Légendaires (suite)

Le label allemand Orfeo publie, à l’occasion de son quarantième anniversaire, une série de coffrets dont le titre est sujet à caution, comme je l’ai évoqué le 24 octobre dernier : lire Légendaires. Après les Legendary Voices, les Legendary Conductors, j’ai enfin reçu le troisième coffret consacré aux pianistes.

Plus encore que pour les chefs et les chanteurs/chanteuses la notion de « légendaire » est contestable pour des artistes en pleine activité (Konstantin Lifschitz a 43 ans !), ou dont la notoriété est restée limitée, comme Carl Seeman (1910-1983) ou Oleg Maisenberg, même si les prestations des uns et des autres sont loin d’être inintéressantes.

Géza Anda (1921-1976), est mort emporté par un cancer à 54 ans. Dans ces deux témoignages en concert, il est à son acmé, dans Brahms bien sûr – ce 2ème concerto qu’il a souvent donné et enregistré plusieurs fois, notamment avec Karajan. Il est plus rare, au disque, dans les concertos de Beethoven.

Rien de neuf non plus du côté des merveilles qu’ont laissées Gulda, Serkin et Kempff. En revanche, je n’avais pas vu passer les trois cycles de variations de Beethoven enregistrés par le contemporain de Martha Argerich, 80 ans l’an prochain, Bruno Leonardo Gelber

Glissés dans ce coffret, 2 CD récents (2010) d’une intégrale au piano des concertos pour clavier seul de Bach. joués par un pianiste qu’on admire depuis longtemps, une intégrale que je découvre… et qui me réjouit !

Je suis d’autant plus curieux d’écouter ce que fait Konstantin Lifschitz dans les sonates de Beethoven, qu’Alpha vient de publier dans le cadre de l’année Beethoven.

On l’aura compris, « légendaire » ou pas, le coffret Orfeo, vendu sur certains sites à moins de 30 €, ne décevra pas l’amateur de beau et grand piano.

La légende tchèque

Lorsque j’ai appris sa mort, il y a cinq ans, j’avais écrit ces lignes sur le pianiste tchèque Ivan Moravec (1930-2015) : Souvenirs mêlés.

J’ai commandé et reçu avant le week-end un coffret modestement intitulé Portrait, et ce que j’en ai entendu a heureusement corrigé les sentiments mitigés que je nourrissais à l’égard de ce pianiste.

Il faut d’abord féliciter l’éditeur Supraphon pour le livret richement documenté – trilingue – qui éclaire le parcours singulier d’un artiste qui n’a jamais connu véritablement la gloire internationale, mais qui fut admiré, reconnu, par des publics et des organisateurs fidèles, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, beaucoup plus qu’en France où il n’est resté connu que d’une poignée d’aficionados

Admirables prises de son, remastering de grande qualité pour des bandes qu’on a connues sous d’autres labels. Et, pour ce qui me concerne, une redécouverte de ses Chopin.

Légendaires

Parmi les expressions faciles qui m’agacent prodigieusement dans la bouche ou sous la plume de certains journalistes lorsque survient la disparition d’un artiste : « la mort d’une légende« . Tel guitariste, tel batteur de jazz, tel chanteur, qui parfois n’est connu que de ses fans (qui peuvent être nombreux) devient ainsi une « légende« . On a parfois droit à « la mort d’une légende vivante » (Pierre Dac pas mort !)

Le mot « légende » et le qualificatif « légendaire » devraient être utilisés avec parcimonie, si l’on ne veut pas qu’ils perdent leur sens.

Le label munichois Orfeo, fondé en 1979, publie, à l’occasion de son 40ème anniversaire trois coffrets de 10 CD consacrés à des artistes présentés comme… légendaires ! On voit bien la commodité pour le marketing, et dans 90 % des cas, il s’agit bien de musiciens et/ou d’interprétations entrés dans la légende, mais pour des artistes encore en activité, dans la fleur de l’âge, le temps n’a pas encore fait son oeuvre, qui pourra peut-être un jour les ranger au rayon des… légendes !

Les chefs

C’est certainement le coffret dont l’appellation est la plus justifiée : ces onze chefs sont entrés depuis longtemps dans la légende de la direction d’orchestre. Rien d’inédit dans ce coffret mais des minutages parfois plus généreux que sur les CD d’origine (ainsi Mitropoulos dirigeant la 5ème symphonie de Prokofiev en 1954 rejoint-il l’insurpassable 4ème de Beethoven de Carlos Kleiber).

Avantage considérable à ce regroupement en un coffret à petit prix (on conseille à nouveau de faire le tour des sites de vente, pour comparer les prix qui peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre) : la distribution du label en France a parfois été aléatoire et on n’en pas nécessairement suivi toutes les parutions. Précision utile : il ne s’agit que de prises de concert, magnifiquement captées par les micros de la radio autrichienne ou de la radio bavaroise.

Les chanteurs

Il y a de pures merveilles dans le coffret réservé aux « voix légendaires », mais on est plus circonspect quant à sa composition. À la différence des deux autres coffrets, il ne s’agit que d’enregistrements de studio, ce qui ne réduit en rien leur valeur artistique.

On est très heureux d’entendre le ténor polonais Piotr Beczala, né en 1966, la soprano bulgare Krassimira Stoyanova (1962) ou sa consoeur canadienne Adrianne Peczonka (1963), faire valoir l’étendue de leur talent, la richesse de leur timbre, mais on n’est pas certain qu’on puisse encore qualifier ces interprètes de « légendaires« 

Il y a de vraies curiosités comme ces chansons napolitaines sans vulgarité de Franco Bonisolli (1938-2003) ou ces duos improbables et magnifiques entre Carlo Bergonzi et Dietrich Fischer-Dieskau. Les récitals d’Agnes Baltsa et d’Edita Gruberova montrent ces artistes à leur meilleur, mais les vraies pépites du coffret sont les immenses Julia Varady (1941)- qu’attend Orfeo pour regrouper la meilleure et la plus complète série d’enregistrements de la cantatrice roumaine ? – Grace Bumbry (1937) et Brigitte Fassbaender (1939).

Quant au coffret sur les pianistes, il est commandé, j’attends de l’avoir reçu pour l’évoquer. Suite au prochain épisode !