La Scala et Tartuffe

Non, la Scala de Milan ne s’est pas mise à concurrencer la Comédie-Française. Il se trouve que j’ai enchaîné samedi dernier deux spectacles, deux temps forts, qui se donnaient à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre.

D’abord le week-end inaugural d’un nouveau lieu de création à Paris, un ancien café-concert fondé en 1874, devenu un cinéma, spécialisé dans le porno à partir de 1970, au 13 boulevard de Strasbourg, en face des théâtres Comoedia et Antoine : La Scala

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Formidable pari de Mélanie et Frédéric Biessy (lire leur interview dans Le Monde : Les amoureux de La Scala), un lieu d’emblée sympathique, un environnement sonore exceptionnellement réussi, signé Philippe ManouryEt même si ce n’est pas l’essentiel, un bar et un petit restaurant très agréables – félicitations à la jeune équipe et au chef, ex-patron du restaurant strasbourgeois Zimmer, père de Mélanie Biessy, pour une belle carte de beaux produits frais, légumes et fruits, à prix très modéré, et un service parfait, rapide et souriant !.

Tout le week-end était intitulé Aux Armes, Contemporains, sept concerts destinés à tester les capacités et qualités de cette salle de 550 places, à mesurer l’accueil que les publics lui réserveraient. J’avais choisi l’un d’eux, samedi après-midi, qui semblait un résumé, un « best-of » des esthétiques musicales développées depuis vingt ans : Aperghis, Boulez, Romitelli, Harvey, Mantovani, etc.

42399305_10156653781008194_2578771817049096192_nQuatre chanteuses de l’ensemble Les Cris de Paris dans une démonstration un peu longuette de l’éventail des possibles pour un quatuor vocal prêt à toutes les expériences.

42366808_10156653780823194_3585373891939270656_nLe clarinettiste Jérôme Comte, membre de l’Ensemble InterContemporain, époustouflant dans Bug, une pièce de jeunesse de Bruno Mantovani

42303206_10156653781728194_5482831859958153216_nGaspard Dehaene donnait Une page d’éphéméride, une des toutes dernières oeuvres de Pierre Boulez

C’est à l’excellent Rodolphe Bruneau-Boulmier (bien connu des auditeurs de France Musique) qu’a été confiée la programmation musicale contemporaine du nouveau lieu, et c’est lui qui présentait les concerts de ce week-end- d’ouverture.

Longue vie à ce nouveau lieu, qui n’a pas d’équivalent dans Paris, moins intimidant que la Philharmonie, l’IRCAM ou les studios de Radio France, idéalement situé au coeur de Paris, et qui surtout propose un très beau mélange de théâtre, danse, cirque, musique, poésie.

J’ai ensuite fait faux bond à La Scala pour me rendre au théâtre de la Porte Saint-Martin où se donne une nouvelle production du Tartuffe de Molière. L’an dernier, le duo Michel Bouquet – Michel Fau tenait la vedette, je n’avais pas assisté à ce spectacle et les échos que j’en avais eus étaient pour le moins contrastés, comme devait l’être d’ailleurs le jeu des deux acteurs, aussi dissemblables que possible.

La nouvelle mise en scène est due à Peter Steinl’un des maîtres du théâtre allemand, et la distribution est nettement plus classique que la précédente. Une pièce qu’on connaît par coeur, dont on attend les répliques culte, le risque d’être déçu par des interprètes qui jouent les vedettes. Ou, au contraire, ce qui arriva, la chance d’être conquis par une troupe qui restitue avec gourmandise un texte qui n’a rien perdu de sa force, autant tous les citer : Pierre Arditi, Jacques Weber, Isabelle Gelinas, Manon Combes, Catherine Ferran, Bernard Gabay, Félicien Juttner, Jean-Baptiste Malartre, Marion Malenfant, Loïc Mobihan, Luc Tremblais.

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Il y a soixante ans, un Texan conquiert Moscou

13 avril 1958, la date ne dit plus rien à personne. On est pourtant en pleine guerre froide, l’affrontement entre l’Union Soviétique et les Etats-Unis qui culminera en 1961 avec l’érection du Mur de Berlin et en 1962 avec la crise des missiles de Cuba.

13 avril 1958 : un jeune Texan de 21 ans remporte le premier Concours Tchaikovski de Moscou. Harvey Lavan Cliburn plus connu par le diminutif de son prénom Van Cliburn

Je viens de revoir le film-portrait que Peter Rosen a consacré en 2001 au pianiste aussitôt entré dans la légende.

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On a peine à imaginer aujourd’hui ce que ce prix a représenté, pas seulement dans le monde de la musique, mais dans l’histoire politique de l’après-Seconde guerre mondiale. Van Cliburn devient un héros, la parfaite image de l’Amérique – ce grand jeune homme ressemble furieusement à celui qui s’apprête à conquérir la Maison Blanche, un certain JKF – mais il est, à son corps défendant, le symbole de l’ouverture pratiquée par le successeur de Staline à la tête de l’URSS, Nikita Khrouchtchov*, puisque les jurés du Concours Tchaikovski n’auraient jamais osé décerner la plus haute récompense, surtout de cette première édition, à un Américain sans l’autorisation, la décision même, du premier secrétaire du Parti communiste lui-même !

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1958-gilels_cliburn_58(Ici avec Emile Guilels)

cliburn_shosta(Le lauréat est salué par Dmitri Chostakovitch) Images du Concours Tchaikovski à voir sur Medici.tv.

Lorsque Van Cliburn revient en 1972 faire une tournée triomphale en Union soviétique, la télévision russe tourne ce documentaire. Passionnant, malgré un son précaire.

Il y a quelques mois (90+175j’écrivais ceci :

Pour les 70 ans de Mstislav Rostropovitch, ce fut une fête comme Paris en a peu connues à la fin du siècle dernier, un concert hors norme au Théâtre des Champs-Elysées le jeudi 27 mars 1997. Le compte-rendu du New York Times est éloquent. France Musique diffusant la soirée en direct (non sans d’âpres négociations préalables !), j’avais obtenu une petite place au parterre du théâtre (je me rappelle avoir été assis à côté du chroniqueur des têtes couronnées qui n’était pas encore la star des médias qu’il est devenu Stéphane Bern ! il avait fort à faire ce soir-là avec le prince de Galles, la reine Sophie d’Espagne et quelques autres célébrités du Gotha). Tout était too much, à la mesure et à la démesure du héros de la soirée. On n’avait pas encore de smartphone/appareil photo… sinon j’aurais sûrement conservé des instantanés magiques comme cette conversation surprise dans un recoin du théâtre entre Maia Plissetskaia et Van Cliburn  Le pianiste américain nous gratifia d’un Widmung à pleurer…

C’est la seule et unique occasion qui m’a été donnée d’entendre Van Cliburn, qui, comme plusieurs de ses confrères, trop tôt chargés du poids d’une célébrité soudaine et littéralement insupportable (comme Byron Janis), avait interrompu sa carrière.

Heureusement RCA a bien réédité l’héritage d’un pianiste singulier, disponible en plusieurs coffrets. Quand on voit la liste de ses « accompagnateurs » – Leinsdorf, Reiner, Ormandy, et surtout Kondrachine – un immense chef russe qui mériterait une édition à lui seul – on ne peut qu’écouter avec infiniment d’attention et d’intérêt des oeuvres où Van Cliburn préfère toujours la musique à l’épate.

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A l’occasion des 75 ans du pianiste américain (disparu en 2013) Melodia avait publié une belle série de captations des concerts donnés par Van Cliburn pendant le concours Tchaikovski et lors de ses tournées ultérieures.

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*Il n’y a pas d’erreur dans l’orthographe de ce nom, juste la transcription phonétique de Хрущёв !

Les jours enfuis

Impossible d’échapper à la tragique actualité de la planète.

Je retrouve quelques photos du printemps 2009 en découvrant ce matin les ravages provoqués par l’ouragan Irma sur l’île de Saint-Martin. Jours heureux au milieu d’une population chaleureuse, solidarité d’autant plus vive aujourd’hui avec ceux qui ont tout perdu.

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Inégalité aussi révoltante dans le traitement des catastrophes : combien d’heures d’antenne, de reportages pour l’ouragan Harvey qui a touché le Texas, et combien en comparaison pour les terribles inondations qui ont frappé Bombay ? (lire : Bombay est aussi sous l’eau).

Souvenirs là encore de deux visites à un an d’intervalle dans cette ville-monde (voir Visite à Shiva, cet univers si riche humainement (voir Film City), si intensément chaleureux et attachant (voir La vie devant soi)

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(Des photos de cette ville fascinante : Sea frontMarchésBritish HeritageJardins suspendus).

Les jours enfuis, les vies disparues, c’est l’actualité de la rentrée cinématographique, avec le film primé à Cannes de Robin Campillo : 120 battements par minute.

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Tout a été écrit et dit sur ce grand film, qu’il faut assurément voir. C’est une histoire, celle d’Act Up, que ma génération a vécue en direct, tout ici est juste, sobre, magnifiquement filmé, rien n’est de trop, pas de mélo ni de caricature. Les acteurs sont parfaits. Sortant du cinéma de quartier où j’ai vu le film hier soir, je repensais intensément au printemps 1993, ces allers-retours Haute-Savoie Paris pour rendre visite à B. à l’hôpital Rothschild. Le corps ne suivait plus, mais l’esprit était encore vif, malgré le visage et les yeux creusés par l’inexorable maladie : « Tu leur diras bien que je les embrasse, et que je viendrai vous voir bientôt ». Il savait, comme moi, que jamais il ne viendrait plus embrasser son filleul et son frère, mes enfants. Il n’avait pas 40 ans…

Combien sont-ils, connus ou inconnus, artistes, musiciens, danseurs, que j’ai eu la chance de rencontrer, fréquenter, pendant des jours heureux et des soirs de fête, qui ne sont plus qu’un long cortège de souvenirs…