la Culture en 1981.

La Fête de la Musique existe, et dans le monde entier. Et chacun la vit comme il l’entend. J’ai quelques raisons d’aimer la proposition de Liège (http://www.oprl.be/news-article.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=18&tx_ttnews%5Btt_news%5D=2059&cHash=cddfebf918)

Mais tout occupé à l’édition 2015 de Montpellier (http://www.festivalradiofrancemontpellier.com), j’ai failli rater une soirée que je ne pouvais pas manquer : la première rencontre entre la pianiste Beatrice Rana et le quatuor Modigliani dans le cadre du 35e Festival d’Auvers sur Oise. Hier soir dans la petite église rendue célèbre par Van Gogh.

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Ma fête de la musique à moi ! Bonheur à l’état pur : j’avais déjà entendu les Modigliani, je les avais invités à Liège en février 2012 (le quatuor de Debussy), mais hier soir menu de fête, l’un de mes quatuors favoris de Mozart, le Köchel* 421 en ré mineur, et le célèbre 12e quatuor dit « Américain » de Dvořák. Il faut un peu de culot, de la part des organisateurs comme des interprètes, pour aligner deux pareils chefs-d’oeuvre dans une première partie de concert. Tout ce qu’on avait envie d’entendre, on l’a eu : tendresse, douceur même, entente fusionnelle dans Mozart, fougue, liberté, romantisme slave assumé dans Dvořák. 

En seconde partie, comme si nous n’étions pas déjà rassasiés, le quintette pour piano et cordes de Schumann – on manque de superlatifs pour le qualifier ! et l’entrée en lice de Beatrice Rana, une musicienne de 22 ans dont j’ai déjà dit et écrit qu’elle a déjà tout ce qui fait d’elle une grande, une très grande artiste. Qui n’a besoin ni d’esbroufe ni de look savamment étudié pour imposer une présence. Au début du Schumann, on la trouvait presque effacée, trop discrète, face à ses compères du Modigliani, et puis on a vite compris que, mine de rien, c’est elle qui menait le train de ces quatre mouvements sublimes et suspendus de musique pure.

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On se dit qu’un éditeur serait bien inspiré d’enregistrer ces cinq là…

En attendant, retour à deux références :

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*Köchel : nom du musicologue qui a, le premier, établi le catalogue (Verzeichnis) des oeuvres de Mozart https://fr.wikipedia.org/wiki/Catalogue_Köchel