Les défricheurs

En moins de 24 heures, on a appris la disparition de quatre personnalités liées à la musique. Black Friday comme l’écrivait un de mes amis sur Facebook.

Milos Forman, Jean-Claude Malgoire, Irwin Gage et Pierre-Emile Barbier.

Milos Formanc’est bien sûr l’immense cinéaste de tant de films qui nous ont marqué, et c’est celui qui, en adaptant la pièce de Peter SchafferAmadeus -, a fait de Mozart un personnage universel et familier. C’est en revoyant, il y a quelques jours, ce film dont je ne me lasse pas, que je me suis aperçu que l’acteur qui incarnait Salieri, F.Murray Abrahamétait l’énigmatique Dar Adal de la série Homeland

C’est aussi avec la bande-son d’Amadeus signée Neville Marriner que des milliers de mélomanes en herbe ont découvert par exemple la « petite » symphonie en sol mineur, la 25ème de Mozart.

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https://www.youtube.com/watch?v=7lC1lRz5Z_s

On reviendra plus tard sur la personnalité et l’oeuvre de Milos Forman.

Autre disparition annoncée ce matin, celle du musicien Jean-Claude Malgoireque les circonstances de ma vie professionnelle ne m’ont malheureusement jamais fait approcher. Mais tous les hommages que je lis depuis ce matin – François-Xavier Roth, Raphael Pichon, Alexis Kossenko… – confirment l’impression que j’avais de ce personnage : musicien engagé jusqu’au bout, infatigable défricheur, passeur, pédagogue.

Je me rappelle certains de mes premiers disques « baroques », c’était lui, ça sentait bon l’artisanat, la découverte, ça sonnait un peu aigrelet, pas toujours très juste, mais il y avait tant de générosité dans ces enregistrements… Ainsi mon premier Serse (Xerxes) de Haendel

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Irwin Gage est nettement moins connu que ses compagnons d’infortune mortuaire. Pour beaucoup de mélomanes, juste un nom, l’accompagnateur au piano de grands gosiers – Elly Ameling, Gundula Janowitz, Cheryl Studer, Christa Ludwig, Walter Berry, Dietrich Fischer-Dieskau, Peter Schreier, Brigitte Fassbaender, Jessye Norman ! Beau tableau de chasse pour un musicien justement chéri par ces grands chanteurs. Je reparlerai un jour de ce mot – mal choisi – et de rôle d’accompagnateur.

Dans cette belle discographie, on a l’embarras du choix. Dans mes préférences, Gundula Janowitz

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Quant à Pierre-Emile Barbier, son nom ne dit rien à ceux qui ne l’ont pas entendu jadis participer parfois à la Tribune des critiques de disques première manière ou lu dans Diapason. Je l’ai un peu connu quand j’étais en charge de France-Musique, il était encore ingénieur chez Thomson si je me souviens bien, déjà plein de projets et d’enthousiasme pour des interprètes et des répertoires qu’il a, lui aussi, largement défrichés, avant de fonder le label Praga. Au départ pour soutenir des artistes tchèques, par exemple le Quatuor Prazak (prononcer Pra-jak) et très vite exploiter et éditer les très riches fonds de la radio de Prague, après la chute du Mur. Depuis quelques années, le label se consacrait aussi à la réédition/remasterisation d’enregistrements légendaires.

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La relève

On sait depuis des lustres, en tout cas depuis Le Cid de Corneille, qu’aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années.

Dans ce blog, j’évoque beaucoup d’artistes disparus ou retirés de la carrière, à l’occasion de publications ou rééditions – ainsi récemment Régine (Crespin) et Françoise (Pollet) parce que j’ai toute liberté d’en dire ce que j’en pense (en général du bien !)

L’exercice m’est plus difficile pour des musiciens en activité, mais au diable les réserves aujourd’hui ! Je prends le droit de manifester mon enthousiasme pour deux publications toutes récentes et deux artistes que j’admire depuis leurs premiers pas dans leur jeune carrière.

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Marianne Crebassatout juste trentenaire, après un premier disque « carte de visite » (Oh Boy !) démontre avec ce deuxième album qu’elle a les moyens de son caractère et de son ambition artistique. De la mélodie française, même avec un titre supposément accrocheur (!), ce n’est pas exactement ce qui est censé plaire à ce grand public (que je n’ai personnellement jamais rencontré !).

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Le critique professionnel – c’est son rôle – trouvera certainement matière à comparer la jeune mezzo-soprano (au timbre souvent proche du contralto) à ses illustres aînées. J’ai écouté une première fois ce disque sans interruption, et j’ai été embarqué dans un heureux voyage trop court à mon gré. Il faut dire que le piano de Fazil Say est bien plus qu’un accompagnateur, un coloriste, un magicien qui suggère l’orchestre (dans Shéhérazade de Ravel par exemple).

On se réjouit déjà de retrouver l’un et l’autre à Montpellier en juillet prochain !

Autre admirable musicienne, à peine plus âgée que Marianne, celle qu’on admirait dans un Mithridate d’anthologie (Ceci n’est pas un opéra), qui a signé deux disques magnifiques, l’un consacré à Rameau, l’autre à Mozart (Les voix aimées), Sabine Devieilhe était à l’opéra de Versailles vendredi soir, au Théâtre impérial de Compiègne dimanche, mais je ne pouvais être à aucun de ces concerts, qui reprenaient le programme enregistré sur ce disque – encore un titre étrange ! – avec la complicité de François-Xavier Roth qui met toutes les saveurs et les couleurs de son orchestre Les Siècles au service d’un répertoire moins exotique ou désuet qu’on ne le pense.

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Deux disques indispensables, deux musiciennes magnifiques.