Inclusif intrusif

Excellent article dans Le Monde daté d’aujourd’hui : Prêt.e.s. pour l’écriture inclusive ? 

https://www.youtube.com/watch?time_continue=10&v=uOY4fr30JZo

qui fait suite à d’autres prises de position comme celle de Raphael Enthoven  sur Europe 1 : Le désir d’égalité n’excuse pas le façonnage des consciences.

Mais ce n’est pas le ridicule de cette nouvelle mode de l’écriture « inclusive » qui motive ce billet, qui me trotte dans la tête depuis un bon moment.

C’est l’usage abus-if , dérivé de l’anglais évidemment, d’adject-ifs ou de substant-ifs se terminant par -if, qui contamine le discours public, comme les relations professionnelles.

Quelques exemples, liste malheureusement non exhaust-ive ! :

Emmanuel Macron est-il un président « disruptif » ? (lire Libération : pourquoi tout le monde sort ce mot)

« La soirée, organisée par le réceptif local, a été très déceptive » – traduction pour ceux qui causent encore en vieux français : La soirée, organisée par le correspondant ou responsable local, a été très décevante.

« L’Etat encourage les comportements performatifs et innovatifs des créatifs des start-upers » Innovant, performant c’est ringard ? Certes « créatif » est entré dans le langage courant, comme substantif, il ne prend la place d’aucun mot pré-existant.

J’en appelle au travail collaboratif des lecteurs de ce blog pour enrichir cette rubrique…inclusive !

Et puisque je dénonce le mésusage de ce suffixe -if , je ne résiste pas au plaisir de citer le célèbre poème de Rudyard Kiplingau titre aussi bref qu’évocateur : If

If you can keep your head when all about you   
    Are losing theirs and blaming it on you,   
If you can trust yourself when all men doubt you,
    But make allowance for their doubting too;   
If you can wait and not be tired by waiting,
    Or being lied about, don’t deal in lies,
Or being hated, don’t give way to hating,
    And yet don’t look too good, nor talk too wise:
If you can dream—and not make dreams your master;   
    If you can think—and not make thoughts your aim;   
If you can meet with Triumph and Disaster
    And treat those two impostors just the same;   
If you can bear to hear the truth you’ve spoken
    Twisted by knaves to make a trap for fools,
Or watch the things you gave your life to, broken,
    And stoop and build ’em up with worn-out tools:
If you can make one heap of all your winnings
    And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
    And never breathe a word about your loss;
If you can force your heart and nerve and sinew
    To serve your turn long after they are gone,   
And so hold on when there is nothing in you
    Except the Will which says to them: ‘Hold on!’
If you can talk with crowds and keep your virtue,   
    Or walk with Kings—nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you,
    If all men count with you, but none too much;
If you can fill the unforgiving minute
    With sixty seconds’ worth of distance run,   
Yours is the Earth and everything that’s in it,   
    And—which is more—you’ll be a Man, my son!

 

On attend avec impatience une traduction en français…inclusif !

Paroles de star

C’est quand même étrange que même ceux qui vivent de et pour la musique classique – je veux dire les organisateurs, les agents, les éditeurs de disques – passent leur temps à s’excuser de leur activité coupable et à courir après ce qu’ils croient être trendy ou hype ou in !

Puisque le public du concert classique est vieillissant, élitiste et conservateur, essayons d’attraper un autre public, plus jeune, plus populaire, avec les bonnes vieilles recettes de la télé, du cross over, de la variété ! Patrick Sébastien présentant la Grande Battle sur France 2 avec Roberto Alagna, œil de braise et voix de stentor, susurrant O sole mio aux ménagères de moins de cinquante ans…ce serait le nec plus ultra du « classique » à la télé non ?

Trève de plaisanterie, partout, dans les maisons d’opéra, dans les orchestres, on est sorti – même si on a mis du temps – de ce faux débat. Je ne voudrais pas qu’on me reproche de l’auto-satisfaction, mais quand je vois ce qui a été fait à Liège depuis plus de dix ans, j’ai plutôt un sentiment de fierté. C’est bien en assumant clairement ce que nous sommes, un orchestre symphonique, dans une salle de concert, en jouant le répertoire – immense – qui est écrit pour nous, que nous avons gagné et continué de gagner de nouveaux publics.

J’en étais là de mes vitupérations, lorsque je suis tombé, un peu par hasard, sur la page 100 du Nouvel Observateur de cette semaine. Une interview, une de plus, de la star des contre-ténors, Philippe Jaroussky…Pas vraiment ma tasse de thé, j’ai toujours eu un problème avec ce type de voix (allô Docteur Freud ?), au mieux je supporte, au pire cela m’insupporte presque physiquement. Mais quand je vois que l’interviewer est Jacques Drillon, je me dis que l’échange entre les deux mérite lecture.

Florilège :

Complexe de supériorité : « Les chanteurs lyriques, à un certain point de leur carrière, font un complexe de supériorité »

Cecilia Bartoli et moi : « Pour le marché du disque classique, il y a un avant, et un après Bartoli…Elle a prouvé qu’on pouvait faire des succès faramineux avec des inédits…En somme, ma carrière est à l’inverse de celle de Cecilia : elle a fait ce qui était connu au début et s’est tournée vers les raretés ensuite, j’ai procédé dans l’autre sens… »

Le modèle Edith Piaf : « Pendant des années, j’ai plus pensé en notes qu’en mots… Depuis cinq ans, je réussis à partir du ressenti du texte, que je retrouve chez Ella Fitzgerald qui ne surarticule jamais ou Edith Piaf : elles pensent tellement ce qu’elles disent que le mot sort comme il faut. Elles ne chantent jamais « amour » de la même manière, tout dépend de la phrase où il est placé »

En lisant cela de la part de Philippe Jaroussky, je pense immanquablement à une chanson de PiafLa foule, où l’auditeur ressent physiquement l’arrachement, la séparation exprimés par l’étirement de ces simples mots  « Emportés par la foule qui nous traîne et nous entraîne.. »

Le contact direct avec la musique : « En musique classique, un artiste est toujours un peu militant. Il doit entraîner les autres, lutter contre les a priori, les clichés. …Rien ne vaut le contact direct : la radio, la télévision, c’est bien, mais entrer dans le bâtiment (l’opéra, la salle de concert), voir de ses yeux la scène, les coulisses… Le spectacle vivant se porte bien, c’est enthousiasmant ».

Renouvellement : « Je n’aime pas ce mot de renouveler (le public). Il ne faut pas dresser une génération contre une autre… Lors d’un débat devant une assistance plutôt du 3e âge, on parlait forcément « renouvellement du public » et je trouvais cela insultant…Privilégier les jeunes, c’est agaçant à la fin. J’ai demandé à ces gens s’ils allaient  à l’opéra ou au concert quand ils avaient 30 ans. Evidemment non. Pas le temps, pas l’argent.. Il faut attendre un peu, attendons-les ! »

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Dernière parution en date, le célèbre Stabat Mater de Pergolese :

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Aussi talentueux et intelligent que soit Philippe Jaroussky – je me reconnais dans pas mal de ses propos – je préfère les voix de femmes, au risque même de l’ambiguïté, dans Pergolese justement, plutôt Nathalie Stutzmann ou Cecilia Bartoli

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