Retrait et retirage

Tandis que le microcosme politique* s’interrogeait – retrait ? pas retrait ? -, un preux chevalier de la musique, le comte Johann Nikolaus  von La Fontaine und Harnoncourt-Unverzagt, plus connu comme Nikolaus Harnoncourt, annonçait le 6 décembre, le jour de son 86ème anniversaire, son retrait de la vie musicale, scènes et studios. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Nikolaus_Harnoncourt)

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Libre traduction : « Cher Public, l’état de mes forces physiques m’oblige à renoncer à mes projets. Me viennent immédiatement ces pensées : entre nous sur scène et vous dans la salle s’est nouée une relation inhabituellement profonde – nous sommes devenus une heureuse communauté de découvreurs ! Il nous restera beaucoup de cette aventure… Votre Nikolaus Harnoncourt. »

Au-delà de tous les hommages attendus, convenus, qu’a suscités ce retrait soudain et définitif, une appréciation personnelle, nuancée, celle d’un simple auditeur qui n’a pas toujours partagé les enthousiasmes de la critique.

D’évidence, il y a un avant et un après Harnoncourt, qui semble symboliser à lui seul tout le mouvement de recherche historique qui s’est développé sur la musique ancienne et baroque (puis romantique) à partir des années 50. Mais à le statufier de son vivant, on ne l’a pas nécessairement servi. Car, comme tous les grands musiciens, le chef d’orchestre qu’il était avait ses bons et ses mauvais jours, ses grands et ses moins grands disques.

Commençons par le moins bon, le côté « je vais décortiquer la partition devant vous » au risque de passer complètement à côté de l’élan, de la vivacité du concert : la trilogie symphonique finale de Mozart au Victoria Hall – mon premier contact « live » avec Harnoncourt ! – mortelle d’ennui (j’ai des témoins… et non des moindres !), puis à Paris au Châtelet une 7ème symphonie de Bruckner interminable, et enfin des concerts de Nouvel An à Vienne philologiques sans doute mais manquant totalement de pétillement et d’entrain. Comme cette poussive Valse des Délires (!!) de Josef Strauss

https://www.youtube.com/watch?v=shFoZ5SHnW0

Mais il y a tant de réussites à mettre au crédit du vieux chef qu’on ne va pas gâcher l’humeur unanime.

Comme des symphonies de Haydn, où NH fait courir la poste à tous les menuets – on doute très fort que l’on ait dansé le menuet à ce tempo d’enfer du temps de Haydn ou même Beethoven, avant l’apparition de la valse ! -, comme des symphonies de jeunesse de Mozart. 

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Dans les autres répertoires (Monteverdi, Bach, Handel, Beethoven et les romantiques) je ne mets pas Harnoncourt en tête de mes préférences, ce qui n’atténue en rien l’admiration que je lui porte. Il lui arrive même de surprendre, en bien, dans Dvorak ou Verdi (le Requiem), en mal quand il s’attaque à Bartok, Smetana ou… Gershwin (Porgy and Bess.. méconnaissable !)  Mais gratitude et reconnaissance pour tout ce qu’il nous a appris à mieux écouter, tout ce qu’il nous a révélé de compositeurs et de partitions que nous croyions connaître.

On n’oublie pas non plus qu’il y a cent ans exactement, le 9 décembre 1915, naissait Elisabeth Schwarzkopf, déjà évoquée (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/10/03/legerete/) lors de la sortie du coffret (entièrement remasterisé) que Warner ex-EMI lui consacre81szngqwkwl-_sl1500_

Sylvain Fort dit très bien les sentiments que la dame et ses enregistrements provoquent, et aussi l’emblème d’une époque révolue qu’ils constituent : http://www.forumopera.com/actu/elisabeth-schwarzkopf-100-ans-apres.

J’ai souvent raconté l’extraordinaire journée que France-Musique avait organisée pour les 80 ans de la cantatrice, qui était venue tout spécialement de Zurich le matin même de ce samedi 23 décembre 1995, et qui en guise de salutations nous avait d’entrée couverts de reproches pour avoir diffusé dans la nuit précédente une version « live » du Chevalier à la rose qu’elle pensait avoir fait interdire. Ce n’était pas digne d’une grande chaîne comme la nôtre qu’elle écoutait surtout pendant ses nuits d’insomnie…Lui expliquer que diffuser un enregistrement couramment disponible dans le commerce ne constituait pas une infraction, mais sans doute une faute de goût… La dame, se rendant compte qu’elle y était peut-être allée un peu fort, nous présenta des excuses que nous acceptâmes de bonne grâce, pensant surtout à réussir tout une après-midi en public confiée à Jean-Michel Damian. Le studio 104 était comble, Georges Prêtre (qui avait assuré la création française de Capriccio de Strauss à l’opéra de Paris en 1964 avec Elisabeth Schwarzkopf) était présent, d’autres collègues de l’invitée du jour avaient laissé des messages (Christa Ludwig, Iliana Cotrubas, etc.).

On déroula le fil de ses souvenirs et de ses enregistrements. Ayant lu que le disque qui lui paraissait le plus parfait était… une opérette, et pas la plus connue, de Johann Strauss, Wiener Blut, j’avais suggéré à Damian de lui faire la surprise de diffuser le duo le plus connu…Et c’est alors que tout le public présent et nous fûmes témoins de l’émotion qui submergea Elisabeth Schwarzkopf qui, les yeux soudain perdus dans le vague, revivait un moment de grâce rare en studio.

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Dix ans après ce disque, elle donnait cet air accompagnée par Willi Boskovsky. Cet extrait représente finalement assez bien ce que Sylvain Fort décrit dans son papier, tout ce qui chez Schwarzkopf peut fasciner autant qu’irriter, la sophistication, le contrôle, le maintien. Moi j’aime…

https://www.youtube.com/watch?v=7UgGSEMzi2g

*Microcosme politique : l’expression favorite de l’ancien premier ministre Raymond Barre, en 1978, pour désigner les partis et les responsables politiques qu’il détestait cordialement.

Disques d’été (VIII) : Mauvais goût

J’ai toujours rêvé d’entendre, voire d’animer, une émission de radio qui serait consacrée aux musiques un peu honteuses, de mauvais goût, comme les gens qui disent regarder Arte et se repaissent en cachette de Dallas ou d’Amour, gloire et beauté (ça me rappelle un épisode authentique : Armin Jordan n’acceptait jamais de répétition qui commence trop tôt le matin pour pouvoir regarder tranquillement dans sa chambre d’hôtel  les épisodes du très mauvais feuilleton du moment !)

France Culture fait un tabac avec une émission qui s’intitule Mauvais genres. Je doute que le nouveau directeur de France Musique qui a pourtant été à bonne école et qui ne passe pas pour être orthodoxe, lance ou accepte un projet aussi « déviant ». Quoique…

De quoi s’agit-il ?

D’abord de ces musiques dites « légères », pas très sérieuses, un peu crapuleuses, qui sont juste très agréables à écouter… et très difficiles à bien jouer. Les Anglo-Saxons sont beaucoup moins coincés que nous dans ce domaine, les Anglais ont toute une ribambelle de compositeurs qui restent quasiment inconnus sur le Continent (voir quelques références à la fin de ce billet)

Quant aux Américains, à Boston, à Cincinnati, à Los Angeles, les soirées « Pops » ou du fameux « Hollywood Bowl » sont les plus courues (avec des chiffres de fréquentation à faire frémir tous les Cassandre de la musique classique). Depuis mon premier voyage aux Etats-Unis en 1987, j’ai collectionné à peu près tous les disques, souvent des « live », des mythiques Boston Pops et de leur non moins mythique chef de 1930 à 1979, Arthur Fiedler (références à la fin de ce billet)

https://www.youtube.com/watch?v=LiAhE9ya5OU

Une fois – en 1999 ou 2000 – j’ai eu la chance d’assister à une soirée du célèbre Hollywood Bowl. Musicalement décevant, un chef mollasson qui avait réussi l’exploit de nous endormir avec un Boléro de Ravel avachi, mais une première étonnante, la présence du mime Marcel Marceau ! Mais ce n’est pas la qualité musicale qu’on vient chercher, plutôt une ambiance unique de fête.

Les Berlinois ont leur célèbre Waldbühne, qui se termine immanquablement par le tube de Paul Lincke – une sorte d’épigone berlinois de Johann Strauss – Berliner Luft :

On continuera une autre fois ce petit tour du monde, qui ne passe malheureusement pas par Paris

Encore ceci sur un chef qu’on peut autant admirer que détester – Herbert von Karajan. Qui n’a jamais eu honte de diriger, et même d’enregistrer, Suppé, Lehar, Strauss, la Gaîté Parisienne d’Offenbach/Rosenthal : il aimait cette musique et la servait avec les mêmes soins que le grand répertoire classique, avec ce surcroît de chic, d’élégance, de raffinement, dont très peu de ses confrères étaient capables. Il avait même enregistré -son choix? ou à la demande d’un producteur ?- toute une série de marches allemandes et autrichiennes, un double album LP qui ne fut jamais disponible en France, partiellement édité en CD. Puis-je faire l’aveu ici que je n’ai pas écouté qu’une seule fois ces « tubes » de la musique de « divertissement » et puis les Berliner Philharmoniker là-dedans…!!

https://www.youtube.com/watch?v=FvezwQlCZlg

En revanche, le même Karajan pouvait se vautrer dans le vrai mauvais goût, par exemple dans un célèbre Adagio qui n’est pas d’Albinoni, ou dans d’impossibles menuets lentissimes de Bach, Haendel, Haydn ou Mozart (les plus mauvais Concertos brandebourgeois de Bach ou Concerti grossi de Haendel de la discographie, c’est lui !).

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